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1. Introduction

Cet article porte sur la relation entre le développement d’une citoyenneté environnementale et l’insertion sociale des jeunes en grandes difficultés d’apprentissage ou d’adaptation. Non seulement ces jeunes terminent leur parcours scolaire sans diplôme d’études secondaires ou de formation professionnelle, mais souvent aussi sans avoir développé les compétences disciplinaires et transversales que le curriculum scolaire de base identifie comme nécessaires. Dès lors, leur exclusion scolaire risque de se poursuivre en exclusion sociale. Or, pour être en mesure de faire face aux enjeux environnementaux qui la confrontent, une collectivité ne peut exclure de citoyens. C’est pourquoi il importe non seulement d’insérer une dimension environnementale dans les programmes d’insertion socioprofessionnelle des jeunes qui s’adressent à ces jeunes, mais également d’en mesurer l’impact sur l’engagement en faveur de la protection de l’environnement et du développement durable. Le programme de recherche entrepris depuis quelques années (Boutet, 2003 ; Boutet et Dumoulin 2003 ; Boutet et Samson, 2005 ; Rousseau, 2004 ; Samson, 2005), sur lequel se fonde cet article, se préoccupe essentiellement de cette question. Il a été mené principalement auprès des élèves d’un programme d’insertion socioprofessionnelle des jeunes qui fait place explicitement aux préoccupations environnementales et au développement durable, le programme des Centres de formation en entreprise et récupération (CFER).

Dans un premier temps, nous posons la problématique de l’inclusion de ces jeunes dans une démarche d’éducation relative à l’environnement et au développement durable (EREDD). Pourquoi faut-il le faire et comment le programme des Centres de formation en entreprise et récupération procède-t-il à cet égard ? Puis, en lien avec les caractéristiques des élèves en difficulté d’adaptation et d’apprentissage, nous identifions les principaux obstacles à l’insertion sociale que l’école devrait les aider à surmonter, compte tenu de leurs processus particuliers d’apprentissage. Nous faisons ensuite part de nos résultats de recherche qui tendent à montrer que l’engagement des élèves des Centres de formation en entreprise et récupération envers une cause environnementale, notamment par leur participation à la diffusion d’un message pour la protection de l’environnement dans le cadre de l’activité de la Caravane CFER du développement durable, augmente non seulement leur sentiment de bénéficier d’un pouvoir d’action (empowerment), mais également leurs intentions d’actions réelles. Sur cette base, nous argumen-tons en faveur de l’enrichissement des programmes d’insertion socioprofessionnelle des jeunes par l’intégration d’une dimension d’éducation à la citoyenneté environnementale, dans le but de favoriser la participation sociale de jeunes peu scolarisés. Nous présentons diverses possibilités d’enrichissement, notamment celle de la réalisation de projets pédagogiques pour l’environnement naturel et celle de la mise en place d’une démarche continue d’écoévaluation (Selby, 2002) dans les institutions de formation, qu’il reste à valider dans de futures recherches.

2. Réussite de l’insertion socioprofessionnelle à défaut de la réussite scolaire

L’institution scolaire ne convient pas à tous. Dans sa forme actuelle, avec ses exigences actuelles, elle laisse échapper un pourcentage élevé de jeunes, ce qui préoccupe les enseignantes et les enseignants. Mentionnons que, dans sa conférence de clôture du colloque Avancées et Propositions en matière d’Éducation pour le Développement durable, tenu à Paris du 14 au 16 juin 2006, Charles Hopkins rappelait qu’un des principaux défis pour l’éducation de base dans le monde est que l’école apprenne à s’adresser aux élèves, majoritaires, dont le mode d’accès privilégié à la connaissance n’est pas la lecture.

Par-delà les réformes, les enseignants sont confrontés quotidiennement à des élèves menacés d’échec scolaire, avec toutes les conséquences négatives que cela peut entraîner pour le reste de leur vie. Ce sentiment d’incapacité fait partie des principaux facteurs d’épuisement professionnel des enseignants. Parmi eux, ceux qui réussissent le mieux à intervenir dans des contextes difficiles, où se retrouvent notamment beaucoup d’élèves en grande difficulté d’apprentissage ou d’adaptation, ne tentent pas de réformer le système scolaire, mais trouvent plutôt satisfaction à sauver les élèves un à un (Haberman, 2004).

Tous les élèves deviennent citoyens ou citoyennes à part entière, peu importe leur parcours scolaire. Dès lors, il vaut la peine de s’interroger sur ce que pourront réinvestir dans leur insertion socioprofessionnelle ceux d’entre eux dont l’expérience scolaire ne se termine pas avec succès. Tenter de les sauver ne signifie pas nécessairement faire en sorte qu’ils terminent leur cinquième secondaire régulier en vue d’obtenir le diplôme d’études secondaires. Nous ne contestons pas la valeur de cet objectif, mais nous constatons qu’il est actuellement hors de portée pour un certain nombre d’élèves. Il s’agit plutôt de les aider à développer des outils de réussite socioprofessionnelle, par-delà les propositions curriculaires et malgré l’échec scolaire.

Les travaux d’Haberman (2004) l’ont conduit à identifier certaines caractéristiques communes aux professeurs (7 % des enseignants américains selon lui) qui réussissent là où tous les autres échouent, c’est-à-dire dans des contextes très difficiles. Comme ces enseignants exemplaires (Star teachers) américains, les fondateurs du réseau des centres de formation en entreprise et récupération ont voulu créer des conditions favorisant la récupération des élèves que le système scolaire ne parvient pas à intégrer.

Aux yeux des enseignants exemplaires, tous les élèves exclus, qui quittent l’école à 16 ans tout simplement parce qu’ils ont atteint l’âge limite de la scolarisation obligatoire, sont autant de ressources perdues pour la société. Les récupérer, c’est une intention éducative socialement soutenable, au même titre que la récupération des objets matériels peut l’être (Baby, 2005). Dans cette entreprise, une attitude fondamentale est requise de la part des enseignants : faire preuve de réalisme dans les attentes à l’égard de ces élèves en grande difficulté. La réussite d’une scolarisation de base régulière n’étant plus à leur portée, c’est la réussite de leur insertion socioprofessionnelle qui s’impose comme objectif réaliste.

