Comptes rendus

Jean-François Caron, Être fédéraliste au Québec. Comprendre les raisons de l’attachement des Québécois au Canada, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2016, 98 p.[Record]

  • André Lecours

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Pour Jean-François Caron, le concept théorique clé permettant de comprendre l’attachement des Québécois au Canada est le patriotisme fédéral. Le patriotisme fédéral des Québécois serait le produit de l’autonomie collective dont ils jouissent à l’intérieur de la fédération et de leur capacité à modifier des pratiques de gouvernance de l’État. Il s’agit là de deux arguments solides qui sont peu articulés dans la littérature en français sur le Québec et le Canada où l’accent est mis sur l’idée d’un fédéralisme centralisateur et rigide. Je me demande par contre si l’auteur ne sous-estime pas le lien identitaire entre les Québécois et le Canada. En d’autres termes, peut-être que l’attachement des Québécois à la fédération canadienne ne se réduit pas à un patriotisme issu d’une certaine confiance en des institutions mais est aussi le produit d’un nationalisme canadien qui a pénétré la dimension identitaire d’une bonne partie de la province. Après tout, il a toujours été plus difficile pour les chefs souverainistes d’attaquer le Canada que le gouvernement fédéral. La réflexion de l’auteur sur le patriotisme fédéral l’amène à considérer trois fédérations étrangères : l’Espagne, la Belgique et la Suisse. Dans les cas de l’Espagne et de la Belgique, il conclut que des blocages institutionnels ont effrité le patriotisme fédéral et stimulé les nationalismes catalan et flamand. Cette conclusion n’est pas déraisonnable mais la force de ces mouvements nationalistes est aussi liée à une certaine trajectoire de construction étatique et nationale dans les deux États : l’oppression de ses minorités par l’État espagnol et la discrimination de l’État belge à l’endroit des néerlandophones a miné une partie du potentiel du « patriotisme fédéral » dans ces pays. Le traitement du cas de la Suisse est, à mon avis, plus problématique. L’auteur y voit un bon fonctionnement du patriotisme fédéral. Mon analyse est différente : la Suisse n’est pas un État multinational. Il n’y existe pas de mouvements nationalistes simplement parce que le processus de construction nationale a, malgré les différences linguistiques et religieuses, produit une nation dont l’existence n’est contestée par personne. Dans son analyse empirique du Canada, l’auteur explique que le niveau d’autonomie dont jouit le Québec au sein de la fédération canadienne est appréciable, ce qui expliquerait en partie l’attachement continu d’une bonne partie des Québécois. L’argument est bon, mais je crois que ce type de démonstration est toujours plus convaincant lorsqu’il est fait à partir d’une perspective comparée. En effet, il est incontestable que les provinces canadiennes, et en particulier le Québec, ont une autonomie plus importante que les entités constituantes de la plupart des autres fédérations existantes. L’auteur suggère aussi que le fédéralisme canadien n’est pas un carcan et qu’il a su montrer une bonne flexibilité en rapport au Québec. Cet argument en apparence hérétique se défend bien. En effet, l’idée répandue que le fédéralisme canadien ne peut changer ou s’ajuster fait fi des pratiques de fédéralisme exécutif qui ont permis une évolution dans un contexte de rigidité constitutionnelle. En somme, Être fédéraliste au Québec développe une ligne de pensée peu entendue mais tout aussi crédible, sinon plus, que la théorie d’un fédéralisme canadien centralisateur et rigide qui aliène les Québécois. Ce seul fait donne une grande importance à l’ouvrage de Jean-François Caron.