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Malgré le grand nombre d’ouvrages publiés à chaque année, peu d’auteurs peuvent se targuer d’avoir un impact réel sur les débats et réflexions qui ont cours. C’est pourtant le cas de Benoît Dubreuil et Guillaume Marois dont le livre, Le remède imaginaire. Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec, est de ceux qui ont le plus marqué les esprits et occupé les intellectuels, experts et commentateurs intéressés par la question de l’immigration au Québec au cours de la dernière année (au moment d’écrire ces lignes). À ce titre, il est intéressant de remarquer que peu de voix se sont élevées pour remettre en question les thèses soutenues dans ce livre. Certes, certains chroniqueurs et quelques experts l’ont commenté et critiqué, mais force est d’admettre que ces voix ont eu beaucoup moins d’écho jusqu’à présent que celles qui l’ont salué à coups de « nous le savions depuis longtemps ». Cela est notamment vrai dans les différents blogs et sites Web où des citoyens intéressés par la question, dont de nombreux experts, se sont majoritairement exprimés en faveur des conclusions auxquelles en arrivent Dubreuil et Marois. Cet ouvrage met en doute les prémices selon lesquelles le Québec a besoin d’un bassin de main-d’oeuvre immigrante annuel important pour pallier les problèmes de croissance démographique et économique. Comme nous le verrons, la force de l’argumentaire et l’appel à de nombreuses statistiques pour appuyer la thèse de l’ouvrage sont atténués par certains propos dont la teneur relève plus de l’opinion que de l’approche scientifique. Notre propos, se situant à mi-chemin entre la position de Dubreuil et Marois et celle qu’ils dénoncent, s’inscrit plutôt dans une volonté d’élargir la réflexion autour de l’apport de l’immigration à long terme pour le développement économique du Québec et de ses organisations. En ce sens, la présente note critique ne balaie pas du revers de la main les thèses soutenues dans cet ouvrage, ni ne les appuie inconditionnellement. Elle a plutôt pour objectif de revisiter certaines des conclusions énoncées par les auteurs à l’aulne d’une approche pluraliste et favorable à l’interculturalisme québécois tout en reconnaissant à l’ouvrage de Dubreuil et Marois une réelle contribution aux débats entourant la sélection et l’intégration économique des immigrants à la société québécoise. Dans un premier temps, nous résumerons les grandes lignes de cet ouvrage tout en identifiant ses forces. Ensuite, nous ferons ressortir certaines contradictions et propos qui auraient mérité, à notre avis, une meilleure mise en contexte. La conclusion servira notamment à situer cet ouvrage dans son champ discursif où les débats passionnés l’emportent souvent sur la mise à distance et l’approche tempérée.

De quoi s’agit-il ?

Forts d’un travail de recherche en profondeur et d’une connaissance élargie de la littérature québécoise, canadienne et internationale sur l’intégration économique des immigrants et leur contribution à la société d’accueil, Dubreuil et Marois échafaudent leurs arguments les uns après les autres pour démontrer une chose : il est illusoire de penser que la venue d’un fort contingent d’immigrants, si jeune et qualifié soit-il, permettra au Québec d’atténuer significativement les effets négatifs de la baisse démographique. Qui plus est, les auteurs insistent sur le fait que, loin de participer à la croissance économique du Québec, les immigrants contribueraient plutôt à accroître la pression sur l’État-providence de par les difficultés qu’ils ont à bien s’intégrer à l’économie québécoise. Chiffres à l’appui, Dubreuil et Marois montrent en quoi les discours ambiants qui vantent les mérites de l’immigration comme solution viable et efficace aux problèmes démographiques et économiques sont en porte-à-faux avec la réalité (principalement les discours qui favorisent le maintien ou l’accroissement des fonds publics). Trois constats structurent l’argumentaire, soit a) L’immigration n’a qu’un faible impact sur la structure d’âge ; b) Sur le plan démographique, l’immigration ne peut pas renverser ce qui se passe dans le reste de la population ; c) L’immigration peut contribuer « modestement et temporairement » à retarder la diminution de la population en âge de travailler pour autant que la contribution économique des immigrants soit significative. Et les auteurs de s’attarder à démontrer que cette contribution n’est malheureusement pas au rendez-vous. Tour à tour, les journalistes, politiciens, acteurs des milieux d’affaires et experts en immigration sont mis à mal dans ce livre qui, sous ses airs savants, possède ce côté pamphlétaire qui lui a justement permis d’occuper autant d’espace médiatique depuis sa sortie.

Cet ouvrage comprend huit chapitres et aborde l’ensemble des dimensions inhérentes à la contribution économique et démographique des immigrants à la société québécoise. Les thématiques abordées vont d’une remise en question de la contribution démographique et économique réelle des immigrants, à une critique en règle du processus de sélection en passant par l’évaluation détaillée de certains programmes gouvernementaux. Partant de l’idée maintes fois avancée que le Québec devra combler 700 000 emplois au cours des années à venir et que l’immigration est un moyen efficace de combler une partie de ces besoins, Dubreuil et Marois réussissent à convaincre le lecteur que le remède de cheval – l’expression est de nous – proposé par le gouvernement et qui consiste à hausser le nombre d’immigrants pour pallier les besoins du marché du travail est à la fois irréaliste et irrationnel. Preuves à l’appui, les auteurs montrent qu’une hausse de l’immigration n’aura qu’un effet positif ténu, et ce pour deux raisons principales. Tout d’abord parce qu’il s’avère pratiquement impossible de prévoir le nombre d’emplois à combler dans les années à venir. Qu’il s’agisse de départs à la retraite, de réduction du temps de travail hebdomadaire ou de la croissance de la demande, rien n’indique que cela entraînera automatiquement la création de postes à combler. Ensuite, l’interdépendance entre le nombre d’emplois à combler et l’immigration est telle que « le nombre d’emplois à combler dépend en partie du nombre d’immigrants que nous recevons » (p. 85). Les auteurs avancent qu’une baisse de l’immigration implique une moins grande offre et une réduction de la demande de travail. Qui plus est, les immigrants en âge de travailler et de se joindre à la population active viennent directement en compétition avec les jeunes Québécois (de 70 000 à 80 000 personnes) qui entrent annuellement sur le marché du travail. Ces arguments font voler en morceaux les supposés 700 000 emplois à combler.

