Comptes rendus

Catherine Ferland, Bacchus en Canada. Boissons, buveurs et ivresses en Nouvelle-France, Septentrion, Québec, 2010, 404 p.[Record]

  • Mathieu Tremblay

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La consommation des boissons alcooliques fait partie intégrante de la culture européenne fraîchement débarquée en terre d’Amérique du Nord. Trait de civilisation ou de régression selon les points de vue, les différents produits issus de la fermentation ou de la distillation font vite parler d’eux et contribuent concrètement à forger la colonie naissante… et à orienter son devenir. Les nouveaux arrivants dans la vallée laurentienne s’adonnent à moult essais pour produire vin, bière et alcools issus d’ingrédients locaux, avec un succès mitigé. Si la vigne canadienne est capricieuse, la production de bière est relayée davantage à la sphère domestique ainsi qu’aux communautés religieuses et s’avère plus difficile à saisir. Bien vite a-t-on recours à l’importation des produits alcoolisés de la métropole, des pays européens limitrophes et des autres colonies françaises d’Amérique. La variété des produits disponibles en milieu urbain est surprenante, signe que la mondialisation est déjà à l’oeuvre ! Le commerce de l’alcool, qui permet à l’État d’engranger des profits substantiels, le place inévitablement dans une position inconfortable au plan moral. C’est qu’il se doit de faire face aux désordres sociaux causés par les excès de la consommation et de la traite des boissons tout en essuyant les critiques. Pour retracer la production, la circulation et la consommation des boissons alcooliques, l’auteure a croisé et analysé avec minutie de nombreuses sources manuscrites et imprimées de la Nouvelle-France, des sources complémentaires (rapports des fouilles archéologiques et artefacts) ainsi que des textes anciens comme les récits de voyage au Canada. Le boire est abordé principalement dans sa dimension masculine, les sources étant beaucoup plus avares du côté féminin. Cela permet néanmoins d’explorer les implications sociales, culturelles et symboliques du boire. La consommation d’alcool se distingue également selon qu’elle soit issue de la classe populaire, des gens de métiers, des élites, des militaires, des ecclésiastiques ou des Amérindiens, affichant des motivations et des façons de faire très variées, voire opposées. Deux chapitres étudient d’ailleurs la question complexe du boire amérindien et proposent des réflexions novatrices. À la lecture de cet ouvrage fort original et amplement documenté, imaginer les 17e et 18e siècles canadiens sans substances alcooliques revient à faire table rase du passé, tant l’alcool y joue un rôle prépondérant. L’éclairage apporté par l’historienne Catherine Ferland marque un jalon significatif dans l’historiographie de cette période et comble d’importantes lacunes. Nul n’avait embrassé si largement le sujet avec autant de précisions et de nuances.