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Partant du constat que rien n’est acquis en matière de représentation des femmes au sein des institutions parlementaires québécoise et canadiennes, l’ouvrage de Manon Tremblay constitue un véritable plaidoyer en faveur de la responsabilisation des partis politiques à cet égard. Au-delà de la perspective militante, le livre se veut aussi un ouvrage de référence fouillé, le regroupement d’études diverses et le décodage de nombreuses statistiques comblant ainsi un vide manifeste. Divisé en quatre chapitres, le texte de Manon Tremblay fait d’abord un utile retour en arrière, qui rappelle au lecteur les luttes qu’ont dû mener les Canadiennes pour obtenir le droit de vote et ce, depuis la signature de l’Acte constitutionnel de 1791. Le deuxième chapitre cherche à expliquer pourquoi les femmes demeurent minoritaires dans nos institutions parlementaires, tandis que le suivant s’attarde à la fois sur l’identité et les idées des femmes qui ont réussi à faire partie de la sphère politique. Le dernier chapitre, consacré aux solutions visant à ce que plus de Québécoises siègent dans les espaces parlementaires, témoigne d’un changement de perspective de la part de l’auteure, qui semble mettre de côté sa réserve de chercheuse universitaire au profit d’un rôle militant.

Le premier chapitre du livre sert de trame de fond à l’ensemble de l’ouvrage. La description de la lutte des femmes en vue de l’obtention du droit de vote dispose le lecteur à accueillir le discours militant qui suivra. L’auteure rappelle ainsi certaines aberrations historiques, dont le fait qu’en raison d’un vide juridique, les femmes propriétaires âgées de plus de 21 ans aient pu voter entre 1791 et 1834, année lors de laquelle un amendement à la loi électorale leur retirait ce droit. Ce n’est qu’en 1918 que les femmes canadiennes qui disposaient déjà du droit de vote dans leur province respective purent participer au suffrage, les Québécoises ayant dû attendre jusqu’en 1940 pour obtenir ce droit. Pour ajouter à son propos – et sans doute afin d’aviver le militantisme des lecteurs ! – l’auteure a choisi de ponctuer son texte de quelques extraits du plaidoyer des opposants au droit de vote des femmes, certains illustrant de façon éloquente la nature des arguments soulevés contre les suffragistes. Henri Bourassa, alors directeur du quotidien Le Devoir et figure de proue de l’opposition au droit de vote des femmes, va même jusqu’à soutenir qu’accorder ce droit risquerait, à terme, de dénaturer les femmes, d’en faire des « femme-homme, le monstre hybride et répugnant qui tuera bientôt la femme-mère et la femme-femme » (Bourassa, cité dans Tremblay, p. 53. Les italiques sont de Bourassa). Si l’on considère que l’auteure n’a pas joué de subtilité quant à ses intentions en choisissant de tels extraits, ceux-ci ont tout de même le mérite de rappeler au lecteur l’ampleur du chemin parcouru.

L’auteure nous apprend aussi que c’est surtout la branche maternaliste du féminisme (par opposition au courant égalitaire) qui aura permis aux Québécoises d’obtenir le droit de vote et celui d’être candidates aux élections, les défenseurs de cette idéologie faisant valoir que loin de dénaturer la femme, le droit de vote permettrait à celles-ci de « faire valoir ‘leur différence’ en tant que groupe défini par leurs fonctions maternelles et désireux d’en faire bénéficier l’ensemble de la société » (p. 81). Cette rhétorique n’est d’ailleurs pas complètement étrangère à celle qui soutient aujourd’hui le discours des partisans de la présence accrue des femmes en politique, la différenciation semblant encore prendre le pas sur l’aspect strictement égalitaire. Tremblay soutient ainsi que « des politiciennes en nombre et suffisamment diversifiées devraient favoriser une représentation substantielle des femmes qui tienne en compte leur diversité » (p. 11), ce postulat sous-tendant l’ensemble de l’ouvrage.

