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Introduction

Les difficultés relationnelles observées chez les élèves qui manifestent des troubles de comportement affectent l’ambiance de leur classe et leur rendement scolaire, et compromettent sérieusement leur adaptation sociale ultérieure (Fortin et Strayer, 2000). La plupart de ces élèves, particulièrement les jeunes agressifs, demeurent cependant peu influencés à long terme par les programmes d’intervention axés sur l’entraînement aux habiletés sociales et sur la résolution de conflits (Beelman, Pfingsten et Lösel, 1994 ; McConnel, 1987). D’autres options doivent ainsi être explorées pour permettre à ces élèves de développer de meilleures habiletés sociales.

En analysant les effets d’un programme de médiation par les pairs dans une école spécialisée en adaptation scolaire, Beaumont, Bertrand, Bowen et Royer[1] (2005) ont constaté que les élèves qui avaient agi comme médiateurs étaient ceux qui avaient le plus profité de l’intervention sur les plans socioaffectif et sociocognitif. Identifiés comme présentant des troubles de comportement, ces médiateurs avaient reçu une formation particulière et pratiqué la médiation auprès de leurs pairs pendant une année scolaire. Comme il est plutôt inhabituel d’avoir recours à des jeunes en difficulté pour en aider d’autres, cette récente étude présente un intérêt nouveau en soulevant l’hypothèse que des élèves qui présentent des troubles de comportement seraient capables d’aider leurs pairs tout en retirant des bénéfices personnels de cette expérience.

Le présent article analyse de plus près certaines variables susceptibles d’influencer le développement psychosocial des quinze élèves identifiés comme étant en trouble de comportement qui ont agi comme médiateurs dans l’étude précédemment citée. Une brève recension des écrits permettra d’abord au lecteur de connaître les fondements de l’approche utilisée et d’évaluer l’aspect innovateur de cette intervention auprès des élèves qui présentent des troubles de comportement. Une description de l’intervention fournira par la suite les informations pour bien situer le contexte dans lequel ont évolué les élèves médiateurs qui ont pris part à l’étude. Enfin, des analyses statistiques permettront de dégager certains éléments liés au travail des médiateurs et susceptibles d’influencer leur développement psychosocial.

La médiation par les pairs

Les programmes de médiation par les pairs sont de plus en plus présents dans nos écoles québécoises (Rondeau, Bowen et Bélanger, 1999). Influencés par le modèle théorique de l’apprentissage social proposé par Bandura (1986), ces programmes offrent des stratégies d’apprentissage et des principes d’application qui visent à modifier le comportement en intervenant sur des composantes behaviorales et cognitives. Combinant l’enseignement d’habiletés sociales et de stratégies de résolution de conflits avec, d’autre part, le soutien et le modelage des pairs, cette approche semble prometteuse pour favoriser la généralisation et le maintien des acquis en milieu naturel (Beaumont, Royer, Bertrand et Bowen, 2003). Ce type d’intervention s’inscrit dans un processus de résolution de problèmes interpersonnels qui implique l’aide d’un tiers, un pair, pour aider les enfants à gérer efficacement leurs différends (Burrell et Vogl, 1990). Dans un premier temps, des ateliers basés sur la communication et la gestion positive des conflits sont donnés en classe par des adultes. Le deuxième volet du programme est consacré à la médiation par les pairs. Des pairs volontaires, choisis par les élèves et par les enseignants en raison d’une plus grande compétence sociale, reçoivent par la suite une formation complémentaire leur permettant de développer leur habileté à la relation d’aide. Ils agiront à titre de médiateurs à la demande de leurs pairs vivant des situations conflictuelles dans la cour de récréation ou dans la classe (Centre Mariebourg, 1998b ; Johnson et Johnson, 1996).

Plusieurs chercheurs nord-américains ont reconnu l’efficacité de ces programmes pour réduire le niveau de violence à l’école (Cunningham, Cunningham, Martorelli, Tran et Zacharias, 1998 ; Hessler, Hollis et Crowe, 1998 ; Johnson et Johnson, 2000) et le nombre de suspensions scolaires (Powell, Muir-McClain et Halasyamani, 1995), ainsi que pour améliorer les habiletés de résolution de conflits à l’école et à la maison (Gentry et Benenson, 1993 ; Johnson, Johnson, Dudley, Ward et Magnuson, 1995). D’autres recherches tendent à démontrer que cette approche aurait des effets bénéfiques sur les enfants sur les plans socioaffectif et sociocognitif (Bowen et al., 2003 ; Rondeau et al., 1999).

La médiation par les pairs et les élèves en trouble de comportement

Peu de chercheurs se sont intéressés aux effets de ce type d’approche sur des élèves qui présentent des troubles de comportement. Hébert (2000) a relevé des améliorations significatives sur le plan de la compétence comportementale, de l’estime de soi et de la préférence sociale chez des filles du primaire considérées « à risque ». Le nombre restreint de participantes (n = 7) et la difficulté à évaluer le niveau de participation réelle des élèves « à risque » dans ce programme de prévention universelle incitent cependant à nuancer l’interprétation de ces résultats. À notre connaissance, ce chercheur est le premier à soulever la question de la nature de la participation des élèves en difficultés à ce type de programme universel. Ainsi, avant d’évaluer l’efficacité de cette approche pour les jeunes en difficulté, il propose d’abord d’observer comment ces derniers participent aux ateliers en classe, s’ils ont réellement recours aux services des médiateurs pour résoudre leurs conflits et à quelle fréquence ils le font.

D’autres chercheurs québécois se sont intéressés aux effets d’un programme de médiation par les pairs chez des élèves du primaire fréquentant une école spécialisée en adaptation scolaire (Beaumont et al., 2005). Dans cette étude, le programme « Vers le pacifique » (Centre Mariebourg, 1998a, 1998b) a été adapté aux besoins spécifiques de ces jeunes et tous les médiateurs sélectionnés étaient des élèves identifiés comme ayant des troubles de comportement selon la classification en vigueur au ministère de l’Éducation du Québec (Conseil supérieur de l’éducation, 2001). Bien qu’une diminution du nombre de comportements violents ait été observée chez l’ensemble des élèves après la première année d’implantation, les seuls effets significatifs relevés sur les plans sociocognitif et socioaffectif ont été observés chez les élèves qui avaient agi comme médiateurs. En plus de mettre en évidence des améliorations sur les plans de l’autocontrôle, de l’expression des habiletés sociales de même qu’une diminution de l’agressivité, les données recueillies par ces chercheurs suggéraient une amélioration significative de l’estime de soi chez la moitié de ces médiateurs identifiés comme étant en trouble de comportement.

