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Dans le contexte actuel marqué par une tension identitaire entre le « nous » québécois et le « eux » minoritaire, figure qui se cristallise souvent sur la communauté « arabe » au Québec, l’ouvrage conçu par Henda Ben Salah, pour souligner le 10e anniversaire du Festival du monde arabe (FMA) de Montréal, tombe à point. Heureux mariage entre des réflexions de sociologues et de philosophes, mais aussi d’artistes, de comédiens et de poètes, ce livre offre en effet un florilège de textes originaux et audacieux qui explorent, remettent en question et analysent l’émergence d’une « arabité » québécoise. La diversité des regards posés sur cette « altérité arabe au Québec », qui déconstruit à la fois les clichés attribuant à la communauté arabe une « essence » antilibérale et qui illustre sa diversité interne, notamment dans ses rapports à la sexualité et au port du voile, risque fort d’intéresser les universitaires, mais aussi les curieux tous azimuts, tant le style des textes est accessible et convivial.

Malgré les perspectives et les horizons disciplinaires pluriels des auteurs, un souci commun réunit toutes les contributions : celui de dégager la communauté arabe d’un regard culturaliste qui appelle une vision des rapports intergroupes en termes de « chocs des civilisations ». Ainsi, dans l’introduction et la première partie, les textes de M. Arkoun et J.-L. Roy abordent d’entrée de jeu l’importance de dépasser les catégories réductrices et stéréotypées du traitement médiatique et des débats passagers pour développer une « pensée subversive » et nuancée tenant compte de l’évolution des cultures dans l’histoire. Les deux auteurs voient dans le même sens le déverrouillage de la « clôture idéologique » occidentale comme un passage obligé vers une intégration réelle de la communauté arabe au Québec. Un peu plus loin, d’autres contributions, dont celles de Blattberg, Aoun et Leuprecht, revisitent l’histoire arabe, en particulier son Âge d’or (Al-Andalous), pour montrer à quel point la rationalité, l’ouverture et le rayonnement culturel ont émaillé l’évolution de la communauté arabe et favorisé l’avènement de l’Occident d’aujourd’hui. Truffés de témoignages personnels et d’anecdotes éloquentes, les textes suivants mettent en scène l’arabité telle qu’elle est vécue et négociée par des artistes, des comédiens et des écrivains arabes. Ces différents récits, abordant tantôt la notion « d’érotisme halal » (A. Dialmy), tantôt les différentes interprétations du voile, pouvant aussi bien jouer un rôle contestataire à l’égard des courants islamistes que devenir l’instrument de ces idéologies réactionnaires, mettent en évidence la complexité des identités arabes, mais aussi les tensions qui peuvent s’immiscer entre elles.

Nous pouvons toutefois regretter l’absence d’une définition claire et commune de l’« arabité » au fil des textes, susceptible d’entretenir une certaine confusion chez le lecteur, surtout néophyte. En effet, certains auteurs associent ce marqueur à la culture et à la langue alors que d’autres effectuent un saut direct (et un peu trop rapide) entre Arabes et Musulmans. De même, l’ouvrage présente très peu de notions conceptuelles permettant de tisser des liens ou de faire dialoguer les textes entre eux. Cela dit, dans l’ensemble, Arabitudes. L’altérité arabe au Québec renferme des contributions nuancées, critiques et surtout, loin des lieux communs.