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Les tensions, les conflits, les crispations et les replis identitaires dans les sociétés constituent des problèmes et des problématiques au centre des préoccupations actuelles des décideurs politiques et qui occupent les médias et les chercheurs à l’échelle internationale (voir par exemple l’enquête d’Ipsos « France 2013 : les nouvelles fractures »).

Cet ouvrage collectif, codirigé par Simon Harel, dont les recherches touchent des problématiques interculturelles à la frontière des études littéraires et culturelles, et Isabelle St-Amand, chercheure dans le domaine de la littérature, du théâtre et du cinéma autochtones, vise à configurer, en se focalisant sur le contexte québécois, un champ de recherche sur ce que François Paré appelle une « mentalité d’assiégés » (1992). Une pluralité de disciplines (dont les sciences politiques, les études littéraires, la géographie culturelle et sociale, l’anthropologie, la philosophie et l’architecture) y sont convoquées en vue d’explorer ce champ et d’établir un balisage théorique et épistémologique. Le Québec est à la fois une société minoritaire dans l’espace canadien et une entité constituée d’une majorité et de minorités – les Premières Nations et des groupes issus de l’immigration. Cette situation, favorisant la convergence de la territorialité, de l’identité, de l’appartenance et du pouvoir, détermine l’apparition de la mentalité de siège.

Les collaborateurs analysent la façon dont les discours, l’espace, l’image et la littérature font apparaître le siège comme lieu d’une territorialisation et d’une mise en scène des antagonismes. Ainsi sont étudiés les discours des allochtones face aux revendications des Innus dans la région de la Côte-Nord (Loranger-Saindon) et ceux des deux modèles québécois de laïcité, le Mouvement laïque des années 1960, autour de la revue Parti pris, et le sécularisme protectionniste de la décennie 2000 (Burman). Les formes spatiales du siège sont analysées en rapport avec la crise d’Oka (Desbiens) et avec les frontières, limites et interstices de l’espace architectural (Bilodeau et Prochazka).

À travers la figure de la maison-ambassade comme expression de l’« ambivalence sécuritaire, entre discorde et méfiance » (p. 218), Harel réexamine le principe d’extraterritorialité en politique et en littérature. Dans le domaine de l’image, St-Amand entreprend une analyse de la crise d’Oka à partir du film documentaire Okanada où s’entrecroisent la spectacularisation de l’événement et sa médiation cinématographique. L’espace comme lieu de conflits et de violence est étudié dans la poésie urbaine (Rimstead) et dans les écritures migrantes (Chanady). Ouellet qualifie la langue de Victor-Lévy Beaulieu dans le roman La grande tribu (2008) de « langue de rébellion » (p. 291) et d’« invention d’un nouveau territoire de la parole » (p. 293).

L’apport de l’ouvrage est double : un intérêt politique, car il montre comment le siège fait appel au contact, à la médiation et à la concertation, lesquels permettent de lutter contre le discours de la négation, contre la création d’un adversaire et contre la peur, et un intérêt scientifique, car la configuration de ce champ de recherche utilise différentes approches disciplinaires pour construire et dessiner de nouvelles pistes d’analyse. Ces apports intellectuels et pratiques enrichissent la réflexion des chercheurs associés aux disciplines convoquées mais aussi celle de tous ceux qui s’intéressent à la méthodologie de la recherche.