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La formation professionnelle sollicite non seulement la participation engagée de l’individu qui se forme, mais aussi celle du collectif qui participe à ce processus. Ce numéro thématique touche la formation à l’enseignement et, de manière plus spécifique, la formation en contexte d’exercice professionnel, à savoir les stages. Deux blocs de textes façonnent ce numéro : le premier regroupe ceux qui s’inscrivent dans le parcours de la formation initiale à l’enseignement et qui s’intéressent à la question des savoirs ou ressources des stagiaires et à ceux du formateur de terrain universitaire. Le deuxième bloc touche différents aspects liés au développement professionnel. Que ce soit du point de vue des représentations, des dispositifs ou des partenariats, les auteurs apportent des résultats susceptibles d’enrichir la dynamique de formation, car les textes du premier comme du deuxième groupe contribuent à montrer que se former professionnellement n’est pas seulement une dynamique individuelle mais aussi collective.

Le contact du stagiaire avec la réalité du travail enseignant engendre diverses dynamiques tant pour lui-même que pour les autres acteurs qui y sont engagées (Correa Molina et Gervais, 2008). La période de stage constitue un espace de transition, un aller-retour entre le milieu de formation universitaire et le milieu d’exercice professionnel. Comme contexte de formation professionnelle, l’alternance permettrait au futur professionnel non seulement la construction et la manifestation de compétences ou l’intégration de savoirs de natures variées, mais aussi l’appropriation d’un modèle identitaire propre à la profession pour laquelle il est en train de se former. La dynamique que le futur professionnel vit dans une formation en alternance n’est pas libre de tensions, car il se voit confronté à des exigences de natures diverses qui seraient même parfois contradictoires (Kaddouri et Vandroz, 2008). Dans ce contexte, l’aspect de l’accompagnement des stagiaires par des professionnels chevronnés apparaît comme un élément essentiel. C’est ce qui, d’ailleurs, a suscité l’intérêt de chercheurs tels que Gervais (2008), Portelance (2008) et Starratt (2008), entre autres. D’après Gervais, Correa Molina et Lepage (2008), la question présente deux volets de l’accompagnement : 1) pouvoir reconnaître ce que le stagiaire peut manifester à divers moments de son parcours de formation et 2) identifier les repères à fournir aux formateurs qui ont à guider et à porter un jugement lors de chacun des stages. Selon ces auteurs,[…] la seule observation d’actions de stagiaires en classe ne peut suffire à rendre compte du développement de leurs compétences (p. 156).

Dans une recension d’écrits états-uniens sur le sujet, Clift et Brady (2005) concluent que les études ne reposent pas sur des fondements théoriques (The studies are largely atheoretical), reprenant un constat formulé en 1996 par McIntyre, Byrd et Foxx. Sur quels référents s’appuient les dispositifs de formation en milieu de pratique ? À partir de quelle perspective tente-t-on de comprendre l’action et les pratiques d’enseignement, l’apprentissage de la pratique, l’argumentation de la pratique, les dynamiques entre les acteurs de la formation en milieu de pratique ? En quoi les pratiques de partenariat, mises en place de manière plus systématique depuis plusieurs années, ont-elles fait évoluer la cohérence entre les messages des deux milieux de formation ? Y a-t-il des signes tangibles d’une pratique réflexive promue depuis des années dans les formations professionnelles ? Quels rapports dynamiques s’établissent entre l’apprenant maître et les formateurs qui l’accompagnent lors de sa pratique ? Quelles tensions en émergent ?

Quoique ce numéro thématique ne fournisse pas de réponse à toutes ces questions, les textes présentés touchent ces aspects de la formation. Dans le premier bloc, un certain nombre de textes touchent la question de l’apprentissage du stagiaire en contexte d’alternance, ainsi que des ressources manifestées par le formateur de terrain universitaire. Annie Malo a mené une étude auprès de stagiaires finissants afin de retracer le parcours évolutif de leur savoir professionnel. En se basant sur les travaux de Schön (1983), Malo conçoit l’apprentissage du stagiaire non pas comme un vide à remplir, mais comme un répertoire qui se transforme en fonction des buts de celui-ci, de ses projets, de ses tentatives de résolution des problèmes rencontrés, etc., au cours de son expérience professionnelle. Elle privilégie ainsi une conception non déficitaire du savoir du stagiaire. Pour leur part, dans le deuxième texte, Sophie Baconnet et Dominique Bucheton s’intéressent à la nature des savoirs professionnels développés par une stagiaire. Dans leur étude de cas, Baconnet et Bucheton cherchent à repérer et à saisir les mécanismes sur lesquels s’appuie le développement professionnel et identitaire de futurs enseignants. Elles parlent ici de savoirs professionnels intermédiaires, de savoirs en maturation destinés à se peaufiner au cours des années afin que se construise une expertise professionnelle. Il s’agirait d’un processus d’appropriation et d’intégration de savoirs communs à la profession. Le troisième texte présente l’étude de Colette Gervais et Mylène Leroux. Ces chercheuses s’intéressent à la construction de compétences professionnelles en contexte d’alternance, plus spécifiquement aux types de ressources mobilisées au cours de la période de stage. Pour expliciter la pratique, leurs résultats traitent de la prédominance, dans le discours des stagiaires participant à l’étude, de croyances ou de concepts quotidiens par rapport aux savoirs théoriques formels vus ou traités dans leurs cours universitaires. Ce qui, selon Gervais et Leroux, pose la question de l’articulation théorie-pratique au cours des périodes de stage ou, en d’autres mots, la question de comprendre comment les savoirs formels se transforment en ressources mobilisables dans l’agir du stagiaire.