Parmi les chapitres les plus convaincants, notons celui intitulé Mieux sélectionner ? portant sur la grille de sélection des travailleurs qualifiés, et dont la majorité des arguments ont été soulevés dans le rapport du Vérificateur général du Québec de 2010. Une mention également au chapitre qui traite de la catégorie des immigrants investisseurs : Comment ne pas immigrer sans investir. Dans ce dernier chapitre, les auteurs montrent que le retour sur investissement pour le Québec est très faible. On y apprend notamment que « seulement 24,9 % des immigrants investisseurs admis entre 1998 et 2007 étaient présents au Québec en 2009 ». Même si les taux pour les années suivantes se sont améliorés, Dubreuil et Marois prennent soin de souligner que les immigrants investisseurs n’arrivent pas seuls et qu’en moyenne chaque requérant est admis avec trois personnes, ce qui est deux fois plus élevé que pour les requérants de la catégorie des travailleurs qualifiés. Pour les auteurs, le programme pour investisseurs immigrants est d’abord et avant tout un moyen pour ces investisseurs de s’acheter une résidence permanente pour eux et pour leur famille. De plus, et sans entrer dans les détails, ce programme coûte cher et ne donne que très peu de résultats. Le dernier chapitre, Une pénurie de domestiques, porte sur les personnes qui sont arrivées dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants (PAFR), dont une très forte majorité est composée de femmes des Philippines parlant presque toutes l’anglais. En faisant ressortir les aspects négatifs, les contradictions et l’inutilité du PAFR pour le Québec, les auteurs prônent son abolition. À l’instar du programme pour immigrants entrepreneurs, tant les données que les arguments amenés par les auteurs sont convaincants.

De manière générale, les auteurs ont choisi d’aborder la question migratoire sous l’angle de la contribution économique de la première génération d’immigrants. Leur démonstration, imparfaite, est néanmoins pertinente pour plusieurs raisons. Les divers acteurs favorables à une hausse de l’immigration ou minimalement au maintien des niveaux actuels, sont guidés par leurs propres intérêts. Qu’il s’agisse de créer une pression à la hausse sur l’offre de travailleurs et son corollaire, une pression à la baisse sur les salaires, liée à des intérêts politiques quelconques ou par clientélisme (accroître le nombre de bénéficiaires de services aux immigrants pour ainsi obtenir davantage de subvention), tout cela fait partie d’une démonstration efficace de la part des auteurs, et ce tout en considérant que cet ouvrage comporte son lot de manquements et de conclusions rapides comme nous allons maintenant nous efforcer de le montrer.

Une démonstration pas si objective

Notre critique de cet ouvrage se fera sous deux angles. Premièrement, nous remettrons en question certaines analyses à partir d’autres recherches effectuées sur des thématiques similaires. Ici, les usages linguistiques, la natalité, la question nationale, l’éducation des « deuxièmes générations » et la diversité au sein des organisations feront l’objet d’une attention particulière. Deuxièmement, nous réinterrogerons certains commentaires émis par les auteurs et qui, selon nous, atténuent le caractère scientifique de l’ouvrage. En guise de conclusion, nous situerons plus largement le travail de Dubreuil et Marois dans le contexte québécois où les débats entourant l’immigration sont légion et où subjectivité et objectivité s’entremêlent d’une manière telle qu’il est souvent difficile de démêler les opinions des faits.

La manière dont est abordée la question linguistique est certes l’une des faiblesses de ce livre. La citation suivante illustre bien, à notre avis, ce problème :

En 1986, sur l’île, il y avait déjà environ 12 % de la population qui ne parlait ni français ni anglais à la maison. Vingt ans plus tard, en 2006, cette proportion avait augmenté de huit points de pourcentage, pour atteindre près de 20 %. Dans le reste du Québec, cette proportion n’est que de 3 %. […] À Montréal, la situation est complètement différente. Une personne sur cinq n’est ni francophone ni anglophone. Le même constat s’observe en ce qui a trait à l’augmentation des pratiques religieuses non chrétiennes.

p. 71, c’est nous qui soulignons

Sans vouloir poursuivre le débat inutilement, il nous semble légitime de se demander en quoi la langue parlée à la maison peut être un obstacle à l’utilisation du français comme langue d’usage public. Si on se fie aux données de l’Office québécois de la langue française (OQLF, septembre 2011), également mentionnées par les auteurs, en 2006 dans les ménages de langues tierces, le français était utilisé dans 58 % des cas en plus de la langue maternelle alors que l’anglais se situait à 30 %, le français ayant gagné 9 points de pourcentage entre 1996 et 2006 et l’anglais subi une perte de 9 points de pourcentage. Soit, ces données peuvent être interprétées de différentes manières selon la façon dont on juge la situation du français au Québec. Mais cela reste dans l’ordre de l’interprétation et selon notre perception des choses, on considérera que le verre est à moitié vide ou à moitié plein. Nul doute que pour Dubreuil et Marois ce verre est au mieux à moitié vide, au pire, à sec…