Études sur les élèves médiateurs

Des chercheurs qui ont évalué les effets des programmes de médiation par les pairs comme moyen de prévention universelle avaient déjà constaté que les élèves médiateurs étaient ceux qui retiraient le plus de bénéfices personnels et sociaux de l’intervention (Casella, 2000 ; Lane et McWhirter, 1992). Ces bénéfices s’observeraient sur plusieurs plans : meilleures stratégies de résolution de problèmes, amélioration du rendement scolaire, meilleures habiletés de communication et de leadership, diminution de l’agressivité et du retrait social (Humphries, 1999 ; Lane et McWhirter, 1992 ; Rondeau et al., 1999 ; Stomfay-Stitz, 1994 ; Van Slyck et Stern, 1986). Alors que des chercheurs auraient constaté une amélioration de l’estime de soi chez certains élèves médiateurs (Roush et Hall, 1993 ; Vanayan, White, Yuen et Teper, 1996), d’autres n’auraient obtenu aucun résultat significatif sur cette variable (Corriveau, Bowen, Rondeau et Bélanger, 1998 ; Long, Fabricius, Musheno et Palumbo, 1998).

La médiation pratiquée par les enfants et les adolescents suscite diverses réflexions. Dans leurs travaux sur le développement des habiletés cognitives, Long et ses collaborateurs (1998) posent l’hypothèse que les gains enregistrés chez les élèves médiateurs seraient davantage reliés à leur degré de maturité plutôt qu’à leur exposition à un programme de médiation par les pairs. On pourrait aussi s’interroger sur les effets indésirables et imprévus que peut entraîner cette nouvelle responsabilité chez les enfants médiateurs qui consacrent une bonne partie de leurs loisirs au service des autres. Corriveau et ses collaborateurs (1998) s’inspirent de la théorie du burden effect pour établir un parallèle avec le poids de la responsabilité qui peut peser sur les épaules des enfants médiateurs. Selon cette théorie, utilisée pour expliquer les conditions psychologiques des aidants naturels auprès des personnes âgées, les aidants risqueraient davantage de développer des problèmes d’anxiété et de dépression que le reste de la population (George, 1996 ; Whitlatch, Feinberg et Sebesta, 1997). L’isolement, le repli sur soi, l’irritabilité et des symptômes physiques (manque de sommeil, migraines) seraient aussi des éléments souvent évoqués. Plusieurs chercheurs associent l’aide informelle à un facteur de stress important qui entraîne des répercussions essentiellement négatives sur l’aidant. D’autres auteurs attribuent pour leur part des effets positifs au rôle d’aidant, conformément à la théorie du stress qui reconnaît aussi les effets bénéfiques générés par cet état (Gottlieb, 1989 ; Lawton, Moss, Kleban, Glickskine et Rovine, 1991 ; Pearlin, Mullan, Semple et Skaff, 1990). La gratification que l’aidant retire de cette relation d’aide pourrait ainsi être considérée comme étant un facteur de protection contre les effets néfastes associés au stress. Selon Lavoie (1999), il y aurait souvent présence simultanée de coûts et de gratifications chez l’aidant, bien que la notion de gratification soit beaucoup moins étudiée. Quoique les écrits scientifiques couvrent assez bien la notion d’aidant naturel dans le monde adulte, le manque de connaissances concernant la situation des jeunes aidants ne nous permet pas actuellement d’évaluer la qualité réelle de l’adaptation psychosociale des enfants qui pratiquent la médiation.

Certaines études font état des bénéfices sociaux associés au rôle de médiateur. Parmi ces avantages, on retrouve la formation supplémentaire, le rôle particulier occupé par les médiateurs, le respect qu’ils finissent par gagner auprès de leurs pairs de même que l’attention accordée par les adultes (Casella, 2000 ; Cunningham et al., 1998). Des médiateurs ont aussi rapporté certains inconvénients rattachés à leur tâche : leurs débuts difficiles, alors qu’ils se faisaient ridiculiser ou provoquer par leurs pairs, l’opposition passive de la part de certains enseignants, les déceptions face aux échecs de leurs médiations, la perte de certains amis et le manque d’endroits physiques disponibles pour pratiquer la médiation (Casella, 2000 ; Hessler et al., 1998 ; Humphries, 1999).

L’intégration des élèves en difficulté dans les équipes de médiation

Peu d’études se sont intéressées aux effets des programmes de médiation par les pairs sur les médiateurs qui présentent des problèmes de comportement. Cependant, certains auteurs soulignent que les élèves en difficulté sont rarement choisis pour devenir médiateurs en raison de leurs mauvaises relations avec les adultes et les pairs (Bonafé-Schmitt, 2000). De plus, ces jeunes ne proposeraient pas leur candidature, craignant qu’elle soit refusée (Casella, 2000). En parcourant les écrits, on constate que l’intégration des élèves en difficulté dans les équipes de médiation suscite plusieurs polémiques. L’une de ces controverses est sans doute liée au rôle de modèle de conduite rattaché aux élèves médiateurs. On pourrait aussi se demander si des élèves qui ont des problèmes de comportement arrivent à s’identifier aux médiateurs, généralement sélectionnés en raison de leurs compétences sociales. À cet effet, la plupart des programmes de médiation recommandent d’intégrer des élèves en difficulté dans l’équipe de médiation afin justement d’être le plus représentatif possible de la clientèle scolaire (Conflict Resolution Unlimited, 1995). On constate cependant que la majorité des équipes-écoles préfèrent sélectionner exclusivement des élèves qui possèdent de bonnes compétences sociales et scolaires (Burell et Vogl, 1990 ; Humphries, 1999 ; Long et al., 1998).

