Comptes rendus

Mélissa Blais, « J’haïs les féministes ! ». Le 6 décembre 1989 et ses suites, Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2009, 220 p.[Record]

  • Stéphanie Rousseau

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La tuerie de 1989 à Polytechnique a laissé bien des traces. L’auteure de ces lignes, qui était assise sur les bancs d’un auditorium ailleurs à l’Université de Montréal au moment du crime, a vécu la fin de sa première session universitaire sous le signe du choc. Comment pouvait-on imaginer pareille haine à l’égard des femmes ? Comment la comprendre ? L’auteure du livre, Mélissa Blais, s’attache justement ici à retrouver les différentes manières par lesquelles divers acteurs et actrices de la société québécoise – et même au-delà – ont pu faire sens à propos de cette tragédie. Elle s’empare ici d’un sujet important, soit celui de l’analyse historique de l’évolution des discours médiatiques et féministes à propos de ce drame. Ses résultats de recherche mènent à faire valoir les conflits d’interprétation tout autant que la fabrication de certains consensus durables. Mélissa Blais se penche particulièrement sur les points de vue féministes, pour constater qu’à travers le temps, ceux-ci ont été relativement marginalisés au profit d’interprétations alternatives. Les discours féministes radicaux sont identifiés par l’auteure comme ayant été les plus malmenés à travers le temps. L’auteure présente une typologie des discours qu’elle a repérés dans son étude des grands médias québécois et canadiens, des médias féministes spécialisés, des créations littéraires et audiovisuelles et des monuments commémoratifs. Ces discours offrent des interprétations de la tuerie à partir des causes structurelles, des motivations du tueur Marc Lépine, ou de la posture générale à adopter face à ce drame. Il s’agit d’abord des discours féministes, qu’ils soient plus ou moins radicaux, qui voient dans cette tuerie une manifestation claire du sexisme institué et du contrôle exercé sur les femmes par la violence, ensuite des discours portant sur les armes à feu et la nécessité de les contrôler, de ceux portant sur les meurtres collectifs, de nature sexiste ou non, de la posture du recueillement perçue comme seule réponse possible face à l’horreur, et enfin des discours sur la psychologie du tueur qui tentent d’expliquer ses gestes en se référant à ses problèmes personnels et en évaluant l’état de sa santé mentale. Le livre est formé de quatre chapitres qui portent, dans l’ordre, sur les participations féministes à la mémoire collective du 6 décembre 1989, sur l’analyse de la place accordée aux discours féministes dans les médias de masse, démontrant qu’ils sont généralement marginalisés ou dénigrés, sur les commémorations du drame entre 1999 et 2005 et, enfin, sur le film Polytechnique de Denis Villeneuve replacé dans une analyse du contexte social de 2009, date de sa sortie. Le livre est fort bien documenté et réussit à montrer de façon éloquente à quel point la tuerie a marqué l’évolution du mouvement féministe ainsi que la montée du mouvement masculiniste au Québec. L’auteure voit l’affrontement entre les diverses interprétations comme un combat politique. Certaines, en effet, nient ou occultent les rapports sociaux de sexe et la dimension violente du pouvoir masculin tel qu’il s’exerce socialement, alors que d’autres tentent de s’appuyer sur cette tuerie pour démontrer le caractère sexiste de la société. Si son argumentation générale est convaincante, on s’interroge cependant sur certains aspects de ses postulats théoriques qui présument que les rapports hommes-femmes devraient être conçus uniquement à partir des rapports de force. Plusieurs passages du livre indiquent que l’auteure ne croit pas qu’il y ait eu des changements importants dans les rapports sociaux de sexe au Québec depuis quarante ans, ce qu’on peut contester de différentes manières. Tout discours visant à énoncer une vision du changement dans ces rapports passe alors pour faux ou suspect. Il en découle que l’auteure ne prend pas au sérieux …