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Introduction

Alors que notre société progresse vers une économie de la connaissance, l’écrit n’a jamais occupé une place aussi importante dans tous les aspects de notre vie. Maîtriser l’écrit est plus que jamais un objectif d’apprentissage vital. Le niveau de littératie qu’atteint un individu détermine son succès et fait son bonheur au travail et dans sa vie sociale. Par ailleurs, de plus en plus de chercheurs pensent qu’il faut savoir lire couramment dès la troisième année pour réussir dans toutes les matières scolaires. Devenir un lecteur compétent dès les débuts de la scolarisation contribuerait, entre autres, au développement d’attitudes positives envers l’apprentissage en général. Il paraît donc fondamental de dépister les lecteurs en difficulté le plus tôt possible et de leur offrir un soutien adapté aux divers types de difficultés qu’ils rencontrent.

Si les élèves qui éprouvent des difficultés sévères en lecture sont généralement pris en charge par les centres d’orthopédagogie à l’école, les enfants dont les difficultés sont moins sévères sont souvent laissés pour compte. C’est le cas de nombreux élèves dans les classes d’immersion où l’apprentissage de la lecture et de l’écriture soulève des problèmes particuliers. Le premier postulat qui sous-tend la présente recherche est qu’un programme qui ciblerait ces difficultés tout en consolidant les habiletés acquises permettrait d’éviter des expériences d’échecs à ces enfants. Le second postulat consiste à penser qu’une formule de tutorat par des pairs plus âgés pourrait permettre d’atteindre l’objectif visé.

Quand le projet de tutorat par les pairs a commencé dans une école d’immersion, à l’initiative d’une orthopédagogue et d’un parent bénévole, les auteurs de cette recherche [1] ont été invités à faire une évaluation formelle du projet. Les résultats de cette évaluation seront présentés après l’exposé de l’état de la recherche dans le domaine et de la méthodologie adoptée.

Contexte théorique et but de la recherche

La lecture en immersion française

Les élèves inscrits à un programme d’immersion française doivent, dès leurs premières années scolaires, faire face à un double défi. Ils doivent non seulement apprendre une autre langue, mais aussi apprendre à maîtriser le processus de la lecture dans cette langue. La Colombie-Britannique, province où cette recherche a eu lieu, étant une communauté polyglotte, où l’anglais est la langue dominante, le contact des enfants avec la langue seconde – le français, en l’occurrence – risque fortement d’être limité au seul contexte de la salle de classe. Outre que la langue seconde est peu parlée dans le milieu et n’est souvent pas parlée dans la famille, les contacts avec l’écrit sont rares. Les livres et les publications en français sont rarement disponibles en dehors de la salle de classe. Une étude de Stern (1991) montre qu’une des raisons principales qui motivent les élèves à quitter les programmes d’immersion est un manque d’habiletés en lecture et en écriture. Quoique les chiffres varient d’une école à l’autre, présentement, une moyenne de seulement 20 % des élèves inscrits en immersion française poursuivent leurs études dans ces programmes jusqu’à la douzième année. L’objectif du projet était donc de hausser le taux de rétention dans les programmes d’immersion française, l’hypothèse étant qu’on y parviendrait en facilitant l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Pour être efficace, le programme mis en place devrait cibler les variables identifiées dans les recherches comme les plus susceptibles d’améliorer la lecture courante et offrir la meilleure qualité de soutien possible pour les élèves d’immersion française.

Facteurs contribuant à la lecture courante

Plusieurs facteurs liés au développement des habiletés en lecture ont été identifiés par les chercheurs. Dans son article classique, Stanovitch (1986) a montré l’importance du lien entre le nombre d’heures passées à lire et l’acquisition de la lecture courante. Une fois les mécanismes de la lecture acquis, l’expérience en lecture est déterminante, car « c’est en forgeant qu’on devient forgeron ». Toutefois, des études de plus en plus nombreuses soulignent l’importance d’impliquer les parents dans le développement de la littératie chez leurs enfants (Purcell-Gates, 1995, 1996 ; Taylor, 1983 ; Taylor et Dorsey Gaines, 1988). Des recherches menées dans le contexte anglophone (Kreuger et Braun, 1998 ; Meyer, Wardrop, Stahl et Linn, 1994 ; Tizard, Schofield et Hewison, 1982 ; Topping, 1986, 1989 ; Topping et Wolfendale, 1985) ont, entre autres, montré l’influence des lectures que les parents font à leurs enfants en dehors du contexte scolaire. Or, il est fréquent que les parents d’élèves inscrits en immersion ne maîtrisent pas ou maîtrisent mal le français, de sorte qu’ils peuvent difficilement lire pour leurs enfants ou les aider dans leurs devoirs. Certains pensent que ces parents peuvent toutefois jouer un rôle significatif en montrant leur intérêt pour la lecture et en apportant leur soutien comme bénévoles à des initiatives scolaires visant le développement de la littératie.