Les écrits rapportent néanmoins certains éléments anecdotiques concernant la participation des élèves « à risque » intégrés dans des équipes de médiation. Ces informations sont toutefois trop limitées pour évaluer la qualité de leur participation et les bénéfices retirés de cette expérience. Des enseignants ont, par exemple, émis l’hypothèse que ces élèves, qui se retrouvent généralement au coeur des conflits, profiteraient grandement de l’encadrement offert aux médiateurs (Lindsay, 1998). Dans une étude menée auprès d’adolescents provenant de quartiers difficiles de New York (National Institute of Justice, 1995), les enseignants rapportent avoir constaté des changements radicaux dans l’attitude de certains étudiants médiateurs, considérés jusqu’alors comme étant des jeunes « très durs ». Bell, Coleman, Anderson et Whelan (2000) ont évalué les impacts d’un programme de médiation par les pairs chez 30 élèves médiateurs du primaire provenant d’un milieu rural à niveau socio-économiquement faible. Les résultats révèlent une diminution du nombre de références disciplinaires pendant l’année de l’intervention comparativement à l’année précédente. Bien que ces élèves vivaient dans un milieu où le niveau de violence était considéré à la hausse par les auteurs, cette étude ne mentionne pas la nature des problèmes de comportement observés chez ces médiateurs. Dans une autre étude, des enseignants ont témoigné avoir été favorablement impressionnés par l’attitude aidante de certains jeunes dits « difficiles » lors des jeux de rôle effectués pendant les ateliers de résolution de conflits (Bonafé-Schmitt, 2000). Contrairement aux attentes des enseignants, ces enfants démontraient de bonnes capacités d’écoute et faisaient preuve d’une certaine distance émotionnelle pour aider à gérer les conflits entre leurs camarades. Roush et Hall (1993) rapportent que 8 des 48 médiateurs du primaire sélectionnés pour leur étude avaient été choisis justement parce qu’ils avaient la réputation de brutaliser les autres élèves dans la cour de récréation. Ils mentionnent que ces médiateurs n’ont récolté aucun billet d’inconduite lorsqu’ils étaient en devoir et que la moitié d’entre eux avaient amélioré significativement leur estime de soi après une année d’intervention. Enfin, Araki (1990) commente la participation positive d’une médiatrice qui présentait des problèmes de comportement à l’école secondaire (membre d’un gang, faible rendement scolaire, manque de motivation). Une enseignante qui lui reconnaissait de bonnes capacités de leadership avait suggéré sa candidature à l’équipe de médiation. Après une année de participation au programme, des améliorations importantes ont été constatées chez cette adolescente sur les plans comportemental et scolaire. À la fin de l’année, cette élève a mentionné avoir acquis une bonne réputation et a dit éprouver une certaine satisfaction quant à sa nouvelle image sociale.

En évaluant les retombées de leur programme d’intervention (Equip Program) auprès de jeunes délinquants gardés en institution fermée, Gibbs, Potter-Granville, Goldstein et Brendtro (1996) suggèrent que des adolescents qui présentent des comportements antisociaux peuvent arriver à s’entraider pour résoudre leurs conflits de façon pacifique. Ils rapportent que des leaders négatifs sont devenus des membres très positifs au sein des groupes d’entraide. En plus d’enseigner des habiletés prosociales à ces jeunes en difficulté, ils recommandent de développer les aptitudes naturelles d’altruisme présentes chez eux pour faciliter leur adaptation sociale. Ils appuient l’hypothèse que les délinquants seraient plus enclins à apprendre des habiletés sociales quand ils savent qu’elles vont servir à aider les autres. Quoique cette approche ne s’inscrive pas dans la lignée des programmes traditionnels de médiation par les pairs, elle milite en faveur du fait que des jeunes qui présentent des troubles de comportement peuvent être formés pour agir comme médiateurs et retirer des bénéfices personnels de cette expérience.

La présente étude vise à identifier certaines variables qui pourraient influencer le développement psychosocial des élèves qui présentent des troubles de comportement et qui agissent comme médiateurs. Certaines données qui seront discutées ont été recueillies au cours de l’étude plus générale de Beaumont et al. (2005), qui analysait les effets généraux d’un programme adapté de médiation par les pairs auprès d’élèves en trouble de comportement. Plus spécifiquement, nous souhaitons vérifier si des caractéristiques particulières rattachées aux médiateurs peuvent être associées aux effets produits par l’intervention. Des variables individuelles telles le sexe et l’âge des médiateurs ont été mises en relation avec les composantes comportementales, socioaffectives et sociocognitives à l’étude. De plus, nous avons voulu vérifier si le nombre de médiations effectuées avait une influence sur les effets du programme chez les médiateurs et s’il existait un lien entre le sentiment de satisfaction personnelle des médiateurs et la réussite ou l’échec de leurs médiations. Des données ont finalement été recueillies dès l’implantation du programme pour permettre de mieux comprendre le vécu des élèves médiateurs après une année d’intervention.

Méthodologie

Participants

Le groupe de médiateurs qui a pris part à cette étude est constitué de dix garçons et de cinq filles âgés de neuf à douze ans. Ces élèves fréquentent une école spécialisée en adaptation scolaire qui accueille treize filles et cinquante-sept garçons identifiés comme présentant des troubles de comportement selon les critères d’identification du ministère de l’Éducation du Québec[2] (Conseil supérieur de l’éducation, 2001). Bien que les cotes accordées par le ministère ne permettent pas de déceler s’il s’agit de comportements de type sous-réactif ou surréactif, nous avons cependant pu constater que la plupart des élèves fréquentaient cet établissement en raison de problèmes d’agressivité et/ou d’opposition à l’autorité.

Instruments

Plusieurs instruments ont servi à la cueillette des données. Les élèves médiateurs ont été évalués, comme tous les autres élèves prenant part à l’étude plus vaste, à l’aide de mesures autorévélées et de questionnaires remplis par les enseignantes avant le début des ateliers en classe (octobre 2000) et après la première année d’implantation du programme (mai-juin 2001). D’autres outils ont cependant été nécessaires pour permettre l’étude plus approfondie du travail des médiateurs : des fiches descriptives remplies par ces derniers après chaque médiation, des bilans et comptes rendus de réunions avec l’équipe-école et des questionnaires remplis à la fin du projet par les enseignants et les médiateurs. Tous les questionnaires ont été élaborés par les chercheurs pour répondre aux besoins spécifiques de la présente étude.

Le Questionnaire d’évaluation des comportements au primaire [QECP] (Tremblay, Desmarais, Gagnon et Charlebois, 1987) a été rempli par l’enseignante titulaire pour l’évaluation du comportement de chaque enfant. Cet instrument est une version du Preschool Behavior Questionnaire (Behar et Stringfield, 1974 ; Fowler et Park, 1979) combiné au Prosocial Behavior Questionnaire (Weir et Duveen, 1981). L’étude de validation menée par Behar et Stringfield (1974) démontre sa fiabilité pour discriminer les enfants avec ou sans problèmes de comportement. Pour la présente étude, la version réduite à 39 questions utilisée par Tremblay, Vitaro, Gagnon, Piché et Royer (1992) a été retenue. Cette version permet de produire trois échelles : agressivité-hyperactivité, anxiété-retrait et prosocialité. Les qualités métrologiques de ce questionnaire sont adéquates, et la cohérence interne (alpha de Cronbach) observée dans le cadre de l’étude de Poulin et Boivin (1995) varie entre 0,87 et 0,70 pour chacun des facteurs.

