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Cet ouvrage collectif, sous la direction de Rodrigue Landry de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML), a pour objectif de « décrire les réalités quotidiennes » des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM), soit les anglophones du Québec et les francophones des autres provinces et territoires. Cet ouvrage se veut essentiellement une présentation, riche et méthodique, des données de l’Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle (EVMLO) menée par Statistique Canada en 2006. En ce sens, la structure de l’ouvrage s’apparente à celle de l’enquête : les chapitres sur l’enfance, l’éducation, l’exposition aux médias, les services de santé, l’engagement social et la mobilité correspondent à autant de modules de cette enquête postcensitaire.

L’ouvrage débute par une présentation générale des CLOSM qui, de façon synthétique et efficace, attire d’entrée de jeu l’attention sur les enjeux clés qui seront abordés dans les différents chapitres. Chaque contribution aborde un sujet en exposant en détail les données statistiques qui s’y rapportent. Le propos, résolument empirique, parfois technique, est assez constant tout au long de l’ouvrage. La richesse de l’analyse proposée, par contre, est inégale, les chapitres sur l’engagement social et sur la mobilité proposant les analyses les plus intéressantes.

Traisnel et Forgues constatent la pluralité des formes d’engagement, qui vont bien au-delà de la seule question linguistique. On y distingue ainsi un engagement « sociétal », où les francophones s’impliquent essentiellement en anglais, d’un engagement « communautaire », axé sur la promotion et la défense de la langue. Les auteurs tentent d’expliquer les écarts régionaux en fonction de différents facteurs : on constate, par exemple, un engagement plus élevé à proximité des centres de décisions politiques (Québec, Ottawa, Toronto, etc.). On constate également un rapport ambivalent entre l’engagement communautaire et la diglossie : « l’engagement linguistique paraît surtout mentionné là où “le jeu en vaut la chandelle”, c’est-à-dire dans des régions où la vitalité linguistique de la minorité n’est ni trop faible ni trop forte » (p. 233).

Gilbert, Gallant et Cao tirent profit des données de l’EVMLO pour distinguer la mobilité « permanente » et la mobilité « temporaire » : « l’Enquête offre à cet effet des données inédites. Elle révèle une tendance généralisée à la mobilité au sein de la minorité, que ne laissent pas pressentir les analyses des réseaux migratoires menées à partir du recensement » (p. 279). Cela permet notamment aux auteurs de documenter certains phénomènes tels que l’effet de milieu (au Québec, les milieux à forte concentration d’anglophones attirent migrants et immigrants, à l’inverse de ce que l’on observe pour les francophones à l’extérieur du Québec) ou la mobilité des immigrants après leur établissement au Canada est supérieure à celle des natifs.

Dans sa structure d’ensemble, le livre apparaît comme une concaténation de contributions indépendantes et autosuffisantes, qui ont en commun un thème (les CLOSM) et une source de données principale (l’EVMLO). Il souffre d’un manque d’intégration et d’unité, qu’on constate d’abord dans certains détails (répétitions, manque d’uniformisation dans le formatage). La plupart des contributeurs consacrent au moins un paragraphe aux aspects méthodologiques de l’EVMLO, ce qui engendre des répétitions. On aurait pu placer ces informations, par ailleurs essentielles, dans une annexe en fin d’ouvrage. On déplore également le manque de réflexion transversale ou de discussions entre les chapitres : l’ouvrage souffre de l’absence d’une conclusion générale qui aurait pu offrir au lecteur une synthèse et une interprétation intéressantes.

En ce sens, les analyses sont, sauf exception, minimales, et les conclusions, timides. Comme le rappellent la plupart des contributeurs, l’analyse statistique proposée est essentiellement descriptive. Dans certains cas, elle va à peine au-delà d’une simple présentation des données. Les différentes contributions sont plus ou moins généreuses en mise en contexte et en synthèse. L’ensemble est résolument empirique et méthodique, mais peut-être un peu trop prudent et impersonnel. Considérant la qualité et l’expérience des différents contributeurs, on ne peut s’empêcher d’y voir une occasion manquée.

Cet ouvrage n’est pas le lieu des grandes révélations sur les CLOSM. On y pose un certain nombre de jalons qui permettent d’asseoir sur des bases empiriques solides plusieurs faits plus ou moins intuitivement connus des chercheurs et intervenants qui oeuvrent au développement de ces communautés. Ainsi, ce n’est pas tant à l’avancement qu’à la consolidation des connaissances sur une pluralité de dimensions de la vie dans les CLOSM que cet ouvrage contribue. Une tâche moins spectaculaire, mais non moins importante.