Le tutorat par les pairs

Dans les approches de tutorat par des pairs plus âgés, les tuteurs sont formés pour fournir une aide stratégique aux élèves plus jeunes avec qui ils vont travailler. Si elle revient à la mode, cette approche existe depuis longtemps. Elle a été notée pour la première fois il y a 400 ans en Angleterre où elle a été très populaire au XIXe siècle. Elle a connu un regain d’intérêt aux États-Unis pendant les années 1960 et en Angleterre pendant les années 1970. Plusieurs des initiatives en ce sens ont été évaluées. La première synthèse sur le sujet a été publiée en 1976 (Feldman, Devin-Sheehan et Allen, 1976). Les auteurs notaient déjà, à l’époque, les avantages que le tutorat par les pairs apportait aux élèves. Ce qui a surpris le plus, cependant, c’est le fait qu’une telle approche comportait aussi des avantages pour les tuteurs. Plusieurs études recensées avaient permis de découvrir que des élèves faibles en lecture faisaient des progrès remarquables après avoir travaillé avec des élèves plus jeunes. Depuis, d’autres synthèses sur le sujet ont confirmé ces résultats. Nous noterons particulièrement la synthèse de Sharpley et Sharpley (1981) et la méta-analyse de Cohen, Kulik et Kulik (1982). En 1988, Topping concluait son chapitre sur l’efficacité de cette approche en soulignant qu’« il y a une constance remarquable dans toutes les revues étudiées, en ce qui a trait aux résultats prouvant les effets positifs du tutorat par les pairs_ » (p. 84) [2].

Une étude plus récente (Labbo et Teale, 1990), menée aux États-Unis dans un contexte d’apprentissage de la littératie en langue maternelle, va dans le même sens. Des résultats similaires ont été obtenus par Kreuger et Braun (1998) avec des apprenants d’anglais langue seconde majoritairement francophones. Ces auteurs soulignent que « le succès de cette méthode dépasse largement ce que les enseignants avaient imaginé au départ. Les élèves se sont non seulement entraidés, mais ils ont aussi réussi à aider les enseignants à mieux comprendre ce que c’était que d’apprendre à lire [3] » (p. 413).

Certaines recherches font toutefois exception. Dans sa méta-analyse, Cohen et al. (1982) par exemple, a trouvé que, dans 45 des 52 études révisées, les groupes d’élèves ayant bénéficié de tuteurs dépassaient en performance les élèves des groupes de contrôle sans tuteurs. Dans 6 des études, cependant, les élèves sans tuteur ont obtenu de meilleurs résultats et, dans une des études, aucune différence n’a été trouvée. Pour le chercheur, différents facteurs peuvent jouer dans un sens ou dans un autre, dont les caractéristiques individuelles des tuteurs et des élèves, la durée du projet, la matière enseignée et les instruments utilisés pour mesurer le progrès des élèves. Les principales caractéristiques des études qui ont rapporté des effets positifs plus importants étaient la formation des tuteurs, un tutorat structuré, un tutorat des plus âgés aux plus jeunes, des projets à court terme, le tutorat en mathématiques, des élèves faibles et des tests développés pour les besoins de la recherche (Topping, 1988, p. 83).