Le Répertoire des habiletés à l’école [RHE] (Rondeau, Bowen, Bélanger et Labonté, 1997) a aussi été rempli par l’enseignante titulaire pour mesurer le niveau d’habiletés sociales des élèves. Construit par des experts québécois de la socialisation, ce questionnaire de 20 items fait ressortir deux échelles : autocontrôle comportemental et expression des habiletés sociales. La cohérence interne a été évaluée à 0,95 pour le premier facteur et à 0,91 pour le second.

Le Self-Perception Profile for Children [SPPC] (Harter, 1985) a été administré en groupe pour évaluer le niveau de compétence personnelle chez l’enfant. Ce questionnaire contient 36 questions réparties en six échelles : compétence scolaire, compétence athlétique, apparence physique, acceptation sociale, compétence comportementale et estime de soi globale. Les coefficients de Cronbach rapportés comme indices de cohérence interne pour chacune des échelles varient entre 0,71 et 0,86 (Harter, 1985). Les échelles retenues pour notre étude sont celles de l’acceptation sociale, de la compétence comportementale et de l’estime de soi globale. Ce questionnaire permet de tenir compte du point de vue de l’enfant et fournit une évaluation directe du concept de soi chez les enfants éprouvant des difficultés d’adaptation sociale (Paradis et Vitaro, 1992).

L’Évaluation de résolution de problèmes interpersonnels [ERPI], adaptation française faite par Groleau (1990) du Social Problem Solving Interview (Bream, Hymel et Rubin, 1986), sert à évaluer les différents processus de résolution de problèmes sociaux utilisés par les enfants. Le ERPI est un type d’entrevue individuelle pendant laquelle on présente à l’enfant de courtes histoires relatant des situations problématiques susceptibles de se produire à l’école. Pour les fins de notre étude, nous avons retenu quatre situations hypothétiques se rapprochant le plus des situations sociales vécues à l’école. Pour chacune des situations, les intentions des acteurs et le dénouement de la situation sont volontairement laissés dans l’ambiguïté dans le but d’évaluer le type d’attribution fait par l’enfant. Quatre variables dépendantes ont été retenues : la perception de l’intentionnalité des personnages (une inférence accidentelle ou intentionnelle) et le type de solutions que l’enfant utiliserait s’il se trouvait dans cette situation (solutions agressives ou non agressives). Une équipe de deux juges a reçu un entraînement de quinze heures pour parvenir à une fidélité inter-juge valable lors du décodage des entrevues enregistrées (kappa de Cohen de 0,96 à 0,88).

Procédure

L’intervention a été menée dans une école primaire spécialisée en adaptation scolaire et le programme « Vers le pacifique » (Centre Mariebourg, 1998a, 1998b) a été adapté par le chercheur principal pour mieux répondre aux besoins de ces élèves qui présentaient des caractéristiques particulières (hyperactivité, déficit attentionnel, retards et difficultés d’apprentissage). Le programme comporte deux volets principaux : le premier consiste à former tous les élèves à la résolution de conflits tandis que le second volet est centré spécifiquement sur la médiation (sélection, entraînement et travail des médiateurs).

Une séance de sensibilisation au programme d’une durée de deux heures a d’abord été offerte aux enseignants à la fin de l’année scolaire 2000. En septembre 2000, les parents ont été informés de l’implantation du programme par l’intermédiaire de lettres et de circulaires, et un comité d’école, composé d’une psychologue, d’une stagiaire en psychoéducation et de la directrice adjointe, a été formé pour assurer la mise en oeuvre du projet et la supervision des médiateurs. Dix ateliers ont été présentés aux élèves, abordant des thèmes reliés aux habiletés sociales, à la résolution des conflits et à la médiation par les pairs (octobre-novembre 2000).

Sélection des médiateurs

Une fois les ateliers de résolution de conflits terminés, la sélection des médiateurs a été soigneusement organisée en tenant compte des sentiments que cette démarche susciterait chez ces jeunes en difficulté (rejet, échec, insécurité). Une première étape s’est effectuée par une consultation écrite qui consistait à demander aux élèves qui, selon eux, possédaient le plus de qualités pour devenir médiateurs. Ils étaient ensuite invités à inscrire sur ce formulaire s’ils étaient volontaires pour devenir médiateurs. La seconde étape consistait à faire approuver le choix des élèves par les enseignants. Après le dépouillement des questionnaires, les enseignants se sont prononcés sur les choix des écoliers. Bien que certains des choix des élèves aient été facilement approuvés par l’assemblée, d’autres, en raison de troubles plus graves de comportement, ont suscité de plus longues discussions. Le choix initial des élèves a cependant été approuvé sans avoir été modifié par les enseignants. On pouvait ainsi compter de deux à cinq médiateurs dans chacun des groupes-classes. Le processus de sélection se poursuivait par des rencontres individuelles et de groupes dans le but de mesurer le niveau de motivation des élèves sélectionnés. L’intérêt des élèves a été vérifié par les intervenants, mais toute autre forme de sélection visant à éprouver leur motivation a été volontairement écartée. Les jeunes sélectionnés n’ont pas eu à remplir de questionnaires écrits pour justifier leurs motivations, et aucun d’entre eux n’a été écarté après la formation, comme c’est parfois le cas dans les processus habituels de sélection. Ces mesures ont été prises pour éviter de mettre ces élèves volontaires en situation d’échec et de susciter chez eux des réactions agressives face au projet. Finalement, les médiateurs choisis devaient obtenir l’autorisation écrite de leurs parents pour se joindre à l’équipe.

Formation des médiateurs

La formation des médiateurs a été adaptée selon les mêmes principes que le volet « résolution de conflits » et s’est déroulée dans un chalet à la campagne pendant une période de deux jours. L’endroit avait été choisi afin de créer une certaine cohésion au sein de l’équipe dès les premiers jours. En plus des ateliers proposés par le programme original (communication, procédure de la médiation, etc.), des discussions ont été menées dans le but de préparer ces jeunes à faire face aux attitudes parfois négatives de leurs pairs à leur égard. Des stratégies pour gérer ces situations leur ont été suggérées et ils ont été invités à en parler lors des séances de supervision.

Travail et supervision des médiateurs

En décembre 2000, les médiateurs commençaient leurs activités dans la cour de récréation, selon un horaire préalablement établi. Les cinq médiateurs en devoir devaient porter leur dossard d’identification et remplir une fiche descriptive après chaque médiation. Ces fiches sont devenues un support visuel et sécurisant pour les élèves médiateurs, leur permettant de se référer aux étapes de résolution de conflits qui figuraient sur ce feuillet. Un adulte de l’équipe d’intervention assurait une présence et un soutien aux médiateurs pendant chaque récréation. Au début du projet, les médiateurs étaient sollicités par les élèves pendant les récréations, et les médiations se déroulaient dans la cour d’école. L’aménagement d’un local de médiation en février 2001 a rendu possible la pratique de la médiation pendant les heures de cours ou pendant la pause de midi. Ce local était supervisé par un éducateur qui se trouvait à proximité. À partir de ce moment, plusieurs médiations ont eu lieu pendant les heures de classe ou à la pause de midi, avec l’approbation de l’enseignante.

