La « découverte » relatée est celle bien connue et à l’origine de l’ouvrage de Yves Lavertu, L’affaire Bernonville. Le Québec face à Pétain et à la collaboration (1948-1951) (1994) et, plus particulièrement, du fonds d’archives de l’historien de droite Robert Rumilly, qui avait amassé tout ce qui pouvait être recueilli sur cette affaire. Les « déboires d’un chercheur » sont de deux niveaux : les déboires de l’auteur avec trois historiens (Robert Comeau, Jean-François Nadeau et Gonzalo Arriaga) et ses déboires avec le pouvoir d’occultation de l’institution universitaire et éditoriale et de la société québécoise. Ces déboires prennent la forme de « l’aventure intellectuelle d’une vie » d’une écriture claire au vocabulaire singulièrement riche et d’un récit au style enlevé d’un journaliste-pigiste. Plutôt que le détail des déboires de Y. Lavertu avec des historiens « qui orchestraient la gestion de la mémoire collective québécoise » (p. 233) sera ici privilégiée l’occultation d’une réalité historique dont ces trois historiens seraient les chefs d’orchestre exemplaires. Le bât a blessé LE découvreur de cette affaire dans l’occultation répétée de SA découverte par ces trois historiens dont la fin, selon l’auteur, justifia les moyens et qui permirent « de passer par pertes et profits les dommages collatéraux qu’aurait à subir dans cette histoire ce chômeur, ce quidam » (p. 275). Mais le bât a surtout blessé en regard de ce dont il y a eu occultation, et qui est un problème plus global de la culture québécoise. Il faut pour comprendre cette « aventure intellectuelle » d’une vie rappeler qu’Yves Lavertu est aussi l’auteur d’une biographie, Jean-Charles Harvey. Le combattant (2000) et le responsable de la réédition d’un grand texte de Harvey de 1945, La Peur (2000). L’occultation dont il s’agit ici est un trait récurrent de la mémoire et de la culture historique québécoise, cette propension à se détourner des face à face avec l’Histoire humaine au profit d’une préoccupation nationaliste, à « faire dévier des enjeux sur des thèmes nationalistes » (p. 36) et à instrumentaliser la mémoire au profit du maintien d’un certain type de nationalisme. Lavertu explore trois facettes de cette occultation à l’oeuvre lors de l’affaire Bernonville : le fait qu’on ait reporté aux politiques d’immigration du gouvernement fédéral, qui depuis le temps d’Asselin encourageaient peu l’immigration francophone, la lenteur des procédures et l’octroi de séjour de Bernonville. Le pincement de cette corde pour faciliter l’entrée et le séjour du collaborateur obligea le fédéral à une prudence nationale au moment où il reconnaissait encore le gouvernement de Vichy et où il fallait convaincre que l’effort de guerre concernait tout autant la France que la Grande-Bretagne. Autre cas d’occultation : la conscription de 1942 et le fait que ce sont des anticonscriptionnistes qui se retrouvèrent parmi les appuis de Bernonville ; ici, c’est la même dynamique qui préside à la décision de ne pas faire sa part et de faire montre de permissivité à l’égard de « collaborateurs ». Dernière occultation visée : la lenteur avec laquelle Le Devoir de 1994 reconnut son passé manifestement pétainiste. On pourrait allonger la liste pour bien faire voir la récurrence de cet habitus : le silence imposé implicitement ou explicitement sur la tradition libérale anticléricale qui menaçait le nationalisme orthodoxe, bien équilibré de religion et de langue, l’amalgame du socialisme et du communisme avec la franc-maçonnerie et avec l’antisémitisme, la déviation d’un fascisme local en un anticommunisme sans commune mesure avec la menace réelle, la reconnaissance de Pétain jusqu’à ce que bascule l’opinion en faveur de la France libre et du général de Gaulle. On peut débattre du fait que Y. Lavertu …
Yves Lavertu, La découverte. Les déboires d’un chercheur dans le dossier d’un criminel de guerre. Récit, Montréal, 2010, 278 p.[Record]
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Yvan Lamonde
Historien, Université McGill.
yvan.lamonde@mcgill.ca