Comptes rendus

Harold Bérubé, Des sociétés distinctes. Gouverner les banlieues bourgeoises de Montréal, 1880-1939, McGill-Queen’s University Press, 268 p.[Record]

  • Florence Paulhiac Scherrer

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  • Florence Paulhiac Scherrer
    Département d’études urbaines et touristiques, Université du Québec à Montréal
    paulhiac.florence@uqam.ca

L’ouvrage de l’historien Harold Bérubé propose une analyse de la constitution de trois banlieues de la région montréalaise, du tournant du siècle dernier jusqu’aux prémisses de la Seconde Guerre mondiale. La périodisation proposée (1880-1939) est bornée par deux crises économiques. Durant les décennies étudiées, alors que la région de Montréal devient un centre économique industriel majeur, plusieurs municipalités suburbaines deviennent des entités autonomes. L’analyse s’attache à mettre en lumière les processus de constitution et de consolidation de ces nouvelles municipalités de banlieue, en soulignant de quelle manière les modalités de gouvernement local qu’elles inaugurent mais aussi les identités et les pratiques culturelles des communautés qui s’y épanouissent en font de réelles « sociétés distinctes » dans le paysage sociopolitique de l’époque, et certainement encore aujourd’hui. Le point de départ de la réflexion porte sur les débats animés, voire passionnés, dans les années 2000, sur les raisons des « défusions » municipales de certaines villes, aujourd’hui « reconstituées », au sein de la région métropolitaine de Montréal. L’ambition de l’auteur est de démontrer le caractère distinct de ces banlieues généralement perçues et présentées dans les discours populaires, médiatiques et parfois politiques, comme essentiellement anglophones, ce caractère linguistique semblant pouvoir expliquer à lui seul de tels choix sécessionnistes. Or, l’auteur postule que ces anciennes banlieues sont avant tout des communautés politiques, sociales et culturelles « bourgeoises ». Cette spécificité est relevée tout au long de leur constitution (politique notamment) à travers la mobilisation de valeurs spécifiques dont la traduction s’incarne notamment dans des modalités de gouvernance, mais aussi dans des instruments particuliers de régulation spatiale et sociale. Ainsi est-il possible d’analyser et de présenter cette distinction de classe à travers la distinction matérielle de ces espaces périurbains, ou encore à travers des processus culturels et identitaires propres à ces communautés. L’ouvrage est divisé en cinq chapitres et un épilogue. Un premier chapitre (« Ville et banlieues : contexte historique et historiographique », p. 13-45), propose une recension des écrits sur les banlieues et la bourgeoisie. Il campe classiquement l’étude au sein des travaux du domaine et justifie le choix de trois « trajectoires suburbaines » pertinentes (Westmount, Pointe-Claire, Mont-Royal). Le chapitre est intéressant car il met notamment l’accent sur la problématique du rapport d’une classe sociale donnée, ici la bourgeoisie, à un espace urbain. Il permet aussi de souligner le peu d’études en la matière sur le cas montréalais. Le deuxième chapitre (« Culture et pratiques politiques », p. 47-91) est entièrement consacré aux gouvernements des trois municipalités suburbaines étudiées. Il relate les circonstances et les modèles sous-tendant leur constitution, et décrit la composition du personnel politique impliqué, les processus électoraux et les modalités effectives de gouvernance et d’exercice du pouvoir municipal (implication d’acteurs civils, rôle des médias, entre autres). Le chapitre expose brillamment le modèle de gouvernement et de démocratie bourgeoise propres à ces communautés, ainsi que les conditions de leur différence par rapport aux modalités de gouvernement de la ville centre et à ses valeurs. Le troisième chapitre (« L’ordre des choses : réglementer le milieu », p. 92-134) et le quatrième chapitre (« L’ordre social : réglementer la population », p. 135-164) mettent l’accent sur les instruments d’intervention à la disposition des gouvernements concernés (règlements, zonage, commissions municipales, par exemple), tant pour agir sur le cadre bâti, les équipements, les services et espaces publics, etc., que sur les comportements sociaux de la communauté. La mobilisation de ces instruments vise la constitution de milieux physiques (du point de vue esthétique notamment) et le développement de pratiques sociales (comportements en public ou nature des activités autorisées sur un territoire, par exemple) …