De décembre 2000 à février 2001, les équipes de médiation, composées chacune de cinq élèves, ont été supervisées à raison d’une rencontre de 45 minutes par semaine. De février à juin 2001, les supervisions de groupe ont eu lieu à une fréquence de deux par mois. De plus, de nombreuses rencontres individuelles ont été nécessaires pour plusieurs médiateurs. Comme la motivation de certains médiateurs était fluctuante (difficulté à accepter l’échec d’une médiation, les moqueries de la part des camarades, etc.), dès janvier 2001, l’équipe d’intervention a mis en place des « renforçateurs » : argent scolaire, collations pour les médiateurs, affichage des photos des médiateurs, concours par intercom. Un article a aussi été publié dans une revue professionnelle affichant la photo de quelques médiateurs en devoir (Beaumont, 2001). En mars 2001, des journalistes sont venus tourner un reportage télévisé au sujet du projet de médiation. Celui-ci a été diffusé par la suite au bulletin de nouvelles de la chaîne nationale.

En avril 2001, une relance des ateliers de résolution de conflits a été effectuée dans les classes d’expression dramatique en utilisant des jeux de rôle. Par la suite, la campagne « médiateur d’un jour » a permis à quinze élèves additionnels de devenir assistant-médiateur et de porter le dossard pendant une journée. Ces activités ont toutes été supervisées par les médiateurs réguliers. En mai 2001, une journée d’activités de plein air a été offerte aux médiateurs qui souhaitaient retourner au chalet où s’était déroulée leur formation initiale. Pendant le gala de fin d’année, le programme de médiation par les pairs a été mis à l’honneur et un certificat a été remis par le directeur de l’école à chacun des médiateurs, en guise de remerciement pour le travail effectué.

Résultats

La première partie des résultats porte sur les analyses statistiques qui ont servi à vérifier l’influence de certaines variables sur le développement comportemental, socioaffectif et sociocognitif des élèves médiateurs. Des analyses de corrélations (r de Pearson), des tests t et des tests de khi-carré ont été effectués en retenant le seuil alpha p < 0,05 pour l’interprétation des résultats. Le test U de Mann-Whitney a aussi été utilisé en raison de la petitesse de notre échantillon. La deuxième série de résultats provient des instruments issus de l’implantation du programme : questionnaires remplis par les élèves et les enseignants, bilans et fiches statistiques.

Résultats des analyses

Pour évaluer si le sexe des médiateurs pouvait avoir une influence sur leur développement aux niveaux comportemental, socioaffectif et sociocognitif, des tests non paramétriques (U de Mann-Whitney) ont été effectués sur la différence entre le prétest et le post-test pour chacune des variables étudiées. Bien que les résultats n’indiquent aucun résultat significatif pour la variable « sexe », d’autres analyses ont permis de constater que les garçons médiateurs avaient été consultés aussi souvent que les filles médiatrices, toutes proportions gardées.

Les tests de corrélation (r de Pearson) ne révèlent aucun lien significatif entre l’âge des médiateurs et les résultats obtenus entre le prétest et le post-test pour les mêmes variables étudiées.

La troisième question à l’étude visait à vérifier si le nombre de médiations effectuées par les médiateurs pouvait avoir des effets sur les aspects comportemental, socioaffectif et sociocognitif. Les tests de corrélation (r de Pearson) présentés dans le Tableau 1 indiquent une augmentation significative du niveau d’anxiété chez les médiateurs qui ont effectué un plus grand nombre de médiations (r de Pearson = 0,655, p < 0,01).

Tableau 1

Corrélation entre le nombre de médiations effectuées et la différence prétest/post-test aux mesures comportementales, socioaffectives et sociocognitives

Corrélation entre le nombre de médiations effectuées et la différence prétest/post-test aux mesures comportementales, socioaffectives et sociocognitives
*

p < 0,05

**

p < 0,01

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La dernière série d’analyses a été effectuée à l’aide des données tirées des fiches statistiques complétées par les médiateurs après chaque médiation. Des tests de khi-carré ont révélé un lien significatif entre le niveau de satisfaction personnelle exprimé par les médiateurs et l’issue positive ou négative de leurs médiations (χ2 [ 2, n = 134 ] = 10,036, p < 0,01). L’issue positive d’une médiation renvoie au fait qu’elle se conclut par une entente entre les parties impliquées. L’issue négative fait plutôt allusion à une médiation qui ne s’est pas terminée par un arrangement entre les enfants (abandon, dispute lors de la médiation, absence de solutions ou refus de l’entente proposée, etc.). Ces résultats indiquent que les médiations non réussies ont entraîné un niveau d’insatisfaction plus élevé chez l’ensemble des médiateurs (voir Tableau 2). Toutefois, les Tableaux 3 et 4 montrent que ce lien ne serait significatif que chez les filles médiatrices (χ2 [ 2, n = 42 ] = 14,139, p = 0,001), les garçons étant moins sensibles à cet aspect (χ2 [ 2, n = 92 ] = 0,043, p = 0,979).

Les questionnaires, les fiches statistiques remplies par les médiateurs, leurs commentaires recueillis en cours d’année de même que ceux émis par les enseignants lors des bilans d’équipe constituent une source riche d’informations qui permettent de mieux évaluer l’ensemble du processus auquel ont participé ces élèves médiateurs.

Tableau 2

Tableau croisé de la fréquence de l’issue des médiations effectuées et du niveau de satisfaction exprimé par l’ensemble des médiateurs

Tableau croisé de la fréquence de l’issue des médiations effectuées et du niveau de satisfaction exprimé par l’ensemble des médiateurs

2 [ 2, n = 134 ] = 10,04, p = 0,01)

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Tableau 3

Tableau croisé de la fréquence de l’issue des médiations effectuées et du niveau de satisfaction exprimé par les garçons médiateurs

Tableau croisé de la fréquence de l’issue des médiations effectuées et du niveau de satisfaction exprimé par les garçons médiateurs

2 [ 2, n = 92 ] = 0,04, p = 0,98)

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Tableau 4

Tableau croisé de la fréquence de l’issue des médiations effectuées et du niveau de satisfaction exprimé par les filles médiatrices

Tableau croisé de la fréquence de l’issue des médiations effectuées et du niveau de satisfaction exprimé par les filles médiatrices

2 [ 2, n = 42 ] = 14,14, p = 0,001)

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Les fiches statistiques

Les données provenant des fiches statistiques remplies par les médiateurs ont permis de constater que 134 médiations ont été effectuées et se sont soldées par une entente entre les enfants dans 86 % des cas. La Figure 1 indique le nombre de médiations effectuées par chacun des médiateurs. Ces données révèlent aussi que 94 % des élèves ont utilisé les services d’un médiateur au moins une fois pendant l’année. Chez les élèves de 6e année, plus réfractaires au début du projet, on constate même que 80 % d’entre eux ont eu recours à un médiateur pendant l’année scolaire. Les fiches statistiques révèlent que douze médiateurs ont eu recours aux services de médiation pour eux-mêmes et ont été impliqués dans 35 conflits gérés par un collègue médiateur. Cependant, aucun élève de l’équipe de médiation n’a récolté de billet d’indiscipline lorsqu’il était en devoir et le taux d’échec des médiations s’est réparti assez également entre les médiateurs, proportionnellement au nombre de médiations effectuées par chacun.

