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Qui s’intéresse au rapport au savoir trouvera stimulant le nouveau livre collectif de Bernard Charlot. Il s’inscrit sans équivoque dans la foulée des publications qui ont amorcé cette démarche de recherche sur l’école et le savoir : École et savoir dans les banlieues… et ailleurs (Charlot, Bautier et Rochex, 1992) ; Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie (Charlot, 1997) ; Le rapport au savoir en milieu populaire. Une recherche dans les lycées professionnels de banlieue (Charlot, 1999). Aussi, n’est-il pas étonnant que plusieurs recherches rapportées dans ce livre utilisent la méthodologie des bilans de savoirs développée dès les premiers écrits de 1992. Elles offrent, de ce fait, des données qui viennent compléter, enrichir ou tout simplement corroborer les connaissances que l’on a du « rapport des jeunes au savoir, à l’école et à l’apprendre », selon une formule chère à Charlot.

La nouveauté tient à la diversité des écrits, mais surtout à la perspective internationale qu’offre le livre. En effet, différents chapitres font état de travaux effectués au Brésil (CENPEC et LITTERIS ; Gauthier et Sousa Gauthier), en République tchèque (Kucera ; Stech), en France (Bautier et Rochex) et en Tunisie (Chabchoub). Cette diversité permet de bien faire ressortir le fait qu’il y a une dimension commune dans le rapport à l’école : un rapport obligé et bien implanté en France et en République tchèque, mais plus récent au Brésil et en Tunisie. Le rapport des jeunes à l’école s’inscrit ainsi dans la tradition politique particulière de chaque pays, avec un degré de conformisme pour l’école tchèque, une prégnance encore marquée de l’oralité au Brésil et des conflits de référents en Tunisie.

Mais par delà la diversité culturelle, ce qui est aussi nouveau dans ce livre, ce sont des analyses plus ciblées sur des savoirs particuliers : la philosophie et les sciences économiques et sociales dans le texte de Bautier et Rochex ; les sciences exactes dans le chapitre de Chabchoub. Bautier et Rochex montrent la plus grande difficulté des jeunes dans leur nouveau rapport à l’école et à la philosophie, alors que les jeunes passent du collège au lycée, avec de nouvelles normes et de nouveaux codes, qui ne sont que rarement explicités et avec lesquels ils doivent apprendre à composer, notamment dans les rédactions où se jouent savoirs formels d’auteurs de référence et savoirs d’expérience. Sans grand étonnement, on saura que les jeunes trouvent le travail d’écriture plus facile quand il est question des sciences économiques et sociales. Le chapitre de Chabchoub, quant à lui, est particulièrement stimulant, car la langue et la culture arabes mettent au défi tant la notion de rapport au savoir que les savoirs scientifiques. L’essentiel de ce chapitre campe cette problématique, et l’on pourrait lui reprocher la parcimonie avec laquelle l’auteur livre les résultats de cinq recherches sur des sujets scientifiques diversifiés, telles l’évolution des espèces, la foudre ou les éclipses.

Le livre de Charlot est riche aussi parce que les consignes d’écriture pour la rédaction des bilans sont variées. Dans un cas, il s’agit de traiter de ce qui a été appris de plus important depuis la naissance (Stech) ; dans un autre, il s’agit d’expliciter la nature de la discipline (philosophie ou sciences économiques et sociales) à quelqu’un qui ne saurait rien du sujet (Bautier et Rochex). La perspective méthodologique la plus innovante est assurément celle de Gauthier et Sousa Gauthier. Ces auteurs ont utilisé la technique des « lieux géomythiques » pour générer les données dans les groupes d’élèves, de parents et d’enseignants. Par exemple, « Si l’apprentissage était un arc-en-ciel, comment serait cet arc-en-ciel ? Comment serait cet apprentissage ? Et si c’était une grotte ? Un pont ? Une galaxie ? Un chemin ? Un labyrinthe ? Une terre ? Un tunnel ? » (p. 74) La réponse se fait par le dessin qui est aussi commenté quand les sujets sont les enfants et les parents ; les enseignants, quant à eux, explicitent sans dessin les images qui leur viennent à l’esprit. La technique du dessin permet ainsi un autre mouvement d’approche du rapport au savoir.

Or, cette même diversité pose aussi problème. Les aspects que l’on propose quant au rapport au savoir et à l’école ne sont pas tout à fait comparables entre eux, et ce que les jeunes ou les moins jeunes disent n’a peut-être pas toujours trait au même concept, tout au moins à la même représentation de ce concept. Concept que, par ailleurs, Charlot tente de cerner encore un peu plus dans le premier chapitre du livre, sans toutefois en dire vraiment davantage que dans son travail de théorisation de 1997. Si j’apprécie la définition du rapport au savoir comme un rapport à soi, aux autres et au monde, je trouve par contre un peu réducteur de l’associer à l’école et à l’apprendre, le savoir devenant ainsi ce que l’on doit apprendre à l’école. Il est vrai que l’école est le centre des lieux de recherche de Charlot et de son équipe puisque l’idée de départ était de mieux comprendre l’échec et la réussite scolaire. Créer une analogie constante entre le rapport au savoir et le rapport à l’apprendre finit par noyer le processus et le produit. La recherche gagnerait à mieux différencier les deux, même s’ils sont traités dans le cadre d’une même recherche. Enfin, disons que cerner le rapport au savoir à travers l’écriture de bilan sur ce qui a été appris ne conduit guère, me semble-t-il, à une description des savoirs et du rapport à ces savoirs. Demander aux gens ce qu’ils ont appris les amène trop à discourir sur l’impact personnel de ces savoirs, que, par ailleurs, on voudrait connaître. C’est là une des limites de la méthodologie.