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Introduction

L’enjeu majeur de la scolarisation est certainement le développement de la litéracie, qui soutient le développement des compétences en lecture et en écriture. Avant même que l’enfant se retrouve en difficulté d’apprentissage dans ce domaine, il est possible d’identifier des élèves potentiellement à risque de présenter ce genre de difficultés. En effet, de très nombreuses recherches dégagent des habiletés considérées comme de bons prédicteurs de réussite (Elbro et Scarborough, 2004a), habiletés construites avant même que ne débute la scolarisation de l’enfant. Dans cette optique, des études ont été menées pour valider l’impact de programmes d’entraînement qui favorisent le développement de ces habiletés prédictives, afin de soutenir la réussite d’un plus grand nombre d’élèves, en particulier du point de vue de l’apprentissage de la lecture (Bara, Gentaz, Colé et Sprenger-Charolles, 2004 ; Goigoux, Cèbe et Paour, 2003 ; Korkeamäki et Dreher, 2000 ; Rubin et Eberhardt, 1996 ; Tangel et Blachman, 1992 ; Zorman, 1999). Même si les habiletés d’écriture développées en maternelle sont de plus en plus considérées comme de bons prédicteurs de réussite (Vernon et Ferreiro, 1999 ; Welsch, Sullivan et Justice, 2003), les recherches d’entraînement susceptibles de les favoriser font encore l’objet de peu d’études (Rieben, 2003). Cet article vise donc à documenter cette problématique en s’intéressant à l’évolution d’élèves potentiellement à risque de présenter des difficultés en lecture et en écriture en début de scolarisation. De façon plus spécifique, notre étude vise à évaluer l’impact d’un programme d’entraînement susceptible de favoriser les habiletés d’écriture en maternelle. Ainsi, notre contribution relève de la prévention des difficultés, et notre définition de l’élève à risque est reliée à de faibles performances dans l’une ou l’autre des tâches considérées, dans les écrits de recherche scientifique, comme susceptibles de prédire la réussite future en lecture et en écriture.

Pour suivre l’évolution des élèves, nous serons amenées à dégager les préoccupations des élèves au regard de la langue écrite, en considérant notamment les caractéristiques linguistiques propres au français écrit. En effet, de récentes recherches ont souligné que la langue qui fait l’objet d’un apprentissage a un impact sur le développement litéracique des élèves (Seymour, Aro et Erskine, 2003 ; Sprenger-Charolles, 2003).

Ce projet nous conduira également à préciser le concept de litéracie, à identifier les facteurs qui influencent son développement, à relever les préoccupations litéraciques du jeune apprenant et, enfin, à recenser des recherches d’entraînement réalisées dans le but de favoriser ce développement en adoptant une perspective préventive.

Problématique

Définition de litéracie

La notion de litéracie est de plus en plus employée par les chercheurs parce qu’elle permet de rendre compte de l’interaction entre les habiletés en lecture et en écriture, de la complexité de leurs acquisitions et de leurs usages scolaires et sociaux. Elle a récemment été définie comme l’ensemble des activités humaines qui impliquent l’usage de l’écriture, en réception et en production. Elle met un ensemble de compétences de base, linguistiques et graphiques, au service de pratiques, qu’elles soient techniques, cognitives, sociales ou culturelles (Jaffré, 2004, p. 31).

Précédemment, cet accent mis sur la dimension fonctionnelle de la notion de litéracie a été souligné par l’Organisation de coopération et de développement économiques qui la définit comme l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités (OCDE, 2000). Dans le contexte scolaire québécois, les récentes orientations énoncées par le ministère de l’Éducation du Québec soulèvent l’importance du développement de cette aptitude, en soulignant que l’école du 21e siècle doit permettre à l’élève de développer sa capacité à comprendre et à utiliser efficacement la langue écrite afin d’y recourir pour répondre aux besoins de la vie courante, pour étendre ses connaissances et pour élargir sa vision du monde (ministère de l’Éducation du Québec, 2001, p. 72).

Comme les définitions de ce nouveau concept le suggèrent, la litéracie[1] situe l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans le contexte plus général de l’activité humaine, dont les bases doivent être mises en place très tôt. Dans cette optique, l’école est l’acteur social par excellence pour contribuer au développement de compétences litéraciques.

Facteurs influençant le développement de la litéracie

Afin de soutenir le développement de la litéracie, il est de plus en plus reconnu que la plus ou moins grande facilité à apprendre une langue écrite serait associée aux habiletés prédictives construites à travers des expériences avant la scolarisation et à la nature du système à apprendre.

Habiletés prédictives de la réussite en lecture et en écriture

De nombreux chercheurs ont examiné ce moment où l’enfant fait son entrée dans le monde de l’écrit. Ils ont notamment montré que différentes habiletés et connaissances construites par les jeunes enfants pouvaient influencer le développement de la litéracie (Elbro et Scarborough, 2004a ; Whitehurst et Lonigan, 2001) et, ainsi, diminuer les risques de vivre des difficultés lors de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

À ce propos, une méta-analyse réalisée par Scarborough (2001) met en relief les habiletés identifiées comme les plus importantes en examinant 61 études recensées. Il en ressort que deux domaines d’habiletés manifestées au préscolaire sont particulièrement prédictives de la réussite future : les habiletés langagières orales et les habiletés reliées au monde de l’écrit. Du point de vue des habiletés langagières à l’oral, Scarborough (2001) relève l’importance des habiletés phonologiques, morphologiques, lexicales et syntaxiques, qu’elles soient fonctionnelles ou réflexives. Elbro et Scarborough (2004a) soulignent également que, dans ce domaine, les mesures expressives sont plus prédictives que les mesures réceptives, c’est-à-dire que les capacités de production influencent davantage le développement de la litéracie que celles de compréhension. Par ailleurs, selon cette méta-analyse, il est préférable de considérer une combinaison d’habiletés pour prédire la réussite de l’apprentissage de la lecture que de n’en prendre qu’une seule (Scarborough, 2001).

