Comptes rendus

Réal Bélanger, Henri Bourassa. Le destin fascinant d’un homme libre (1868-1914), Québec, Les Presses de L’Université Laval, 2013, 552 p.[Record]

  • Sylvie Lacombe

…more information

Voici le premier tome d’une magistrale biographie, celle d’un homme hors du commun ayant profondément marqué le nationalisme canadien-français et qui peut également être vu comme le père spirituel du fédéralisme canadien. Henri Bourassa est effectivement une figure incontournable de l’histoire canadienne à plus d’un titre. Homme de paradoxes viscéralement opposé à tout compromis avec les grands principes d’une saine politique nationale, il possède une immense force de caractère, une éloquence inouïe (ses discours durent souvent plusieurs heures – une intervention à l’Assemblée législative du Québec en 1909 a, par exemple, duré sept heures!) et une rigueur morale à première vue inébranlable. Son esprit normatif combine les deux grandes idéologies qui ont traversé le 19e siècle canadien-français, l’ultramontanisme et le libéralisme. Sa carrière politique très tôt marquée par des coups d’éclat inspire la jeunesse canadienne-française, dont il devient l’idole : la Ligue nationaliste rassemblant de jeunes journalistes, fondée en 1903, s’attelle ainsi à mettre en pratique ses principes nationalistes. L’ambition nationale que diffuse Bourassa fait du Canada une nation virtuellement indépendante de l’Empire britannique, fondée sur l’alliance entre les deux « races fondatrices », ce qui implique leur égalité de droit absolue partout dans la Confédération. Mais l’expansion géographique du Canada vers l’Ouest, en grande partie due à un afflux important d’immigrants, révèle au grand jour l’incompatibilité des conceptions respectives du Canada chez les Canadiens français et anglais : pour les premiers, il est franco-anglais, tandis que les seconds l’ont toujours considéré comme britannique, non seulement par sa constitution, mais par sa composition aussi – à part la réserve française sur le territoire québécois. Avec la création de la Saskatchewan et de l’Alberta, en 1905, meurt à jamais tout espoir de faire vivre un Canada bilingue et biculturel. Déjà, le refus de Wilfrid Laurier en 1896 d’user du pouvoir fédéral pour remédier à la loi inique du gouvernement manitobain spoliant les droits scolaires de la minorité canadienne-française avait miné la possibilité que le niveau de gouvernement fédéral puisse incarner un principe supérieur subsumant les intérêts des deux communautés linguistiques, pour en faire plutôt l’instrument de la majorité (canadienne-anglaise). Malgré les défaites successives du programme nationaliste, Bourassa reste le champion de la cause canadienne-française et, en incorporant les aspirations canadiennes-françaises à un nationalisme pancanadien, il leur a du même coup donné une envergure et une légitimité nouvelles. En ce sens, on peut voir en lui le père du fédéralisme canadien. Les meilleurs chapitres d’Henri Bourassa, ceux où le lecteur s’enthousiasme avec l’auteur, relatent le discours de Bourassa à l’église Notre-Dame, lors du 21e Congrès eucharistique international en 1910, et la campagne des élections fédérales de 1911. Le « discours de Notre-Dame » est l’événement qui a le plus marqué non seulement les contemporains, mais aussi quelques générations suivantes, vu que cette allocution était étudiée dans les collèges classiques en tant qu’argumentation brillante, en partie improvisée, et qu’on la faisait apprendre par coeur aux élèves. Ce discours est une réponse, plus précisément une réfutation point par point, des propos tenus quelques minutes auparavant par l’archevêque de Westminster, Mgr Bourne, déclarant que l’avenir du catholicisme en Amérique du Nord réside désormais dans la diffusion de la seule langue anglaise. La réplique érudite que compose Bourassa est constamment interrompue par les applaudissements, les acclamations d’une foule chahuteuse mais, heureusement, notre orateur sait tout autant galvaniser son auditoire que le contenir et empêcher les débordements. L’exposé qu’en fait Bélanger alterne habilement entre contenu du discours et description de l’ambiance qui régnait dans l’église survoltée grâce aux témoignages de ceux qui étaient présents – dont l’abbé Groulx –, et des comptes …