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Introduction

Le nombre d’enfants scolarisés d’origines culturelles variées augmente. Parmi ces élèves, les nouveaux arrivants constituent une population très hétérogène. L’extrême diversité du public d’Élèves Nouveaux Arrivants en France (ENAF), est justement l’une des raisons pour lesquelles nous restons concrètement trop démunis en termes d’instruments didactiques (Porcher, 2004, p. 17). Ce constat est à l’origine de notre questionnement sur la conception d’instruments didactiques en français langue de scolarisation.

Les élèves peu ou non francophones, de profils très hétérogènes, doivent maîtriser le français comme langue de communication mais également l’acquérir pour parvenir à l’acquisition d’autres savoirs. Nous parlons de Français Langue de Scolarisation (FLSco), terme que nous empruntons à Verdelhan-Bourgade (2002). On considère la langue apprise et utilisée à l’école à la fois comme matière d’enseignement, comme vecteur des autres apprentissages scolaires, et comme langue d’insertion dans le système scolaire. De quoi disposent les enseignants pour faire acquérir ce français langue de scolarisation ? Leurs instruments sont empruntés à trois didactiques, celles du Français Langue Étrangère (FLE), du Français Langue Seconde (FLS) et du Français Langue Maternelle (FLM). Or, ces instruments, bien qu’institutionnellement préconisés, ne suffisent pas à répondre à leurs besoins ni à ceux de leurs élèves (Bertrand, Chiss, Marcus et Vigner, 2001). Théoriciens, formateurs et maîtres de terrain sont unanimes pour reconnaître l’inadéquation entre les instruments cités, qui placent souvent l’oral en première position, et l’objectif du FLSco qui doit permettre de mener les élèves au plus près des compétences d’un élève natif, là où précisément l’écrit est prioritaire sur l’oral. Au-delà de l’apprentissage du français, ajoutons que l’élève rencontre d’autres obstacles, tels que ceux liés à la nouvelle culture scolaire ou encore aux représentations de l’écrit que véhicule sa culture d’origine.

Il semble aujourd’hui que l’enseignement du français langue de scolarisation ne puisse plus se contenter de simples emprunts. Pourtant, l’enseignement aux élèves nouveaux arrivants, dont le français n’est pas la langue maternelle, n’a encore aujourd’hui aucun programme officiel, ni didactique, ni manuels (Verdelhan-Bourgade, 2002, p. 3). C’est pourquoi la conception de nouveaux instruments didactiques, pensée en lien avec la cohérence de la pratique enseignante, peut être révélatrice d’une identité propre à l’enseignement du français dans ce contexte particulier. Penser les instruments FLSco dans la pratique enseignante, n’est-ce pas, après tout, une façon de construire la didactique inhérente à ce champ en pleine émergence ? C’est par le biais de la description de l’état présent des pratiques enseignantes qu’il nous semble possible aujourd’hui de mieux cerner les objectifs d’enseignement aux ENAF et, ainsi, d’améliorer l’efficacité et la qualité des moyens de cet enseignement.

Problématique et cadre théorique

L’instrument au centre du triangle didactique

Nous avons choisi de travailler en portant un regard particulier à la relation entre le maître et l’instrument. Nous étudions la relation qui lie le maître à ses instruments dans le triangle pédagogique classique et nous nous situons dans l’approche didactique intégrée (Bernié et Goigoux, 2005), qui combine didactique du français et psychologie ergonomique. L’activité du maître y est centrale. L’instrument, au sens ergonomique (Rabardel, 1995), se compose d’un artefact et de schèmes d’utilisation associés à ce dernier. L’artefact désigne les outils et supports matériels de tous ordres. Le schème, quant à lui, est lié à l’activité : c’est une forme invariante d’organisation de l’activité de l’utilisateur de l’artefact. Il est intéressant de souligner qu’un même artefact peut avoir des statuts instrumentaux différents selon les enseignants et pour un même enseignant selon les situations, et qu’un même schème d’utilisation peut s’appliquer à une multiplicité d’artefacts appartenant à une même classe. Les utilisateurs et concepteurs d’artefacts contribuent à l’élaboration des schèmes.

