Article body

L’histoire est une narration qui sert à comprendre le présent, et donner un sens à l’avenir ; cette définition correspond à l’intérêt que peut y porter l’architecte. Cette sensibilité devant la connaissance historique porte sur les indices et les faits qui pourront soutenir sa démarche de conception, un mélange entre les tendances récurrentes auxquelles on associe les grands mouvements historiques et les exemples individuels qui expliquent les ruptures et changements. La grande et la petite histoire sont conviées, sans vergogne, dans une démarche d’interprétation multidisciplinaire qui pourra laisser plusieurs chercheurs dubitatifs.

Dans ce sens, l’ouvrage de François Mathieu sur Les cloches d’église du Québec rassemble ces éléments variés qui intéressent l’architecte. Le recours à un objet précis, les cloches, participe à une narration où la petite histoire dessine les contours d’une interprétation plus générale. Par ailleurs, l’Histoire matérielle propose un témoignage tangible des décisions finalement concrétisées, des ressources consenties pour le faire, des acteurs impliqués, des valeurs qu’elles représentent, des échanges qu’elles ont structurés dans la réalisation comme dans le quotidien de leurs usagers.

Ainsi, l’histoire des cloches au Québec souligne diverses phases de développement dans l’expertise locale aux 18e, 19e et 20e siècles. Ces processus ont été soutenus par des échanges internationaux, d’abord avec la France et le Royaume-Uni, pour inclure l’Allemagne et la Suisse après 1945. Les cloches se présentent comme des objets utilitaires et symboliques avec une vocation communautaire. Leur fabrication, achat, installation et enfin les jeux musicaux sont le fruit d’efforts collectifs soutenus et de l’enthousiasme d’individus qui nuance l’isolement culturel et économique du Québec d’avant 1960.

L’achat des cloches de l’église Notre-Dame de Montréal en Angleterre révèle un rapport de reconnaissance mutuelle entre la métropole et le Canada dans la réalisation d’objets aux dimensions exceptionnelles. Mathieu étudie la singularité du Québec où se trouvent près de 80 % des cloches au Canada, grâce principalement aux églises catholiques. Il explique aussi l’apport ponctuel des anglicans avec leurs pratiques, notamment l’association des carillonneurs de la cathédrale Holy Trinity de Québec.

Mais au-delà des éléments qui contribuent à notre connaissance générale, voire anecdotique, l’ouvrage se présente comme un étrange assemblage de propos. Le matériel est intéressant, et souvent lié dans une pertinence ponctuelle sur quelques pages, mais la narration diverge, s’écarte, se retrouve et nous perd à nouveau. S’agit-il d’un nouveau genre narratif ?

La déroute du lecteur crée un malaise qui ne cesse de resurgir au fil des pages ; l’enthousiasme sincère de l’auteur qui partage son érudition n’arrive pas à cacher la faiblesse générale de la rédaction. Le dernier chapitre aborde ce patrimoine délaissé afin de présenter le travail plus contemporain autour du sujet « campanaire ». L’essai se transforme en manifeste d’une démarche de mise en valeur. Encore une fois, la sincérité des intentions n’est pas en doute, mais la justesse des moyens, dont celle de se citer à la troisième personne, témoigne d’une confusion des genres, indéfendable.

Cela étant dit, un auteur soumet un manuscrit, et c’est l’éditeur qui choisit de le publier sous une forme ou une autre. Cet essai est une curieuse proposition dans une maison comme Septentrion en matière de sujets historiques. La qualité du travail de l’architecte se mesure, non pas à un inventaire de bonnes intentions, mais à la façon de les agencer ensemble. L’ouvrage écrit doit aussi se soucier d’ordre et de structure pour convaincre et séduire.