Toujours sur cette question de la langue d’usage à la maison, prenons un cas de figure où, dans un ménage composé d’un Québécois d’origine canadienne-française et d’une immigrante hispanophone et de leurs deux enfants, la langue dominante à la maison est l’espagnol dans une proportion disons de 60 % contre 40 % pour le français. Est-ce à dire que ce ménage est allophone et « menace » en quelque sorte la prédominance du français dans l’espace public ? Les couples mixtes ne sont peut-être pas la norme, mais ce cas de figure montre néanmoins les limites des données sur la langue d’usage à la maison.

Selon les auteurs, l’immigration n’a pas les effets recherchés sur l’accroissement de la population. Et sur ce point, il est clair que les nombreux acteurs en faveur d’une hausse des niveaux d’immigration imposent à cette dernière un défi impossible à relever, soit celui de faire augmenter de manière substantielle la population du Québec. À ce sujet, Dubreuil et Marois affirment qu’à long terme, « il faut miser sur une hausse de la fécondité, ce qui est possible en modifiant nos politiques de manière à ce qu’il soit plus facile pour les individus d’avoir les enfants qu’ils souhaitent avoir » (p. 57). Certes, des politiques natalistes peuvent avoir un impact positif, ce que semblent avoir eu les programmes de garderie à 5 $ puis 7 $, mais c’est une stratégie parmi d’autres et une pièce de plus pour résoudre le casse-tête démographique et économique auquel fait face le Québec contemporain. Il est cependant exagéré d’affirmer que l’immigration ne contribue en rien à favoriser une légère hausse de la population. Selon le dernier recensement de Statistique Canada (février 2012), la population québécoise s’est accrue de 4,7 % au cours de la période 2006-2011 et les responsables de cette hausse sont les niveaux d’immigration, la hausse du nombre de résidents permanents et une fécondité plus élevée. À elle seule cette donnée renforce l’idée selon laquelle l’immigration fait partie d’une solution globale favorisant l’accroissement démographique. On pourra rétorquer que le poids relatif du Québec dans l’ensemble du Canada est quant à lui de 23,6 % alors qu’il était de 28,9 % il y a 60 ans. Soit, l’immigration ne peut résoudre à elle seule cette baisse graduelle du poids du Québec, mais il y a lieu de se demander ce que serait le poids du Québec dans le Canada sans l’apport de cette immigration. Pour Dubreuil et Marois, la baisse du poids du Québec dans la fédération est une question « effectivement très politique. On s’en doute, l’argument prend une signification différente selon le parti pour lequel on vote. N’en disons pas plus, puisque ce n’est pas l’objet de ce livre » (p. 243). Toutefois, il appert qu’une baisse éventuelle du nombre de députés québécois à Ottawa n’est pas qu’une question politique. Cela affecterait la capacité du Québec d’influencer à son avantage des politiques qui, quant à elles, peuvent avoir des impacts multiples (économiques, sociaux, culturels, etc.). Cette affirmation des auteurs est d’autant plus intrigante qu’auparavant ils mentionnent que le fait que les immigrants utilisent le français au travail dans une proportion de 65,1 % contre 89,8 % pour les locaux est un « problème politique » car « il faut bien dire les choses telles qu’elles sont : maintenir le poids politique du Québec au sein du Canada a un sens puisque les préférences politiques des Québécois diffèrent de celles des Canadiens, notamment pour tout ce qui est des enjeux linguistiques et constitutionnels » (p. 77-78). Donc, le poids politique du Québec au sein du Canada est important parce que les Québécois, ce qui n’inclut pas les immigrants, auraient des préférences différentes, mais ce même poids n’est pas à prendre en compte puisque ce n’est pas là « l’objet du livre » !

Autre argument contestable, celui de l’adhésion ou du rejet du projet souverainiste des « Québécois nés à l’extérieur » versus celui des Québécois nés au Canada. Cette adhésion serait de l’ordre de 18,4 % pour les Québécois nés à l’extérieur contre 54,7 % pour les natifs. Selon les auteurs, cela semble un argument important pour stopper la venue de tout immigrant au Québec pendant les années à venir. Notamment parce que, pour Dubreuil et Marois, « tout le monde sait que les partis libéraux politiques (du Québec et du Canada) reçoivent l’écrasante majorité des votes des non-francophones du Québec, alors que les partis souverainistes (Parti québécois et Bloc québécois) ne reçoivent que des miettes » (p. 79). À cela nous pourrions répondre que le vote des habitants de la région de la Capitale nationale lors du référendum de 1995 (moins de 55 % en faveur de la souveraineté) et les résultats aux dernières élections fédérales de mai 2011 alors que la présence de députés du Bloc québécois a été réduite à une peau de chagrin ne sont pas le fait des immigrants ni même des minorités dans leur ensemble. Qui plus est, on se demande bien en quoi ces données sur les allégeances politiques des uns et des autres sont importantes pour prendre la mesure de la contribution économique et démographique des immigrants au Québec.

