Comptes rendus

Sean Mills, The Empire Within. Postcolonial Thought and Political Activism in Sixties, Montréal, McGill-Queen’s University Press, Montréal & Kingston, 2010.[Record]

  • Éric Shragge

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Couvrant la période de 1963 à 1973 à Montréal, le livre de Sean Mills décrit et analyse une époque d’agitation sociale qui a eu des répercussions directes sur la vie sociale et politique de Montréal et sur la société québécoise en général. En effet, l’origine des mouvements nationaliste, féministe, ouvrier, noir et communautaire remonte à cette époque. Bien que cet ouvrage n’aborde pas la situation contemporaine, il contribue à une meilleure compréhension des débats politiques et sociaux actuels qui sont dominés par les questions des droits linguistiques et de l’intégration des nouveaux immigrants dans la société québécoise, comme ce fut le cas dans la controverse des accommodements raisonnables et la question des droits autochtones. Non seulement la période abordée par Mills en est une de grandes luttes sociales, mais c’est aussi celle de la naissance du mouvement indépendantiste du Québec, du mouvement de libération des Noirs et d’un mouvement de syndicalisation et d’organisation des travailleurs qui tous ont contribué à la formation d’un mouvement d’opposition à Montréal. Mills soutient que bien que la problématique de décolonisation ait influencé ces mouvements, chacun possède son propre « récit de libération ». De plus, les idéologies exprimées et les luttes amorcées au cours de cette période ne se limitent pas à Montréal ou à la province ; le mouvement international contre l’héritage colonial et la formation de mouvements de libération à l’échelle mondiale ont aussi influencé l’analyse et la perception de cette période. L’avènement du mouvement syndical de gauche et d’organisations communautaires militantes dans les années 1960 a permis aux divers mouvements montréalais de faire des avancées politiques. Mais comme le souligne Mills, les lacunes identifiées à cette époque sont devenues de véritables obstacles aujourd’hui. Le mouvement nationaliste a bien compris que les Québécois francophones étaient un peuple colonisé, mais il n’a pas tenu compte des demandes effectuées par les Premières Nations. En termes contemporains, on dira que le Québec est une société de colons blancs dont les deux « nations fondatrices » jouent un rôle dans les relations coloniales à l’endroit des nations autochtones. En conséquence, les mouvements sociaux du Québec se sont avérés plutôt lents à répondre aux demandes des communautés autochtones, et le nationalisme qui était autrefois associé à la décolonisation s’est orienté davantage vers l’identité culturelle et linguistique et est utilisé comme stratégie électorale par le Parti Québécois (PQ). Ce faisant, les anglophones et la classe ouvrière immigrante se sont vus à la fois marginalisés et exclus de cette identité culturelle. Cette situation s’est aggravée au cours des 30 dernières années avec l’arrivée au Québec des immigrants du Sud qui adoptent l’anglais comme langue d’usage. De plus, l’auteur souligne que plusieurs des fondateurs du PQ entretenaient des liens avec les mouvements des travailleurs et communautaires. Ces relations allaient permettre à ces mouvements de se tailler une place au sein de l’État après l’élection du PQ, et souvent mener à une cooptation de ces groupes au nom de l’objectif national commun. La question de l’héritage des mouvements des années 1960 doit être approfondie et débattue, et l’ouvrage de M. Mills nous offre un point de départ des plus pertinents pour le faire.