Les centres de formation en entreprise et récupération offrent un programme d’insertion sociale et professionnelle à des jeunes en fin de cheminement scolaire difficile. Ce programme comprend un volet de scolarisation bâti autour de cinq outils principaux : le journal, le cartable, le fichier orthographique, le dossier de l’élève et les situations de promotion du développement durable (caravanes). Il comprend également un volet de formation à l’emploi, se déroulant dans des entreprises contribuant au développement durable annexées à l’école. Actuellement, ce sont près de vingt établissements qui offrent le programme et constituent le Réseau québécois des CFER.

Parmi les moyens mis en oeuvre dans les centres de formation en entreprise et récupération pour atteindre cet objectif, plusieurs sont liés aux enjeux environnementaux auxquels est confrontée la société actuelle. L’intuition pédagogique des fondateurs était que l’engagement envers l’environnement et le développement durable constituerait un facteur positif d’insertion socioprofessionnelle. Ils ont élaboré trois stratégies principales à cet effet :

  1. la lecture quotidienne du journal : les travaux de Milner (2004) confirment ce lien pressenti entre l’accès à l’information écrite et la participation citoyenne. Plus que jamais, les questions environnementales font l’objet de l’écriture des médias, et ce, à chaque jour ou presque. Être informé de ces questions par la lecture quotidienne du journal constitue donc une première stratégie caractéristique de l’approche CFER ;

  2. le travail en entreprises de récupération : chaque centre de formation en entreprise et récupération développe et fait fonctionner au moins une entreprise de récupération (de matériel informatique, de papier, de carton, de matières résiduelles, de mobilier scolaire, de meubles, de palettes de bois, de pièces de quincaillerie de lignes d’Hydro-Québec, de peinture, etc.). Les élèves y travaillent tous les jours, en général l’après-midi. Non seulement ils s’y entraînent à travailler en entreprise sous la supervision de leurs enseignants, mais en plus ils y accomplissent quotidiennement des gestes en faveur de l’environnement ;

  3. la Caravane du développement durable : trois thématiques y sont traitées : la récupération, l’énergie et l’eau. Chaque thème est présenté à l’aide d’un ensemble de trois kiosques (trois panneaux mobiles sur lesquels sont affichées des informations et des images) présentant la problématique environnementale, les technologies qui y sont associées ainsi que les comportements souhaitables pour diminuer l’ampleur du problème. Ces kiosques font l’objet d’une communication entre un auditoire, en général formé d’élèves du primaire, et une équipe d’animation, composée de trois ou quatre élèves d’un centre de formation en entreprise et récupération et d’un ou deux enseignants responsables du dossier des caravanes pour ce CFER. Ce moment de présentation publique dure environ trente minutes, au cours desquelles les élèves des CFER transmettent de façon très fidèle de l’information qu’ils ont auparavant mémorisée, alors que les enseignants animateurs complètent cette information, notamment en répondant aux questions posées. En général, deux ou trois classes d’élèves du primaire assistent en même temps à la présentation.

C’est sur cette dernière stratégie que nous nous sommes davantage attardés dans le cadre du programme de recherche. En effet, elle constitue une ouverture des élèves des centres de formation en entreprise et récupération sur la communauté à laquelle ils appartiennent, un pas vers l’insertion sociale et professionnelle qui suivra leur période de formation en milieu scolaire. Les enseignants chevronnés du réseau qui ont accompagné nombre d’élèves dans la présentation de la caravane sont convaincus qu’elle est avant tout un moyen de valorisation personnelle pour chacun d’eux. Ces jeunes, qui ont éprouvé toutes sortes de difficultés à s’engager et à persévérer dans un parcours scolaire normal, se retrouvent tout à coup dans un rôle d’animation auprès d’autres élèves, ce qui, aux yeux des fondateurs du réseau, ne peut être que bénéfique pour leur estime d’eux-mêmes. Prenant en compte cette théorie d’action de praticiens de l’enseignement (Argyris et Schön, 1974), et puisque l’estime de soi est reconnue comme un fondement du pouvoir d’action (empowerment) (Ninacs, 1995), nous avons voulu vérifier si l’activité Caravane CFER du développement durable pouvait être une stratégie émancipatrice au sens où l’entend Meirieu, c’est-à-dire une de ces pratiques pédagogiques réfléchies qui permettent de sortir de ces situations où l’enfant est condamné au parasitisme et à la soumission, pour en faire quelqu’un qui soit partie prenante du monde (2001, p. 14).

3. Défi de l’insertion socioprofessionnelle des jeunes en grandes difficultés

Aux fins de cet article, les difficultés d’apprentissage sont considérées comme se manifestant par un retard dans le développement sous l’angle de la relation enseignement-apprentissage. Nous adhérons à l’idée que les difficultés d’apprentissage sont une résultante des interactions entre les caractéristiques de l’élève et celles de sa famille, de son école ainsi que du milieu dans lequel il vit (Ministère de l’Éducation du Québec, 2003a, p. 3). Quant aux difficultés d’adaptation, elles réfèrent aux problèmes de comportement qui peuvent s’observer par la manifestation de comportements de type externalisé (ex. : opposition, agressivité, hyperactivité) ou internalisé (ex. : anxiété, retrait social) et sont considérés comme pouvant affecter l’adaptation scolaire des enfants et des adolescents (Observatoire international de la réussite scolaire, 2006, p. 1).