L’auteure consacre le deuxième chapitre du livre à l’analyse objective de la situation actuelle des femmes au sein des institutions parlementaires québécoise et canadiennes. Elle rappelle que si la conjoncture du Québec semble en voie d’amélioration – 32 % des sièges de l’Assemblée nationale étant actuellement occupés par des femmes, ce qui positionne le Québec avantageusement à l’échelle canadienne et sur la scène mondiale –, l’évolution globale de la situation au cours des dernières années commande une vigilance continue, notamment à la lumière du cas canadien. Ainsi, au début 2005, les femmes représentaient seulement 26,7 % de la députation québécoise à la Chambre des communes. La position du Canada en matière de représentativité des femmes, sur 180 pays, a d’ailleurs chuté de la 16e position, en 1994, à la 31e, en 2004 (p. 5). Afin de mieux comprendre les facteurs qui influencent la place des femmes en politique, Tremblay s’attarde aux quatre étapes du processus de désignation des parlementaires élus, soit l’éligibilité, le recrutement, la sélection et l’élection.

Statistiques et nombre d’auteurs à l’appui, Tremblay montre que si l’éligibilité ne pose plus problème – rien, dans les diverses législations, n’entravant le droit des femmes à être candidates à une élection –, l’étape du recrutement s’avère par ailleurs problématique. Des difficultés matérielles (l’argent) et immatérielles (l’éducation, la profession, le cumul de capital social), jumelées à des considérations psychologiques (notamment en ce qui a trait à la perception qu’ont les femmes d’elles-mêmes), rendraient ardu le repérage d’un bassin substantiel de candidates potentielles. Mais c’est surtout à l’étape de la sélection, lors de laquelle les partis politiques désignent les candidats qui se présenteront dans chacune des circonscriptions, que les femmes seraient le plus souvent écartées du processus. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène. D’abord, les partis auraient tendance à rechercher des profils correspondant à ce que Norris et Lovenduski (1989) ont nommé l’homo politicus, les hommes ayant davantage tendance à répondre aux critères de cet idéal. Le fait, ensuite, que les femmes aient généralement peu d’appuis dans les milieux économiques, leur réseau étant, pour la plupart, plus près des milieux sociocommunautaires, minerait l’intérêt de leur candidature aux yeux des partis politiques. Leur rôle plutôt secondaire au sein de ces mêmes partis (tous partis confondus, peu de femmes assument les présidences de comté et très peu d’entre elles siègent au sein des exécutifs de parti), de même que le rythme lent de renouvellement des candidats, concourraient enfin à ce que les femmes aient tendance à être discriminées lors de l’étape de la sélection. Ces différents constats laissent entrevoir le rôle prépondérant des partis politiques en matière de représentativité des femmes au sein des institutions parlementaires : nous y reviendrons. Enfin, en ce qui concerne l’étape de l’élection, Tremblay s’attache à briser les mythes entourant l’impact favorable des modes de scrutin proportionnels quant au nombre de femmes élues. À l’aide de moult exemples puisés à travers le monde, l’auteure montre qu’aucun lien de cause à effet ne peut être établi à ce propos. Ainsi, plusieurs conditions peuvent jouer en faveur ou en défaveur de ce scénario (adoption de listes fermées, nombre de candidats par circonscription, seuil électoral élevé, etc.), un mode de scrutin proportionnel ne pouvant donc être envisagé comme une panacée. Ainsi, puisque le moment de la sélection semble le plus déterminant quant à la présence des femmes élues, et puisque les partis politiques jouent un rôle prépondérant lors de cette étape, l’auteure en appelle à une responsabilisation accrue de ces derniers : « la proportion de femmes dans les parlements est indissociable du nombre de candidates et de la compétitivité de leur candidature qui, en très grande partie, dépend des partis politiques » (p. 108).

Le troisième chapitre de l’ouvrage, moins pertinent à notre avis, vise d’abord à établir le profil des femmes qui ont accédé à l’Assemblée nationale, à la Chambre des communes et au Sénat canadien. Sans surprise, on y lit que les femmes parlementaires font partie d’une certaine élite intellectuelle, leur niveau d’éducation et leur taux de professionnalisation étant supérieurs à la moyenne, cette tendance étant encore plus marquée à Ottawa qu’à Québec. La grande majorité de ces femmes proviennent de la source culturelle majoritaire et ont été actives dans le monde associatif. Généralement élues au cours de la quarantaine, la plupart ont connu la maternité, et elles demeureront en poste en moyenne dix ans.

