Comptes rendus

Amélie Bourbeau, Techniciens de l’organisation sociale. La réorganisation de l’assistance catholique privée à Montréal (1930-1974), Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2015, 295 p.[Record]

  • Jacques L. Boucher

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  • Jacques L. Boucher
    Université du Québec en Outaouais. Directeur adjoint du CRISES, Rédacteur en chef de Économie et Solidarités
    jacques.boucher@uqo.ca

Amélie Bourbeau est historienne et professeure au département d’histoire de l’Université de Sherbrooke. L’analyse qu’elle présente dans ce livre est centrée sur l’évolution de deux organisations du milieu catholique montréalais qui ont oeuvré dans le domaine de l’assistance à la population, la Fédération des oeuvres de charité canadiennes-françaises (FOCCF) et la Federation of Catholic Charities (FCC), qui ont débuté leurs activités respectivement en 1932 et en 1930. Le livre est basé sur une étude très méticuleuse, comme il se fait généralement en histoire. L’auteure s’appuie sur un nombre considérable de documents d’archives en plus d’entretiens avec un certain nombre de témoins clés de cette évolution. Elle apporte aussi beaucoup de soin à bien situer ses sources dans leur contexte tout en relevant leurs limites le cas échéant. De plus, la liste des remerciements nous indique que plusieurs historiens ont suivi l’évolution de ce travail, ce qui authentifie la démarche suivie et les thèses avancées. Il s’agit donc d’un ouvrage sérieux, offert dans une édition très soignée, comportant une présentation de résultats et d’analyse de 176 pages dans un texte tout à fait accessible, en dépit du soin attaché aux détails et nuances, et qui est suivi d’un nombre important d’annexes utiles, en plus des nombreuses notes et références bibliographiques. Mais le plus intéressant, ce sont les connaissances qui résultent de cette démarche. En menant une étude approfondie de ces deux organisations, l’auteure relève les acteurs sociaux qui ont joué un rôle clé dans cette construction, dont certains étaient nouveaux. Contrairement à l’historiographie assez courante de l’évolution de la société québécoise au cours du 20e siècle, elle ne s’en tient pas seulement aux deux grands acteurs institutionnels que sont l’État et l’Église catholique. Elle démontre comment, dès l’émergence de ces fédérations de collecte et de distribution de fonds à des agences privées d’assistance auprès des personnes en difficulté, ce sont majoritairement des hommes d’affaires et deux groupes professionnels, les travailleurs sociaux et les comptables, qui en ont pris les commandes. Parmi les acteurs en scène, le clergé est resté minoritaire, avec l’assentiment de la hiérarchie ecclésiastique, tout comme les femmes qui étaient pourtant les plus nombreuses et les plus actives sur le terrain de l’assistance sociale. L’examen fait ressortir des processus « associés de près à la modernité industrielle, la bureaucratisation, la professionnalisation, la sécularisation et l’étatisation », qui sont le « résultat de choix et de négociations entre les acteurs historiques en présence » (p. 11). Après avoir exposé sa thèse dans son introduction, l’auteure présente son examen en cinq étapes. Tout d’abord, elle situe l’émergence de ces fédérations dans le contexte des années 1911 à 1932, tant dans l’ensemble nord-américain que dans le milieu catholique de Montréal, tant francophone qu’anglophone. Ainsi, en 1932, la FOCCF prend le relais de la Fédération des oeuvres sociales de santé avec l’appui de l’archevêque de Montréal, mettant de côté la dimension hygiéniste pour viser surtout la question de la pauvreté, donc de l’assistance. De son côté, la FCC était fondée en 1930, à la suite du rapport de la travailleuse sociale Charlotte Whitton et en remplacement de la Catholic Social Service Guild qui ne répondait pas adéquatement aux besoins du milieu. La deuxième étape de l’exposé s’intéresse à l’orientation donnée au point de départ à ces organisations et qui a progressivement été consolidée par les acteurs impliqués. De fait, le « modèle d’affaires » s’impose assez vite dans la perspective de l’efficacité et de la bureaucratisation, orientation qui est certes promue par la présence importante de gestionnaires de banques et d’entrepreneurs dans les instances décisionnelles de ces organisations, mais également sous l’influence …