Le défi de se sentir partie prenante du monde, comme le dit Meirieu (2001), est encore plus grand pour les jeunes qui fréquentent les centres de formation en entreprise et récupération. Ils font partie de ce groupe d’élèves pour qui ont été mis sur pied des programmes d’insertion socioprofessionnelle des jeunes, c’est-à-dire des jeunes en grandes difficultés d’apprentissage ou d’adaptation. Ces programmes sont leur dernière chance, en quelque sorte, de se qualifier à l’emploi, malgré leur très faible niveau de développement des compétences de base. Selon Plessis-Bélair et Sorin (2003), les jeunes fréquentant ces centres ne sont pas des décrocheurs proprement dits. Ils sont plutôt des jeunes qui ont perdu toute confiance en leurs capacités et qui sont en perte d’autonomie depuis de nombreuses années. On pourrait dire en quelque sorte que c’est davantage l’école qui les a abandonnés plutôt qu’eux, qui n’ont pas délibérément choisi d’abandonner l’école.

Leurs problèmes en lecture et en écriture sont à la source de cette exclusion scolaire. En amont de ces problèmes, leurs difficultés langagières ont une incidence sur l’ensemble de leurs acquisitions scolaires (Bisaillon, Auger et Bédard, 2007). Une compétence en communication orale est en effet reconnue comme indispensable pour la compréhension du langage écrit (Egaud, 2001). C’est ce qui explique que les élèves des centres de formation en entreprise et récupération n’atteignent en général qu’un niveau trois d’alphabétisme (Gazaille, Courcy et Langlois, 2001), ce qui représente le niveau de maîtrise minimum pour fonctionner dans notre société.

Plessis-Bélair et Sorin (2003) notent que même si ces données peuvent paraître à première vue rassurantes, la situation observée dans le quotidien des CFER indique qu’il serait important d’améliorer les capacités des élèves en lecture et en écriture afin de mieux les préparer au marché du travail et à la vie en société (p. 66). En effet, leur niveau d’alphabétisme serait insuffisamment fonctionnel pour leur permettre d’évoluer harmonieusement dans la société (Pelletier, 2004) pour les raisons suivantes :

  1. leur déficit en communication orale (Bisaillon, Auger et Bédard, 2007) ayant un impact sur la qualité de leurs relations interpersonnelles ;

  2. leur liberté de choix dans plusieurs domaines de la vie quotidienne se retrouvant grandement limitée par une mauvaise maîtrise du langage écrit, dans une société contemporaine où les exigences de littératie augmentent rapidement (Torgesen, Alexander, Wagner, Rashotte, Voeller et Conway, 2001). Précisons que, selon Milner (2004), la littératie est définie comme l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités (p. 330).

Les difficultés langagières sont donc non seulement un facteur déterminant du parcours scolaire, mais représentent également un obstacle à l’insertion socioprofessionnelle.

En conséquence, les programmes d’insertion socioprofessionnelle des jeunes doivent se préoccuper d’aider les élèves à surmonter ces difficultés, davantage dans une logique de réussite éducative que de réussite scolaire formelle ; c’est-à-dire dans le but d’offrir aux élèves les bases nécessaires à une insertion sociale et professionnelle réussie, quels que soient leurs talents, leurs aptitudes ou leurs champs d’intérêt. Cette notion de « réussite éducative » s’applique à tous les élèves qui sont invités à développer leurs forces et à surmonter leurs limites (Ministère de l’Éducation du Québec, 1997, p. 5). Les quelques études disponibles au sujet des programmes d’ISPJ indiquent que ces derniers ne donnent pas les résultats escomptés. En effet, selon Baby, Lamothe, Ouellet et Payeur (1995), très peu de jeunes issus du programme d’insertion socioprofessionnelle des jeunes réussissent une insertion sociale qui soit durable. De plus, les dernières données statistiques confirment que près de 50 % des jeunes inscrits dans un programme d’ISPJ se retirent du programme entre la première et la deuxième année de formation (Ministère de l’Éducation du Québec, 2003b), sans préciser la proportion d’élèves ayant terminé la deuxième année du programme de formation.

Quant au centre de formation en entreprise et récupération, un programme original d’insertion socioprofessionnelle des jeunes, les études récentes le décrivent de manière plutôt favorable (Baby, 2005 ; Inchauspé, 2003). On reconnaît, entre autres, son apport à la lutte contre l’exclusion sociale (Baby, 2005 ; Rousseau et Langlois, 2003). Déjà en 1999, le Conseil supérieur de l’éducation voyait dans le CFER un parcours scolaire stimulant pour les jeunes en difficulté. Un ensemble de recherches récentes effectuées par des chercheurs associés à la Chaire de recherche Normand-Maurice (Rousseau, 2003 ; Samson et Rousseau, 2006) mettent en lumière la contribution du programme CFER au développement de compétences transversales reconnues comme importantes par le nouveau curriculum de l’école québécoise : résoudre des problèmes, se donner des méthodes de travail efficaces, coopérer et communiquer de façon appropriée (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001, p. 13).

La caravane CFER du développement durable fait partie des stratégies typiques des CFER qui ont fait l’objet de ces études. Il s’agit essentiellement d’une activité de communication orale, visant prioritairement le développement d’une plus grande estime de soi, puis de compétences langagières et enfin, dans une moindre mesure, d’un engagement envers la promotion du développement durable. C’est cette dernière intention éducative qui est ici discutée à partir des résultats de deux recherches différentes portant sur la caravane.

4. Impact de la caravane CFER du développement durable

Nous nous sommes appuyés sur le construit de citoyenneté environnementale pour établir si la participation d’élèves exclus (comme l’ont été ceux des centres de formation en entreprise et récupération avant leur arrivée dans le programme) à une activité d’éducation à l’environnement et au développement durable, en l’occurrence la caravane CFER du développement durable, peut favoriser leur insertion sociale. L’expression même de citoyenneté environnementale est notre traduction libre de l’expression anglaise environmental citizenship, utilisée notamment par Environnement Canada pour désigner la responsabilité particulière de l’être humain par rapport à son environnement. À nos yeux, elle reflète ce que Leopold (1949) nommait une position éthique, situant l’humain comme un citoyen et non comme un propriétaire des habitats naturels. De plus, elle met davantage en lumière les aspects démocratiques que les aspects économiques du rapport de l’humain aux ressources qui l’entourent, insistant plus sur le rapport de participation collective à leur utilisation qu’au rapport individuel de consommation. Enfin, elle pose l’être humain comme un être en relation avec son environnement naturel. Dewey (1938, p. 43) décrivait cette relation comme une transaction, pour bien marquer qu’elle se situe à une interface où l’un et l’autre s’influencent et se codéfinissent.