Ces trois textes traitent des savoirs et des ressources des stagiaires et les trois touchent d’une certaine manière la question de l’accompagnement requis par ces derniers lors des périodes de stage. En s’intéressant à l’un des formateurs de terrain, le quatrième texte traite justement de la question de l’accompagnement. Enrique Correa Molina s’intéresse ici aux ressources du superviseur de stage universitaire. Comme ce sont généralement des enseignants retraités ou en exercice, ces formateurs ont nécessairement dû se construire un nouveau répertoire de ressources afin d’accomplir leur tâche formatrice auprès des stagiaires. Cette étude exploratoire rend compte des ressources évoquées par des superviseurs qui ont une longue expérience et met en relief des aspects qui ont contribué à façonner leur manière d’exercer la supervision.

Le deuxième bloc de textes concerne un contexte autre que celui de la formation initiale à l’enseignement. Joëlle Demougeot-Lebel et Cathy Perret analysent l’évolution des conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement de jeunes enseignants universitaires. D’après elles, une formation pédagogique contribue à modifier les conceptions de ces derniers en ce qui concerne la signification de l’apprentissage et de l’enseignement, ainsi que les qualités d’un enseignant universitaire et la pédagogie. Dans un contexte d’enseignement universitaire différent de celui de la formation de maîtres, Emmanuel Duplàa propose l’analyse d’une intégration technologique sous l’angle de l’approche institutionnelle. L’auteur compare l’utilisation que deux écoles d’ingénieurs, en France, font de deux outils technologiques au cours d’une formation en ligne : la messagerie instantanée et le courriel. Les différences qualitatives et quantitatives observées sembleraient liées davantage à l’idéologie et à la pratique institutionnelles qu’aux individus. Pour leur part, Nathalie Bélanger, Phyllis Dalley, Liliane Dionne et Geneviève Beaulieu touchent un aspect non négligeable de la dimension collective du développement professionnel, à savoir celui du partenariat école-communauté. Le contexte de leur étude est le système scolaire franco-ontarien. Un des résultats montre que, d’après les répondants, le partenariat aurait des retombées positives pour la mise en valeur de l’école au sein de la communauté. Cependant, des aspects négatifs sont susceptibles d’émerger. À titre d’exemple, le fait de s’inscrire dans une logique de marché pourrait entraîner un processus d’exclusion ou de marginalisation de quelques établissements. Finalement, le texte de Rollande Deslandes, France Joyal et Marie-Claude Rivard traite aussi d’une certaine forme de partenariat, cette fois entre la famille et l’école. Les chercheuses s’intéressent à la représentation que des parents et des enseignants du secondaire se font des compétences transversales. Leur étude fait ressortir tant le caractère polysémique du concept que la méconnaissance que parents et enseignants ont de celui-ci. Elles concluent en se questionnant sur l’évaluation des compétences transversales et en prônant la pertinence de futures études visant à approfondir les représentations des différents acteurs du processus éducatif.

En guise de synthèse, à la lecture des textes composant le premier bloc, on pourra observer les éclairages que chaque auteur apporte à la formation initiale à l’enseignement vue sous l’angle de la pratique du métier. On peut observer que, même dans des contextes variés, au Québec et en France, par exemple, des questions communes suscitent l’intérêt des chercheurs. Appuyés par des cadres référentiels et méthodologiques propres, des concepts tels que ceux de savoirs,ressources, compétences, entre autres, sont traités de manière différenciée (Malo ; Baconnet et Bucheton ; Gervais et Leroux ; Correa Molina). Cela nous permet de penser que l’état de la situation présenté par Clift et Brady (2005) est en train de changer, car ces études illustrent l’intérêt d’étudier cette dimension de la formation initiale à l’enseignement. Quant au deuxième bloc, il révèle que le concept de partenariat semblerait jouer un rôle dans le développement professionnel. Que ce soit à partir de la relation école-communauté (Bélanger) comme de celle entre école et famille (Deslandes, Joyal et Rivard), on pourrait penser qu’une meilleure connaissance de ce type de rapports donnerait des indices ou des pistes à considérer dans la formation professionnelle. D’ailleurs, dans leur texte, Demougeot-Lebel et Perret signalent que la formation pédagogique modifie les conceptions des enseignants universitaires. Cela nous permet de penser qu’il en est de même en formation initiale. Nonobstant, le texte de Duplàa nous fait prendre conscience que la prise de position institutionnelle face aux pratiques pédagogiques joue un rôle non négligeable dans l’apprentissage des professionnels en formation.

Pour conclure, si nous prenons en compte la question de savoir à partir de quelles perspectives on tente de comprendre l’action et les pratiques d’enseignement, l’argumentation de la pratique, les dynamiques entre les acteurs de la formation en milieu de pratique, entre autres, nous pouvons constater, de par la diversité de traitements de la question, que le développement professionnel occupe une place de plus en plus importante dans la recherche. En effet, que ce soit sur le plan de la formation initiale, de l’enseignement, du partenariat ou des pratiques pédagogiques institutionnelles, les textes qui font partie de ce numéro mettent en relief le fait que le développement professionnel ne touche pas seulement l’individu en le rendant seul et unique responsable de sa formation. Il semble plutôt s’agir d’une responsabilité collective, surtout quand on touche la formation et la pratique professionnelles.