En ce qui concerne l’apport économique des immigrants, la démonstration que font les auteurs est bonne mais incomplète. Le taux élevé de chômage, principalement chez certaines communautés, le taux d’emploi et d’activité relativement bas pour une grande majorité d’immigrants au Québec ainsi que les salaires plus bas pour ces mêmes immigrants comparativement aux salaires gagnés par les natifs, et ce même après de nombreuses années en sol québécois, sont autant d’arguments qui amènent les auteurs à affirmer que la contribution économique des nouveaux arrivants est peu significative et l’impact sur les finances publiques « probablement » négatif. Les études et auteurs auxquels font appel Dubreuil et Marois pour étayer leurs arguments sont nombreux, diversifiés et sèmeraient le doute même parmi les plus farouches partisans d’une augmentation substantielle des niveaux d’immigration. Toutefois il appert, ici aussi, que tout cela est parfois utilisé dans un seul but, valider l’hypothèse de départ qui veut que l’immigration n’arrivera pas à redresser ni le déficit démographique, ni les problèmes présents et à venir de finances publiques.

Allant a contrario de Dubreuil et Marois, Fang, Dungan et Gunderson (2011) ont étudié les effets d’une immigration massive sur l’économie canadienne. Leur simulation pour la période de 2012-2021 montre que l’ajout de 100 000 immigrants au Canada permettrait d’augmenter le PIB réel de 2,3 % pour cette période, d’accroître la demande pour des produits et services (logement et autres) et le versement de taxes et impôts par les immigrants d’environ 14 milliards de dollars. Les résultats de cette étude vont dans le sens de projections similaires effectuées dans d’autres pays et même s’il s’agit de projections et non de prédictions, rappelons que Dubreuil et Marois s’adonnent au même exercice mais arrivent à des conclusions différentes. Allant dans le même sens que Fang et al., une étude de l’Institut de la statistique du Québec publiée en 2011 révèle que l’une des causes possibles et probables du retard des immigrants au Québec dans leur intégration au marché québécois comparativement au reste du Canada tient à la plus faible masse critique d’immigrants au Québec, ce qui réduirait l’effet d’entraînement que crée cette masse critique dans l’accès au marché du travail. Pour les auteurs du Remède imaginaire, un tel argument est contestable et voici ce qu’ils en disent en réponse à un point de vue similaire énoncé par le professeur Brahim Boudarbat :

Une des raisons pour lesquelles les immigrants se débrouillent moins bien dans la société d’accueil tient à un déficit d’intégration à sa langue et à ses institutions. Il va de soi que, lorsque les immigrants sont plus nombreux et reproduisent dans leur société d’accueil les institutions de leur société d’origine, ils ne font pas face à ce problème. Pour le dire simplement, l’existence de ghettos favorise une certaine efficacité économique. Mais peut-on vraiment parler de « meilleures possibilités d’intégration ».

p. 244

Ce passage montre bien, encore une fois, que l’argumentaire de Dubreuil et Marois dépasse les seuls limites imposées par les aspects démographiques et économiques de l’immigration pour investir celui de la critique à l’endroit du modèle d’intégration en vigueur au Québec, soit l’interculturalisme. Dans ce cas, il aurait été utile d’avertir d’entrée de jeu le lecteur que certains passages relevaient de l’essai et non de l’ouvrage scientifique et objectif tel qu’annoncé en introduction.

Qui plus est, choisir d’aborder la situation des immigrants récemment arrivés crée un biais dans les conclusions et constitue un exercice réducteur. Bien qu’il soit difficile d’obtenir des données pour les deuxième et troisième générations, certaines études permettent d’envisager que le portrait n’est pas aussi sombre que celui que dressent Dubreuil et Marois. Par exemple, dans une étude publiée en 1992 le démographe Marc Termote soulignait qu’en 1990, 30 % des naissances enregistrées à Montréal et Laval provenaient de mères nées à l’étranger. Cela sans mentionner que la moitié de l’augmentation de la natalité entre 1986 et 1990 (40 % de l’accroissement naturel pour la même période) est due à la population immigrante. Quant à la simulation effectuée par Marois et Dubreuil sur la question des naissances et qui montre qu’il n’y a qu’une légère différence entre le niveau de fécondité des immigrantes par rapport aux natives (0,43 contre 0,45), la période couverte (35 ans) n’est peut-être pas suffisamment longue pour apporter une réelle contribution scientifique à la réflexion sur l’apport de l’immigration, incluant les générations subséquentes, à la natalité au Québec. Mais justement, qu’en est-il des enfants d’immigrants qui, selon les dernières données de Statistique Canada, fréquenteraient davantage l’université ?

Les immigrants qui sont arrivés au Canada à l’âge de 12 ans ou moins étaient plus susceptibles que leurs homologues nés au Canada d’avoir poursuivi des études universitaires lorsqu’ils ont atteint un âge situé entre 25 et 34 ans. De plus, cet écart a augmenté de façon successive à partir de ceux qui sont arrivés dans les années 1960 jusqu’à ceux qui sont arrivés dans les années 1980.

www.statcan.gc.ca/daily-quotidien/110125/dq110125b-fra.htm, consulté en mars 2012

Les chercheurs de Statistique Canada montrent que la composition et le pays de provenance ont une influence positive à la hausse sur les taux de diplômes universitaires des enfants d’immigrants récemment arrivés. Bien que ces données ne soient pas ventilées par province, il demeure que les pays de provenance des immigrants au cours des cinq dernières années, pour l’ensemble du Canada, sont originaires des pays en voie de développement. À ce sujet, Dubreuil et Marois entretiennent une vision caricaturale des pays en voie de développement et des diplômes acquis dans ces pays. Le long passage suivant témoigne de cette vision :