Des travaux antérieurs (Boutet, 2000) nous ont permis de préciser deux dimensions à cette relation :

  1. une relation de solidarité avec les autres êtres vivants, par laquelle l’être humain se sent non pas maître et possesseur du monde, mais plutôt participant d’une biosphère : l’industrialisation, l’urbanisation et l’éloignement graduel d’un contact direct avec les milieux naturels ont fait en sorte que cette relation ne fait plus partie de l’expérience d’un grand nombre de jeunes et doit donc faire l’objet d’un enseignement-apprentissage ;

  2. une relation de responsabilité envers le maintien des systèmes de vie, par laquelle l’être humain se reconnaît et assume un rôle particulier, lui qui ajoute de la conscience à la biosphère et qui est capable de compassion : c’est sur une telle relation que peuvent se fonder un développement durable et un avenir viable.

L’utilisation de ce construit aux fins de la recherche se fonde sur l’idée qu’un citoyen engagé envers l’environnement et le développement durable est une personne mieux insérée socialement. Qu’est-ce donc qu’un tel citoyen ? Pour formuler une réponse à cette question qui puisse être transformée en objets d’apprentissage et d’évaluation, nous avons retenu cinq composantes reconnues comme nécessaires à un tel engagement (Bowers, 2001 ; Brinn, 1996 ; Cohen, 1989 ; Engle et Ochoa, 1986 ; Hungerford et Volk, 1990 ; Ninacs, 1995 ; Peters, 2000 ; Roth, 1991 ; Santerre, 2004) :

  1. le développement d’une sensibilité envers le milieu naturel : cette sensibilité est à la source d’un engagement durable envers la protection de l’environnement et se traduit par un sentiment d’empathie, un sentiment d’humilité et un sentiment de respect ;

  2. la conscience de son pouvoir d’action (empowerment), indispensable pour soutenir une action engagée et qui suppose la connaissance de stratégies d’action, l’intention d’agir et, surtout, un centre de contrôle internalisé de son action ;

  3. l’exercice d’une pensée critique qui permet de saisir les enjeux socio-politiques et éthiques liés à toute action environnementale, et donc d’en construire une compréhension globale ; l’esprit critique permet également l’apport d’arguments en lien avec l’action ;

  4. l’acquisition d’habiletés de participation démocratique, comme la considération et l’écoute des autres, qui permettent d’agir avec les autres et de reconnaître l’importance d’une action concertée ;

  5. la mobilisation des connaissances nécessaires pour cerner les enjeux environnementaux, connaissances qui font partie d’une culture scientifique et technique dont le Conseil de la science et de la technologie (Santerre, 2004) reconnaît qu’elle tend à devenir essentielle aujourd’hui pour la construction d’une conscience citoyenne, c’est-à-dire d’une capacité, pour une personne, de porter des jugements, d’adopter des comportements responsables et de s’engager de façon active dans l’exercice de son rôle de citoyen.

Les deux démarches de recherche présentées dans cet article, tout en ayant par ailleurs d’autres objectifs qui leur sont propres, ont en commun d’avoir fourni des données relatives au développement de l’une au l’autre de ces composantes chez les élèves des centres de formation en entreprise et récupération participant à la Caravane CFER du développement durable.

4.1 Recherche 1 – Évaluation de l’impact de la Caravane CFER du développement durable sur le développement d’une citoyenneté environnementale

4.1.1 Collecte des données

Le corpus de données recueillies en 2001-2002 et en 2002-2003 pour cette recherche se compose des propos tenus, en entrevue, par quatre enseignants, le responsable réseau de la caravane et huit élèves. Ces propos ont été enregistrés puis retranscrits pour l’analyse. Il faut ajouter à cela les enregistrements audio et vidéo de quatre présentations de la caravane, les notes d’observation participante prises par les chercheurs lors des présentations, les textes officiels et les réponses écrites de huit enseignants et de dix élèves présentateurs de trois autres centres à un questionnaire.

Entretiens semi-dirigés avec quatre enseignants. Lors d’entretiens semi-dirigés, d’une durée de soixante minutes en moyenne, nous avons recueilli et analysé les propos de quatre enseignants responsables de la caravane. Ces enseignants étaient volontaires pour participer à la recherche et avaient été approchés, sans le savoir, pour des motifs différents : le premier parce qu’il animait la caravane dans le CFER qui a la plus longue tradition de présentation de la caravane, et où tout est très bien rodé, des procédures de préparation à la présentation jusqu’à l’établissement du calendrier avec les écoles primaires de la région ; le second, parce qu’il animait la caravane dans un centre de formation en entreprise et récupération récemment ouvert, où le développement de la caravane présentait quelques difficultés ; le troisième parce qu’il animait la caravane dans un CFER en région éloignée où le maintien de l’intérêt pour la caravane exige un engagement intense de la part de l’enseignant responsable ; le quatrième, parce qu’il animait la caravane dans un centre de formation en entreprise et récupération qui avait rejoint des clientèles autres que des élèves du primaire au cours des dernières années, par exemple des élus municipaux. Selon un membre du comité de direction du réseau, ces quatre situations étaient représentatives de l’ensemble du réseau.

Trois des quatre enseignants ont été interviewés à deux reprises, au début du processus de préparation et vers la fin de l’année ; l’autre n’a été interviewé qu’à une reprise, compte tenu de la distance à parcourir pour le rencontrer.

Entretien semi-dirigé avec le responsable réseau. En ce qui concerne le responsable réseau de la caravane, ses propos ont été recueillis lors d’un entretien semi-dirigé de 90 minutes.