En ce qui concerne les habiletés langagières écrites, Scarborough (2001) recense de nombreuses études qui les considèrent comme étant parmi les plus importants prédicteurs de réussite. En effet, 24 études recensées soulignent la forte relation (en moyenne, une corrélation de 0,52) entre la capacité à identifier les lettres de l’alphabet et l’apprentissage de la lecture ; 21 études identifient la forte relation (en moyenne, une corrélation de 0,57) entre la connaissance des correspondances graphophonétiques et la lecture et, enfin, sept études relèvent la forte relation (en moyenne, une corrélation de 0,46) entre le métalangage propre à l’écrit et l’apprentissage de la lecture. Ces derniers résultats rejoignent ceux déjà obtenus par Fijalkow (1993) auprès de 49 jeunes francophones, qui indiquent une corrélation significative entre les résultats obtenus à une tâche évaluant la compréhension des termes métalangagiers – lettre (majuscule et minuscule), mot, phrase, nombre, titre, nom de l’auteur et histoire – en maternelle et ceux obtenus par ces mêmes sujets un an plus tard (en première année) à une tâche de lecture silencieuse.

Même si elles sont en nombre plus restreint, de plus en plus de recherches soulignent l’importance de tenir compte des habiletés en écriture témoignées au préscolaire pour la réussite ultérieure. Dans cette optique, une étude longitudinale réalisée en Israël au cours de la période d’entrée dans l’écrit (Shatil, Share et Levin, 2000) a permis de montrer que les performances des sujets (N = 306) à une tâche d’écriture en maternelle contribuent significativement à la variance observée dans des tâches de décodage, d’orthographe et de compréhension en lecture en première année. Selon les auteurs, il semble que les connaissances alphabétiques, qui supposent un travail réflexif de l’enfant sur le système alphabétique de sa langue, expliquent le mieux la valeur prédictive de l’écriture en maternelle sur les compétences orthographiques et la lecture en première année. Ces résultats tendent ainsi à montrer l’importance souvent négligée des capacités précoces en écriture, qui traduisent l’état de l’activité réflexive de l’enfant à l’égard du principe alphabétique de sa langue. Cependant, la contribution majeure de cette étude est certainement attribuée aux liens établis entre les habiletés en écriture observées en maternelle et la performance en compréhension en lecture en première année, lesquels renforcent l’établissement de la contribution des activités de production à l’apprentissage de la lecture : L’écriture en maternelle n’exploite pas seulement des habiletés reliées à la compréhension du code alphabétique, elle sollicite aussi des facteurs sociolinguistiques qui mettent en lumière des habiletés linguistiques et cognitives essentielles à la compréhension de textes (traduit de Shatil et collab., 2000, p. 17).

Dans cette perspective qui prend en compte des compétences du jeune scripteur à l’âge préscolaire, Welsh, Sullivan et Justice (2003) ont mené une vaste étude auprès de 3 546 enfants, âgés de 4 ans et engagés dans des programmes préventifs pour élèves à risque en Virginie (États-Unis), qui visait à vérifier l’impact de la nature des représentations de leur propre prénom sur le développement des connaissances sur l’écrit (connaissance des lettres, concept du mot, métalangage) et sur la conscience phonologique. Globalement, les résultats obtenus à la suite d’analyses de corrélations indiquent une forte relation entre l’écriture du prénom et la connaissance des lettres (r = 0,51), entre l’écriture du prénom et le métalangage (r = 0,42), entre l’écriture du prénom et le concept du mot (r = 0,35) ; toutes ces relations sont caractérisées par un seuil de signification inférieur à 0,001.

Le développement de ces habiletés est évidemment à mettre en relation avec la variété et l’importance des expériences litéraciques vécues par les enfants avant l’entrée à l’école (Burns, Espinosa et Snow, 2003). L’influence de ces expériences socioculturelles fait l’objet de nombreuses études, dont l’importance est notamment relevée dans la méta-analyse de Bus, Van Ijzendoorn et Pellegrini (1995). Toutefois, les corrélations obtenues entre les caractéristiques socioculturelles et la réussite ultérieure en lecture sont moindres que celles qui mettent en relation des habiletés particulières avec cette réussite (Elbro et Scarborough, 2004a).

Pour résumer les résultats des études recensées dans cette partie, nous pouvons constater que les habiletés langagières à l’oral et celles reliées à l’écrit qui sont développées à l’âge préscolaire (Scarborough, 2001) semblent jouer un rôle important dans la réussite en lecture et en écriture. De plus, d’autres études (Elbro et Scarborough, 2004a ; Shatil et collab., 2000), en nombre encore restreint, enrichissent ce domaine de recherche en accordant une plus grande importance au caractère prédictif des habiletés en écriture que ne l’avaient fait des études antérieures.

Impact de la nature du système à apprendre

Outre l’importance des habiletés langagières dans la prévention des difficultés d’apprentissage, de récentes études ont aussi examiné l’impact des caractéristiques de la langue à apprendre sur le développement de la litéracie (Bourassa et Treiman, 2000). Dans cette optique, l’imposante étude menée par Seymour, Aro et Erskine (2003) comparant treize orthographes différentes a montré que l’apprentissage de la langue écrite était plus difficile et plus long pour les élèves qui tentaient de s’approprier une orthographe dite opaque (français, danois, portugais et anglais), en comparaison avec les élèves qui doivent apprendre une orthographe plus transparente (finnois et allemand). Les orthographes plus opaques causeraient davantage de difficultés à l’apprenant qui aurait, non seulement à comprendre le principe alphabétique, mais aussi à faire face à des correspondances phonèmes-graphèmes nombreuses et irrégulières, ainsi qu’à la complexité introduite par la morphologie écrite (Seymour et collab., 2003).