En ce qui a trait aux caractéristiques particulières des tuteurs et de leurs élèves, Topping (Ibid.) indique que plus de recherche serait nécessaire, mais qu’« un vaste éventail d’élèves pourraient bénéficier du tutorat par les pairs » (p. 78) [4]. En ce qui concerne le sexe des participants, les études révèlent que les enfants préfèrent travailler avec un partenaire du même sexe, quoique les groupes mixtes ne semblent pas avoir d’effets négatifs sur le développement cognitif. Le niveau scolaire des tuteurs est aussi un facteur à considérer lorsqu’on choisit les tuteurs. Cela est encore plus important dans le cadre de programmes d’immersion française dans lesquels on retrouve une gamme inégale de compétences en français. Les enseignants responsables de projets de tutorat par les pairs peuvent se demander si le niveau de compétence des élèves devrait être un critère lors de la sélection des futurs tuteurs. Des études ayant analysé ce problème ont montré que la compétence relative entre le tuteur et son élève semblait jouer un plus grand rôle que la compétence du tuteur en comparaison de celles d’élèves de son âge.

Bref, si l’importance de certains facteurs a été confirmée dans les recherches antérieures, il subsiste des incertitudes quant à l’effet des facteurs liés aux caractéristiques des tuteurs. Par ailleurs, Topping (Ibid.) avertit tout lecteur intéressé à l’évaluation d’un projet de tutorat par les pairs que :

Les projets de tutorat par les pairs ressemblent à la vie : ils ne sont jamais tout à fait prévisibles, et donc, il y a inévitablement des objectifs qui ne sont jamais atteints. Cependant, l’on a souvent la chance de faire des découvertes fortuites permettant de faire des gains, là où l’on s’y attendait le moins. Il ne faut surtout pas s’en inquiéter ; c’est pareil pour tout le monde [5].

p. 95

But de l’étude

Malgré les appuis apportés par les recherches antérieures, on ne peut jamais présumer des résultats particuliers. Le rôle de l’évaluation n’est donc pas uniquement de tester l’efficacité de l’approche qui est expérimentée, mais elle doit aussi permettre de déterminer quelles améliorations peuvent être apportées dans le cas où les résultats ne seraient pas ceux escomptés. Ajoutons que le tutorat par les pairs n’est pas encore une approche courante dans les programmes d’immersion française. À notre connaissance, aucune étude n’a été entreprise pour évaluer l’utilisation de cette approche dans ce contexte spécifique. La présente étude revêt donc un intérêt particulier lié notamment aux caractéristiques des tuteurs en immersion française, dont le fait que la plupart n’ont pas encore atteint un niveau de compétence avancé en français au moment où ils commencent à travailler avec des élèves plus jeunes.

Méthode

Participants et conception de la recherche

L’étude présentée a porté sur des enfants de deuxième et de troisième année dans des classes d’immersion française de la région de Vancouver en Colombie-Britannique (Canada). Elle s’est déroulée sur une période de deux ans et la collecte de données a été faite chaque année pour le groupe d’élèves de deuxième année (la première année ayant servi d’année pilote) et lors de la deuxième année de l’étude seulement, pour les élèves de troisième année (tableau 1). Le groupe expérimental de deuxième année comprenait 16 élèves et le groupe expérimental de troisième année en comprenait 19. Les élèves des écoles expérimentales ont été comparés à des élèves inscrits dans des écoles qui ont servi de groupes contrôles de même niveau de lecture. Lors de la première année de l’étude, il n’y avait qu’une école expérimentale et une école contrôle, mais durant la deuxième année, une deuxième école a lancé un programme similaire pour les élèves inscrits en troisième année. Elle a été jumelée à une autre école contrôle.

Tableau 1

Schéma expérimental

Schéma expérimental

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Sélection des tuteurs et de leurs élèves

Les tuteurs et leurs élèves ont été choisis en fonction de critères précis. Principalement, les tuteurs provenaient de classe de la cinquième à la septième année et s’étaient engagés à participer pleinement au programme. Il est important de noter que les tuteurs n’étaient pas nécessairement d’excellents lecteurs. Ils ont été surtout choisis à cause de leurs bonnes habitudes de travail, leur ponctualité, leur patience et leur compréhension envers des enfants plus jeunes, leur faible absentéisme, leurs habiletés à s’occuper des problèmes de discipline potentiels dans ce genre d’activité, leurs capacités de diriger et, finalement, leur degré d’autonomie. Même si certains tuteurs avaient des difficultés en lecture, tous ont fait preuve d’un grand intérêt et d’un niveau élevé de motivation vis-à-vis du projet.