Entretien de groupe dirigé avec huit élèves. Deux sous-groupes de quatre élèves de deux des quatre centres de formation en entreprise et récupération ont été formés pour la circonstance. Chaque entretien a duré 45 minutes. Les chercheurs ont rencontré deux filles et six garçons. Trois en étaient à leur première année du programme CFER, donc à leur première expérience de la caravane, et cinq en étaient à leur deuxième année. Ces caractéristiques de sexe et d’ancienneté dans le programme ne faisaient pas partie de nos critères de choix de la population étudiée. C’est plutôt la possibilité d’assister à des présentations de la caravane faites par les élèves rencontrés qui nous a guidés. De l’avis des professeurs responsables de ces groupes, ces élèves étaient représentatifs des clientèles avec lesquelles ils travaillent au CFER depuis quelques années.

Enregistrements audio et vidéo de quatre présentations de la caravane. Les enregistrements audio et vidéo des quatre présentations de la caravane ont été réalisés, pour le premier, lors d’une séance de préparation, et les trois autres, lors de présentations à des groupes d’élèves du primaire dans trois écoles différentes. Les élèves présentaient d’abord ; ensuite, l’animateur responsable questionnait et répondait aux questions de l’auditoire.

Notes d’observation participante. Prises par les chercheurs lors des présentations, les notes d’observation participante représentent une vingtaine de pages de texte.

Textes officiels. Les textes officiels qui accompagnent, d’une part, le volet énergie et, d’autre part, le volet récupération de la caravane regroupent une dizaine de pages de texte.

Réponses écrites de huit enseignants et de dix élèves. Nous avons recueilli les réponses écrites de huit enseignants responsables et de dix élèves présentateurs de trois autres centres à un questionnaire portant sur les mêmes aspects que les entretiens. Ce questionnaire tenait sur quatre pages, et les réponses aux questions ouvertes (trois sur vingt) ont fourni une douzaine de pages de texte.

4.1.2 Analyse des données

Pour tenter de cerner l’impact que leur participation à la caravane a sur eux, les propos tenus par les élèves des CFER en entrevues ont été analysés à partir des catégories suivantes (Tableau 1) :

Tableau 1

Catégories d’analyse des propos tenus par les élèves en entrevues

Catégories d’analyse des propos tenus par les élèves en entrevues

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Les propos tenus par les enseignants animateurs et par le responsable réseau ont servi à dégager les conceptions éducatives qui sous-tendent l’activité des caravanes, à partir de leur répartition sous l’une ou l’autre des catégories suivantes (Tableau 2) :

Tableau 2

Catégories d’analyse des propos tenus par les enseignants animateurs et par le responsable réseau

Catégories d’analyse des propos tenus par les enseignants animateurs et par le responsable réseau

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Les notes d’observation participante (une vingtaine de pages) ont également été classées sous l’une ou l’autre de ces catégories. Enfin, les réponses aux questionnaires ont été compilées.

Par la suite, nous avons procédé à divers comptages et regroupements (Miles et Huberman, 1994) des unités de sens et des réponses aux questionnaires qui permettaient de faire ressortir les principales perspectives des acteurs en lien avec l’une ou l’autre des cinq composantes de la citoyenneté environnementale.

4.1.3 Résultats

Voici un résumé des principaux résultats obtenus, résultats qui, rappelons-le, décrivent les perspectives des élèves des CFER et des enseignants responsables de la caravane de même que les observations des chercheurs.

La principale conséquence de la participation des élèves des centres de formation en entreprise et récupération à la caravane du développement durable est l’émergence d’un sentiment de pouvoir-agir (empowerment) par rapport aux enjeux de la protection de l’environnement et du développement durable. L’impact en ce sens n’est manifestement perceptible que chez les élèves présentateurs de CFER et ne l’est pas vraiment chez les élèves des classes du primaire visitées par la caravane, ce qui n’est pas surprenant, compte tenu de la brièveté de leur contact avec le message véhiculé et de la position plutôt passive dans laquelle ils se retrouvent. Par contre, les élèves présentateurs consacrent, eux, beaucoup de temps et d’énergie aux caravanes. Leurs sorties publiques sont longuement préparées et seuls les plus méritants (connaissance du texte, comportement adéquat, etc.) peuvent y participer. Ils prennent confiance en eux-mêmes et conscience de leur capacité à exercer une influence sur d’autres, grâce aux réactions très positives qui leur sont exprimées pendant et après leurs présentations. De plus, le fait de transmettre publiquement un message pour l’environnement semble les lier aux causes qu’ils défendent, du moins si l’on se fie à l’expression de leur désir d’engagement futur.

Ni les élèves des CFER, ni les enseignants responsables ne semblent croire en la possibilité de développer l’esprit critique à l’intérieur de cette activité. À leurs yeux, l’effort de mémoriser et de transmettre de l’information suffit pour les élèves des centres de formation en entreprise et récupération. Quant aux élèves visités, l’intention ne va pas au-delà de la sensibilisation et de l’information. Pourtant les réponses à la question 10 de l’entretien fait avec les élèves présentateurs (Crois-tu que notre société pratique assez les 3R ? l’économie d’énergie ?) nous laissent plutôt penser que leur lecture des problématiques environnementales traitées par la caravane pourrait facilement évoluer vers une compréhension des enjeux sociopolitiques et éthiques, notamment parce qu’ils suivent quotidiennement l’actualité.

Le développement d’habiletés de participation démocratique n’est pas une préoccupation explicite dans cette activité. Lors de la préparation et de la présentation de la caravane, les possibilités de faire davantage place aux points de vue des élèves présentateurs et des élèves visités ne sont pas exploitées. La dynamique fondamentale de communication est celle de la transmission d’un message et non celle du dialogue, surtout si l’on considère le rôle des élèves présentateurs, qui ne participent qu’exceptionnellement aux échanges animés par le professeur responsable à la fin de la présentation. La richesse de la mise en situation offerte par les kiosques ouvre pourtant la porte à de nombreux débats et échanges au cours desquels des doutes, et non seulement des certitudes, pourraient s’exprimer et des solutions pourraient être coconstruites et non seulement imposées.