En plus de permettre de comprendre un peu mieux les enjeux de l’apprentissage de différentes orthographes, l’ensemble des résultats obtenus par Seymour et collab. (2003) vient également enrichir le débat à propos des modèles de développement orthographique. Ces chercheurs suggèrent que l’apprentissage d’une orthographe relativement transparente induirait le développement d’un seul processus axé sur la compréhension du principe alphabétique, tandis que l’apprentissage d’une langue plus opaque susciterait le développement d’une double fondation, impliquant la mobilisation des correspondances phonèmes-graphèmes et le recours à des mots mémorisés (par exemple, pour mieux gérer les mots irréguliers). Seymour et collab. (2003) viennent ainsi suggérer une souplesse dans la conception du développement orthographique qui serait influencée par les caractéristiques de la langue à apprendre. En ce sens, des études récentes, dont celle menée par Dixon, Stuart et Masterson (2002), mettent en relief que les processus impliqués dans cette double fondation se développent en interaction, et ce, dès la maternelle.

Même si le français est considéré dans l’étude de Seymour comme une orthographe opaque, Bosman et Van Orden (1997) et, plus récemment, Sprenger-Charolles (2003) soutiennent que les correspondances phonème-graphème seraient moins régulières que les correspondances graphème-phonème. Ainsi, le français écrit serait relativement transparent en lecture et opaque en écriture. Ce qui est en cohérence avec les propos de Blanche-Benveniste et Chervel (1974), qui considèrent que la complexité de l’orthographe française est une aide au lecteur pour lever les ambiguïtés dans l’identification des mots en lecture et un obstacle pour sa maîtrise par le scripteur.

Du fait des caractéristiques propres au français écrit – considérées par Catach (1995) non pas comme un système exclusivement alphabétique, mais plutôt comme un plurisystème qui intègre également des dimensions morphographiques et logographiques –, des chercheurs ayant mené des études auprès de jeunes francophones suggèrent que les préoccupations de l’apprenant sont, très tôt, de nature différente (Besse, 2000 ; Jaffré et David, 1998 ; Morin, Ziarko et Montésinos-Gelet, 2003).

Les études citées dans cette partie viennent enrichir le domaine du développement de la litéracie chez les jeunes enfants, en montrant notamment que les caractéristiques de la langue à apprendre peuvent agir comme facteur d’influence sur la plus ou moins grande difficulté de l’apprenant à apprendre le code écrit de sa langue. En ce qui concerne les études menées auprès de jeunes francophones, il ressort que le français écrit serait complexe pour l’apprenti lecteur et qu’il le serait d’autant plus pour l’apprenti scripteur.

Préoccupations du jeune apprenant

Selon Tolchinsky (2004), dans le développement de la litéracie, les enfants sont actifs cognitivement et leurs conceptions à propos de la lecture et de l’écriture influencent la façon dont ils intègrent les informations qu’ils reçoivent sur le système. Elle considère même que l’exploration de ces conceptions devrait être le point de départ de l’enseignement de la langue écrite. Les trois questions proposées par Chauveau (1997) – À quoi sert l’écrit ? (fonctions de la langue écrite), Comment fonctionne l’écrit ? (fonctionnement du système) et Comment s’approprier l’écrit ? (stratégies mobilisées en lecture et en écriture) – peuvent permettre de catégoriser la nature des conceptions construites par les élèves.

En étudiant les conceptions d’élèves de maternelle relatives au fonctionnement du système, Besse (2000) identifie des préoccupations chez les scripteurs, qui renvoient à la compréhension du fonctionnement du système écrit. Il convient de souligner qu’il privilégie le terme préoccupation à celui de conception, ce qui témoigne d’une vision dynamique de l’activité d’appropriation de l’élève. En effet, être préoccupé par quelque chose implique un souci, une vigilance à propos de différents aspects dans le but de s’en servir dans le futur. En premier lieu, Besse (2000) souligne la présence de préoccupations visuographiques qui traduisent un souci pour les composantes visuelles de l’écriture comme le schéma de mise en page, les caractéristiques graphiques des lettres de l’alphabet et l’orientation de l’écriture. Ces préoccupations sont à l’origine de la distinction entre les représentations graphiques iconiques (dessin) et les représentations graphiques linguistiques (écriture). D’autres préoccupations sont dites phonographiques : elles réfèrent à la compréhension du principe alphabétique qui se manifeste progressivement à travers les productions écrites des élèves. L’analyse de Besse l’a aussi conduit à identifier des préoccupations orthographiques qui concernent la prise en compte d’aspects morphologiques et lexicaux : ceux-ci permettent notamment à l’enfant de s’approcher de plus en plus de la norme orthographique attendue.

En tenant compte de ces trois types de préoccupations, l’étude de Morin (2004), menée auprès de 202 enfants de maternelle, a récemment permis de constater que 76,24 % (n = 154) des sujets rencontrés témoignaient de préoccupations phonographiques, que 12,87 % (n = 26) témoignaient d’autres préoccupations dites orthographiques, tandis que 10,89 % (n = 22) des scripteurs étaient essentiellement centrés sur des aspects visuographiques de l’écriture. Tout en traduisant une variété de préoccupations manifestes chez les jeunes enfants de maternelle, ces résultats reflètent l’importance des connaissances construites à l’âge préscolaire à propos de l’écrit et mobilisées dans une tâche d’écriture.

