Article body

L’ouvrage Les musées et leurs publics. Savoirs et enjeux, publié sous la direction de Lucie Daignault et Bernard Schiele, prend la suite d’un symposium international organisé au Musée de la Civilisation de Québec les 1er et 2 décembre 2014. Il constitue un exemple de plus de la littérature scientifique questionnant la muséologie en tant que discipline, littérature particulièrement féconde ces dernières années suite à la publication, entre autres, du Dictionnaire encyclopédique de muséologie en 2011. Son objectif est de faire émerger un cadre théorique commun aux recherches sur les musées et leurs publics permettant la mise au jour d’une littérature grise issue de la pratique professionnelle et encore peu accessible, et sa confrontation à des travaux universitaires, confrontation illustrée par le statut des deux directeurs de publication : Lucie Daignault est responsable de l’évaluation au Musée de la civilisation, Bernard Schiele est professeur à la faculté des communications de l’Université du Québec à Montréal.

En s'interrogeant sur la place des études du[es] public[s] des musées comme champ de recherche au sein de la muséologie, une problématique terminologique apparaît immédiatement, mise en exergue par le titre de l’ouvrage, Les musées et leurs publics. Celui-ci illustre parfaitement la difficulté à définir clairement le champ. Plusieurs sous-champs apparaissent au fur et à mesure des pages : évaluation muséale, éducation muséale, étude de publics, médiation culturelle, visitor studies, etc., réductibles selon Bernard Schiele à quatre grands domaines d’application : l’évaluation des espaces, des médiations, des services et des publics (p. 52). Si l’ouvrage ne résout pas la question de la terminologie, il permet toutefois de dresser « un bilan des connaissances accumulées » et d’en « dégager les axes de questionnement » (p. 1). Cette volonté pédagogique est clairement présente dans la présentation thématique, dans l’introduction qui propose un retour historique sur ce champ de la recherche et dans la constitution d’un glossaire. Toutefois, on pourrait regretter l’absence d’une bibliographie générale, raisonnée, qui bien qu’existant en partie par ailleurs, aurait renforcé cette dimension pédagogique. Notons également que la force du livre tient en l’approche internationale qu’il propose, où les exemples québécois et français tiennent le haut de l’affiche, et qui permet des comparaisons riches d’enseignements autour des deux notions clés : le musée et le public.

La première apparaît plus complexe qu’une simple approche catégorielle (musée d’art, d’histoire, etc.) réduisant le musée à sa collection, ou une approche communicationnelle le représentant à travers le processus de mise en exposition, pour l’envisager en dehors même de l’institution dans un musée hors-les-murs (chapitre 5) ou dans sa diffusion numérique (chapitres 12 et 13). Si le musée dépasse l’espace physique de l’institution, comment en définit-on le public? L’ouvrage répond en ouvrant la catégorisation des visiteurs, conduisant à l’emploi du pluriel « publics », vers une multiplicité de pratiques qui dépassent et préexistent à l’entrée au musée. Le public se déploie dans un avant, un pendant et un après de la visite muséale, ce que rendent particulièrement explicites les développements des outils numériques dans les médiations muséales. La difficulté de définir ce champ de recherche tient alors à la diversité des relations entre musée et public qui s’entendent comme des processus de communication réflexifs entre les deux instances. En termes méthodologiques, cela nécessite d’envisager l’étude des relations musée/public tant dans l’analyse expographique, dans celle des médiations que dans les réceptions effectives par les publics, ce que les auteurs n’oublient pas de noter (chapitres 2, 4 et 11). Un nouvel outillage méthodologique (grounded theory, évaluation des usages, etc.) doit permettre de saisir plus finement que par des approches statistiques les relations entre musée et public.

En effet, les contributeurs insistent fréquemment sur une tendance lourde : le basculement de l’évaluation vers la marchandisation. La place et le rôle de l’évaluateur sont mis en question, l’externationalisation de la médiation muséale dénoncée (chapitre 9), l’usage des enquêtes statistiques interrogé. Cette logique de marché conduit le musée vers des logiques propres aux industries culturelles et remet en cause son statut et sa place dans le monde scientifique. Cette tendance illustre ainsi un paradigme désormais ancien en muséologie, tant comme pratique professionnelle que comme discipline scientifique : le musée est pensé à partir ou « autour du visiteur » (p. 19). Ce paradigme a donné naissance à un courant de recherche fécond en muséologie dans lequel cet ouvrage s’inscrit. De la nouvelle muséologie à la démocratisation culturelle, de l’approche communicationnelle de l’exposition à la mission pédagogique du musée, c’est le visiteur, en tant que citoyen, élève ou récepteur, ici désigné sous l’appellation générique « publics », qui est placé au centre de la recherche.