Quant au développement d’une sensibilité au milieu naturel, les entrevues révèlent que tous les élèves des centres de formation en entreprise et récupération interrogés (huit) semblent pouvoir apprécier et vouloir protéger la nature. Cependant, on ne peut établir de lien entre ce constat et leur participation à la caravane, puisqu’aucune référence n’est faite à la relation avec le milieu naturel, ni dans la phase préparatoire, ni dans le message officiel (texte de la caravane), ni dans les propos des enseignants animateurs.

Les savoirs contenus dans le message de la caravane ont été reconnus comme valides lors de l’analyse que nous en avons faite. Les savoirs analysés sont essentiellement des savoirs affirmatifs qui décrivent la problématique. Barbier (1996, p. 14-16) regroupe sous la catégorie savoirs affirmatifs les savoirs mobilisés pour la production de représentations sur le réel. Ce sont des savoirs qui se suffisent à eux-mêmes et qui ont pour fonction la connaissance de la chose pour elle-même. Quant à sa catégorie savoirs opératifs, elle regroupe les savoirs mobilisés pour la  transformation du réel. Ces savoirs n’ont pas pour simple fonction la connaissance même des choses mais plutôt leur modification.

Les savoirs analysés constituent l’essentiel du message, le reste des savoirs étant de nature opérative, incitant les élèves des classes visitées à passer à l’action. En les mémorisant, les élèves des centres de formation en entreprise et récupération se les approprient certes, mais notre dispositif de recherche ne permettait pas de vérifier s’ils pouvaient mobiliser ces connaissances pour poser ou résoudre les problèmes environnementaux (récupération, conservation de l’énergie, conservation de l’eau) qui font l’objet de la caravane.

En résumé, les résultats de cette première recherche révèlent que l’activité Caravane CFER du développement durable touche principalement à l’une des composantes d’une citoyenneté environnementale, à savoir le sentiment de pouvoir agir. En effet, la participation des élèves des centres à la diffusion en milieu scolaire d’un message pour l’environnement et le développement durable augmente leur confiance et leur estime de soi face à d’autres élèves et enseignants, tout en les engageant publiquement envers une cause qui concerne toute la collectivité. En modifiant le format actuel de la caravane, pour faire davantage place à la réflexion des élèves et aux échanges entre eux, il devient alors possible de supposer qu’elle pourrait de plus offrir de nombreuses occasions de développer les autres composantes d’une citoyenneté environnementale, dont l’esprit critique.

Ces effets (constatés ou présumés) de la participation d’élèves des centres de formation en entreprise et récupération à la présentation de la caravane du développement durable émergent clairement de la recherche exploratoire menée. Cependant, il faudra un autre dispositif de recherche, incluant des entretiens pré et post présentation menés auprès d’une population élargie, pour confirmer l’hypothèse que de tels effets sont principalement attribuables à la participation à la caravane. Par ailleurs, la comparaison avec l’impact d’autres programmes d’éducation à l’environnement et au développement durable n’est pas simple à faire, à ce moment-ci, pour deux raisons principales. D’une part, de façon générale, ce type de programme n’est pas souvent évalué. Déjà en 1995, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) le déplorait pour le domaine de l’éducation relative à l’environnement. Depuis, la transition vers l’éducation au service du développement durable s’est accentuée, des objectifs ont été reformulés et de nouveaux programmes créés sur ces bases curriculaires. La question de l’évaluation de ces programmes demeure donc encore problématique (Fien, Scott et Tilbury, 2001 ; Gough et Scott, 2005 ; Scott et Gough, 2003, 2004). D’autre part, notre construit de citoyenneté environnementale comporte des composantes spécifiques qui ne sont pas nécessairement présentes dans d’autres programmes.

Enfin, soulignons que la durée des effets constatés et leur impact sur la vie quotidienne des élèves des centres de formation en entreprise et récupération ne pourront être décrits que par une recherche longitudinale qui reste à faire.

4.2 Recherche 2 – Transfert des apprentissages et réussite scolaire : recherche exploratoire auprès d’élèves fréquentant un CFER

Cette recherche concerne moins directement la citoyenneté environnementale des élèves des centres que la précédente. Son but général est l’évaluation du potentiel de transfert des apprentissages en contexte CFER, en lien avec les stratégies qui composent l’approche CFER. Un premier volet, qui est celui évoqué ici, porte sur la caravane et tente d’évaluer ce qui reste et ce qui est transféré des concepts environnementaux entourant l’outil caravane. Dans ce volet, nous examinons également les attitudes et les comportements découlant de la caravane.

Méthodologie. D’un point de vue méthodologique, c’est l’entretien semi-directif qui a été utilisé pour bien comprendre le processus de transfert chez les sujets fréquentant un CFER. Dans chacun des six centres de formation en entreprise et récupération participant, entre quatre et huit élèves ont été interviewés. Les critères de sélection des élèves ont été la participation à l’animation de la caravane et l’intérêt face à la recherche. C’est l’équipe pédagogique du CFER qui a proposé les élèves : au total, 37 sujets, 24 garçons et 13 filles, ont accepté de répondre aux interrogations ainsi que 13 sujets enseignants, huit hommes et cinq femmes.

L’analyse de contenu (Bardin, 2007) a été retenue pour l’examen des entretiens des 50 sujets et a comporté les étapes habituelles : transcription des entretiens - lecture du matériel produit - réduction des données - codage et détermination des unités de sens - appréciation de la fidélité du codage - interprétation. Un accord interjuge d’au moins 80 % a été enregistré sur une partie du corpus (25 %) sélectionné au hasard. Les résultats d’analyse, qui nous intéressent dans le cadre de cet article, ont été obtenus par comptage, à l’intérieur des unités de sens, des mots appartenant à ce que nous avons nommé un vocabulaire environnemental pour parler de la caravane, et des expressions utilisées pour décrire ce que représente pour les élèves présentateurs l’expérience de parler de la caravane. L’analyse faite a été à la fois verticale (sujet par sujet) et horizontale (sur l’ensemble des sujets). En voici les principaux constats :

Tableau 3

Répartition des sujets pour la passation de l’entretien dans chacune des écoles

Répartition des sujets pour la passation de l’entretien dans chacune des écoles

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Résultats. Quatre aspects ressortent de notre analyse.Premièrement, le vocabulaire environnemental utilisé est diversifié et abondant (au total, ce sont plus de cent mots ou expressions tirés ou non des textes à apprendre) pour une grande majorité d’élèves.