Le « dédain des employeurs pour le diplôme étranger » est très relatif. Nous ne connaissons pas un employeur ayant du dédain pour les diplômes de Harvard, de Yale ou d’Oxford. Pourquoi ? Parce que ce sont les meilleures universités au monde. […] le dédain concerne d’abord et avant tout les diplômes acquis dans les pays les moins avancés, dans les régions du monde – Asie, Afrique, Amérique latine et Caraïbes – où se concentrent les universités moins reconnues. […] À cela s’ajoute un problème de taille : la corruption qui mine la plupart des pays économiquement moins avancés. L’un d’entre nous (Dubreuil) a séjourné il y a quelques années en Russie. Il a pu y constater les effets qu’a la corruption lorsqu’elle s’infiltre dans un système universitaire.

p. 165

Personne ne peut nier l’excellence des universités Harvard, Yale et Oxford, mais cela ne devrait pas obligatoirement discréditer les universités situées dans des pays moins favorisés sur le plan économique et social. Selon le QS World University Rankings 2011/2012 (www.topuniversities.com/), 10 universités situées en Asie se classent parmi les 50 meilleures universités et certaines universités d’Amérique latine se situent dans le premier tiers de ce classement qui compte 700 universités réparties à travers le monde. Concernant la corruption, rappelons que de nombreuses universités allemandes ont été mises sous enquête en 2009 pour des versements de pots-de-vin et d’obtention de doctorats à rabais (La Presse, 2009 ; Leffers, 2009). Parmi ces universités où des pratiques de corruptions ont été identifiées, il y avait la prestigieuse Freï Universitat de Berlin (classée au 66e rang dans le QS World University Rankings). D’autres universités allemandes également bien positionnées dans ce classement, et certains de leurs professeurs, ont aussi été mis sous enquête dans cet énorme scandale. À n’en pas douter, on ne peut dire que la corruption soit le monopole des universités situées dans des pays « économiquement moins avancés ».

Pour revenir à Dubreuil et Marois, ils ne nient pas que les enfants d’immigrants soient plus nombreux à obtenir des diplômes universitaires mais ils rappellent, à juste titre d’ailleurs, que ces enfants ne forment pas un groupe homogène et qu’il est par ailleurs très difficile de faire des prédictions puisque « la réalité est que l’étude de l’intégration économique n’est pas une science exacte et que l’avenir reste imprévisible » (p. 245). Voilà un constat réconfortant qui montre bien que toute analyse de l’apport des immigrants à une société ne peut être mesurée objectivement sans qu’une dose de subjectivité vienne interférer. Des chercheurs tels Piché (2012) et Termote (2002) font état justement des difficultés méthodologiques qui se dressent lorsque vient le temps d’évaluer la contribution économique des immigrants alors que des logiques de court, moyen et long terme se rencontrent et parfois même se contredisent. Malheureusement, cela n’aura rien pour rassurer le commun des mortels ni même pour faire changer d’idée ceux et celles qui croient qu’une hausse des taux d’immigration est utile et nécessaire pour faire face aux défis démographiques et économiques à venir. On s’étonnera par ailleurs de l’absence de référence à l’ouvrage d’Alan B. Simmons, Immigration and Canada : global and transnational perspectives (2010) dans lequel la complexité de l’immigration et son apport à la société canadienne sont abordés en détail et sans complaisance aucune. Quoi qu’il en soit, le fait que les enfants d’immigrants, nés au Canada ou à l’étranger, obtiennent davantage de diplômes universitaires, cela n’est-il pas un gain important que les natifs seuls n’arriveraient pas à combler ?

De même, on se demande pourquoi Dubreuil et Marois font très peu état de la question de la discrimination comme l’un des facteurs expliquant les écarts parfois importants entre immigrants et natifs en ce qui a trait à l’intégration au marché de l’emploi. En niant, voire en rejetant, l’ensemble des arguments qui mettent l’accent sur la discrimination et la méfiance de l’autre, les auteurs privent le lecteur de tout un pan de la littérature sur l’intégration des immigrants au marché du travail qui aurait mérité un traitement beaucoup plus approfondi. Ainsi, dans une section du livre intitulée « Il suffirait de presque rien », on affirme ceci :

Dans une économie de marché compétitive, la discrimination gratuite ne peut pas durer bien longtemps. La raison n’est pas difficile à comprendre : un employeur qui discrimine gratuitement se nuit. Il ne fait pas que renoncer à utiliser des ressources disponibles sur le marché du travail. Plus il discrimine, plus il incite ses compétiteurs à ne pas discriminer.

p. 168

Plus loin, Dubreuil et Marois insistent pour dire que la discrimination est néanmoins présente, mais qu’elle ne fait qu’exprimer les compétences, ou non-compétences, des personnes dont « l’origine ethnique ou l’appartenance culturelle est souvent liée à des caractéristiques économiquement pertinentes » (p. 170). Ensuite, empruntant le concept « d’opacité des barrières culturelles » à M.-A. Chouinard du journal Le Devoir, les auteurs s’en remettent à la notion de confiance pour défendre l’idée selon laquelle les employeurs sélectionneront toujours les personnes dont le profil, les expériences et les diplômes leur inspirent confiance : ce qui selon toute vraisemblance n’est pas le cas des immigrants, principalement ceux provenant des pays en voie de développement. Une telle légitimation de la discrimination pose deux problèmes spécifiques.

