Comptes rendus

Micheline Cambron et Dominic Hardy (dir.), Quand la caricature sort du journal. Baptiste Ladébauche 1879-1957, Montréal, Fides, 2015, 323 p.[Record]

  • Sylvie Lacombe

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Au prélude de cette aventure, une vieille dame souhaite faire don au Musée des Beaux-Arts de Montréal de l’ensemble des dessins de son défunt mari, Albéric Bourgeois, du temps de ses études au Conseil des arts et manufactures et jusqu’à sa retraite en 1957. Le musée ne pouvant, dans l’immédiat, incorporer les dessins à ses collections accepte néanmoins d’en assurer la conservation jusqu’à ce que la Bibliothèque nationale du Québec en fasse l’acquisition complète en 1977-78. Entrent alors en scène deux équipes de recherche, l’équipe Penser l’histoire de la vie culturelle au Québec (PHVC) et l’équipe Caricature et satire graphique à Montréal (CASGRAM). La première a vite saisi l’importance du personnage de Baptiste Ladébauche dans ses multiples incarnations et la seconde s’est lancée dans l’inventaire exhaustif du Fonds Albéric-Bourgeois. La richesse de celui-ci (par sa taille et sa diversité) a amplement justifié l’organisation d’un colloque pluridisciplinaire en 2013, dont l’ouvrage recensé est une heureuse retombée. Créé par Hector Berthelot en 1878 dans Le Canard, mais surtout dans Le vrai Canard, deux journaux humoristiques, Baptiste Ladébauche est le narrateur fictif de ses correspondances de Voyages autour du monde et d’un roman-feuilleton à la Eugène Sue, Mystères de Montréal, une parodie qui invite, celle-là, « au voyage immobile » (Marie-Astrid Charlier, p. 39-52). Personnage goguenard, Ladébauche aime boire et manger mais surtout se moquer des politiciens de toute allégeance. Partout où il passe, il est connu des grands de ce monde qui l’accueillent comme un proche retrouvé. La satire est tout à fait son genre comme dans de nombreux journaux et revues de la deuxième moitié du 19e siècle, telle Kladderadatsch, une revue de satire politique allemande et « gallophobe », plusieurs fois frappée de censure au 19e siècle (Gardes, p. 95-111). En 1905, Albéric Bourgeois entre à La Presse et redonne vie à Ladébauche, comme si le personnage irrévérencieux était le sien, tout en l’enhardissant : si Ladébauche continue de tutoyer les hommes d’État, il se permet en outre de leur faire la leçon morale ou politique. Les compositions de Bourgeois ne sont pas que visuelles : le texte est volubile et la caricature ne concerne souvent que l’élément le plus comique (Stéphanie Danaux, p. 53-71). La langue de « Baptisse » est populaire, imagée et truffée d’expressions triviales et d’anglicismes. Fait étonnant, rien dans l’appareillage de signes (guillemets, italiques, etc.) ne permet de la distinguer du langage soutenu : l’égalité concrètement mise en pratique par le personnage, qui apostrophe les politiciens et chefs d’État par leur prénom – y compris la reine d’Angleterre –, se double du traitement égalitaire des formes langagières par son dessinateur (Micheline Cambron, p. 21-38). Le rapprochement entre le personnage et son auteur peut aller plus loin. Laurier Lacroix pose ainsi l’hypothèse que Bourgeois utilise Ladébauche pour s’interroger sur le rôle social du satiriste et sur les ressorts de la création en général. Il y aurait ainsi plusieurs niveaux de signification dans ses dessins (Laurier Lacroix, p. 133-148). À compter de 1909 apparaît Catherine Ladébauche, épouse de Baptiste, dont l’importance dans l’oeuvre de Bourgeois augmente au fil des ans. Si certains dessins la représentent en femme « traditionnelle » (portant chignon et tablier ceinturé, s’affairant à des tâches ménagères, etc.), d’autres la font très moderne (chapeaux excentriques, cigarette au bec, sortie aux courses). Au final, plus que simple faire-valoir, Catherine doit être vue comme le double féminin de Ladébauche, exprimant la même rationalité et la même sagesse que lui (Godin-Laverdière, p. 113-132). Figure identitaire complexe, Baptiste Ladébauche n’a pas manqué de susciter l’intérêt des publicitaires : il vend du tabac, des …