Comptes rendus

Suzanne Clavette, Gérard Dion. Artisan de la Révolution tranquille, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2008, 648 p.[Record]

  • Simon Langlois

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Gérard Dion fut un important artisan de la Révolution tranquille et y apporta deux grandes contributions bien mises en évidence dans la biographie écrite par Suzanne Clavette. Dion fut d’abord un intellectuel, au sens où on l’entendait au milieu du 20e siècle, engagé par ses écrits percutants dans la promotion de changements politiques et institutionnels qui s’imposaient dans le Québec des années 1950 et 1960. Clavette montre aussi que « l’abbé » – comme on l’appelait familièrement dans le milieu syndical et au Département des relations industrielles de l’Université Laval qu’il a fondé –, a été un homme d’action impliqué dans les luttes syndicales des années 1950, un acteur de premier plan, comme conseiller du Prince, dans l’élaboration de lois sur les relations de travail et dans les réformes institutionnelles mises en place dans les années 1960 au Québec. À travers la vie de l’abbé Dion, c’est aussi toute la genèse de la Révolution tranquille qui est racontée dans cet ouvrage bien documenté, à lire non seulement pour connaître la trajectoire d’un homme hors du commun, mais aussi pour en savoir plus sur une époque marquante de l’histoire de la société québécoise. La biographe a finalement trouvé peu de choses à dire sur l’enfance et la jeunesse de Gérard Dion, mais elle décrit bien dans quel climat social, politique et culturel il a fait ses études et dans lequel il a choisi de devenir prêtre. Le jeune Dion a été marqué par la pensée de Lionel Groulx, au point d’être qualifié par Clavette « d’ardent nationaliste », mais plus précisément, un nationaliste canadien-français qui a rejeté plus tard le « séparatisme ». Très vite, il a pris ses distances avec le célèbre chanoine, étant intéressé par « la question sociale » plutôt que par la « question nationale », pour reprendre une dichotomie typique de cette époque, Dion ayant été marqué par le catholicisme social et les grandes encycliques papales de la première moitié du 20e siècle. La lecture de cette biographie aide à comprendre la pensée et les idées politiques de cette génération d’intellectuels canadiens-français catholiques et nationalistes qui a lutté pour la promotion des intérêts de l’ancien Canada français, caractérisé par ce qu’on appelait « l’infériorité économique des Canadiens français », alors la grande question sociale débattue sur la place publique. Devant la montée du mouvement indépendantiste dans les années 1960, il préféra plutôt défendre le fédéralisme renouvelé et faire la promotion de la dualité nationale canadienne. Gérard Dion avait étudié « les relations industrielles » à l’Université Queen’s en Ontario, dans le but de revenir à Laval y fonder le Département de relations industrielles, créé au sein de la jeune Faculté de sciences sociales plutôt qu’au sein d’une école de commerce ou d’une faculté d’administration, comme c’était le cas aux USA ou à Queen’s. Avec l’appui du père Lévesque, il a donné au Département de relations industrielles, dont il a été le directeur, une orientation que l’on qualifierait aujourd’hui de progressiste, l’enseignement et la recherche privilégiant le point de vue syndical et ouvrier, contrairement à celui de l’Université de Montréal, alors marqué par « la vision affairiste » des relations de travail. Dion considérait que « les relations du travail étaient foncièrement des relations humaines et sociales », selon ses termes, et qu’il fallait donc former des « experts » – appelés aussi « ingénieurs sociaux », ce qui témoigne bien de l’esprit réformiste et technocratique de l’époque – ouverts aux enseignements de la psychologie et de la sociologie. Gérard Dion s’est fait connaître du grand public lors de la publication d’un livre percutant écrit …