Comptes rendus

Mathieu Belisle, Bienvenue au pays de la vie ordinaire, Montréal, Leméac, 2017, 239 p.[Record]

  • Andrée Fortin

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Le titre ne l’indique pas, mais ce livre porte sur le Québec. L’auteur y présente une série d’essais sur la « vie ordinaire », avec laquelle il entretient un rapport ambigu dans la mesure où parfois il la critique durement, comme dans le chapitre sur l’humour, parfois moins car il avoue, dans un chapitre plus autobiographique, y participer. Quel est donc ce pays ? « C’est un pays gouverné par l’habitude, où chacun vaque à ses affaires sans s’inquiéter de rien, tout à la certitude que demain sera pareil à hier, un pays où rien ne se transforme ni ne disparaît vraiment, où les événements ont toujours, par quelque côté, un air de déjà-vu, tant le cours de son histoire, comme celui du grand fleuve qui traverse son territoire, semble n’accuser aucune variation » (p. 9). Les activités politiques, artistiques et intellectuelles y demeurent en « position de secondarité », et les personnes les plus importantes sont médecins, humoristes et cuisiniers. Le point fort de l’ouvrage est la description de cette vie ordinaire, que Bélisle débusque un peu partout : dans l’humour, dans l’histoire, dans le rapport à la religion et surtout dans la littérature et le rapport collectif à celle-ci, via les bibliothèques, via son écho médiatique. Le chapitre sur l’humour est très réussi, mais en même temps il est facile de s’en prendre à l’omniprésence de l’humour et des humoristes sur toutes les tribunes et au fait que le Québec soit devenu « un vaste complexe récréo-festivalier » (p. 50). D’autres chapitres entrainent les lecteurs sur des terrains plus inattendus, comme celui intitulé « Retour à Diogène », où l’auteur discute du cynisme, lequel se serait accentué après le référendum de 1995; de là découlerait une difficulté à penser le « nous », problème aggravé dans la mesure où la culture est « frappée d’un déficit d’attention généralisé » (p. 71), alors que chacun est occupé à gérer son image et à compter ses like. Mais Bélisle poursuit en critiquant le cynisme de l’intérieur car actuellement il tend à « rabaiss[er] le monde pour mieux se grandir », alors que Diogène, figure emblématique et fondatrice de cette vision du monde, se soumettait lui-même « à la plus haute exigence » (p. 68). Ainsi se révèle la thèse que l’auteur défend : « La vie ordinaire ne peut pas être le commencement et la fin de tout sans quoi le risque est grand que la culture sombre tout entière dans l’insignifiance » (p. 12). Le chapitre « Un rêve de Louisiane » révèle la quintessence de la vie ordinaire en s’appuyant sur un épisode méconnu de l’histoire de la Nouvelle-France, quand monsieur de Beaucat, en 1758, devant la menace anglaise, propose de déplacer la colonie et les colons des rives du Saint-Laurent à la Louisiane. Ce projet utopique ne visait pas à repartir à neuf, mais à reproduire ailleurs ce qui existait déjà, à construire une nouvelle ville de Québec, un nouveau Montréal et un nouveau Trois-Rivières. Le chapitre « La religion prosaïque » part d’une thèse avancée par Jean Hamelin : le déclin de la religion catholique avait commencé dès l’après-guerre. Mais selon Bélisle, « la notion même de déclin pose problème car elle suppose qu’aurait existé une sorte d’âge d’or où l’engagement et la piété des croyants auraient été exemplaires » (p. 117). Or, tant les sources que les analyses historiques tendent à montrer que si c’était bel et bien le cas chez les fondateurs de Montréal, croyance et piété n’ont jamais été le fait de l’ensemble de la population, à quelques exceptions près comme Saint-Denys …