Comptes rendus

Joel Belliveau et Marcel Martel (dir.), Entre solitudes et réjouissances. Les francophones et les fêtes nationales (1834-1982), Montréal, Boréal, 2021, 324 p.[Record]

  • Lucia Ferretti

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Voici un livre qui rappelle utilement qu’il y a plusieurs nations au Canada. Dans leur courte introduction, les codirecteurs de ce collectif insistent sur la fonction des fêtes nationales, une création qui remonte au 19e siècle dans le monde occidental. Développer la conscience que les nations ont de leur propre existence et stimuler le patriotisme est un objectif commun de ces célébrations; pour les nations minoritaires, surtout celles qui vivent au sein d’un État qui nie leur existence voire travaille à leur destruction, les fêtes nationales revêtent en sus cette intention si bien exprimée en 2018 par l’Ontario français : « Nous sommes, nous serons. » Ce livre traite de six fêtes nationales ayant été créées et célébrées au Canada : la Saint-Jean-Baptiste, le Victoria Day ou fête de la reine, l’Empire Day, la fête de Dollard, la fête de la Confédération (qui deviendra la fête du Canada ou Canada Day) et l’Assomption. Il s’intéresse non seulement à la manière dont leurs organisateurs les ont conçues, mais aussi à celle dont les peuples se les sont appropriées. Les deux codirecteurs sont entourés de Marc-André Gagnon, Serge Miville, Dominique Laporte et Michael Poplyansky. Tous utilisent une abondante documentation primaire qui couvre de nombreuses décennies : brochures et programmes, films, divers fonds d’archives et des dizaines de périodiques, surtout de langue française, de partout au Canada. La périodisation court de la création de la première société Saint-Jean-Baptiste, en 1834 à Montréal, jusqu’au rapatriement de la constitution en 1982, par lequel le Canada se donne un moyen de plus de « poursuivre le processus de fragmentation de l’espace social et culturel canadien-français ». L’ouvrage est divisé en quatre parties (24 mai, 24 juin, 1er juillet et 15 août) et neuf chapitres pour bien couvrir l’ensemble des réalités, parfois contrastées, du Québec, de l’Ontario français, des Canadas français de l’Ouest, et de l’Acadie (voire des Acadies). L’ouvrage est très factuel. Du coup, il est presque impossible à résumer. Mais il fourmille de détails intéressants. Les auteurs adoptent tous le ton le plus neutre possible. Si la lecture de leur ouvrage permet de voir à l’oeuvre les rapports de force entre Canadiens anglais et Canadiens français, les auteurs montrent aussi autre chose. Ils veulent proposer que les fêtes nationales qui réussissent sont celles qui parlent véritablement et durablement au peuple à qui elles sont destinées. Celles qui sont chômées peuvent être vécues par les populations de manière différente et moins patriotique que ce que souhaiteraient leurs promoteurs : pour se reposer, pour consommer, pour se divertir, pour partir en excursion, ou pour déménager, comme c’est le cas depuis 1974 au Québec. Celles qui, au contraire, ne bénéficient pas d’un congé légal s’appuient davantage sur l’effort mis par leurs promoteurs et sur la conscience nationale du peuple canadien-français et du peuple acadien. Les fêtes instaurées par le gouvernement fédéral sont légales et chômées. C’est le cas du Victoria Day depuis 1845, de l’Empire Day qui, entre la fin du 19e siècle et le tournant des années 1970, est célébré également le 24 mai puis le lundi le plus proche de ce jour, et enfin de la fête de la Confédération, le 1er juillet. Les deux premières ont pour objectif d’une part de stimuler l’amour de la monarchie et l’appartenance à l’empire, et d’autre part de bien indiquer à tous que le Canada est un pays qui se veut britannique. Si les Canadiens anglais cherchent à imposer la chose non seulement aux immigrants, mais aussi aux nations que forment les Autochtones, les Métis, les Canadiens français et les Acadiens, …