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L’ouvrage présente les actes d’un colloque tenu en 2003 par le Centre d’études ethniques de l’Université de Montréal, sur le thème du racisme et de la discrimination. Il comporte 13 textes, la majorité étant rédigés par des doctorants et des post-doctorants, québécois et étrangers. Une brève présentation précède quatre grandes sections touchant l’établissement des immigrants, la « distance », l’éducation et les relations interpersonnelles.

La première section regroupe trois textes portant sur les stratégies d’établissement des immigrants à Montréal, l’accès à l’emploi et la distribution des travailleurs dans le secteur des services de soins et d’aide à domicile, dans les services de santé et l’accès des minorités au logement. On y constate entre autres la sous-représentation des « Noirs » dans les CLSC et « l’effet net du groupe ethnique » dans les services de santé, et on y illustre le discours raciste d’un petit échantillon de propriétaires de logements à l’égard des « communautés noires », en particulier, dans les secteurs Villeray, Côte des Neiges et Hochelaga Maisonneuve.

La seconde section concerne les attitudes des municipalités dans les dossiers d’aménagement des lieux de culture des minorités ethniques, le racisme chez les jeunes des quartiers populaires français, l’identité arabe à Montréal, et une synthèse ou revue des écrits portant sur le racisme au Québec. La troisième section comprend trois textes traitant de l’éducation antiraciste et du rôle de l’école. La dernière section intitulée « relations interpersonnelles » contient un texte sur les assises socio-psychologiques du racisme et un essai, rédigé par un auteur qui se définit comme « non-spécialiste » en matière de racisme (p. 261). Qualifiant sa posture d’« Homme, Blanc, universitaire » (p. 261), Guy Bourgeault tentera néanmoins d’expliquer « la constante résurgence du racisme » à partir de la « tendance cognitive naturelle » qui consiste à attribuer à notre position sociale un niveau d’universalité qu’elle n’a pas » (p. 25).

Quelques textes se démarquent par leur rigueur, la clarté du style ou l’intérêt des questions soulevées. Mentionnons celui d’Annick Germain et de Julie Élizabeth Gagnon sur les dossiers d’aménagement des lieux de culte dans le contexte montréalais, celui de Marguerite Cognet sur les services d’aide à domicile dans le secteur de la santé, celui de Paul Reid sur les représentations liées à l’identité arabe chez les jeunes Montréalais d’origine arabe, celui de Marie McAndrews sur la faible prégnance de l’éducation antiraciste au Québec et ses difficultés d’implantation dans le système scolaire, au profit de l’éducation à la citoyenneté ; l’auteure lie le déclin de l’éducation antiraciste au Québec à l’accession graduelle des francophones au statut de majorité sociologique, thèse discutable mais susceptible d’ouvrir le débat.

On peut par contre souligner quelques faiblesses et incohérences. Ainsi, les intitulés des grands regroupements qui structurent l’ouvrage prêtent à confusion. Qu’entend-on par exemple par la rubrique générale de « distance » ? Quels liens exacts établit-on entre les « distances culturelles » et le racisme ? En quoi, la résurgence constante du racisme devrait-elle être traitée sous la rubrique « relations interpersonnelles » ?

Sylvie Fortin et Jean Renaud utilisent la notion d’« exclusion par repli sur l’endogroupe » pour qualifier les réseaux et les stratégies d’établissement économique de certains groupes de migrants, sans pour autant aborder et analyser en profondeur le facteur du racisme, l’un des facteurs structurels qui opèrent dans l’explication des modes d’incorporation des immigrants, selon la théorie de l’assimilation segmentée à laquelle ils se réfèrent.

Dans un article à faible teneur méthodologique, Didier Lapeyronnie analyse les expressions du proto-racisme chez les jeunes des « quartiers populaires » immigrés en France et affirme en une formule quelque peu obscure : « le racisme n’est pas un comportement que porterait tel ou tel groupe social et notamment tel ou tel groupe immigré, qui pourrait être une caractéristique culturelle, mais à l’inverse comme un effet de la structuration de la vie sociale qui engendre la formation de groupes sociaux et leur confère leurs particularités. De manière un peu forcée, on pourrait affirmer que le racisme n’est pas la propriété d’un groupe social particulier, mais qu’à l’inverse, c’est bien le groupe social qui est une fonction du racisme » (p. 131).

D’entrée de jeu, Richard Bourhis et Annie Montreuil affirment : « Depuis le référendum de 1995, certaines catégories ont pris de l’importance au Québec » (p. 232). Comme élément de preuve, ils reprennent les propos, émis à chaud, de monsieur Jacques Parizeau sur le rôle de « l’argent et des votes ethniques », ainsi que les commentaires d’Yves Michaud sur le vote en bloc de la communauté juive pour illustrer les effets néfastes de la catégorisation. Ils dénoncent le « clivage ethnique » qui s’est renforcé entre le « nous » des Québécois francophones et le « eux » des minorités ethniques, de même que le sentiment d’exclusion des « communautés culturelles » (p. 223-225). Le reste du texte porte sur les théories psychosociologiques classiques du racisme et de la catégorisation comme outil cognitif. Ces propos portant sur les « débordements xénophobes » attribués aux leaders souverainistes contrastent avec ceux de l’expert du multiculturalisme canadien, Will Kymlicka, qui se sert de la même affaire Parizeau pour conclure sur un tout autre ton : « Nous savons maintenant que, n’eût été des “votes ethniques”, le “oui” l’aurait emporté au Québec lors du référendum de 1995 sur la sécession. Dans ce référendum, les électeurs ”ethniques“ ont en effet massivement exprimé leur allégeance au Canada » (Will Kymlicka, La voie canadienne. Repenser le multiculturalisme, Montréal, Boréal, 2003, p. 33). Les propos des uns et des autres sur le rôle de l’ethnicité dans la fédération canadienne relèvent davantage de l’orientation politique que de l’analyse sociologique. Par ailleurs, l’exposé de R. Bourhis et Annie Montreuil sur les théories explicatives du racisme reposent sur une approche psychologisante qui a le désavantage de « déproblématiser » les enjeux macro-sociologiques liés à cette question.

On peut également s’interroger sur la pertinence de la notion d’« ambivalence de la situation québécoise » qu’utilise Maryse Potvin pour effectuer la synthèse des recherches sur le sujet. La notion d’ambivalence ne s’applique pas à l’analyse de la société, mais relève des théories de la personnalité individuelle.

Dans la présentation générale, les auteurs dégagent trois conclusions quant aux transformations du racisme : 1) de « racisme se manifestant moins que par le passé par des actes violents, exceptionnels et délibérés », le racisme deviendrait une sorte de « liant social », un climat, un air du temps, un milieu ambiant (p. 25) ; 2) le racisme est un élément parmi d’autres d’un système intégré d’exclusions et de dominations ; 3) « le racisme et les discriminations raciales ou ethniques ne sont pas le résidu de comportements hérités d’une quelconque tradition culturelle ou communautaire. Au contraire, il apparaît comme un moyen de la subjectivation, même s’il débouche sur une identité sombre et noire (souligné par l’auteure de ces lignes), mais néanmoins en mesure de rétablir pour l’individu l’estime de soi et d’affermir le sentiment de maîtrise qu’il pense avoir sur le monde » (p. 26). Ces formulations sont étonnantes en elles-mêmes. L’analyse des cas présentés ne supporte pas de telles conclusions.

Enfin, on peut regretter le fait que les travaux de plusieurs chercheurs québécois ne figurent pas dans la synthèse effectuée. En définitive, ce sujet délicat et à l’ordre du jour aurait mérité un meilleur traitement.