Recherches d’entraînement pour le développement de la litéracie

La plupart des recherches d’entraînement ont porté sur le développement de la conscience phonologique, ce qui met l’accent en priorité sur l’analyse de la langue orale (Ehri, Nunes, Willows, Schuster, Yaghoub-Zadeh et Shanahan, 2001). D’autres recherches d’entraînement, en nombre encore limité, ont, quant à elles, comme point de départ, la lecture de livres de littérature de jeunesse en classe, que ce soit dans la perspective de favoriser un travail sémantique visant la compréhension de l’histoire et le développement du vocabulaire (Garton et Pratt, 2004), ou en se centrant plus spécifiquement sur le développement de la conscience de l’écrit (Korkeamäki et Dreher, 2000). D’autres recherches d’entraînement ont comme point de départ les situations d’écriture (Brasacchio, Kuhn, Martin, 2001 ; Clarke, 1988 ; Winsor et Pearson, 1992). Ces différentes recherches font l’objet de la présente partie.

Programmes d’entraînement en conscience phonologique

L’imposante méta-analyse réalisée par Ehri et collab. (2001), qui portait essentiellement sur des recherches d’entraînement auprès de jeunes anglophones, a mis en relief que les interventions visant à développer la conscience phonologique au préscolaire sont bénéfiques pour l’apprentissage ultérieur de la lecture et que cet effet est accru lorsqu’on lui associe un entraînement relatif à la connaissance des lettres. D’autres études confirment ce constat auprès de jeunes francophones (Écalle et Magnan, 2002 ; Sprenger-Charolles et Casalis, 1996).

D’autres études, qui ont ciblé leur attention sur les impacts d’entraînements en conscience phonologique auprès d’élèves à risque, se sont, elles aussi, avérées positives pour le développement du jeune lecteur anglophone (Elbro et Scarborough, 2004b) comme pour celui du jeune lecteur francophone (Goigoux et collab., 2003 ; Zorman, 1999). On constate que l’identification des élèves à risque dans ces recherches s’appuie soit sur le niveau d’habiletés de ces derniers avant le programme d’entraînement (Zorman, 1999), soit sur des critères socioculturels (Goigoux et collab., 2003).

À partir d’une vaste étude menée auprès de 2 265 enfants de maternelle, Zorman (1999) a vérifié l’impact d’un programme de conscience phonologique pour les enfants les plus à risque de rencontrer des difficultés en lecture en première année. À la suite de ce programme vécu en classe auprès des enfants les plus faibles du point de vue de la conscience phonologique (n = 473), l’analyse des résultats indique globalement que l’entraînement phonologique a permis à ces enfants de faire des progrès significativement supérieurs à ceux d’autres enfants qui ne bénéficiaient pas de ce programme. Par ailleurs, en ciblant des classes en milieu défavorisé[2], Goigoux et collab. (2003) ont mené une étude visant à vérifier l’impact d’un programme Phono, adopté par quatre enseignantes au cours d’une année de maternelle. Les résultats obtenus par les 55 sujets à une tâche de conscience phonologique (identification de rimes, comptage syllabique et segmentation syllabique) indiquent une réelle progression des performances entre le prétest (score moyen de 41 %) et le post-test (score moyen de 77 %). Une analyse plus fine des résultats indique aussi que ce sont les enfants les moins performants au début de la maternelle (scores inférieurs à 10 sur 23 items) qui tirent davantage profit de ce programme d’intervention.

En tenant compte de récentes études (Whitehurst et Lonigan, 2001) qui indiquent que le soutien à l’apprentissage de la lecture est plus important lorsqu’un travail de conscience phonologique est combiné à l’apprentissage du nom des lettres, Bara et collab. (2004) ont vérifié l’impact d’un entraînement en maternelle qui favorise le développement de ces deux habiletés, c’est-à-dire la conscience phonologique et la connaissance des lettres. Plus précisément, les auteurs de cette étude ont comparé deux groupes d’enfants en maternelle, qui se différenciaient par les modalités sensorielles sollicitées pour explorer les lettres de l’alphabet (exploration visuo-haptique et haptique pour HVAM et exploration uniquement visuelle pour VAM). Globalement, les résultats de cette étude, menée auprès de 60 enfants français (âge moyen : 5 ans et 7 mois), indiquent que l’entraînement qui favorise une exploration visuo-haptique et haptique (tactilo-kinesthésique) de lettres conduit à des performances significativement plus importantes en première année en décodage de pseudo-mots. Par ses résultats, l’étude de Bara et collab. (2004) vient suggérer que la compréhension du système écrit et la préparation à la lecture peuvent être soutenues en maternelle par des modalités sensorielles qui sont particulièrement privilégiées par l’enfant d’âge préscolaire pour explorer les objets de son environnement.

Programmes d’entraînement centrés sur le livre jeunesse

Différents articles de synthèse (Bus et collab., 1995 ; Garton et Pratt, 2004 ; Morrow et Gambrell, 2001) relèvent l’impact positif de la lecture faite aux enfants d’âge préscolaire sur le développement de différentes habiletés langagières. Plus spécifiquement, l’étude de Hargrave et Sénéchal (2000), menée auprès de 36 enfants à risque de 4 ans, démontre, d’une part, l’effet bénéfique de la lecture sur le développement du vocabulaire et, d’autre part, que toutes les formes de lecture n’ont pas un impact équivalent pour le développement de la litéracie. En effet, à la suite de l’intervention vécue en garderie, les élèves qui ont bénéficié d’une lecture dialogique[3] ont des performances en vocabulaire significativement supérieures à celles obtenues par le groupe contrôle. Dans une autre étude réalisée auprès de jeunes Finnois, qui visait à vérifier l’impact d’un programme offrant de nombreuses occasions d’écriture et de lecture de livres de littérature jeunesse auprès de 19 enfants de maternelle, Korkeamäki et Dreher (2000) montrent que la diversité des expériences litéraciques proposées par ce programme d’éveil à l’écrit influence de façon importante le développement des habiletés en écriture et en lecture.