Premièrement, cela sous-tend qu’en effet une certaine discrimination, pour ainsi dire naturelle si l’on se fie aux propos des auteurs, existe mais que cela fait partie d’un processus normal chez les êtres humains. Favoriser son voisin, surtout s’il est comme nous, peut en effet faire partie d’un réflexe normal. Mais ce réflexe n’est certes pas le plus rationnel puisque rien ne garantit que ce voisin est plus compétent que l’immigrant sélectionné pour ses compétences professionnelles. Alors pourquoi les auteurs affirment-ils que les employeurs sont guidés par des choix rationnels pour affirmer par la suite que la subjectivité joue un rôle important dans la sélection des employés ? Parce que cela fait partie de la « nature des relations humaines » pour employer une expression utilisée dans le livre ? Et voilà que nous retombons dans le domaine de la psychologie populaire. De plus, lorsqu’ils soulignent qu’« ’être compétent’ n’est pas quelque chose qui existe en dehors de tout contexte culturel ou linguistique » (p. 188), on pourrait rétorquer que l’évaluation des compétences est en soi culturelle. Par conséquent, et sans tomber dans un relativisme tous azimuts, les employeurs gagneraient aussi à adapter leur mode d’évaluation des compétences de candidats immigrants potentiellement intéressants pour leur organisation. Les arguments énoncés par Dubreuil et Marois relèvent d’un certain fatalisme qui, s’il avait dominé au cours des 60 dernières années, aurait favorisé la préservation du statu quo et de l’immobilisme. En reprenant la même rhétorique et en extrapolant quelque peu, on pourrait dire que la lutte pour les libertés civiques aux États-Unis à partir des années 1950 et surtout la contribution importante du gouvernement américain pour modifier certaines pratiques n’auraient jamais eu lieu. En se rabattant sur les arguments avancés par Dubreuil et Marois quant au caractère soi-disant naturel de l’inclusion ou de l’exclusion, nul doute que l’arrêt Brown vs Board of Education de 1954 n’aurait jamais trouvé écho dans l’opinion publique ni auprès des décideurs politiques. N’était-il pas « naturel » en effet pour des Blancs de privilégier leurs semblables puisque ces derniers avaient accès aux bonnes universités, aux réseaux de contact et, finalement, faisaient partie de ces mêmes groupes ? Avec de tels arguments on peut facilement présumer que ce n’est pas dans les années 1950 que les droits civiques auraient cessé d’évoluer aux États-Unis d’Amérique mais plutôt en 1864, soit un an avant l’abolition de l’esclavage… et encore. L’angle d’analyse privilégié par Dubreuil et Marois est défendable mais il faut le prendre pour ce qu’il est, un éclairage sur une partie de la réalité et non la réalité elle-même.

Et que penser de l’entrepreneuriat chez les immigrants et les minorités ethniques de manière générale ? Dans une étude publiée en 1999, AnnaLee Saxenian s’est intéressée au rôle des immigrants dans la croissance en capital et en main-d’oeuvre dans la Silicon Valley en Californie. Saxenian conclut que les immigrants constituent un tiers de la main-d’oeuvre scientifique et que 25 % des entreprises en haute technologie sont dirigées par des gestionnaires d’origine chinoise et indienne. Plutôt que de qualifier ce phénomène d’exode des cerveaux (Brain Drain), l’auteure y voit plutôt une circulation de cerveaux (Brain Circulation). De 1995 à 2005, plus de la moitié des nouvelles entreprises dans la Silicon Valley avait au moins un fondateur immigrant (Wahdwaet al., 2007). Bien évidemment, toute comparaison entre les États-Unis d’Amérique et le Québec, et afortiori entre la Silicon Valley et le Québec, impose la prudence. Mais une meilleure sélection de travailleurs et d’entrepreneurs/investisseurs immigrants aurait certainement un impact positif sur la création d’entreprise dans le domaine des nouvelles technologies et autres secteurs de pointe.

Certains argumenteront que les entrepreneurs immigrants possèdent plutôt de petits commerces dans les services et les salaires gagnés sont peu élevés (voir à ce sujet l’étude de Chung, Zhu et Batisse, 2012). Mais ces commerces et autres entreprises tenues par des immigrants apportent aussi une valeur ajoutée importante à l’économie québécoise et aux services et produits offerts. D’ailleurs, s’il avait fallu que les gouvernements du Canada et du Québec refusent à Lino Saputo et à sa famille leur entrée au Canada dans les années 1950, la compagnie Saputo n’aurait jamais vu le jour. Et que dire des fondateurs des marchés d’alimentation Adonis, présents dans la région de Montréal et acquis par la chaîne de supermarchés Métro à l’automne 2011 dans le but de faire une percée dans le marché des produits dits « ethniques » ? N’est-ce pas là une contribution indirecte mais bien réelle des immigrants et de leurs descendants à l’économie québécoise ? Bon d’accord, la nature a horreur du vide et une autre compagnie spécialisée dans l’alimentation aurait été créée par des natifs, mais reconnaissons que cela est fort hypothétique, c’est le moins que l’on puisse dire. Et sans nourriture « ethnique » les Québécois mangeraient néanmoins, nous dira-t-on. Cela va de soi, mais cette richesse de la diversité ne surpasse-t-elle pas les difficultés sporadiques liées au vivre-ensemble qu’entraîne dans son sillon la diversité ethnoculturelle ? Mais passons pour ce dernier argument, car à ce qu’il paraît, cela ne s’inscrit pas dans les objectifs de l’ouvrage de Dubreuil et Marois que de discuter de tels aspects.