Les élèves à qui les tuteurs ont été assignés ont été choisis par les orthopédagogues et par leur enseignant comme ayant des difficultés légères d’apprentissage. Il pouvait arriver que les élèves choisis aient déjà profité d’orthopédagogie auparavant, mais aucun n’en recevait en même temps que le tutorat. Les élèves se sentaient à l’aise avec des tuteurs plus âgés et étaient motivés à apprendre. Parmi les élèves de troisième année, quatre avaient déjà fait l’expérience du tutorat par les pairs en deuxième année lors de la première année de ce projet.

Formation des tuteurs

La formation des tuteurs portait à la fois sur la façon de mener les séances de tutorat et sur la façon d’appliquer différentes stratégies d’aide à la lecture durant ces séances. On leur apprenait ainsi comment choisir un livre, comment prendre des notes lors de la lecture des élèves et comment remplir la feuille d’évaluation pour chaque livre lu. Les stratégies d’aide à la lecture incluaient, par ailleurs, l’anticipation, la lecture en choeur, la lecture interactive, l’identification des mots à l’aide du contexte et du décodage, la compréhension et le développement du vocabulaire à l’aide de cartes-éclairs. Lors de la deuxième année du projet, la formation a été menée de façon beaucoup plus systématique et structurée avec l’implication des parents. Elle a permis la production d’un document vidéo pour la diffusion de l’approche [6]. Beaucoup de parents se sont engagés dans le projet et ont assumé la responsabilité de supervision des sessions de tutorat, de la formation et des sessions de compte rendu avec les élèves et les orthopédagogues.

Évaluation

Évaluation des habiletés de décodage

Le test pour évaluer les habiletés de décodage a été développé localement par Roy et Morissette (1996). Il sert couramment d’outil diagnostique pour les orthopédagogues en immersion. Pour cette recherche, les épreuves de niveau 2 ont été utilisées avec les élèves de deuxième année et celles de niveau 3 avec ceux de troisième année. Le test consiste en une liste de mots que les élèves doivent lire. La difficulté des mots va en s’accroissant en fonction des différents graphèmes de la langue française. La liste de mots utilisée pour le niveau 2 comporte 160 mots représentant les graphèmes enseignés en première et en deuxième année, tel que le graphème « an » retrouvé dans les mots « dans » et « enfant ». Chaque graphème se retrouve dans quatre mots groupés ensemble sur une ligne du test. On demande à l’enfant de lire les mots. Le test pour le niveau 3 est similaire, mais il contient plus de graphèmes, avec un total de 180 mots.

Le nombre de mots lus correctement, le nombre de reprises ainsi que la durée requise pour faire la lecture des mots ont été notés. En fonction des résultats de ce test et d’une consultation avec les parents et des enseignants de la salle de classe, l’orthopédagogue a assigné les élèves les plus faibles à l’un ou l’autre des soutiens scolaires additionnels : l’orthopédagogie ou le tutorat. Dans les deux écoles, les élèves les plus faibles (5 % du bas de l’échelle) ont reçu l’aide de l’orthopédagogue. Au sein de l’école expérimentale, le groupe d’élèves classés dans la tranche supérieure ont été assignés au programme de tutorat. Les autres élèves n’ont pas été retenus comme ayant des difficultés en lecture. Ils n’ont donc pas bénéficié d’une aide additionnelle.

Test de compréhension en lecture

La compréhension en lecture a été évaluée en troisième année à l’aide du test de Barik, Swain et Schloss (1979). Ce test est composé de courts paragraphes suivis de questions à réponses multiples. Dans le manuel du test, les auteurs indiquent que :

les tests ne différencient pas bien la performance dans les niveaux supérieurs. Comme le cinquième percentile correspond à un résultat de 15 sur 19 pour le niveau de deuxième année, et à un résultat de 21 ou 22 sur 28 pour le niveau de troisième année, il y a très peu de discrimination entre les élèves qui réussissent au-dessus du cinquième percentile, il faut donc interpréter les normes de ces deux niveaux avec précaution [7].

Barik et al., 1979, p. 3

Malgré cela, ce test a été utilisé parce qu’il avait été précisément conçu et standardisé pour des élèves d’immersion et qu’aucun test équivalent n’était disponible. Les résultats bruts ont été utilisés pour faire la comparaison des groupes.