Programmes d’entraînement centrés sur les situations d’écriture

En considérant les effets démontrés par les compétences du jeune scripteur en maternelle sur le développement des connaissances alphabétiques (Shatil et collab., 2000 ; Vernon et Ferreiro, 1999 ; Whitehurst et Lonigan, 2001), de plus en plus de chercheurs affirment que les activités qui encouragent les enfants de maternelle à écrire doivent être envisagées comme des pistes d’interventions visant à soutenir le développement des habiletés litéraciques.

Par ailleurs, les études qui visent à vérifier l’impact de ce type d’intervention en maternelle sont encore peu nombreuses et demandent à être documentées (Rieben, 2003). En effet, une majorité d’études qui se sont intéressées aux compétences en écriture manifestées en maternelle (invented spelling) ont été menées dans une perspective développementale plutôt que dans une perspective pédagogique.

Quelques recherches se démarquent néanmoins en vérifiant l’impact d’un programme d’entraînement qui encourage les enfants à écrire des mots pour lesquels ils n’ont pas encore appris l’orthographe (invented spelling) dans des contextes d’écriture variés et nombreux. Par exemple, les résultats de l’étude de Clarke (1988), menée auprès de quatre classes de première année, montrent que les élèves qui sont invités à écrire fréquemment en mobilisant leurs connaissances progressent davantage que ceux associés au groupe contrôle, du point de vue de l’orthographe et du décodage. Par ailleurs, même si les travaux menés par Brasacchio, Kuhn et Martin (2001) auprès de trois classes de première année n’ont pas conduit à déterminer que la pratique de ces pratiques d’écriture, que nous nommons orthographes approchées, permettait d’orthographier correctement les mots produits, cette étude a néanmoins permis de montrer que les élèves soumis à ce genre de pratiques témoignaient d’une plus grande capacité à s’exprimer à l’écrit en employant davantage de nouveaux mots. Une autre recherche, menée auprès de 20 élèves de première année considérés à risque dans l’apprentissage de la langue écrite (Winsor et Pearson, 1992), a montré que des pratiques pédagogiques qui favorisaient les moments d’écriture et la lecture de textes avec une structure prévisible soutenaient l’entrée dans l’écrit, en favorisant notamment le développement de la conscience phonologique.

Comme nous pouvons le constater à la lumière de ces quelques études recensées, les recherches qui visent à vérifier l’impact d’intervention en écriture (orthographes approchées) ont surtout été réalisées au début de l’école primaire et, par conséquent, les études d’entraînement menées en maternelle demandent à être documentées (Rieben, 2003).

Objectifs de la recherche

Dans ce contexte, la présente étude a pour objectif global de contribuer au domaine de recherche qui s’intéresse au développement des habiletés de litéracie en maternelle chez des enfants à risque de rencontrer ultérieurement des difficultés d’apprentissage en lecture et en écriture, en étudiant l’impact d’un programme d’orthographes approchées en maternelle pour ces enfants.

De façon plus spécifique, cette recherche poursuit les objectifs suivants :

  1. mettre en relief les caractéristiques des élèves à risque sélectionnés ;

  2. comparer l’évolution de ces élèves à risque selon qu’ils ont ou non suivi un programme d’orthographes approchées en maternelle ;

  3. identifier combien d’enfants demeurent à risque à la fin de la première année en lecture et en écriture, qu’ils aient suivi ou non un programme d’orthographes approchées en maternelle.

Méthodologie

Sélection des élèves à risque

Contrairement à Goigoux et collab. (2003) qui ont opté pour des critères de sélection centrés sur des variables socioculturelles (ZEP), nous avons fait le choix d’identifier les sujets de l’étude à partir de leurs performances à des tâches considérées comme prédictives de leur réussite future. Les conclusions d’Elbro et Scarborough (2004a) à propos des corrélations plus faibles entre les caractéristiques socioculturelles et la réussite ultérieure en lecture, comparativement à celles qui mettent en relation des habiletés particulières avec cette réussite, nous ont confirmées dans ce choix. De plus, ces mêmes auteurs précisent que les mesures expressives ont un pouvoir prédictif plus important que les mesures réceptives, c’est pourquoi nous les avons privilégiées.

Au total, 127 élèves ont été suivis (58 filles, 69 garçons ; 15 gauchers, 3 ambidextres, 109 droitiers, âge moyen 5 ans et 6 mois). Ils proviennent de huit classes de maternelle appartenant à des écoles situées dans la région de la Montérégie (province de Québec) : cinq classes dans lesquelles des pratiques d’orthographes approchées ont été réalisées régulièrement toute l’année scolaire et trois classes contrôles. En cohérence avec les conclusions d’Elbro et Scarborough (2004a), les élèves à risque en début d’année de maternelle ont été identifiés à partir de leur faible performance à l’une ou l’autre des tâches suivantes : connaissance des lettres, rapidité de l’écriture du prénom, mise en relation oral/écrit dans les productions et connaissance du vocabulaire. Toutes ces tâches sont associées à des mesures expressives, les deux premières par rapport à l’écrit ; la troisième, dans la mise en relation oral/écrit et la quatrième, à l’oral. Plus précisément, un élève a été considéré comme à risque lorsque sa performance, à au moins une de ces tâches, a été inférieure à la moyenne du groupe moins un écart-type dans le cas des performances qui sont distribuées de façon normale ; dans le cas contraire, nous avons considéré le quartile le plus faible.