De même, les auteurs omettent totalement les études qui montrent depuis quelques années les bénéfices, pour une organisation, d’avoir une main-d’oeuvre diversifiée sur le plan ethnoculturel. Par souci de transparence mentionnons que ces bénéfices ne sont pas toujours mesurables mais des auteurs comme Cox et Blake (1991), Stevens, Plaut et Sanchez-Burks (2008), ainsi que Roberge et VanDick (2010) ont bien montré que, lorsque prise en compte dans les processus de gestion et intégrée de manière équilibrée (équilibre entre une organisation homogène et trop hétérogène), la diversité au sein des organisations favorise une meilleure productivité, de plus faibles taux de roulement, le développement de marchés locaux, nationaux et internationaux, et l’accroissement d’un capital social permettant aux employés de développer davantage leur potentiel. Il est plausible que l’arrivée d’immigrants dans une organisation donnée puisse fragiliser à court terme la cohésion au sein de cette organisation. Mais comme ces études le montrent, cela entraîne également des avantages importants qui, à moyen et long terme, contribuent à rendre les organisations plus performantes et compétitives et constituent, à n’en pas douter, une contribution économique à ne pas négliger. À ces arguments sur les avantages de la diversité culturelle pour les organisations, on pourrait répondre que la diversité ici est prise au sens large et que, par conséquent, cela n’inclut pas uniquement les immigrants de première génération qui, quant à eux, ont beaucoup plus de problèmes à s’intégrer au marché du travail que les générations suivantes. Soit, mais là réside l’un des principaux problèmes de l’ouvrage de Dubreuil et Marois. En ne tenant compte que des immigrants de première génération, ils n’abordent pas les effets positifs à long terme de l’immigration. Les coûts engendrés par les difficultés vécues lors des premières années par la première génération sont, en tout ou en partie, résorbés par les bénéfices qu’apportent les générations subséquentes : notamment en ce qui concerne l’obtention de diplômes postsecondaires et les bénéfices d’une main-d’oeuvre diversifiée pour les organisations.

Une science subjective

Rappelons tout d’abord que cet ouvrage, qui prétend à l’objectivité, réussit parfois à convaincre mais demeure parsemé de commentaires relevant davantage de la position idéologique que d’un regard neutre, comme les auteurs en ont la prétention, sur la contribution démographique et économique des immigrants à la société québécoise. Contrairement à la démarche de fond qui sous-tend cet ouvrage, ce genre de commentaires participe d’une vision impressionniste qui, même si elle s’appuie sur des expériences empiriquement vécues, n’a pas plus de validité que l’opinion des uns et des autres. Par conséquent, ces commentaires ne devraient pas être admis en preuve pour défendre les conclusions de ce livre.

À titre d’exemple, lorsque les auteurs écrivent : « L’un des problèmes est que l’origine ethnique ou l’appartenance culturelle est souvent liée à des caractéristiques économiquement pertinentes : compétences linguistiques, cheminement scolaire, valeurs, connaissances des institutions et des codes culturels, etc. » (p. 170) ou « Une compréhension fine de l’être humain nous oblige à reconnaître que les gens ne sont pas compétents ‘dans l’espace’, mais qu’ils le deviennent uniquement dans les bonnes circonstances » (p. 206), ils attribuent de facto aux immigrants des inaptitudes et incompétences tout en affirmant l’impossibilité pour ces derniers d’améliorer leurs aptitudes et compétences. C’est là une vision figée de l’immigrant qui a pour effet de limiter historiquement la place et le rôle des immigrants dans la société québécoise. Et que dire de cette connaissance « fine de l’être humain » ? Est-ce là un don unique et spécifique aux auteurs ?

Bien que teintés de réalisme, certains des arguments évoqués par les auteurs laissent plutôt perplexe. Par exemple à la page 71, ils mentionnent que l’immigration contribue à renforcer la différence entre un Montréal multiculturel et allophone et le reste d’un Québec « francophone de descendance française et de tradition catholique ». Est-il nécessaire de rappeler que cela n’a rien à voir avec la contribution économique et démographique des immigrants au Québec ? Soit, on assiste depuis quelques décennies à des transformations importantes au niveau démographique, mais cela n’indique pas un réel problème car c’est là le propre de toute métropole que d’être « multiethnique, multiconfessionnelle et polyglotte », selon les termes mêmes des auteurs. En ce sens il est difficile de voir en quoi la différence entre Montréal, seule ville québécoise véritablement plurielle, et le reste du Québec devrait être un critère pour favoriser l’augmentation, une réduction ou un moratoire sur le nombre d’immigrants au Québec. Cette question est d’autant plus sensée que l’ouvrage doit en principe mettre l’accent sur la capacité de l’immigration à pallier les problèmes de vieillissement de la population et de croissance économique, et non se pencher sur l’état du climat social au Québec. Pourquoi ne pas émettre des solutions pour régionaliser l’immigration, chose difficile à réaliser s’il en est une, en lieu et place d’un tel commentaire ?