Collecte de données

Afin d’associer chaque élève des écoles expérimentales à un élève des écoles contrôles selon leur niveau de lecture, tous les élèves de deuxième et troisième année des écoles participantes ont été testés. Le moment de début des interventions a été étalé afin de faciliter l’exécution du programme. Pour les élèves de troisième année, les interventions ont commencé en septembre et ont pris fin au mois de mars, alors que pour les élèves de deuxième année, les interventions ont commencé au mois de janvier et ont pris fin au mois de mai. Chaque élève a été évalué avant et après les interventions. Pendant la première année du projet, les orthopédagogues ont donné et corrigé les tests. Lors de la deuxième année, ce sont des élèves à la maîtrise ou au doctorat qui ont fait passer et qui ont corrigé les tests.

Les élèves du groupe expérimental et du groupe contrôle ont été jumelés en fonction de leur vitesse de lecture et de l’exactitude de la lecture lors du test de décodage. Il est intéressant de noter qu’en deuxième année, il a été difficile de faire la correspondance entre les élèves, car les élèves de l’école contrôle ont obtenu des résultats supérieurs à ceux de l’école expérimentale (voir tableau 2 pour la comparaison des moyennes obtenues par école par les élèves en deuxième et en troisième année). En général, dans une école, les élèves sont placés en orthopédagogie en fonction du nombre d’élèves ayant besoin d’un soutien supplémentaire. Cela dit, une école avec un taux de réussite élevé aurait donc des élèves éligibles pour l’orthopédagogie avec un taux de réussite supérieur à celui des élèves provenant d’une école à niveau de réussite scolaire inférieur. Lorsque l’équipe de chercheurs a voulu établir des équivalences entre les élèves en fonction des résultats obtenus en lecture, dans plusieurs cas, un enfant qui avait gradué d’un programme d’orthopédagogie à l’école expérimentale correspondait à un enfant qui, à ce moment, était inscrit à un programme d’orthopédagogie dans l’école contrôle. Dans ce cas, les élèves ne pouvaient pas être associés. Ils ont été associés aux élèves de l’école contrôle qui ne bénéficiaient pas d’orthopédagogie et qui étaient au niveau le plus proche (la plupart du temps supérieur). La situation a été d’autant plus difficile que plusieurs élèves de l’école expérimentale avec qui les tuteurs ont travaillé avaient, lors de la première année, de sérieuses déficiences et difficultés d’apprentissage. Plusieurs de ces élèves ont été transférés à la fin de la première année du projet à une école anglophone.

Le programme de tutorat par les pairs a duré 16 semaines, au rythme de deux interventions de 30 minutes par semaine. Les livres choisis étaient des textes informatifs pour un niveau de deuxième et troisième année. La difficulté des textes avait été jugée par une des orthopédagogues. Les parents ont contribué à la formation des tuteurs, à la supervision des sessions et à l’organisation du matériel. Lorsqu’un tuteur et son élève avaient lu cinq livres, une évaluation informelle était faite par l’orthopédagogue ou par un des parents bénévoles afin de déterminer si l’élève pouvait passer à la prochaine étape.

Analyse des résultats

Comparaisons des écoles expérimentales et des écoles contrôles

Afin de pouvoir comparer les populations des écoles expérimentales et des écoles contrôles, nous avons d’abord analysé les résultats obtenus par tous les élèves de deuxième et troisième année de chaque école. En deuxième année, les résultats scolaires des écoles expérimentales sont nettement inférieurs à ceux des écoles contrôles et l’écart qui les sépare paraît avoir augmenté entre la première et la deuxième année de l’étude (tableau 2). En troisième année, la situation est inversée, et la différence semble plus grande entre le groupe expérimental et le groupe contrôle que pour les élèves de deuxième année (tableau 3).