Deuxièmement, la capacité d’expliquer les concepts environnementaux présentés dans la caravane est plus ou moins manifeste chez une majorité d’élèves interrogés. Il en va de même pour le concept de développement durable et le concept d’environnement.

Troisièmement, trois conséquences positives de leur participation à la caravane ressortent fortement à l’analyse : d’abord, les élèves des centres de formation en entreprise et récupération apprécient se retrouver dans une position de transmission de connaissances (montrer des choses) ; ensuite, la présentation de la caravane est une source de stress et de gêne pour eux, sentiments qu’ils parviennent cependant à surmonter dans la grande majorité des cas ; enfin, leur estime de soi est clairement rehaussée à la suite de la présentation de la caravane, pour deux raisons principales : d’une part, c’est un défi qu’ils ont relevé et qui suscite fierté et satisfaction ; d’autre part, les félicitations exprimées par les enseignants et les élèves des écoles visitées sont source de valorisation.

Quatrièmement, les élèves des CFER sont très partagés lorsqu’on leur demande si leur participation à la Caravane CFER du développement durable fait d’eux des Gardiens de l’environnement : en proportion à peu près égale, un groupe répond sans hésiter oui, alors que l’autre groupe répond clairement non.

4.3 Convergence des résultats

Obtenus à partir de démarches de recherche différentes, les résultats convergent vers la reconnaissance claire, par les acteurs eux-mêmes (élèves et enseignants des CFER), de l’augmentation du sentiment de pouvoir d’action (empowerment) lié à l’animation de la Caravane CFER du développement durable. Un des princi- paux facteurs de cette conséquence serait un rehaussement de l’estime de soi, qui avait été grandement diminuée par un parcours scolaire marqué d’échecs et d’exclusion.

La transformation des savoirs homologués contenus dans le message de la caravane en savoirs détenus (Barbier, 1996), c’est-à-dire en connaissances pour les élèves des centres, est un autre constat commun aux deux recherches. Des questions posées lors des entrevues de même que des observations faites lors de présentations de caravanes vont en effet en ce sens. Conjuguées aux intentions d’actions futures (dans leurs milieux familial et professionnel) exprimées par les élèves des CFER, on peut présumer que les possibilités de mobilisation de ces connaissances dans d’autres contextes sont réelles, même si nous n’avons pas encore pu recueillir des données spécifiques sur cet aspect.

En somme, deux des cinq composantes du construit de citoyenneté environnementale semblent plus particulièrement développées par cette stratégie-type des centres. Il nous paraît opportun de mettre en lumière, à ce moment-ci, le fait que cette élaboration théorique que nous avons construite avait un double but : 1) réunir le domaine de l’éducation à l’environnement et au développement durable et le domaine de l’éducation à la citoyenneté ; nous percevions en effet, dans nos premiers contacts avec le réseau CFER, que la pratique pédagogique s’appuyait sur ces deux domaines ; 2) fournir des repères à partir desquels interpréter les conséquences de la participation à la caravane, dans une perspective d’insertion socioprofessionnelle, par-delà la seule satisfaction des élèves, des enseignants ou des publics visités.

Que nous apprennent donc ces résultats convergents à propos des relations possibles entre les difficultés d’adaptation scolaire et sociale, l’éducation environnementale et citoyenne et l’insertion socioprofessionnelle ? Le temps est maintenant venu de discuter de cette question.

5. S’insérer socialement par un engagement environnemental inclusif

Les objectifs de formation poursuivis par la participation des élèves des centres de formation en entreprise et récupération à la Caravane CFER du développement durable ne sont pas de niveau taxonomique élevé. Ce qui est explicitement visé, c’est, d’une part, la mémorisation d’informations et, d’autre part, la valorisa- tion personnelle. Sans la déprécier, dans sa forme actuelle, cette activité peut être classée comme relativement simple dans l’ensemble du domaine de l’éducation relative à l’environnement et au développement durable, car elle ne fait pas appel à des stratégies complexes comme les approches par problèmes ou par projets, elle n’est pas orientée vers un passage à l’action concrète et elle ne dure pas longtemps.

Un des fondateurs du réseau CFER, Normand Maurice, avait l’habitude de dire que quel que soit le contenu d’une présentation publique de cette nature (autrement dit, qu’elle porte sur les enjeux environnementaux ou non), l’impact serait le même pour les élèves participants. Nos recherches ont permis d’examiner davantage cet impact, au-delà des intentions initiales des fondateurs, et laissent plutôt voir jusqu’à maintenant, sans le montrer encore de manière indiscutable, que la diffusion d’un contenu environnemental a pour conséquence de développer non seulement la mémoire ou l’estime de soi, mais aussi la citoyenneté environnementale.

Si nous reprenons ici l’expression que Baby (2005) a utilisée pour qualifier l’approche pédagogique des CFER, cette valeur ajoutée à la réussite reconnue de la pédagogie des poqués n’est pas de moindre importance. Dès lors, cela signifie que l’intention d’insertion d’un programme d’insertion socioprofessionnelle des jeunes peut se traduire non seulement par un impact sur l’acquisition d’outils de base (littératie, capacité de travail en entreprise, etc.), mais aussi par le développement d’une attitude d’engagement envers des enjeux cruciaux pour une communauté. N’est-ce pas là un mode de participation sociale qui peut ou plutôt doit inclure tous les citoyens ?

