Article body

La question dans l’intitulé du livre témoigne bien de la recherche dont l’auteur entend rendre compte. À partir d’une étude empirique effectuée en Outaouais entre 2004 et 2006 auprès de « groupes communautaires » dans le domaine de la santé et des services sociaux, le chercheur avait pour objectif d’éclairer la transformation de ces acteurs de la société québécoise. En dépit des limites de la recherche empirique – on traite d’un seul secteur et d’une seule région –, l’auteur généralise son analyse à ce qu’il désigne par « secteur communautaire » ou « mouvement communautaire ».

Le flottement dans la délimitation de l’objet d’étude et les termes pour le désigner – groupes populaires, groupes communautaires, organismes communautaires, action communautaire, mouvement communautaire – résulte moins toutefois d’une absence de rigueur de la part du chercheur que de l’emballage idéologique produit avant tout par celles et ceux qui sont engagés dans ces groupes. Il y aurait beaucoup à dire sur l’univers sémantique du « communautaire » et la façon dont le conflit autour des définitions occulte ou donne à voir des orientations normatives sous-jacentes opposées. À ce chapitre, Deslauriers aurait gagné à être plus systématique. D’ailleurs, il n’hésite pas à recourir à la notion de « mouvement communautaire », alors qu’il soulève judicieusement des réserves en ce qui a trait à la pertinence tant de la notion de « mouvement » que ce celle de « communautaire » pour appréhender une réalité aussi disparate et traversée de conflits de valeurs et d’intérêts.

La thèse centrale mise de l’avant se résume ainsi : « sous la pression de l’État, les groupes communautaires sont devenus un agent de démantèlement de la communauté » (p. 174). Cela s’explique à la fois par la spécialisation des domaines d’activités où ils agissent et par leur professionnalisation. Mais on ne doit pas mésestimer le rôle de facteurs objectifs échappant dans une large mesure aux acteurs, comme la remise en question de l’État-providence et la montée d’un néolibéralisme ambiant. Le livre conclut à la « métamorphose du mouvement communautaire » (p. 217).

Il est difficile de rendre justice en quelques lignes à un ouvrage dont l’objectif est double : rendre compte d’une recherche minutieuse autour d’activités et de pratiques sociales multiples et, en même temps, contribuer à éclairer le débat sur ce que d’aucuns désignent comme le « modèle québécois ». En remontant aux années 1960 et à l’héritage culturel sur lequel s’est construit le Québec contemporain, l’auteur entend éclairer les enjeux de l’État social dans sa forme récente. Les acteurs dont il évalue les pratiques sont fort différents de celles et de ceux sur lesquels ils ont autrefois pris appui pour construire leur légitimité, à savoir les comités de citoyens et les « groupes populaires » des années 1960. La grande diversité de ces acteurs sur plusieurs plans – culturel, social, organisationnel, idéologique – oblige sans conteste les sciences sociales à un surplus de discernement. C’est ce à quoi contribue d’une manière fort pertinente le livre de Jean-Pierre Deslauriers.