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Même si elle n’est le fait que d’un petit nombre de personnes, la controverse suscitée par le programme d’éthique et culture religieuse (ECR) s’est transformée en véritable débat public. Il est rare qu’une matière scolaire fasse autant de bruit en dehors de l’école au point d’être contestée devant les plus hautes cours de justice du Québec et du Canada. Cependant, contrairement au cours d’histoire et éducation à la citoyenneté enseigné en 4e secondaire, cette contestation n’est pas tant le fait d’un désaccord critique quant aux thématiques ou à la finalité du programme, que le révélateur d’un malaise plus général à l’égard du pluralisme, que les débats sur les accommodements raisonnables et sur la laïcité semblent avoir exacerbé. C’est du moins la thèse générale de l’ouvrage collectif que codirigent Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre, bien mise en perspective dans le premier chapitre par Micheline Milot qui montre que le programme ECR se trouve instrumentalisé dans un débat qui a davantage à voir avec l’identité collective québécoise qu’avec l’acquisition chez les élèves d’une culture religieuse. Par conséquent, cet ouvrage porte moins sur le programme ECR lui-même que sur le contexte social et historique dans lequel il s’inscrit et sur les termes du débat sur la laïcité auquel il est lié. C’est également le point de vue de Georges Leroux qui considère, à ce titre, que la société contemporaine pourrait être analysée sous l’angle « d’un passage de la classe sociale à l’identité comme concept fondamental » et qui s’interroge sur la possible conciliation entre la revendication d’identités particulières et le pluralisme.

Le livre réunit huit textes d’horizons intellectuels et d’approches disciplinaires différents qui tentent une réponse aux contestations. Outre les textes de Milot et de Leroux, celui de Mireille Estivalèzes poursuit la mise en perspective sociohistorique amorcée par Milot en montrant que la déconfessionnalisation de l’école québécoise et le passage à un enseignement culturel des religions résultent d’une longue réflexion sur la place de la religion à l’école qui a donné lieu à un programme « original et audacieux » auquel il faut certainement accorder le temps de faire ses preuves. Solange Lefebvre, qui pense elle aussi que le débat sur la religion à l’école ne peut être dissocié de celui sur la laïcité, s’intéresse aux enjeux qui caractérisent ce dernier et à ses effets sur une vision non confessionnelle de l’école. De son côté, Diane L. Moore soutient que l’inculture religieuse favorise l’émergence des préjugés et des antagonismes et pense qu’un enseignement non confessionnel des religions encourage le respect du pluralisme, la coexistence pacifique et la coopération. Pour sa part, Pierre Bosset montre que si les textes juridiques reconnaissent aux parents le droit d’assurer l’éducation religieuse de leurs enfants, l’État n’a pas pour autant l’obligation juridique d’assurer cette éducation. Ainsi, la référence aux droits fondamentaux des parents en matière d’éducation religieuse aurait une fonction principalement rhétorique. Les derniers chapitres présentent deux points de vue de formateurs universitaires auprès d’enseignants. Louis-Charles Lavoie s’intéresse aux causes des résistances au changement chez les enseignants. Bien qu’il constate qu’en majorité ils se sont bien adaptés au programme ECR, il montre l’importance pour le formateur universitaire de bien comprendre ces causes et leur contexte pour accompagner tout changement significatif. Finalement, le texte de Stéphanie Gravel porte sur les concepts d’impartialité, d’objectivité et de neutralité et sur leurs implications pédagogiques en ECR. Il conclut que l’impartialité et l’objectivité exigées des enseignants n’impliquent pas une totale neutralité et que les finalités du programme fournissent aux enseignants des critères pour se prémunir du relativisme. Si les réflexions qui composent ce livre prennent toutes la défense du programme ECR, elles le font par une mise en perspective qui devrait permettre « une meilleure compréhension du changement de paradigme social et éducatif que constitue le programme ECR » et contribuer à en apprécier les « qualités intellectuelles, culturelles, éthiques et civiques ».