L’évaluation de la connaissance des lettres a été réalisée en comptant le nombre de lettres différentes produites par l’enfant dans le cadre d’une tâche d’écriture de six mots et d’une phrase. Les élèves ont eu recours en moyenne à neuf lettres différentes en début d’année, l’écart-type étant de quatre ; les élèves à risque sur ce critère ont produit cinq lettres différentes ou moins. Relativement à ce critère, 20 élèves ont été considérés comme à risque (9 garçons, 11 filles ; 2 gauchers, 1 ambidextre et 17 droitiers).

La rapidité de l’écriture du prénom a été évaluée en calculant le temps moyen mis par l’élève pour écrire une lettre de son prénom en début d’année. Ce temps moyen a pu être calculé grâce à la capture de la production sur une tablette graphique, en considérant le temps total pour écrire le prénom et en le divisant par le nombre de lettres du prénom. Les enfants mettent en moyenne 5314 ms par lettre pour écrire leur prénom, l’écart-type étant de 3311 ms, les élèves considérés à risque sur ce critère ont mis plus de 8625 ms à produire en moyenne chacune des lettres de leurs prénoms. Au total, 49 élèves ont été considérés à risque par rapport à ce critère (36 garçons, 13 filles ; 6 gauchers, 3 ambidextres et 40 droitiers). Dans la mesure où nous avons considéré la vitesse de production en écriture, il nous a semblé essentiel de prendre en considération la latéralité des sujets, puisqu’elle a un impact sur le développement de la motricité fine (Paoletti, 1999 ; Rigal, 2003).

La mise en relation oral/écrit dans les productions a été évaluée en calculant le nombre de phonèmes extraits par l’enfant dans le cadre de la tâche d’écriture de six mots. Les élèves ont extrait en moyenne 2,6 phonèmes. La distribution n’étant pas normale, nous avons considéré comme à risque les élèves qui ne sont parvenus à identifier aucun phonème, ce qui correspond au quartile le plus faible. Par rapport à ce critère, 57 enfants ont été considérés comme à risque (32 garçons, 25 filles ; 6 gauchers, 3 ambidextres et 48 droitiers).

La connaissance du vocabulaire a été évaluée à l’aide des deux épreuves de vocabulaire du N-EEL (Chevrie-Muller et Plaza, 2001). Les élèves ont eu en moyenne un score de 79, l’écart-type étant 10, les 19 élèves à risque identifiés pour ce critère ont obtenu un score inférieur à 69 (13 garçons, 6 filles ; aucun gaucher, 2 ambidextres et 17 droitiers).

Sur les 127 élèves rencontrés, 90 sont considérés comme à risque par rapport à au moins un critère ; dans la suite de cet article, nous les associerons au groupe élèves à risque ; parmi ceux-ci 40 sont considérés comme à risque sur deux critères ou plus, ils seront nommés élèves présentant plusieurs facteurs de risque. Sur les 90 élèves à risque, 57 font partie des classes ayant bénéficié du programme d’orthographes approchées et 33 des classes contrôles. Sur les 40 élèves présentant plusieurs facteurs de risque, 25 font partie des classes ayant bénéficié du programme d’orthographes approchées et 15 des classes contrôles.

Programme d’orthographes approchées

Avant de présenter nos résultats, il convient d’apporter quelques précisions sur le programme d’orthographes approchées et sur les modalités de contrôle des pratiques d’éveil à l’écrit adoptées dans l’ensemble des classes.

Précisons en premier lieu que les pratiques d’orthographes approchées reposent sur la mise en oeuvre de cinq principes didactiques[4] : placer l’enfant dans une situation où il est amené à se servir de la langue écrite ; être à l’écoute et questionner ses représentations par rapport à celle-ci ; valoriser ce que l’enfant a déjà construit ; chercher à développer sa réflexivité et l’inciter à partager ses connaissances et ses stratégies.

Les cinq enseignantes du groupe expérimental ont été préalablement formées aux orthographes approchées à raison d’une journée par mois, pendant plus d’un an, avant le début de la recherche. Pendant toute la période de la recherche, les journées de rencontre mensuelle se sont poursuivies afin de parfaire leur formation et d’offrir une supervision des pratiques. Il faut préciser que ces enseignantes se livrent fréquemment à une analyse réflexive par rapport à leurs pratiques d’enseignement et que la problématique de l’émergence de l’écrit les préoccupait depuis plusieurs années. Elles faisaient toutes partie d’un groupe de formation continue au sujet de l’émergence de l’écrit depuis plusieurs années. Il fallait donc trouver trois[5] enseignantes analogues pour former le groupe contrôle. Les enseignantes du groupe contrôle ont été identifiées par des conseillères pédagogiques sur la base de leur réflexivité et de leur fort engagement par rapport à la problématique de l’émergence de l’écrit. Les pratiques de litéracie des huit enseignantes ont été recueillies lors d’un entretien téléphonique hebdomadaire pendant toute l’année scolaire. Celles-ci se sont avérées comparables ; toutefois, seules les enseignantes du groupe expérimental adoptaient des pratiques d’orthographes approchées. Dans la réalisation de ces dernières, plusieurs modalités de fonctionnement avaient été adoptées : pratiques individuelles, collectives, semi-collectives. La fréquence des pratiques n’était pas imposée aux enseignantes, mais elle faisait l’objet d’un contrôle par un entretien téléphonique hebdomadaire et par le relevé des traces produites par les élèves lors des différentes pratiques d’orthographes approchées. Sur les cinq enseignantes, une réalisait des pratiques quotidiennes ; trois, deux à trois fois par semaine et une, un peu moins d’une fois par semaine[6].

