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Consacré à Louis XV, dit le Bien-Aimé, l’ouvrage de Louis Gagnon fait suite à un précédent volume paru en 2011, consacré celui-là au début du règne du Roi Soleil. Ce nouvel opus se concentre sur les vingt dernières années du Régime français en Amérique du Nord, mais le rideau s’ouvre avec la Régence et l’auteur pousse sa réflexion au-delà du Traité de Paris, en s’interrogeant notamment sur le sort des Canadiens. L’ouvrage est composé de six chapitres qui suivent l’escalade des hostilités, parallèlement au renforcement du pouvoir d’un roi qui serait passé d’une tutelle à une autre (Régence et ministère du cardinal de Fleury), avant d’assumer pleinement son rôle après la mort du cardinal. Doté d’un talent certain de conteur et d’un joli sens de la formule, Gagnon confirme ici sa volonté de mettre en récit cette histoire, en accordant une place importante aux témoignages des acteurs et en donnant vie à ce roi dont il cherche à cerner les émotions et les stratégies. L’auteur poursuit deux objectifs pleinement assumés : « analyser la relation existant entre le roi de France et le Canada », et produire une « réflexion sur le 18e siècle » (p. 14). La conciliation de ces deux objectifs n’est toutefois pas sans conséquence sur la démonstration, certaines digressions sur une note identitaire (ex. p. 90, note 8) venant briser le rythme de l’analyse historique.

La table est mise dès le prologue, où Gagnon affirme qu’il « assume la continuité de cette histoire commencée sous Louis XIV » (p. 17). Une histoire de ce qui fut, mais aussi bien souvent de ce qui aurait pu être. On ressent ainsi tout au long du livre une certaine nostalgie de cette « civilisation française » en Amérique. Si l’ouvrage est moins destiné aux historiens qu’à l’amateur d’histoire, il faut néanmoins souligner certaines lacunes méthodologiques, notamment dans l’analyse des sources. Ainsi, les écrits de Voltaire auraient nécessité un traitement plus distancé, car si Gagnon semble nourrir de grandes attentes envers le philosophe et s’appuie fréquemment sur ses observations, notamment au sujet de la marine, il déplore également sa partialité, pourtant inévitable venant d’un témoin qui n’a aucune prétention à l’objectivité historienne. La place accordée à l’auteur de Candide apparaît d’ailleurs démesurée par rapport aux autres acteurs, au point que par moments le philosophe éclipse le monarque. Il faut sans doute blâmer le manque de sources donnant accès à la pensée de Louis XV, que Gagnon lui-même déplore (p. 13). On peut alors se demander ce qui a présidé à la sélection des témoins appelés à la barre. L’explication réside dans le choix qu’a fait l’auteur de privilégier des sources publiées; cette décision, pour pratique qu’elle soit, restreint forcément le champ de vision. Du côté des sources secondaires, on remarque l’absence d’études sur les institutions monarchiques, la bibliographie présentant surtout des monographies sur des personnages marquants en sus d’études sur la guerre de Sept Ans. De fait, si l’auteur analyse les actions de Louis XV avec beaucoup d’aplomb, certaines remarques trahissent un manque de connaissance de l’administration monarchique et de ses principes constitutifs, notamment la notion de gouvernement par Conseil, qui n’est pas en contradiction avec le pouvoir absolu du roi et ne constitue nullement une restriction de son pouvoir (p. 129). La collégialité et la concertation précédant la prise de décision – qui s’articule notamment autour de l’organe pivot qu’est le Conseil d’État du roi – est au coeur de la culture politique absolutiste, ce qui n’empêche pas le roi de pouvoir décider à l’encontre de ses conseillers en toute circonstance. Par ailleurs, l’utilisation de certains concepts aurait mérité plus d’explications, comme « l’opinion publique » qui se confond ici avec celle des philosophes.

Au terme de cette histoire, qu’a-t-on appris sur la relation que ce roi « tout entier voué à la paix par éducation et par inclination » entretenait avec le Canada? L’auteur revient finalement sur les propositions énoncées en introduction, à savoir que si la colonie constitue bien un rempart contre l’expansionnisme britannique et qu’une population importante peut compenser l’infériorité de la marine royale, l’intérêt que le roi attache à sa défense est limité par le mercantilisme et la conviction que son peuplement ne peut se faire au détriment de la France. Gagnon souligne à juste titre qu’avant même la signature du Traité de Paris, le spectre de l’émancipation des colonies germait déjà dans l’esprit du roi, rendant vains les efforts pour conserver une colonie riche et peuplée. On referme ce livre avec le sentiment d’avoir assisté à un ballet peuplé de personnages fascinants, sans pour autant discerner un propos original. L’ouvrage a cependant le mérite de mettre en lumière les intrigues et les alliances entre les monarchies européennes, souvent négligées dans l’explication des guerres coloniales, de même que l’incertitude autour des frontières de la Nouvelle-France, une question qui attire de plus en plus l’attention des historiens.