Figure 1

L'enseignement, une activité instrumentée

L'enseignement, une activité instrumentée

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Dans la tradition vygotskienne, nous accordons à l’instrument une place centrale (Vygotski, 1934/1997 ; Schneuwly, 2000). Dans notre schéma, il a un rôle de pivot. Les relations du maître aux savoirs et celles du maître à l’élève sont médiatisées par l’instrument, ici symbolisé par les flèches en pointillés. Notre démarche consiste à faire un zoom sur l’activité du maître et à étudier sa relation aux instruments. Comme le montrent de façon plus générale Béguin et Clot (2005), cette perspective est peu exploitée, ce qui explique parfois que certains instruments didactiques échouent, car ils sont appropriés aux élèves et aux savoirs mais inadaptés aux enseignants. Pour mieux répondre à nos interrogations, nous portons notre attention sur l’enseignant et sur ses instruments sans pour cela reléguer dans l’ombre les savoirs et les élèves sans lesquels notre étude n’aurait pas de sens.

L’analyse de l’activité de l’enseignant

Notre cadre théorique est celui de l’analyse du travail (Clot, Faïta, Fernandez et Scheller, 2001 ; Goigoux, 2002). Dans celui-ci, il est nécessaire d’étudier le travail prescrit pour mieux comprendre le travail réel des maîtres. Notre étude descriptive vise également à faire un état des lieux des pratiques instrumentées des enseignants en situation ordinaire de classe de soutien linguistique. En bref, comment font les enseignants ? Nos données sont issues de l’analyse de séquences vidéo et d’un corpus de transcriptions d’entretiens individuels et collectifs en autoconfrontation. La parole des acteurs occupe une place particulière dans notre étude. Nous sommes attentive aux artefacts et schèmes qui les caractérisent. L’analyse des schèmes nous ramène de nouveau à celle des conduites en situation.

L’enseignant et la transmission des savoirs

Une partie essentielle du travail du maître de soutien linguistique consiste à transmettre une culture patrimoniale et à intégrer ses élèves à la culture actuelle. Le nouvel arrivant arrive avec des connaissances antérieures construites dans sa langue, avec des conceptions et des représentations souvent différentes de celles des élèves natifs français. Le nouveau savoir représente alors pour lui une culture qui ne s’inscrit pas forcément dans la continuité de ses connaissances préalables et de ses conceptions. Enseigner à cet élève va demander de prendre en compte cet état de fait. S’il est vrai qu’enseigner c’est faire oeuvre de culture, c’est aussi et surtout mettre en oeuvre une certaine culture, la soumettre à des principes culturels de sélection, de transposition et de reconstruction (Tardif et Lessard, 1999). Quels médiateurs de la langue et de la culture écrites sont les maîtres de soutien linguistique dans leur classe multiculturelle ?

Pour pouvoir répondre aux questions qui précèdent, nous avons suivi trois étapes. Dans la première, nous délimitons ce que nous apprend l’état de la prescription pour comprendre la cohérence de la pratique enseignante. Dans la seconde, nous voyons de quels instruments autres que ceux du FLE/FLS et du FLM disposent les maîtres. Enfin, notre analyse permet de repérer leurs pratiques effectives et en quoi ces dernières les singularisent.

Méthodologie

Nous avons étudié la pratique d’un groupe de onze maîtres de soutien linguistique, enseignants de l’école primaire, qui, régulièrement depuis 2003, prennent en charge chaque année environ 450 élèves non francophones dans l’Académie de Clermont-Ferrand. Neuf de ces maîtres assurent un Cours de Rattrapage Intégré (CRI), c’est-à-dire qu’ils travaillent avec les élèves en dehors de la classe ordinaire trois heures par semaine. Deux autres travaillent en Classe d’Initiation (CLIN) et poursuivent les mêmes objectifs sur douze heures hebdomadaires. Ces objectifs visent l’apprentissage de la langue française orale et écrite ainsi que la découverte des habitudes de la nouvelle culture scolaire dans laquelle s’intègre l’élève. Ces deux structures réunissent des élèves âgés de six à onze ans de nationalité étrangère et non francophones, inscrits à l’école primaire du CP au CM2.