Par ailleurs, le constat qu’une activité simple peut favoriser le développement d’un sentiment de pouvoir agir sur des questions complexes et socialement critiques chez des élèves en grande difficulté d’apprentissage ou d’adaptation ouvre la porte à la possibilité que des activités plus complètes puissent développer d’autres dimensions de la citoyenneté environnementale : appréciation du milieu naturel, enrichissement de la culture scientifique, exercice d’un esprit critique et apprentissage de la participation démocratique. À la suite des recherches exploratoires que nous avons menées, des suggestions ont été formulées en ce sens aux responsables de la caravane du réseau CFER. L’ouverture à repenser l’activité caravane en fonction du développement d’une citoyenneté environnementale est présente. Comment cela se traduira-t-il dans les pratiques ? La réponse appartient aux responsables pédagogiques du réseau CFER, aux enseignants et aux élèves. En tant que chercheurs, nous demeurons en observation de ce processus de recadrage.

Néanmoins, nous avons déjà produit un ensemble didactico-pédagogique qui concrétise cette volonté d’enrichir l’activité caravane. En effet, la Trousse pédagogique accompagnant la Caravane CFER du développement durable (Boutet, Dumoulin, Tibo, Pelletier et Boutet, 2005) a comme objectif principal d’assurer un suivi au passage de la caravane dans une école. Plusieurs enseignants-animateurs de la caravane dans différents centres ont été interrogés sur la question d’un suivi de la caravane et ont pu émettre des suggestions qui ont été rassemblées et intégrées à la trousse, dans l’optique de soutenir la conception de situations d’enseignement-apprentissage supplémentaires pour la poursuite des objectifs spécifiques suivants :

[…]

  • offrir la possibilité de mettre en oeuvre un projet d’éducation relative à l’environnement en lien avec le nouveau programme de formation de l’école québécoise ;

  • favoriser chez l’élève l’émergence d’une citoyenneté environnementale ;

  • favoriser chez l’élève l’intégration des suggestions de la caravane dans ses habitudes de vie quotidienne ;

  • encourager la poursuite d’un dialogue entre les CFER et les écoles visitées par la caravane.

Boutet et collab., 2005, p. 1

Notons que cette trousse ne prescrit pas l’intervention éducative. Elle offre plutôt un répertoire de possibilités qui présentent la souplesse nécessaire à une adaptation en fonction des diverses contraintes et caractéristiques pédagogiques, ainsi qu’à une intégration selon le rythme, les intérêts et la créativité des différents groupes d’élèves. C’est pourquoi elle peut fort bien être utilisée en programme ISPJ, dont celui du centre de formation en entreprise et récupération, tout comme en classe ordinaire. Certains outils qu’elle contient (par exemple, la liste de sites Internet complémentaires ou les textes informatifs sur les problématiques de la récupération, de l’énergie et de l’eau) permettent un réel approfondissement de l’information transmise par la caravane, alors que d’autres outils (par exemple, la carte d’évaluation des institutions pour un avenir viable ou les activités suggérées pour chaque volet de la caravane) favorisent le réinvestissement du message de la caravane dans les pratiques quotidiennes en classe ou dans l’école.

Au cours des prochaines années, nous suivrons la diffusion et la mise en application de cette trousse pour en décrire les conséquences sur les élèves. Cependant, d’ores et déjà, nous estimons posséder suffisamment d’indices à partir des résultats obtenus en contexte CFER pour suggérer fortement aux responsables de programmes destinés à des jeunes en grande difficulté d’insérer une dimension environnementale dans leur dispositif de formation. Les ressources abondent en ce domaine, particulièrement en ce début de la Décennie des Nations Unies pour l’éducation en vue du développement durable 2005-2014 (UNESCO, 2005).

6. Conclusion

Comme nous l’écrivions plus tôt dans cet article, le lien entre l’éducation relative à l’environnement et au développement durable, l’éducation à la citoyenneté et l’insertion socioprofessionnelle des jeunes exclus par l’organisation scolaire n’est pas démontré de façon indiscutable. Un ensemble de recherches portant sur une population plus large que celle que nous avons étudiée et sur une plus longue période de temps sera nécessaire à cette fin. Nos travaux sur la Caravane CFER du développement durable nous mènent cependant sur cette piste.

Le construit de citoyenneté environnementale nous a permis de cerner des objets spécifiques d’apprentissage au carrefour de deux domaines éducatifs (l’éducation relative à l’environnement et au développement durable et l’éducation à la citoyenneté) qui font partie des domaines généraux de formation du nouveau programme de l’école québécoise (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001 et 2004). Or, s’approprier de tels objets, c’est, selon l’approche des domaines généraux de formation proposée au Québec, s’inscrire dans des problématiques proches de la vie (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001, p. 42). Rapprocher l’école de la vie, particulièrement en fin de parcours scolaire comme c’est le cas des élèves en ISPJ, n’est-ce pas augmenter les chances d’une insertion socioprofessionnelle réussie ?

Jusqu’à maintenant, nos travaux témoignent surtout de la perspective des acteurs, élèves présentateurs et enseignants responsables de la caravane. Malgré l’importance de tenter de définir le plus objectivement possible le processus et le résultat d’une insertion réussie, il demeure que le regard subjectif que les personnes elles-mêmes portent sur leur insertion est déterminant pour leur réussite réelle. C’est pourquoi nous comptons bien continuer à faire place à ces perspectives dans nos travaux futurs, tout en élaborant des outils de recherche qui permettent d’aller au-delà des perceptions individuelles.

Le savoir d’expérience des praticiens du réseau CFER leur a confirmé la valeur de l’activité caravane comme stratégie formatrice de l’estime de soi pour des élèves en grandes difficultés d’adaptation et d’apprentissage. Les résultats de recherche présentés ici indiquent une possibilité de contribution de cette même activité au développement d’une citoyenneté environnementale. Sur ces bases, il est certes souhaitable et justifié qu’un plus grand nombre d’initiatives en ce sens soient prises. Ainsi, pendant que des questions de recherche seront posées et résolues, des jeunes qui en ont bien besoin augmenteront leurs chances de réussite. Grâce à cette inclusion de ressources auparavant exclues, la société de même que l’environnement naturel ne s’en porteront que mieux.