Article body

L’histoire syndicale et politique du mouvement ouvrier suscite peu d’intérêt chez les universitaires, malgré les remarquables ouvrages de Jacques Rouillard et les quelques activités du Regroupement des chercheurs en histoire des travailleurs et des travailleuses du Québec (RCHTQ) qui publie un bulletin et que dirige actuellement M. Comby. Celui-ci, dans ce récent ouvrage, cherche à mieux nous faire connaître cette histoire par l’intermédiaire des activités d’un militant syndical et politique : Philippe Vaillancourt.

Très jeune et tout en poursuivant ses études, Philippe Vaillancourt fonde avec Jean-Louis Gagnon, dans la ville de Québec, en 1934, la revue Vivre qui s’attaque au pouvoir établi et à la Confédération canadienne. En 1936, il milite dans les Jeunesses patriotes, créées par les frères Walter et Dostaler O’Leary un an plus tôt, et dont l’objectif est la défense des Canadiens français contre le gouvernement fédéral au service des trusts et des intérêts canadiens-anglais. Il s’en éloigne lorsque cette organisation, face à l’imminence de la guerre, se rapproche de Duplessis. Contrairement à plusieurs de ses amis, il ne s’inscrit pas au Bloc populaire mis sur pied en 1942 pour lutter contre la conscription. Il s’engage plutôt en 1943 dans la Cooperative Commonwealth Federation (CCF) dont il deviendra le secrétaire rémunéré pour la ville de Québec et où il militera avec, entre autres, Jean-Marie Bédard, syndicaliste de conviction trotskyste. En 1944, Vaillancourt est embauché comme responsable de l’organisation syndicale et de la négociation au Québec par le Congrès du travail du Canada (CTC). Il déménage alors à Montréal et commence une carrière syndicale qu’il poursuivra jusqu’à sa retraite, en 1976. En 1948, il est nommé directeur régional du CTC, remplaçant Jean-Marie Bédard qui démissionne, refusant d’entériner la chasse anticommuniste qu’endosse la direction. (Vaillancourt, pour sa part, ne s’opposera jamais aux directions syndicales, même lorsqu’il ne partageait pas leurs vues, comme c’était le cas pour leur adhésion au maccarthysme.) La même année, il est élu secrétaire du Conseil de travail de Montréal (CTM), affilié au CTC qui n’est pas représenté par une fédération au Québec, contrairement au Congrès des métiers et du travail du Canada (CMTC) qui, depuis 1937, s’est doté de la Fédération provinciale du travail du Québec (FPTQ). Après la naissance de la FTQ en 1957, fruit de la fusion des représentants québécois de la CTC (la Fédération des unions industrielles du Québec, FUIQ, créée en 1952) et de la CMTC (la FPTQ), Vaillancourt est nommé directeur de l’éducation du CTC au Québec.

Comby éclaire bien la période où la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), dirigée par Gérard Picard (1946-1958) et le CTM, puis la FUIQ, deviennent de plus en plus combatifs, se politisent et se coalisent souvent, malgré la FPTQ qui pactise avec Duplessis, s’isole syndicalement et refuse l’engagement politique. L’élection de Jean Marchand, qui remplace Picard jugé trop radical, affaiblit cette combativité, ramène la centrale vers l’apolitisme et l’éloignera du CTC. La FTQ, au contraire, demeurera politisée, grâce à la FUIQ qui, même si elle est minoritaire, entraînera dans son sillage les syndicats de métiers. L’auteur montre également que les coordinations syndicales sont favorisées par des syndicalistes de différentes centrales qui apprennent à se connaître au sein de la CCF, puis du Nouveau Parti démocratique (NPD). La plupart de leurs militants, dont Vaillancourt, condamnant la non-reconnaissance de la nation québécoise par ces deux partis canadiens, appuieront la naissance du Parti socialiste du Québec qui fera long feu.

En décrivant l’activité d’éducation syndicale menée par Vaillancourt, Comby trace les premières luttes de la FTQ pour que cette éducation au Québec se fasse en français et qui conduiront le CTC à remettre à la FTQ le budget de l’éducation, donc son contrôle. Dans l’organisation de son exposé, Comby oscille entre l’histoire d’un syndicaliste et l’histoire du syndicalisme québécois, entre un exposé chronologique et un exposé thématique, ce qui rend le lecteur perplexe, perdu dans une foule de données paraissant éparpillées. De plus, l’absence d’un index ne permet pas de réunir ce que dit l’auteur de tel ou tel acteur ou de tel ou tel événement. En corrigeant ces lacunes, en centrant son exposé sur la biographie d’un syndicaliste et en ajoutant un index à son travail, j’espère que Marc Comby consacrera son prochain ouvrage à ce grand syndicaliste que fut Jean-Marie Bédard.