Nous avons eu recours à trois moyens d’investigation : (1) l’analyse de la prescription, (2) l’étude des pratiques de classe, et (3) la conduite d’entretiens avec les enseignants confrontés à leur propre image.

Les prescriptions : détermination de l'activité de l'enseignant

Nous prenons en compte le fait que les ressources et contraintes de travail de l’enseignant déterminent son activité (Goigoux, sous presse). Si nous considérons sa situation de travail, l’aspect institutionnel la particularise. L’enseignant interprète le travail prescrit officiellement, la prescription primaire, c’est-à-dire tout ce que l’institution scolaire définit en amont et lui communique pour l’aider à concevoir, à organiser et à réaliser son travail. Ce qui nous intéresse, au-delà du prescrit, ce sont donc les tâches que les maîtres se redéfinissent à eux-mêmes. Nous avons inventorié les textes réglementaires relatifs à la scolarisation des élèves nouveaux arrivants en France, ainsi que les matériaux pédagogiques produits à leur intention.

La prescription secondaire, elle, provient en large partie de la formation professionnelle et également des écrits des didacticiens. Pour ce qui est des maîtres de soutien linguistique, ils suivent la même formation initiale que celle des professeurs des écoles, alimentée d’un discours sur l’enseignement / apprentissage du français langue maternelle mais, en formation continue, le discours professionnel les nourrit des principes qui régissent le français langue étrangère et seconde. La lecture des préfaces et des livres du maître des manuels vient compléter cette prescription secondaire.

Si nous voulons appréhender le travail réel de l’enseignant, il nous faut comprendre le travail qu’il redéfinit à partir de la prescription, qu’elle soit primaire ou secondaire. Nous nous sommes ainsi attachée à comprendre vers quelle redéfinition et vers quel travail réel s’oriente l’enseignant lorsque les textes officiels lui proposent d’utiliser dans un premier temps les outils FLE qu’il devra remplacer progressivement par les outils FLM.

La situation ordinaire de classe filmée

Nous avons choisi de filmer des situations banales de classe avec deux intentions. La première était de repérer des pratiques instrumentales particulières aux maîtres de soutien linguistique et, entre autres, de comprendre comment ces maîtres s’approprient les artefacts en recourant à des schèmes d’utilisation qui les singularisent et, paradoxalement, les rattachent à un genre professionnel. La deuxième consistait à recueillir des données sur leurs pratiques et leurs conceptions quant à l’enseignement du français langue de scolarisation. Dans ce que nous désignons par corpus, par la suite, figurent ces dix séquences vidéo filmées en classe spécifique de 2003 à 2004, d’une durée respective d’environ quarante minutes. L’étude de ces séquences donne lieu à une analyse externe qui permet d’objectiver ce que font les maîtres. Cette analyse se fonde sur la lecture des séquences à travers une grille didactique. Cette grille didactique a été conçue pour notre analyse. Elle consiste en une liste de paramètres qui nous a permis d’observer l’usage que font ou ne font pas les maîtres des instruments, de repérer et de décrire les schèmes qu’ils associent à leurs artefacts, mais aussi les contraintes qu’ils se donnent dans leur enseignement, leurs attentes, etc. On travaille là sur l’activité réalisée qui représente une des possibilités du réalisable.

Des séances de verbalisation viennent compléter ce corpus et vont permettre d’affiner la description de la pratique des acteurs, d’accéder à une compréhension de ce que le chercheur ne voit pas ou ne sait pas. En d’autres termes, nous ajoutons à l’analyse externe une analyse de la parole des maîtres sur leur propre activité.

