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L’historiographie québécoise relative au phénomène des pensionnats indiens catholiques demeurait relativement mince et pratiquement inexistante du point de vue des responsables catholiques de ces lieux. À coup sûr, la monographie d’Henri Goulet fait oeuvre pionnière et balise un territoire de recherche quelque peu méconnu, en circonscrivant autant les conditions d’émergence et de développement que de fermeture du réseau québécois des pensionnats autochtones catholiques. L’auteur prend également soin de bien faire ressortir les spécificités propres au contexte québécois, en contrepoint de la situation canadienne. En effet, on apprend très tôt que le cas québécois fait figure d’exception par rapport au développement des pensionnats dans le reste du Canada, s’inscrivant à la traîne d’un phénomène qui tire ses origines de la deuxième moitié du 19e siècle.
À la fin des années 1940, le gouvernement fédéral décide de ne plus favoriser les pensionnats indiens au profit des écoles externes de jour et de l’intégration des enfants autochtones dans les écoles régulières. Les autorités catholiques québécoises, par le biais des évêques et vicaires apostoliques, de même que des oblats postés en diverses régions où ils poursuivent leur oeuvre d’évangélisation auprès des autochtones, s’engagent dans une entreprise soutenue de lobbyisme auprès des autorités fédérales en faveur de la mise sur pied de pensionnats pour enfants autochtones. Ce seront finalement quatre institutions de ce type qui verront le jour au Québec : Fort George (Baie James), 1930-1980; Sept-Îles, 1952-1971; Saint-Marc-de-Figuery (Amos), 1955-1973 et Pointe-Bleue – Mashteuiatsh, 1960-1973. De manière systématique et exhaustive, le tout rehaussé de tableaux, de cartes et de photos d’archives, Goulet présente les quatre pensionnats, consacrant à chacun un chapitre entier. L’analyse des archives concernant le pensionnat de Fort George révèle que c’est la conversion des enfants protestants qui distingue ce dernier de ses homonymes et qui est au coeur de l’action oblate auprès des populations cries de la Baie James. En ce qui a trait à Sept-Îles, le pensionnat est vite devenu obsolète, compte tenu de l’effervescence du développement économique dans la région dès les années 1950. À Saint-Marc-de-Figuery, les pères oblats ont tenté de former les enfants autochtones aux métiers agricoles, mais ce fut un échec lamentable. Quant à Pointe-Bleue, c’est le pensionnat dont la durée de vie fut la plus courte, huit ans au total.
À la lecture des quatre chapitres cruciaux consacrés aux quatre pensionnats, le lecteur saisit à quel point les pères oblats furent les chevilles ouvrières de ces institutions. Le modèle de pensionnat mis en place par les oblats au Québec n’est opérant que suivant une logique de contrôle idéologique conférant aux missionnaires la possibilité de se vouer complètement à la conversion des populations autochtones. En ce sens, un tel modèle ne pouvait se maintenir sans l’apport déterminant des religieuses, qui assuraient l’encadrement et le fonctionnement quotidien des pensionnats. À mon sens, la plus grande force de cet ouvrage réside dans le fait que l’auteur a su illustrer à quel point la fortune, puis l’obsolescence des pensionnats autochtones catholiques au Québec ne sont compréhensibles qu’en prenant en considération des facteurs politiques, économiques, sociaux et culturels relatifs à la société globale. Il me semble que la contextualisation faite par l’auteur de cette histoire plutôt singulière constitue le principal apport scientifique de l’ouvrage.
En terminant, nous ne saurions passer sous silence le fait que l’étude proposée, tout aussi valable qu’elle soit sur le plan historiographique – la recension des écrits scientifiques sur le thème retenu est excellente –, présente une limite sérieuse relativement aux sources utilisées, le corpus retenu se fondant uniquement sur les archives oblates. L’auteur en est d’ailleurs conscient qui le mentionne dès le départ de son enquête. Certes, certaines congrégations religieuses féminines n’ont conservé aucune archive de leur participation aux pensionnats québécois (ce qui au demeurant apparaît surprenant et soulève en soi de nombreuses questions), mais surtout, tous les témoignages oraux et/ou écrits par des autochtones ont été mis de côté. C’est là une limite importante et même problématique, que ne justifie que partiellement l’auteur dans son introduction en renvoyant aux témoignages reçus dans le cadre de la Commission de vérité et réconciliation, laissant tout lecteur quelque peu perspicace sur sa faim. D’ailleurs, à ce sujet, je me permets de revenir sur une affirmation de l’ouvrage qui mérite un approfondissement et qui concerne le statut des langues autochtones dans la perception oblate. Alors que Goulet s’appuie sur les archives des oblats pour indiquer la volonté de ces derniers de préserver les langues autochtones dans la portion de leur apostolat consacrée à l’évangélisation des enfants autochtones, c’est le français qui est employé pour tous leurs autres enseignements, tant académiques que manuels. On sait par les études missionnaires concernant les oblats qu’il est dans la tradition de cet institut (et même plus largement des instituts missionnaires catholiques dès le 19e siècle) de préserver la culture des peuples autochtones canadiens, notamment par le biais du respect de la langue. Cependant, ce respect de la langue pour une partie de la vie au pensionnat, attestée dans les extraits de documents d’archives oblates, n’invalide en rien, à mon sens, les témoignages d’anciens pensionnaires qui affirment avoir été lésés par rapport à la possibilité de s’exprimer librement dans leur langue maternelle. Ce fait ne vient que nuancer la perception que nous pouvons avoir de cet enjeu dans la vie des pensionnats.