Comptes rendus

Stéphane Lévesque et Jean-Philippe Croteau, L’avenir du passé. Identité, mémoire et récits de la jeunesse québécoise et franco-ontarienne, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2020, 271 p.[Record]

  • Jacques Hamel

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Il est des ouvrages en phase avec les débats sociaux, politiques et théoriques de l’heure. L’avenir du passé en est un. Sa publication survient au moment où dans l’espace public se posent la question de l’identité et celle de la perte des repères historiques chez les jeunes. L’identité de sexe ou de genre est par exemple matière à discussion dans leurs rangs, comme l’est également l’identité nationale dans un contexte où est mis en cause le nationalisme ambiant, et ce, par-delà l’arène politique. Le sentiment d’appartenance, susceptible de fournir une « sécurité ontologique » (Giddens) aux individus, connaît des ratés au Québec comme ailleurs. L’identité chez les jeunes, en raison même de leur âge et de leur position sociale, devient une affaire personnelle et, de ce fait, relève d’une « identité plurielle ». En sociologie, l’identité se conçoit théoriquement en termes de subjectivation ou d’individualisation et l’on convient, de nos jours, qu’elle se forme à l’échelle individuelle, chacun tendant à se définir de son propre chef. Il importerait dans cette veine d’agir par soi-même en cherchant à se soustraire aux contraintes extérieures à sa propre personne et en revendiquant des droits individuels. Ces droits, certes octroyés dans le feu de luttes collectives, contribueraient néanmoins à la fragmentation, pour ne pas dire l’effritement de l’identité, de l’identité nationale plus particulièrement. Mais qu’en est-il exactement dans les faits? L’ouvrage de Stéphane Lévesque et Jean-Philippe Croteau envisage le sujet à la lumière d’une étude solide, rigoureuse et fort bien étayée, écrite de surcroît dans une langue claire et soignée. Nos auteurs s’emploient dans ce livre à répondre à trois questions : quelle est la vision historique des jeunes francophones au Québec et en Ontario? Partagent-ils un patrimoine mémoriel et historique commun? Ont-ils recours au passé pour se forger une identité citoyenne? À cette fin, l’étude cherche à saisir la notion de Canada français en acte chez les adolescents, élèves au secondaire, à la lumière du récit qu’il leur est demandé de produire sur cette invitation toute simple : « Raconte-moi l’histoire des francophones au pays comme tu la connais. » L’exercice les pousse à mettre en oeuvre leur mémoire et leur connaissance du passé sur le fond desquelles se forme une trame narrative qui « comprend un ensemble de références faisant sens à propos de la conception de l’histoire de la nation » (p. 1). Il s’agit, en d’autres mots, de se pencher sur la transmission de l’histoire nationale en demandant à plus de 600 élèves des écoles de langue française du Québec et de l’Ontario de raconter dans leurs propres termes l’histoire des francophones comme ils la connaissent, telle que les programmes scolaires en vigueur la leur ont notamment transmise. Outre les différences observables entre les deux groupes d’élèves, l’étude met au jour d’une part le « rapport des jeunes au passé collectif » et d’autre part le « lien, souvent confus, entre la mémoire et la conscience historique » (p. 12). Elle révèle effectivement l’écart entre l’histoire des francophones sciemment narrée par les jeunes et celle élaborée officiellement par les historiens patentés et correspondant à la conscience historienne. Sur le plan méthodologique, un corpus a été tiré de deux échantillons de convenance d’élèves du Québec et de l’Ontario en fin d’études secondaires et fraîchement émoulus de leur programme d’histoire nationale. Au total, 635 élèves – 385 au Québec et 250 en Ontario – ont bien voulu répondre à l’invitation et ainsi collaborer à l’entreprise de nos chercheurs. La population ciblée se répartissait géographiquement en ville (à Montréal et Ottawa), en périphérie urbaine et en zone rurale afin d’atteindre la représentativité démographique …