Au chapitre des idéologies, il ressort ensuite de l’analyse de Tremblay que les femmes se définissent généralement de façon plus libérale et plus à gauche que les hommes, même si, en pratique, le clivage qui permettait d’associer les hommes aux dossiers économiques et les femmes aux dossiers à caractère social tend à s’estomper. Tremblay avance en outre que le sexe ne jouerait pas un rôle significatif quant à la position sur l’axe idéologique gauche-droite, l’appartenance à un parti politique semblant, à cet égard, beaucoup plus déterminante. Seule exception au tableau : les femmes, tous partis confondus, seraient plus disposées à l’adoption de mesures favorisant la présence de leurs congénères dans la sphère politique, reconnaissant ainsi que « les femmes élues en politique se trouvent en meilleure posture pour représenter la population féminine » (p. 159). Reprenant le raisonnement de Dovi (2002), l’auteure avance même que « […] certaines femmes politiques doivent être préférées à d’autres pour représenter les besoins, les demandes et les intérêts des femmes » (p. 159), en l’occurrence, celles qui entretiennent « d’intenses liens de réciprocité avec certains segments des groupes historiquement défavorisés » (ibid.). Le style normatif, un peu surprenant dans ce chapitre à la portée descriptive, donne le ton à la dernière partie de l’ouvrage qui laisse place à un discours plus militant.

Le dernier chapitre est ainsi consacré aux solutions qui permettraient aux Québécoises d’être plus présentes dans les espaces parlementaires. L’auteure se penche d’abord sur les quotas – solution controversée s’il en est une – en portant un regard lucide sur les différents enjeux qui leur sont reliés. Bien que l’auteure semble plutôt favorable à l’adoption de quotas, cette solution constituant « (…) une réponse au favoritisme dont les hommes jouissent face à la représentation politique et qui leur réserve depuis trop longtemps le plus grand nombre et les meilleurs places au sein des espaces parlementaires » (p. 221), les nombreuses limites inhérentes à ce type de mesure sont abondamment relevées. Ainsi, à la lumière des résultats observés dans de nombreux pays à travers le monde, l’auteure souligne qu’on ne peut établir de lien de cause à effet direct entre cette mesure et le nombre de femmes élues (p. 200). Elle n’en appelle pas moins à la mise en place de quotas ciblés, notamment pour régir les étapes du recrutement et de la sélection des candidates, lesquelles, comme on l’a vu, demeure la prérogative des partis politiques. À cet égard, Tremblay soutient que ceux-ci sont la clé de voûte de la représentation des femmes en politique, les efforts en la matière demeurant inégaux d’un parti à l’autre.

Dans la foulée de l’ensemble de ces constats relatifs à la place des femmes en politique, l’auteure conclut par un appel à la mobilisation de la part du législateur, des partis politiques et du mouvement des femmes, en identifiant une série de mesures concrètes reliées aux étapes du recrutement, de la sélection et de l’élection. Allant bien au-delà de la question des quotas, Tremblay propose, par exemple, que le législateur maintienne, élargisse et améliore le réseau public de garderies (p. 244) ; que les partis politiques appuient financièrement « les associations locales de comtés qui mettent sur pied des initiatives destinées à favoriser la sélection des candidates » (p. 245) ; ou encore que le mouvement des femmes développe divers types de formations destinées aux femmes et encourage la mise sur pied de fonds privés pour soutenir les candidates (p. 245-246). En somme, elle souhaite que cet enjeu fasse l’objet d’un réel débat de société. Le projet de réforme du mode de scrutin présenté en 2005 par le gouvernement Charest constitue sans doute un excellent prétexte à cet égard. L’auteure commente d’ailleurs ce projet et y va de ses recommandations afin que la réflexion en cours se traduise par des mesures qui favoriseront un accroissement du nombre de femmes dans nos institutions parlementaires.

Dans un contexte où l’enjeu de la place des femmes en politique semble retrouver de la vigueur, notamment avec l’émergence de groupes tels que le Collectif Féminisme et Démocratie et le parti politique Québec solidaire, qui se dit ouvertement féministe, l’ouvrage de Manon Tremblay arrive à point nommé. Pertinent, il a le mérite de présenter à la fois une bonne synthèse sur le sujet et de proposer des pistes de réflexion lucides et fécondes. Comme l’évoque Louise Harel, qui signe la préface, cette démarche semble particulièrement utile dans un univers où, malgré les énormes progrès réalisés dans ce domaine, « […] il n’y a pas de droits acquis et […] les reculs ne sont pas impossibles, notamment dans le contexte d’une jeune génération tentée de croire que le combat pour l’égalité est un combat dépassé » (p. XIV).