Figure 1

Nombre de médiations effectuées pour chacun des médiateurs

Nombre de médiations effectuées pour chacun des médiateurs

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Les questionnaires

À l’aide des questionnaires conçus pour la présente étude, les médiateurs ont exprimé un haut degré de satisfaction concernant leur participation au programme de médiation par les pairs.

Les éléments de satisfaction rapportés se décrivent comme suit par ordre d’importance : 

  1. effectuer des médiations ;

  2. se faire demander d’effectuer une médiation ;

  3. participer aux activités spéciales ;

  4. assister aux groupes de supervision ;

  5. superviser les médiateurs d’un jour ;

  6. recevoir de l’argent scolaire pour leur travail ;

  7. être encouragés par les adultes de l’école.

Parmi leurs insatisfactions, ils mentionnent :

  1. les élèves qui ne voulaient pas de médiation ;

  2. les conflits qui surviennent lors de la médiation ;

  3. les provocations des autres élèves au début du projet ;

  4. la rareté des médiations ;

  5. les moqueries des camarades ;

  6. la responsabilité de travailler lorsqu’ils n’en avaient pas envie ;

  7. les élèves en conflit qui ne sollicitaient pas leur aide.

Pour améliorer le système de médiation, ils suggèrent de multiplier les supervisions et d’augmenter les activités spéciales ainsi que le salaire des médiateurs. Ils auraient souhaité que les élèves utilisent davantage le système de médiation et que les enseignants recommandent davantage le service de médiation. Quelques-uns ont aussi mentionné leur intérêt à visiter d’autres écoles pour faire connaître leur travail.

Les quinze médiateurs sélectionnés et entraînés étaient toujours en poste à la fin de l’année scolaire. La majorité d’entre eux (94 %) croient que leur travail a contribué à aider les élèves et 88 % estiment que leur intervention a fait diminuer le niveau de violence à l’école. Plusieurs d’entre eux (40 %) auraient souhaité recevoir plus de soutien de la part des enseignants, bien que 88 % considèrent avoir reçu un bon soutien de la part des responsables du projet. Seulement 52 % des médiateurs mentionnent avoir reçu des encouragements de la part de leurs parents.

Interrogés sur leur intention de continuer ou non leur travail de médiateur l’année suivante, onze élèves (72 %) ont affirmé vouloir maintenir leur participation au programme alors qu’un seul était ambivalent. Parmi les trois médiateurs qui ont répondu négativement à cette question, deux quittaient l’école pour intégrer le secondaire alors que celui qui ne souhaitait pas renouveler son expérience évoquait la difficulté d’être en devoir lorsqu’il n’en avait pas envie.

Les questionnaires remplis par les enseignants en fin d’année indiquent que 84 % d’entre eux ont dirigé des élèves vers le service de médiation « souvent » et « à l’occasion ». Les observations consignées par les responsables du projet indiquent que les enseignants ont commencé à diriger des élèves vers le service de médiation à partir du mois de février 2001. Plusieurs enseignants mentionnent qu’ils auraient pu faire davantage de promotion dans leur classe et que, bien souvent, ce sont les enfants qui leur ont suggéré d’utiliser le service. Ils se sont cependant déclaré unanimement satisfaits de l’intervention et ont constaté une amélioration au niveau du climat de l’école. Certains ont mentionné que la valorisation des médiateurs avait été un élément déterminant pour la réussite de ce projet et qu’il était important de maintenir un haut niveau de motivation chez ces derniers. Ils disent avoir constaté à plusieurs reprises la fierté des médiateurs de leur classe lorsque ces derniers étaient sollicités. Plusieurs ont affirmé que le programme de médiation par les pairs avait dépassé leurs attentes et qu’ils avaient été étonnés de voir comment ces jeunes en difficulté pouvaient arriver à s’entraider. Enfin, des enseignants ont suggéré d’étendre ce système d’entraide aux élèves qui avaient besoin de se confier à un pair, dans le but de recevoir du soutien sans nécessairement avoir un conflit à régler.

Discussion

Cette étude avait pour but d’étudier certaines variables susceptibles d’influencer le cheminement psychosocial des élèves qui présentent des troubles de comportement et qui agissent comme médiateurs. Nous souhaitions ainsi vérifier si des caractéristiques particulières rattachées aux médiateurs pouvaient être associées aux effets produits par l’intervention. Des variables individuelles telles le sexe et l’âge des médiateurs ont été mises en relation avec chacune des composantes comportementales, sociaffectives et sociocognitives à l’étude. D’autres variables liées à la pratique de la médiation ont aussi été étudiées. Ainsi, nous avons vérifié si le nombre de médiations effectuées avait une influence sur les effets du programme chez les médiateurs. Nous voulions finalement savoir si le sentiment de satisfaction personnelle des médiateurs était associé à la réussite ou à l’échec de leurs médiations.

