Comptes rendus

Gilles Morand, L’époque était rouge. Militer au Québec pour un avenir radieux dans un parti marxiste-léniniste, Saint-Joseph-du-Lac, M Éditeur, 2017, 150 p., Collections Militantismes.[Record]

  • Sylvie Lacombe

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Intéressant récit que celui-ci, dans lequel un militant marxiste-léniniste (ml) raconte ses années de militantisme au sein de la Ligue communiste, puis au sein du Parti communiste ouvrier (PCO) prochinois, quand la ligue se constitue en parti politique à la fin des années 1970, sans cependant consulter ses membres (p. 51) ! Intéressant parce qu’on connaît peu ce qui se tramait au sein de ces mouvements (dans les années 1970 et 1980, plusieurs jeunes Québécois se disaient marxistes ou sympathisants d’un des nombreux groupes « ml » – comme on disait à l’époque). C’est ainsi qu’on apprend la distinction entre « agitation » et « propagande » : la première est une information factuelle sur des conflits de travail ou des luttes populaires dans la province, au pays, ou ailleurs dans le monde, communiquée dans le but de piquer la curiosité de l’ouvrier en éveillant sa conscience de classe, alors que la seconde est une analyse approfondie d’une situation sociale donnée s’adressant aux initiés. Au fil des chapitres, on voit se dessiner les relations sociales avec les membres de la même cellule et ceux des autres, ainsi qu’avec les dirigeants. Si l’amitié et la fraternité ne sont pas exclues, le respect de la hiérarchie organisationnelle domine et le climat général reste propice à la suspicion : être taxé de révisionniste, de contre-révolutionnaire, ou simplement de libéral est une accusation grave, qui exige d’en répondre à son chef et aux membres de sa cellule. Mais le récit est aussi curieux parce que son auteur n’adhère pas vraiment au discours de son mouvement, devenu son parti. Du coup, la vision « de l’intérieur » qu’annonce la 4e de couverture ne l’est pas tout à fait. Oscillant entre sarcasme et cynisme, elle participe peut-être plus, finalement, de l’appréciation actuelle de ces idéologies, comme en témoignent les « comment croire si naïvement à pareilles sornettes » (p. 37), ou « nous avions bêtement gobé cette explication simpliste » (p. 96). Évoquant l’âpre concurrence que se livrent les nombreux groupes ml, au premier chef le grand rival En lutte, Morand les dit à la solde de la GRC ou infiltrés par des policiers. Mais il ne lui vient pas à l’idée que le même sort frappe sans doute le PCO. À eux seuls, les derniers chapitres valent tous les autres. Ils relatent en effet comment Morand s’est fait engager dans une usine d’explosifs de la région de Valleyfield en taisant son affiliation politique. Au cours des mois qui suivent, d’autres « camarades » accomplissent le même exploit, si bien qu’ensemble, ils réussissent à mettre sur pied un comité exclusivement syndical, et non paritaire, sur la santé et la sécurité au travail, puis à noyauter carrément l’exécutif syndical. Après qu’une explosion dans l’usine eut fait deux morts et deux brûlés graves, Morand participe à publiciser dans les milieux étudiants les circonstances du drame, i.e. les mauvaises conditions de travail des ouvriers. Il fait circuler une pétition, que tous les ouvriers signeront, forçant ainsi la compagnie à installer un détecteur de métal là où transitent des matières contenant de la nitroglycérine. Congédié pour avoir refusé d’accomplir une action ne respectant pas les consignes de sécurité, Morand obtient le soutien moral de ses collègues, mais pas celui de ses « camarades », plus tatillons, qui lui reprochent son esprit d’initiative et le soupçonnent même de s’être fait congédier volontairement. Un manque de solidarité qui le laissera bien amer. Notons en terminant que le PCO est le seul mouvement ml à s’être sabordé lui-même démocratiquement.