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Dans son ouvrage Sur les murs d’un Montréal qui s’efface Réjane Bougé offre un récit personnel, intime et particulièrement bien détaillé d’une dimension de Montréal qui s’efface : la publicité, tantôt originale, tantôt banale, peinte sur les murs d’une ville qui s’est transformée et qui continue de se renouveler. Dans cette évolution s’effacent les stigmates publicitaires de produits, de services et plus globalement de modes de vie révolus. Ce processus de transformation est en outre particulièrement bien rendu par l’insertion de photos actuelles et d’archives, un travail remarquable réalisé par le photographe Michel Niquette. En plus d’une fascination concrète pour la comparaison d’un Montréal d’avant et d’aujourd’hui, le lecteur constate, et explore, l’évolution – tout comme les éléments de permanence – des formes urbaines exprimant cette publicité passée. Le premier point fort de l’ouvrage sera ce témoignage, y compris photographique, très bien réussi.

Son deuxième point fort est la portée herméneutique du récit du quotidien sous l’angle du commerçant, du commerce et plus largement d’une société qui se développe et se transforme. L’auteure nous amène habilement dans l’épicerie familiale, dans les rues du Plateau vers Outremont ou à la pharmacie et à la quincaillerie, mais également dans l’univers familial près des usines Cadbury et Coca-Cola, ou dans des expériences plus personnelles de restaurants, de boutiques de vêtements et de fourrures, et plus largement dans l’environnement familial. Le lecteur est efficacement transporté, évidemment dans la perspective de ce monde qui s’efface, mais aussi et surtout au sein de mémoires, d’attachements et d’identités, bref d’un rapport sensible aux objets, aux produits et aux modes de vie qui disparaissent. C’est bien dans l’époque de l’essor de la classe moyenne que le lecteur se voit transporté, aux débuts d’une société qui se tourne vers la consommation. C’est en tout cas l’époque de l’exode de la classe moyenne, qui quitte la ville-centre avec son pouvoir d’achat et, en voiture, vers les premières banlieues…

Le troisième point qui ressort de l’ouvrage est plus ambigu. La dimension sensible et délicate d’un récit portant sur la perte graduelle de traces dans l’espace urbain, riches en significations individuelles et sociales, replace le lecteur au centre de l’expérience de la ville. L’objet d’intérêt, la publicité, (re)prend en cela tout son sens. Cela dit, un récit sur la disparition d’objets de consommation, et de leur affichage dans l’espace public soulève, d’un point de vue architectural et urbanistique, bien des questionnements. S’il est évident que l’on regrettera plusieurs dimensions rapportées dans le récit, comme des contacts plus humains dans les commerces, des expériences urbaines marquées par la proximité ou par les liens étroits des lieux de travail et des lieux d’habitation, qu’est-ce que l’on peut véritablement regretter dans la disparition de ces traces (publicitaires) ? Cet effacement constitue justement un repère témoignant de transformations majeures au Québec liées à l’affichage, au contrôle de la publicité, à l’usage du français et à bien d’autres aspects. S’il apparaît évident qu’un véritable patrimoine s’efface des murs de Montréal, le débat sur la valeur de celui-ci demeure néanmoins ouvert.