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Depuis quelques décennies, le système de santé au Québec a connu des mutations si diverses et considérables qu’il y a lieu de se demander s’il ne faudrait pas le définir, en toute priorité, comme une institution en changement, voire en crise. En fait il renvoie parfois l’image de n’avoir ni cap, ni boussole. Ou d’en avoir plusieurs. On vogue de réforme en réforme, et ainsi de suite jusqu’à la prochaine contre-réforme. D’où l’intérêt certain de la mise à jour de l’édition de 1994 du présent ouvrage collectif à l’initiative du Réseau de recherche sociopolitique et organisationnelle en santé de la région de Québec. Procédant d’une approche toute en finesse, la relecture proposée présente différentes analyses sociopolitiques pour interpréter l’évolution du secteur de la santé au Québec, centrée sur la période de 1970 à nos jours. Les changements survenus depuis 1994 sont bien précisés, éclairant ainsi « les débats qui font suite aux rapports de la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux du Québec en 2000 (commission Clair), du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie en 2002 (rapport Kirby) et de la Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada en 2002 (commission Romanow) » (p. 1).

Le découpage de l’ouvrage en quatre parties et quinze chapitres suit à peu près la même trajectoire que la première édition. Par contre, la liste des auteurs comporte de nombreux changements. Sur cette liste se retrouvent dix-sept des vingt-cinq auteurs de la première édition et seize nouveaux.

La première partie aborde les différentes facettes du système de santé. Elle s’ouvre sur une analyse sociohistorique de la prise en charge étatique de la santé au Québec. L’accent est mis sur les divers mécanismes de régulation de l’État. Puis, l’état de santé de la population québécoise est étudié. En vingt-cinq ans, les progrès ont été remarquables. La mortalité infantile atteint un niveau très bas et l’espérance de vie des hommes et des femmes continue d’augmenter (en 1998, elle était de 75,3 ans chez les hommes et 81,3 ans chez les femmes). Cependant, certains aspects négatifs sont évoqués. La mortalité par suicide continue d’augmenter chez les hommes, tandis que chez les femmes les effets du tabagisme se reflètent dans la hausse vertigineuse des taux de mortalité par cancer du poumon. Plus frappantes et aussi inquiétantes sont les augmentations depuis une dizaine d’années de troubles de santé liés à l’excès de poids et au manque d’activité physique. Plusieurs problèmes majeurs comme les maladies cardiovasculaires et le diabète seraient associés à ces facteurs de risque. Enfin, les facteurs sociaux liés à cet état de santé sont analysés. Des liens entre les inégalités sociales et les inégalités sociosanitaires sont clairement établis. Les personnes pauvres meurent non seulement plus jeunes que les autres, mais elles passent une plus grande partie de leur vie avec une incapacité. Comment alors réduire ces inégalités ? Par une mesure simple, précisent avec justesse les auteurs : « en favorisant l’élaboration de politiques publiques reposant sur une solide connaissance des différents facteurs influençant les parcours de vie des citoyens, l’État québécois, avec ses principaux partenaires, pourrait instaurer une véritable égalité des chances sur le plan social et sanitaire. D’ailleurs, la diminution des inégalités sociales ne devrait-elle pas constituer un objectif prioritaire des actions de santé publique ? » (p. 89).

La deuxième partie prolonge la première, en traitant de façon plus détaillée des structures et du fonctionnement du secteur de la santé. Elle retrace les grandes phases qui ont jalonné la mise en place du ministère de la Santé et du réseau. J’ai quelques réserves sur l’énoncé selon lequel l’évolution des services de santé et des services sociaux suivrait une trajectoire qui ressemble davantage à un trait continu qu’à une ligne brisée. Puis la structuration du système à travers les interactions de grandes alliances d’acteurs par lesquelles se réalisent les politiques publiques dans le secteur de la santé est finement décrite. Par la suite, trois thèmes reçoivent une attention particulière, les réseaux des services intégrés, la participation populaire ainsi que la place des groupes et organismes communautaires dans ce secteur. Une constante se dégage de ces axes de recherche : la participation publique et la concertation seraient des conditions indispensables au bon fonctionnement des organisations publiques de santé.

La troisième partie représentait pour les auteurs un défi particulier puisqu’elle porte sur les ressources humaines associées à la prestation des services. Elle traite plus en détail de l’évolution de la profession médicale et des enjeux pour la profession infirmière avant d’aborder une thématique qualifiée souvent « d’obscure » : l’impact du syndicalisme et de la négociation collective. Il est très juste de constater que la maîtrise des coûts, qui fut un moteur central des transformations du système de santé au cours des années 1990, a conduit à une vision à court terme et n’a pas reconnu l’importance stratégique des ressources humaines. Après des années de compressions, de restructurations, de réformes, de fermetures ou de fusions d’hôpitaux, nombre d’employés et de professionnels sont démotivés et ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Les problèmes liés au manque d’effectifs, aux conditions de travail difficiles et à l’absentéisme (en particulier chez les infirmières) sont bien réels dans la gestion quotidienne des établissements de santé et de services sociaux.

La dernière partie est consacrée aux ressources financières et technologiques. Sont abordées ici l’évolution du financement des dépenses en services de santé, les contraintes qu’impose le financement centralisé, de même que l’évaluation des technologies de la santé. Bien malin qui peut prédire comment aura évolué notre système de santé dans dix ou quinze ans. Cependant, à mon avis, une chose peut être retenue de l’expérience de la dernière décennie : l’efficience, l’efficacité et l’équité devraient être les principes centraux qui orienteront la destinée du système.

En dépit d’énormes investissements consentis dans ce secteur (la santé accapare 42 % du budget du Québec en 2004, soit plus de 20 milliards de dollars), il est opportun de mentionner à l’instar des auteurs que nous n’avons pas encore pris le virage de la santé publique, celui qui nous ferait véritablement mettre le cap sur le mieux-être de la collectivité.

Pour conclure, je dirais que le livre Le système de santé au Québec, organisations, acteurs et enjeux est remarquable à plus d’un titre. D’abord, l’analyse minutieuse suscite l’adhésion par sa rigueur et son ampleur. Ensuite, elle n’est ni partisane, ni univoque, ni complaisante. Toute savante qu’elle soit, la lecture en est assez facile.

Outil privilégié de formation et d’ouverture au social tant pour les étudiants en sciences sociales qu’en sciences de la santé, ce livre s’adresse aussi aux intervenants du secteur de la santé, aux groupes communautaires et à tous ceux et celles qui veulent garder prise sur l’évolution du système de santé. J’ai suffisamment apprécié ce volume pour prendre la décision avec un collègue de ma faculté de le rendre obligatoire dans un cours d’introduction à la santé communautaire offert dans le programme de la maîtrise en santé communautaire de l’Université Laval.