Les répercussions de ce programme sur les habiletés des élèves ont été évaluées à partir des outils suivants : l’épreuve de lecture de mots du K-ABC (Kaufman et Kaufman, 1995) et le score d’extraction de l’épreuve d’orthographes approchées de Morin (2002). La cueillette de données a été réalisée en trois temps : l’identification des élèves à risque a été réalisée à partir des épreuves soumises en début de maternelle ; les répercussions du programme ont été évaluées à la fin de la maternelle et à la fin de la première année. Toutes les épreuves ont été réalisées individuellement et les élèves ont bénéficié d’une rencontre spécifique pour chacune d’elles pour éviter les biais reliés à la fatigue et à l’ordre des passations.

Présentation et discussion des résultats

Nous allons maintenant présenter les résultats de notre étude menée auprès d’élèves à risque de vivre des difficultés d’apprentissage avec le langage écrit. Pour répondre à nos objectifs, nous allons, dans l’ordre, mettre en relief certaines caractéristiques des sujets ciblés, évaluer la progression de ces sujets en tenant compte du fait qu’ils ont ou non participé à un programme d’orthographes approchées et, enfin, identifier combien d’enfants demeurent à risque à la fin de la première année en lecture et en écriture.

Caractéristiques des élèves à risque

Le tableau 1 met en relief quelques caractéristiques des élèves à risque de notre échantillon. Tout d’abord, les garçons sont beaucoup plus nombreux à présenter des facteurs de risque au début de la maternelle. Cela tient essentiellement à la lenteur d’exécution de l’écriture de leur prénom et à leur faible niveau de vocabulaire. Ces résultats rejoignent ce qu’avancent certains chercheurs à propos du décalage entre les performances des garçons et des filles en motricité fine (Rigal, 2003) et en vocabulaire (Kail et Fayol, 2000).

Tableau 1

Mise en relation entre, d’une part, le sexe, la latéralité et le contrôle cognitif et, d’autre part, la présence de facteurs de risque (aucun, 1 ou plus, 2 ou plus) et la nature de ces facteurs

Mise en relation entre, d’une part, le sexe, la latéralité et le contrôle cognitif et, d’autre part, la présence de facteurs de risque (aucun, 1 ou plus, 2 ou plus) et la nature de ces facteurs

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Sur le plan de la latéralité, les gauchers et les droitiers se différencient peu, à la seule exception que les premiers cumulent moins de facteurs de risque. Par contre, les trois ambidextres de notre échantillon présentent tous plusieurs facteurs de risque. En ce qui concerne maintenant le niveau de développement cognitif évalué par les matrices analogiques du K-ABC (Kaufman et Kaufman, 1995), le tableau 1 indique également que les scores moyens obtenus par les élèves, qu’ils présentent ou non des facteurs de risque, sont similaires et, par conséquent, le développement cognitif ne semble pas pouvoir expliquer la présence de facteurs de risque des élèves. Seul le score de vocabulaire semble être influencé par la mesure cognitive ; statistiquement, on constate en effet que le test t réalisé pour comparer les performances aux matrices analogiques des élèves à risque au niveau du vocabulaire laisse voir que ceux-ci ont une moyenne inférieure aux autres élèves (P bilatérale = 0,056).

Évolution des élèves à risque selon qu’ils ont ou non suivi un programme d’orthographes approchées en maternelle

Afin de déterminer l’impact du programme d’orthographes approchées réalisé en maternelle sur les performances en lecture des élèves à risque, nous avons comparé les moyennes obtenues à une épreuve de décodage (K-ABC), qui sont présentées dans le tableau 2. En maternelle, les différences sont significatives en faveur des élèves à risque, elles le sont également pour les élèves qui cumulent plusieurs facteurs de risque ; ce qui traduit l’impact positif du programme sur la lecture en maternelle. En première année, par contre, les moyennes des élèves ne se distinguent plus. Il est vrai qu’ils ont bénéficié, lors de leur première année au primaire, d’un enseignement formel de la lecture dont l’effet dépasse sur ce point celui du programme réalisé en maternelle. Il convient de signaler que les élèves qui avaient été identifiés à risque réussissent en moyenne très bien en lecture en fin de première année, qu’ils aient ou non bénéficié du programme d’orthographes approchées à la maternelle.

Tableau 2

Scores moyens (notes standardisées) obtenus à l’épreuve de lecture (décodage) du K-ABC par les élèves à risque à la fin de la maternelle et à la fin de la première année

Scores moyens (notes standardisées) obtenus à l’épreuve de lecture (décodage) du K-ABC par les élèves à risque à la fin de la maternelle et à la fin de la première année

*p < 0,05, **p < 0,01

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Les différences significatives observées entre les deux groupes à l’épreuve de lecture en fin de maternelle suggèrent que le programme d’orthographes approchées favorise l’entrée dans l’écrit d’élèves à risque en favorisant la construction de connaissances suffisamment importantes pour être mobilisées dans une tâche de lecture qui nécessite des connaissances sur les relations signes écrits et phonèmes. Cette relation entre un programme d’orthographes approchées et la compétence en décodage que nous avons observée en maternelle vient ainsi corroborer et enrichir d’autres travaux antérieurs qui avaient déjà constaté ce lien en première année du primaire (Clarke, 1988 ; Winsor et Pearson, 1992).