Les résultats indiquent que ni l’âge ni le sexe n’ont influencé le développement psychosocial des médiateurs qui ont participé à l’intervention. Les observations faites sur le terrain abondent dans le même sens, car elles ont permis de constater que le niveau de participation des médiateurs n’était pas en lien avec leur âge ou leur sexe. Ainsi, le plus jeune (neuf ans) a effectué le même nombre de médiations que le plus âgé (douze ans) et la popularité des médiateurs ne semble pas s’être établie en relation avec l’âge de ces derniers. On constate aussi qu’en proportion de leur nombre, les garçons médiateurs ont effectué autant de médiations que leurs collègues de sexe féminin. Ces derniers résultats rejoignent ceux obtenus par Cunningham et ses collaborateurs (1998) auprès d’élèves fréquentant des écoles régulières. Bien que les filles soient généralement plus nombreuses à se porter volontaires au poste de médiateur, ces chercheurs mentionnent que les médiations se répartissent finalement assez bien entre les sexes des médiateurs une fois le programme implanté. Dans le domaine de l’entraide par les pairs, la discussion sur le sexe des aidants suscite régulièrement diverses réflexions. Plusieurs études effectuées dans le domaine de l’entraide par les pairs rapportent qu’il est souvent difficile de trouver des garçons volontaires pour devenir pairs aidants (Cowie, 2000 ; Naylor et Cowie, 1999). Ce phénomène semble encore plus évident dans les écoles mixtes alors que, dans les écoles réservées aux garçons, il y aurait souvent trop de volontaires. Au début de la présente étude, un très grand nombre de garçons se sont aussi portés volontaires pour joindre l’équipe de médiation. Comme cette école accueille majoritairement des garçons, on peut constater que cet intérêt est aussi observable auprès d’une clientèle en difficulté. Bien que l’entraide n’était pas très valorisée dans cet établissement scolaire à haut risque d’agressivité, les garçons ont présenté un taux de participation élevé au programme. L’étonnement des enseignants a souvent été constaté lorsque ces derniers voyaient leurs élèves agressifs régler un conflit entre deux autres enfants.

Une autre question de l’étude visait à vérifier si le fait d’avoir effectué plusieurs médiations influençait le cheminement comportemental, socioaffectif et sociocognitif des médiateurs. Les résultats ont révélé une augmentation significative de l’anxiété chez les médiateurs qui étaient intervenus un plus grand nombre de fois. Il est possible que la responsabilité reliée à la tâche ait pu représenter un fardeau pour les médiateurs les plus sollicités. La théorie du burden effect pourrait ainsi expliquer ces effets indésirables reliés à la pratique de la médiation entre enfants (George, 1996 ; Whitlatch et al., 1997). Bien que le niveau d’anxiété ait augmenté chez ces jeunes, les analyses n’indiquent aucun autre effet négatif relatif à une augmentation de l’agressivité ou à une plus grande attribution d’intentions hostiles. Les médiateurs qui ont effectué un plus grand nombre de médiations sont aussi ceux qui se sont le plus impliqués au sein de l’équipe de médiation et qui ont été les plus enclins à entreprendre de nouvelles activités. Le fort sentiment de valorisation vécu par ces médiateurs peut avoir été un facteur de protection assez puissant pour leur permettre de continuer à cheminer personnellement sans développer d’autres symptômes négatifs. Ces constatations rejoignent l’opinion émise par Lavoie (1999) selon laquelle il y aurait à la fois des coûts et des gratifications rattachées au rôle de la personne aidante. La supervision continue des médiateurs revêt donc une importance de tout premier ordre pour pallier aux effets négatifs reliés au rôle de médiateur. Les responsables des programmes de médiation doivent donc avoir le souci constant de multiplier les activités valorisantes et de maintenir un niveau élevé de motivation chez ces élèves qui présentent des besoins affectifs particuliers. Les rencontres de supervision offertes à ces élèves doivent donc favoriser l’expression du vécu des médiateurs compte tenu du fait que l’un des effets du fardeau de l’aidant (burden effect) consiste justement à se replier sur soi et à ne pas demander l’aide d’autrui.

Les élèves qui présentent des troubles de comportement sont généralement très sensibles à l’échec et y réagissent souvent de façon agressive ou en se retirant. Nos analyses rapportent que les médiations non complétées ou non réussies entraînent des effets négatifs sur le niveau de satisfaction personnelle exprimée par les filles médiatrices. Alors que les garçons sont peu sensibles à cet aspect, les filles s’avèrent être beaucoup plus critiques envers elle-mêmes. Il aurait été intéressant de vérifier comment les médiatrices abordaient les autres médiations après un échec. Le lien existant entre le niveau de satisfaction personnelle (mesuré à l’aide des fiches remplies par les médiateurs) et d’estime de soi (mesuré au moyen du test de Harter) serait certainement très intéressant à étudier. Lorsqu’on considère les résultats mitigés des études traitant de l’estime de soi des élèves médiateurs (Corriveau et al., 1998 ; Long et al., 1998), on pourrait suggérer une meilleure préparation des médiateurs à faire face aux échecs inévitables reliés à leur tâche. Le niveau de maturité de ces enfants ne leur permet peut-être pas de bien gérer ces situations qui peuvent être vécues comme des échecs. À cet effet, un atelier pour apprendre à mieux gérer ces situations d’échec pourrait être inséré dans la formation initiale des médiateurs de façon à leur faire prendre conscience que la réussite d’une médiation ne repose pas exclusivement sur les épaules de l’aidant. Bien que la plupart des formations enseignent aux élèves que les deux parties doivent être d’accord avant d’entreprendre une médiation, leur désir d’aider est parfois tellement envahissant qu’ils outrepassent cette consigne de base et s’exposent à un échec de leur intervention.

Les informations tirées de l’analyse de l’implantation sont assez éloquentes pour conclure que l’expérience s’est avérée positive pour les médiateurs qui ont participé à cette expérimentation. Les commentaires recueillis auprès de ces derniers laissent bien paraître leurs besoins de compétence sociale, d’acceptation, d’appartenance et de reconnaissance sociale à travers les satisfactions et insatisfactions qu’ils ont exprimées. Les programmes traditionnels de médiation par les pairs répondent assez bien à ces besoins pour les enfants qui ne présentent pas de graves problèmes de comportement. On sait cependant que les élèves qui manifestent des difficultés d’adaptation sociale nécessitent un encadrement spécifique. Les processus de sélection, de formation et de supervision des programmes de médiation doivent ainsi être adaptés pour que cette expérience s’avère positive. Certains chercheurs ont dû écarter les médiateurs indisciplinés de leur équipe de médiation, probablement parce que leur programme ne prévoyait pas d’encadrement particulier pour ce type d’élèves. Il importe donc d’investir du temps et de prévoir les ajustements nécessaires si on veut éviter que l’enfant ajoute cette expérience à son registre d’échecs.

Cette expérimentation s’est déroulée dans une école spécialisée en adaptation scolaire, et ce contexte fait en sorte qu’il est difficile de généraliser les résultats à un milieu scolaire régulier. Cependant, certains éléments peuvent être retenus pour favoriser la participation des jeunes en difficulté dans une équipe de médiation, où qu’elle soit, et permettre qu’ils retirent des gains personnels de cette expérience.

