Les recherches sur le Québec du Nord : un instrument d’appropriation territoriale pour quels acteurs?[Record]

  • Martin Simard,
  • Étienne Rivard and
  • Laurie Guimond

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  • Martin Simard
    Département des sciences humaines et sociales et CRDT, Université du Québec à Chicoutimi
    mgsimard@uqac.ca

  • Étienne Rivard
    Département des sciences humaines et sociales, Université de Saint-Boniface
    erivard@ustboniface.ca

  • Laurie Guimond
    Département de géographie et CRISES, Université du Québec à Montréal
    guimond.laurie@uqam.ca

Bien que difficile à délimiter précisément, le Québec du Nord est un immense territoire qui couvre plus des deux tiers de la superficie de la province. Très peu peuplé et encore largement méconnu, ce milieu physique et humain est riche de ressources et d’écosystèmes uniques, où évoluent à la fois des cultures ancestrales et de nouvelles populations. Que l’on soit enthousiaste ou sceptique à l’égard des politiques publiques qui ont présidé au lancement du Plan Nord par le gouvernement québécois, il n’en demeure pas moins que cette initiative gouvernementale a contribué à renouveler l’intérêt envers ce milieu géographique singulier. Un milieu qui comporte son lot de problèmes et de défis mais également un immense potentiel qui commence à peine à émerger, dans les secteurs non seulement de l’extraction minière mais aussi du récréotourisme, de l’énergie éolienne ou de l’agriculture en serre. Dans ce contexte, plusieurs phénomènes restent à expliquer et de nombreux thèmes sont à discuter afin de mieux comprendre le Nord québécois, qu’on le perçoive comme un milieu de vie autochtone à consolider, comme une nature sauvage à préserver ou comme un gigantesque bassin de ressources à exploiter. De nombreuses questions interpellent les habitants et les gouvernants à différentes échelles : comment se portent les communautés autochtones six décennies après leur sédentarisation plus ou moins forcée? Comment se développent les communautés non autochtones plus récemment établies? Que dire de la cohabitation interculturelle qui s’organise en grande partie en fonction des structures foncières et administratives issues de la Convention de la Baie-James et du Nord Québécois, en particulier dans l’Eeyou-Istchee? Quel avenir doit-on envisager pour les premières nations vivant au Nord qui demeurent sans traités, notamment les Innus, les Attikameks ou les Anishinabés? Quels sont les impacts sociaux, économiques et environnementaux des grands projets industriels existants ou en voie de réalisation? Quelles sont les perceptions et représentions du Nord véhiculées par les médias et les différents groupes d’acteurs et quelles en sont les répercussions? Ces questions, et bien d’autres, interpellent, d’une manière éthique et politique, les chercheurs en raison du rôle qu’elles jouent dans les dynamiques d’appropriation-réappropriation des acteurs en présence : la société civile, au premier chef, le gouvernement du Québec et les peuples autochtones. Dans une perspective historique, le Nord est depuis longtemps associé à l’idée d’une conquête, d’un espace à « ouvrir » (Desbiens, 2012, p. 645) ou d’une frontière à repousser (Gouvernement du Québec, 2011, p. 7). Autrement dit, c’est un espace qu’on cherche à s’approprier, pour le faire sien ou l’adapter à ses besoins. Deux formes principales et concomitantes d’appropriation marquent l’emprise graduelle des Euro-Canadiens sur le Nord. Premièrement, une appropriation sociale, ou d’ordre à la fois politique (étatique et géopolitique), matériel (économique au sens large, mais renvoyant aussi à la mise en place d’infrastructures militaires ou hydroélectriques) et symbolique (marques culturelles, toponymiques, image du Nord comme réalité concrète à même de modifier la définition qu’ont les Québécois ou les Canadiens d’eux-mêmes). En second lieu, à mesure que les enjeux sociaux et environnementaux relatifs au Nord se modifient, celui-ci devient l’objet d’une appropriation scientifique dans le champ des sciences naturelles et dans celui des sciences humaines et sociales (Farish, 2006). Néanmoins, cette appropriation scientifique est souvent le simple reflet des intérêts d’un groupe d’acteurs, ou, lorsqu’elle constitue une représentation originale ou indépendante, exerce à son tour une influence sur les autres parties prenantes du développement du Nord (autochtones, entreprises privées, organismes gouvernementaux, etc.). À l’ère des communications quasi instantanées, il existe une rétroaction significative entre les recherches – et les représentations qui en sont issues – et l’appropriation par les acteurs …

Appendices