Et que dire du passage suivant, en lien avec celui que nous avons surligné dans la citation de la page 4 et dans lequel, en se basant sur des données de 2001, Dubreuil et Marois affirment ceci : « On peut reprendre l’exemple de l’Islam. Il n’y avait qu’environ 1,5 % de la population de cette confession au Québec, à Montréal, la proportion était de 5 %, ce qui en fait une population qui n’est plus marginale » (p. 71) ? Difficile de voir en quoi cela est judicieux et il faudrait savoir ce que l’on veut, moins d’allophones et plus de francophones, dont font partie une très grande majorité de musulmans, ou l’inverse ? Il peut être utile de débattre des pays de provenance des immigrants et de cibler certains pays plutôt que d’autres. Après tout, l’immigration et les immigrants ont presque toujours été instrumentalisés par les pays receveurs. Mais l’utilisation d’une telle statistique pour montrer que la réalité montréalaise s’éloigne de plus en plus de celle vécue par les Québécois vivant dans d’autres régions est peu pertinente à notre avis pour discuter des niveaux d’immigration. Le phénomène de l’étalement urbain et du déplacement des Québécois d’origine canadienne-française vers la banlieue, tout au plus mentionné dans le livre, est complexe et bien que les flux migratoires internationaux aient un impact sur cet étalement, d’autres facteurs complètement étrangers à ces flux ont aussi une influence notable (les fiscalités municipales, l’accès à plus d’espace, etc.). Les oppositions reprises par les auteurs entre Montréal et le reste du Québec ou encore entre les cultures immigrantes et la culture canadienne-française atténuent la force de leur argumentaire. Pas que cela soit totalement hors sujet, mais on conviendra qu’il s’agit de commentaires et d’interprétations personnelles, sans plus.

De même, lorsque les auteurs affirment ceci :

La manière la plus efficace d’améliorer l’intégration est d’être plus sélectif dans notre choix des immigrants. Or, comme nous le verrons maintenant, tout resserrement de nos critères de sélection fera chuter de façon importante le nombre d’immigrants que nous admettons, réduisant d’autant plus l’influence de l’immigration sur l’économie et la démographie.

p. 206

On ne peut s’empêcher de se demander si cela ne vient pas en contradiction avec la thèse principale du livre. Si la sélection est meilleure et, par conséquent, les immigrants sélectionnés mieux préparés au marché du travail québécois, est-ce que cela ne veut pas dire que ces derniers contribueront davantage à l’économie même si leur nombre est moins important ? Et leur contribution démographique est-elle si faible ? Alors pourquoi dans ce cas affirmer le contraire à la page 206 ? Parce que de toute manière ces immigrants entreront en compétition avec les natifs ? Mais ces natifs, peuvent-ils tous et toutes s’intégrer facilement et rapidement (donc à moindre coût pour la société) au marché du travail au Québec ? Le veulent-ils tous par ailleurs ? Les auteurs ont-ils des solutions pratiques et rapides pour faire baisser le haut taux de décrochage au secondaire et ainsi réduire la demande de main-d’oeuvre qualifiée ? Isoler la variable « immigrant » sans prendre en considération le taux de décrochage scolaire chez les natifs, et par le fait même omettre de mentionner le manque de compétitivité de la main-d’oeuvre de certains natifs réduit la force des arguments avancés par les auteurs.

Que retenir ?

En conclusion, la démarche de Dubreuil et Marois est judicieuse, nécessaire oserions-nous ajouter, notamment parce qu’elle permet de remettre en question le dogme du « toujours plus » en matière d’immigration. Elle permet aussi de nuancer les positions de certains acteurs de la société pour qui un accroissement des ressources financières permettrait une meilleure intégration économique des immigrants. Cela est loin d’être aussi simple et Dubreuil et Marois contribuent largement à reconsidérer ces positions. Toutefois, cet ouvrage met l’accent sur quelques éléments précis de la question sans jamais ouvrir la réflexion à des dimensions moins chiffrables mais tout aussi réelles et importantes. Le remède imaginaire : Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec s’inscrit, volontairement ou non, dans la lignée des ouvrages publiés au cours des dernières années et qui posent un regard critique sur des pratiques s’inscrivant dans une perspective multiculturaliste et/ou interculturaliste (accommodement raisonnable, cours d’Éthique et de cultures religieuses, vision positive du pluralisme, etc.)[1]. Les débats entourant la place de l’immigration et de la diversité ethnoculturelle au Québec sont omniprésents de nos jours et cela est sain. Bien que Dubreuil et Marois contribuent activement à ces débats, ils n’atteignent qu’à moitié leur objectif qui est de remettre en question l’idée selon laquelle « l’immigration constituera une pièce essentielle de la solution ». Il va de soi que l’immigration ne permettra pas au Québec de surmonter tous ses défis économiques et démographiques. Mais cette immigration constitue néanmoins une pièce du casse-tête et il serait contre-productif et peu pragmatique de ne pas tenter d’améliorer les processus de sélection, même si cela implique de réduire les niveaux d’immigration. À ce sujet, le gouvernement fédéral vient de modifier sa politique de sélection et il y a fort à parier que le gouvernement québécois fera de même dans un futur rapproché. Cela ne permettra pas d’éliminer totalement les problèmes inhérents à l’intégration économique des immigrants. Mais en la matière, la politique du verre à moitié plein est préférable à celle du verre à moitié vide. Et toute amélioration apportée à la sélection, à la rétention et à l’intégration des immigrants à l’économie québécoise doit être perçue comme nécessaire, non suffisante peut-être, mais néanmoins nécessaire.

En terminant, la posture intellectuelle qu’empruntent Dubreuil et Marois est résolument issue des théories classiques en économie. À ce jeu, il faut être très prudent car cela mène à une réflexion unidimensionnelle sur l’utilité des individus dans leur contribution économique directe à la société. À ce titre, bien des artistes québécois ont un profil qui correspond largement à celui de l’immigrant qui nous est présenté dans Le remède imaginaire ; devrait-on cesser pour autant de financer ces milliers d’artistes dont les revenus sont en-dessous du revenu moyen sous peine de voir la culture québécoise, avec un grand C, être réduite à un rapport comptable ?