Le tableau 3 montre que toutes les comparaisons de moyennes réalisées entre les performances à l’épreuve d’écriture de mots des groupes expérimental et contrôle se sont avérées statistiquement significatives, que ce soit pour les élèves à risque ou pour ceux cumulant plusieurs facteurs de risque. Ces comparaisons nous permettent d’affirmer que le programme réalisé a été bénéfique aux élèves à risque pour le développement orthographique. Cette fois, l’impact de ce programme se fait sentir jusqu’à la fin de la première année, ce qui n’est pas surprenant, compte tenu que le programme réalisé au préscolaire se centrait en priorité sur le développement des habiletés orthographiques en situations d’écriture.

Tableau 3

Scores moyens (en pourcentage) obtenus à l’épreuve d’orthographes approchées pour le critère d’extraction phonologique par les élèves à risque à la fin de la maternelle et à la fin de la première année

Scores moyens (en pourcentage) obtenus à l’épreuve d’orthographes approchées pour le critère d’extraction phonologique par les élèves à risque à la fin de la maternelle et à la fin de la première année

*p<.05, **p<.0001

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Maintien du profil des élèves à risque et de ceux cumulant plusieurs facteurs de risque identifiés en maternelle

Comme nous pouvons l’observer dans le tableau 4, à la fin de la première année, deux élèves du groupe expérimental identifiés comme à risque au début de la maternelle demeurent à risque en lecture. Parmi ceux-ci, une élève cumulait plusieurs facteurs de risque ; l’autre, un garçon, n’était à risque que pour la mesure de vocabulaire. Deux autres élèves (deux garçons), qui n’avaient pas été identifiés comme à risque au début de la maternelle, se retrouvent en difficulté en lecture à la fin de la première année. Ces quatre élèves ne sont pas à risque en orthographe.

Tableau 4

Nombre et sexe des élèves à risque à la fin de la première année en lecture et en orthographe en fonction de leur identification en début de maternelle et de leur participation à un programme d’orthographes approchées

Nombre et sexe des élèves à risque à la fin de la première année en lecture et en orthographe en fonction de leur identification en début de maternelle et de leur participation à un programme d’orthographes approchées

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En orthographe, deux garçons du groupe expérimental identifiés comme cumulant des facteurs de risque à la maternelle demeurent à risque à la fin de la première année. Dans le groupe contrôle, huit élèves (cinq garçons, trois filles) sont en difficulté en orthographe à la fin de la première année. Parmi eux, six élèves étaient considérés comme à risque en début de maternelle ; cinq cumulaient plusieurs facteurs de risque. Les deux autres élèves (un garçon et une fille) n’avaient pas été identifiés comme à risque au début de la maternelle et sont également en difficulté en lecture.

Ainsi, on constate que le caractère préventif du programme d’orthographes approchées réalisé en maternelle se fait sentir en première année. En effet, seuls 7 % (4/57) des élèves considérés comme susceptibles de présenter des difficultés en lecture ou en écriture identifiés en début de maternelle dans le groupe expérimental présentent effectivement ce type de difficulté à la fin de la première année, alors que cette proportion est de 18 % (6/33) pour le groupe contrôle. Ce sont surtout les élèves qui présentaient plusieurs facteurs de risque qui se retrouvent en difficulté (3/25 dans le groupe expérimental ; 5/15 dans le groupe contrôle). Il est saisissant que seuls trois élèves sur les 25 qui cumulaient plusieurs facteurs de risque aient été résistants au programme vécu à la maternelle, dans la mesure où le concept même de trouble d’apprentissage est étroitement associé à celui de résistance (Torgesen, 2000). Par contre, quatre élèves qui n’avaient pas été identifiés à risque en maternelle le sont en fin de première année. Ce phénomène peut vraisemblablement s’expliquer par des variables socioaffectives ou contextuelles que nous n’avons pas prises en compte dans cette étude. De plus, l’exemple de ces quatre élèves rappelle également les limites de l’identification des élèves à risque, et leur présence justifie la poursuite d’autres études dans le domaine de l’intervention précoce et de l’identification des élèves à risque et la définition de ce groupe d’élèves.

Conclusion

Notre étude avait pour objectif d’alimenter le domaine de recherche, encore en émergence, sur le développement des habiletés de litéracie chez le jeune enfant, en nous intéressant particulièrement à l’impact d’un programme d’orthographes approchées vécu dans des classes de maternelle. Il en ressort que ce programme favorise la réussite ultérieure en orthographe (que ce soit en maternelle ou en fin de première année) et en lecture-décodage (uniquement en fin de maternelle). De plus, il semble important de souligner que la majorité des enfants identifiés à risque en maternelle ne le sont plus en première année, et ce, dans une proportion plus importante dans le groupe ayant bénéficié du programme favorisant les situations d’écriture.

Dans une vision préventive, à l’instar des chercheurs Elbro et Scarborough (2004a ; 2004b), notre étude vient enrichir celles qui se sont déjà penchées sur l’identification des élèves à risque et sur les interventions les plus à même de soutenir leur réussite. Le programme proposé s’avère, dans ce contexte, un outil pertinent pour favoriser la construction de connaissances litéraciques. En effet, ce programme vise à développer la réflexivité des élèves à propos de la langue écrite en les amenant à partager leurs connaissances et leurs stratégies, ce qui outille particulièrement les élèves qui, au départ, en avaient moins. Malgré les résultats qui découlent de notre étude, tout comme Rieben (2003), nous considérons que d’autres études sont nécessaires pour déterminer, de manière encore plus précise, les interventions différenciées susceptibles de diminuer les risques de difficultés scolaires, et ce, non seulement au préscolaire, mais aussi tout au long de la scolarité.