La sélection

Quelques auteurs soulignent que les élèves en difficulté sont rarement choisis pour devenir médiateurs et que certains d’entre eux ne proposent même pas leur candidature, craignant qu’elle soit refusée (Bonafé-Schmitt, 2000 ; Casella, 2000). Intégrer ce type d’enfant dans une équipe de médiation constitue une intervention en soi, mais l’élève doit d’abord avoir l’occasion de participer à la sélection. Les critères de sélection doivent être assez souples pour permettre à ces élèves d’être éligibles. L’adaptation du processus de sélection telle que présentée dans cette étude peut inspirer les intervenants qui veulent implanter ce genre de programme dans un milieu scolaire similaire. Toutefois, d’autres adaptations s’avéreront nécessaires et devront tenir compte des contraintes du milieu si on souhaite intégrer quelques élèves en trouble de comportement dans les équipes de médiation.

La formation

Offrir la formation des médiateurs à la campagne permet d’établir une bonne cohésion de l’équipe dès le début du projet. Cependant, la distraction occasionnée par le nouvel environnement et les nouvelles amitiés atténue leur capacité d’attention et nuit aux apprentissages techniques à faire. Ainsi, il serait préférable d’offrir cette formation dans un milieu mieux adapté aux apprentissages techniques nécessaires à la préparation des médiateurs. Les ateliers pourraient, par exemple, être divisés en séances de 60 minutes, avec un maximum de deux séances par jour, et une sortie pourrait être organisée dans le but précis de créer des liens entre les enfants. Des discussions touchant le rejet possible de la part des pairs et le sentiment d’échec dans certaines circonstances permettraient de mieux préparer les élèves aux aspects négatifs liés à leur tâche et ainsi de les aider à les éviter.

La supervision

Les élèves en difficulté ont besoin d’un encadrement plus important que les autres élèves qui participent à ces programmes. Les rencontres hebdomadaires peuvent bien combler les besoins de ces jeunes. Plusieurs rencontres individuelles devront cependant avoir lieu tout au long de l’année. Ces élèves présentent souvent des problèmes de motivation et sont portés à démissionner au premier obstacle. De ce fait, un système de récompenses peut stimuler la motivation, le temps de permettre à l’élève de retirer un autre type de gratification de son expérience de médiateur. Cependant, si l’élève n’obtient pas de satisfaction à pratiquer la médiation, les récompenses n’arriveront pas à le motiver à venir en aide à ses pairs. Dans cette étude, les élèves ont placé les récompenses (argent scolaire) très loin derrière les gratifications sociales engendrées par la pratique de la médiation. Ces sentiments de valorisation semblent en effet fournir la motivation nécessaire aux élèves pour persévérer dans leur tâche. De plus, il importe de susciter l’intérêt des parents afin qu’ils valorisent et encouragent eux aussi la participation de leur enfant au programme de médiation. Finalement, la promotion continue du programme dans l’école permet aux autres élèves de ne pas oublier l’existence des médiateurs et les incitent à s’adresser plus souvent à leurs services. Sans cet élément promotionnel, les médiateurs pratiquent très peu de médiations et se désintéressent rapidement de leur rôle.

Bien que les résultats de cette étude suggèrent certaines pistes de recherche et d’intervention, ils doivent cependant être considérés avec prudence, compte tenu des limites méthodologiques importantes que nous devons souligner. La plus importante est sans doute reliée à la taille de notre échantillon, qui comptait seulement quinze médiateurs. Ce très petit nombre de sujets ne peut qu’affaiblir considérablement la puissance de nos tests statistiques. Cependant, les élèves qui manifestent des troubles de comportement et qui pratiquent la médiation sont encore tellement rares qu’il est actuellement difficile de trouver un échantillon plus large de sujets qui corresponde à cette description. Une deuxième limite de l’étude concerne la difficulté à évaluer les effets réels du programme sur ces enfants qui vivent des difficultés personnelles, sociales, scolaires et familiales et qui bénéficient de toute une gamme de services offerts par l’école et les services sociaux. De plus, leurs milieux de vie sont souvent instables et ils font face à des situations très anxiogènes à l’extérieur de l’école. À titre d’exemple, trois des médiateurs qui participaient à cette étude vivaient en famille d’accueil ou en foyer de groupe, deux ont vécu la séparation de leurs parents, la garde parentale a changé pour un autre élève, certains ont eu à comparaître devant le tribunal de la jeunesse pendant l’année scolaire, et la liste pourrait se prolonger. Comme tous ces enfants avaient des cadres de vie différents, plusieurs variables n’ont pu être contrôlées.

Conclusion

Cette étude avait pour but d’étudier certaines variables susceptibles d’influencer le développement psychosocial des enfants médiateurs qui présentent des troubles de comportement. Les écrits qui portent sur le vécu des jeunes aidants sont peu nombreux alors que ceux qui traitent de l’entraide entre pairs qui présentent des troubles de comportement sont presque inexistants. En conséquence, il est difficile d’évaluer la qualité réelle de l’adaptation psychosociale des enfants qui présentent des troubles de comportement et qui agissent comme médiateurs. Cependant, la présente étude a permis d’identifier deux variables associées à la pratique de la médiation susceptibles d’avoir une influence sur l’adaptation psychosociale de ces enfants, soit l’augmentation de l’anxiété reliée à une pratique plus fréquente de la médiation et le faible niveau de satisfaction personnelle vécu par les filles après une médiation non réussie. Ces effets indésirables ne doivent cependant pas faire oublier les commentaires positifs recueillis par les élèves médiateurs et les enseignants qui ont pris part à l’expérimentation. Un grand nombre d’études rapportent les effets bénéfiques des programmes de médiation par les pairs sur les enfants et sur le climat scolaire. Dans cet article, nous avons voulu documenter la mise en oeuvre de l’intervention dans le but de faire ressortir l’importance de la participation des adultes de l’école. Avec une clientèle en difficulté, la qualité de l’encadrement qui est offert aux médiateurs déterminera en grande partie la réussite ou l’échec de l’implantation. Tous les médiateurs sélectionnés au début du projet étaient encore en poste à la fin de l’année scolaire. Ce faible taux d’attrition témoigne que des jeunes en difficulté peuvent persévérer dans une tâche qui n’est pas toujours facile à gérer à condition qu’il reçoivent le soutien nécessaire. Ces résultats plaident en faveur de l’intégration de jeunes qui manifestent des troubles de comportement dans les équipes de médiation implantées dans des écoles régulières.

Les limites méthodologiques de cette recherche incitent à interpréter les résultats avec beaucoup de prudence, compte tenu du petit nombre d’élèves médiateurs. Ces conclusions peuvent toutefois orienter d’autres travaux permettant l’amélioration de nos connaissances du vécu des jeunes aidants. Ainsi, d’autres stratégies d’intervention pourront être développées pour favoriser l’adaptation psychosociale de ces élèves médiateurs.