Tableau 2

Moyennes et écarts-types de l’ensemble des élèves de deuxième année des écoles expérimentales et des écoles contrôles au prétest, à l’épreuve de décodage

Moyennes et écarts-types de l’ensemble des élèves de deuxième année des écoles expérimentales et des écoles contrôles au prétest, à l’épreuve de décodage

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Tableau 3

Moyennes et écarts-types de l’ensemble des élèves de troisième année des écoles expérimentales et des écoles contrôles aux prétests des épreuves de compréhension et de décodage

Moyennes et écarts-types de l’ensemble des élèves de troisième année des écoles expérimentales et des écoles contrôles aux prétests des épreuves de compréhension et de décodage

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Les tableaux 4 et 5 présentent les statistiques descriptives du prétest et du post-test pour les élèves de deuxième et de troisième année, respectivement des écoles expérimentales et des écoles contrôles. Quoique nous puissions observer les mêmes tendances que pour les populations générales des écoles, les différences ne sont pas marquées puisque les élèves ont été associés selon les résultats obtenus aux prétests. À l’exception des résultats en vitesse de lecture et en nombre de mots corrects lus par minute au prétest, les élèves du groupe contrôle de deuxième année ont en général obtenu des résultats supérieurs à ceux des élèves qui avaient travaillé avec un tuteur dans l’école expérimentale (tableau 4).

Les résultats sont inversés en troisième année. À l’exception des résultats obtenus pour le nombre de mots lus correctement au prétest, les élèves en troisième année du groupe contrôle ont obtenu en général des résultats inférieurs à ceux des élèves qui avaient travaillé avec un tuteur dans l’école expérimentale.

Tableau 4

Moyennes et écarts-types des élèves de deuxième année du groupe expérimental et du groupe contrôle aux prétests et aux post-tests

Moyennes et écarts-types des élèves de deuxième année du groupe expérimental et du groupe contrôle aux prétests et aux post-tests

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Tableau 5

Moyennes et écart-types pour les élèves de troisième année du groupes expérimental et du groupe contrôle aux prétests et post-tests

Moyennes et écart-types pour les élèves de troisième année du groupes expérimental et du groupe contrôle aux prétests et post-tests

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Analyse de covariance

Étant donné que les groupes étaient différents au début de l’étude, une analyse de covariance (ANCOVA) a été faite afin d’égaliser statistiquement les deux groupes au prétest et de réduire les effets des différences initiales entre ces deux groupes. Cependant, il est important de noter que cette étude est une étude quasi expérimentale. En effet, les participants n’ont pas été assignés de façon aléatoire au traitement en question. Ils l’ont été plutôt en fonction de leur occurrence naturelle. Les résultats de l’analyse ANCOVA doivent donc être considérés avec réserve. Cette analyse permettra malgré tout de réduire le degré de distorsion en créant une équivalence statistique entre les groupes en ce qui concerne leur niveau de lecture au départ (Glass et Hopkins, 1984). Pour faire la comparaison de chaque variable, nous avons choisi la valeur des résultats au prétest comme covariable.

Les analyses de covariance indiquent que, pour les élèves de deuxième année, le groupe contrôle a mieux réussi que le groupe expérimental pour toutes les variables (tableau 6). Néanmoins, le groupe expérimental a surpassé le groupe contrôle chez les élèves de troisième année, sauf pour le test de compréhension en lecture (tableau 7). Plusieurs interprétations pourraient expliquer ces résultats divergents.

Tableau 6

Analyse de covariance aux post-tests en deuxième année

Analyse de covariance aux post-tests en deuxième année
*

p < 0,05

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Tableau 7

Analyse de covariance aux post-tests en troisième année

Analyse de covariance aux post-tests en troisième année
*

p < 0,05

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Interprétation des résultats

Malgré les limites de la recherche, on peut penser que le programme a produit des effets positifs à plusieurs égards. Par ailleurs, les résultats négatifs obtenus peuvent être interprétés.

D’abord, nous pouvons noter l’effet positif et statistiquement significatif du tutorat pour le groupe de troisième année. Les résultats négatifs au test de compréhension de lecture peuvent être expliqués par la faible validité du test Barik pour des élèves de troisième année à un niveau avancé, comme les auteurs du test l’indiquent. De plus, nous nous sommes servis d’un test de lecture standardisé. Topping (1988) observe que, généralement, les effets d’un test sont plus larges avec un test conçu en fonction de la recherche qu’avec un test national standardisé. Sauf pour le test de compréhension en lecture, les résultats des élèves de troisième année sont positifs.

