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Cet ouvrage porte sur l’expérience québécoise de l’économie sociale avec un regard approfondi sur l’innovation. Les lecteurs intéressés par ce sujet trouveront neuf chapitres qui abordent différentes dimensions de l’économie sociale, dont pour n’en citer que quelques-unes : la reconnaissance de l’économie sociale au Québec (Lévesque), la recherche partenariale en économie sociale (Fontan), l’évolution incertaine du droit associatif (Jolin), la gouvernance et la composante associative de l’économie sociale (Dancause et Morin), la coconstruction des politiques publiques (Vaillancourt), le rapport salarial en économie sociale (Comeau) et la finance solidaire (Bourque, Mendell et Rouzier). L’ouvrage privilégie une approche multidisciplinaire et les auteurs proviennent d’ailleurs d’un large éventail des sciences sociales, notamment la sociologie, les sciences de la gestion, la science économique, la science politique, le travail social, les sciences juridiques et la géographie. Somme toute, est brossé un portrait détaillé de l’économie sociale au Québec accompagné d’un ensemble de réflexions hautement pertinent.

Ce travail collectif a été réalisé au sein du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), dont le but est d’étudier les manières dont la société se refait en périodes de crise. Cet objectif, qui ne manque pas d’ambition, renvoie aux préoccupations classiques des sciences sociales, celles de l’ordre et du changement : c’est-à-dire, étudier les mutations sociales, en faire ressortir les enjeux sociétaux et puis analyser leurs effets sur la société, qu’ils soient positifs, négatifs ou pervers. La crise dont il est question ici comprend l’ensemble des difficultés politico-économiques liées à l’emploi, au chômage et à la finance. Le cadre théorique soutient que le changement social, quoiqu’il soit lourd de défis, est aussi fertile en innovations sociales, pour reprendre les mots de Marie J. Bouchard. Dans ce sens, l’objectif de CRISES n’est pas de se pencher sur la croissance des inégalités, l’exclusion sociale ou le repli individualiste, mais d’étudier les formes sociales qui émergent pour faire face à ces phénomènes. C’est donc dans cette visée que l’économie sociale se présente ici comme un « vecteur » d’innovations sociales. Les innovations, quant à elles, sont définies non pas comme le résultat d’une action individuelle à caractère entrepreneurial, mais comme réponses aux « impasses » structurelles de la part à la fois des individus, des mouvements sociaux et de l’État.

Les critiques de l’économie sociale sont bien connues. Pour certains, elle représente un ensemble de solutions palliatives à des problèmes économiques endogènes, comme l’inégalité et le chômage. Dans cette optique, l’économie sociale tente de remplir les fonctions occupées autrefois par l’État avant l’adoption de politiques néolibérales. Bref, l’économie sociale tombe dans la catégorie des initiatives bien intentionnées, mais vouées à l’échec, car elle ne peut assumer de si lourdes responsabilités avec des moyens financiers aussi limités. Certains, plus radicaux, affirment que l’économie sociale est en soi néolibérale, car elle répond aux problèmes sociaux davantage de manière économique que politique. D’autres, en revanche, n’ont pas une opinion si catégorique et préfèrent mettre l’accent sur ce qui distingue l’économie sociale de l’économie formelle. Ils voient donc l’économie sociale comme une forme sociale se situant quelque part entre la société civile, le marché et l’État, c’est-à-dire un type d’organisation dont l’objectif n’est pas le profit, mais des finalités dites sociales. Les auteurs de ce recueil se situent dans ce dernier groupe. Le rôle que l’économie sociale remplit dans la société, précisent-ils, dépend du type de partenariat qui prévaut entre la société civile et l’État. De ce point de vue, le rôle de l’économie sociale renvoie toujours à une réalité changeante dans un champ de possibilités théoriques où les enjeux politiques sont bien cernés. Selon le type de partenariat entre la société civile et l’État, l’économie sociale court le risque d’être instrumentalisée par l’État, de contribuer à la marchandisation des fonctions sociales de l’État et de mener à un déficit démocratique, soit par l’abandon d’un projet de société ou la professionnalisation de la représentation sociale.

Le seul bémol à signaler est le manque d’une conclusion pour récapituler les nombreux éléments avancés. Cette absence est d’autant plus étonnante dans un ouvrage collectif où la cohérence est difficile à établir entre les différents auteurs. À cette fin, une dernière réflexion sur les défis et les enjeux concernant les différentes dimensions, par exemple, la reconnaissance des institutions, les modèles de gouvernance et la finance solidaire, aurait terminé sur une meilleure note. Il n’en demeure pas moins que les auteurs ont réalisé leur objectif, soit d’offrir une solide introduction aux principales thématiques concernant l’économie sociale au Québec sous l’angle des innovations sociales et de la multidisciplinarité. Qu’il soit entrepreneur social, chercheur universitaire ou décideur public, le lecteur ne restera pas sur sa faim et y trouvera de nombreuses pistes de réflexion.