Pour les élèves de deuxième année, les résultats sont, du point de vue statistique, significativement négatifs. Ces résultats sont contradictoires avec les perceptions des participants : les parents, les enseignants et les élèves ont jugé que le programme avait été efficace. Plusieurs raisons pourraient expliquer cette contradiction. D’abord, les élèves de l’année pilote du programme de tutorat sont inclus dans ce groupe. Notons que le programme a été révisé et amélioré après la première année en tenant compte de la rétroaction donnée par les parents, les enseignants et les élèves. La différence entre les populations de l’école expérimentale et de l’école contrôle est un autre facteur qui peut expliquer les résultats. Comme nous l’avons noté plus haut, il y avait une plus grande variabilité dans le groupe expérimental que dans le groupe contrôle, comme l’indique la valeur de l’écart-type pour chaque variable (tableau 4). L’orthopédagogue a confirmé que le groupe comprenait plusieurs élèves qui avaient de sérieuses difficultés et des handicaps. Ces élèves avaient donc un potentiel amoindri d’améliorer leurs habiletés en lecture, même s’ils avaient été associés avec des élèves de niveau équivalent aux prétests. Ils ont d’ailleurs été transférés à une école anglaise à la fin de la deuxième année. Même si nous avons eu recours à une analyse de covariance, cette technique d’analyse statistique ne peut compenser pour la différence de potentiel d’apprentissage entre les deux groupes.

Finalement, le résultat négatif obtenu avec les élèves du groupe expérimental de deuxième année pourrait être expliqué par l’effet de l’enseignant ou par l’effet de la population. En effet, la comparaison des résultats des écoles pour tous les élèves en deuxième année (tableau 2) montre que les résultats des élèves de deuxième année de l’école expérimentale sont systématiquement inférieurs à ceux obtenus par les élèves de l’école contrôle, avec une augmentation de l’écart entre les deux groupes lors de la deuxième année du projet. Cela pourrait indiquer que ces deux écoles attirent des populations très différentes. Il se pourrait aussi que l’effet « enseignant » soit plus important que l’effet « tuteur ». En d’autres termes, l’enseignement de la lecture à l’école contrôle peut avoir été mieux adapté aux besoins des élèves ayant des difficultés en lecture que l’enseignement offert par l’école expérimentale. Néanmoins, nous ne pensons pas que cette explication puisse à elle seule justifier des résultats obtenus puisque l’analyse de covariance a compensé pour les différences initiales entre les deux groupes au début de l’étude. Les deux autres raisons offertes ci-dessus, l’inclusion des données de l’année pilote et la nature non typique du groupe expérimental d’élèves de deuxième année durant l’année pilote du projet, semblent être les raisons les plus plausibles et valides pour expliquer les résultats obtenus. Le fait que le groupe d’élèves en deuxième année était non typique nous laisse croire qu’une répétition de l’évaluation du tutorat par les pairs pour des élèves en deuxième année donnerait des résultats positifs.

Conclusion

En général, les résultats de cette étude montrent que le tutorat par les pairs plus âgés dans les écoles d’immersion peut être une façon efficace d’améliorer le niveau de lecture des élèves qui ont des difficultés mineures, mais que cette approche présente des limites avec les élèves qui ont des difficultés plus sérieuses. Par ailleurs, des groupes de discussion avec des parents et des élèves tenus à la fin de la deuxième année ont fait ressortir que l’expérience avait eu des effets positifs sur les attitudes et la motivation des élèves envers la lecture, en plus d’élever leur niveau de conscience de leurs difficultés. Comme dans d’autres recherches, les participants ont également indiqué que l’expérience avait eu une influence positive sur les tuteurs, notamment sur leurs attitudes envers la lecture et leur niveau de confiance en soi. Au-delà des résultats de l’évaluation, on peut conclure que ce projet a eu des effets positifs sur l’école qui a recommandé qu’il continue dans le futur et qui est devenue un modèle pour d’autres écoles. Finalement, la télévision d’État a jugé le projet suffisamment intéressant pour en faire un reportage lors de la semaine nationale de la littératie. Compte tenu de la fragilité du français et de l’importance des facteurs socioculturels dans le développement de la littératie en français, en milieux minoritaires, la diffusion de telles initiatives peut être considérée comme une preuve de l’intérêt et du soutien de la communauté.