Les entretiens d'auto confrontation

Nous avons choisi deux techniques d’entretien complémentaires, élaborées sur le plan conceptuel notamment par Clot et Faïta (2000), à savoir l’auto confrontation simple et l’auto confrontation croisée. L’auto confrontation simple rend possible l’analyse que fait l’enseignant, en différé, de sa propre pratique. Le chercheur lui demande, en visionnant la séquence filmée dans sa classe, de lui dire ce qui relève de l’habituel dans sa pratique afin de l’aider à mieux la comprendre. L’auto confrontation croisée, elle, permet l’analyse et l’argumentation de la pratique de l’enseignant dans le cadre d’un dialogue professionnel, face au collectif professionnel. Chaque enseignant se voit attribué la séquence filmée d’un collègue du groupe de travail. Il en sélectionne un extrait qu’il doit alors commenter en fonction de ce qui fait écho à sa propre pratique. L’extrait est alors choisi en fonction des points communs ou, au contraire, des différences notées dans la pratique du collègue. Pour citer les paroles de deux maîtresses : Ça fait écho à ma pratique car c’est une activité de tri et j’en fais très souvent ; Je me suis reconnue par moment mais je ne fais pas tout à fait pareil.

Ces entretiens recoupent, complètent et précisent l’analyse de l’activité réalisée. Mais ils vont bien plus loin que cela puisqu’ils donnent accès à deux autres facettes de l’activité : le non-réalisé, partie intégrante de l’activité, et le réalisable, ce que le maître découvre en cours de route pendant l’activité. Cette analyse de la parole des maîtres fait émerger, d’une part, leurs intentions et leurs compromis, d’autre part, les tâches qu’ils se donnent. Elle leur donne également l’occasion de formuler leurs demandes et leurs interrogations. Nous avons essayé, pour faciliter notre analyse, de découper certains extraits des entretiens d’autoconfrontation en fonction des niveaux sur lesquels portent les commentaires des maîtres sur leur propre activité. Nous avons retenu cinq niveaux dérivés du modèle théorique d’analyse de l’activité de l’enseignant (Goigoux, 2002 ; Leplat, 1997). Dans un premier temps, on regarde les commentaires des maîtres au sujet du déroulement de l’action dans la classe et de leurs interactions avec les élèves (niveau 1), puis on s’intéresse à ce qu’ils perçoivent de l’activité des élèves (niveau 2), aux troisième et quatrième niveaux, on analyse les commentaires didactiques, d’abord ceux qui ont trait à la didactique de la séquence observée, puis ceux qui touchent à leur projet didactique plus global (ex : apprentissages à réaliser). Enfin, au cinquième niveau, on analyse ce que les maîtres disent de leur projet pédagogique à plus grande échelle, ce qui permet de faire apparaître leurs valeurs, leurs conceptions de l’apprentissage, de l’enseignement, etc.

L’enseignant, dans le commentaire sur sa propre activité, retourne vers l’objet analysé : les enseignements des échanges. Le commentaire après coup se mêle à l’activité, la précipite en avant, changeant ainsi sa structure et créant l’événement. L’activité mise à distance permet l’émergence de nouveaux types d’analyse (Clot et Faïta, 2000). Ces deux techniques nous sont très utiles pour l’analyse mais aussi pour l’action puisqu’en devenant langage, les activités se réorganisent et se modifient. 

La mise en débat des analyses précédentes

L’intérêt de nos données tient dans le fait qu’elles se recoupent pour se compléter, se questionner ou se contredire. La mise en tension des analyses issues des vidéos et des autoconfrontations est essentielle. En effet, de la confrontation entre ce que font les maîtres et ce que les maîtres disent à propos de ce qu’ils font va pouvoir émerger la cohérence sous jacente à leur pratique. Notre étude vise à dégager les pratiques habituelles et moins habituelles des maîtres. Elle vise aussi à déterminer qui sont les maîtres que l’on veut instrumenter en observant leurs propres instruments, leurs savoir-faire et leurs conceptions qui mettront en lumière les priorités et les contraintes qu’ils se donnent. La volonté d’être au plus près de ce que vivent les maîtres nous fait rejoindre Clot et Faïta (2000) lorsqu’ils insistent sur l’importance d’une dynamique entre les concepteurs et les acteurs. Afin de théoriser la conception instrumentale, il nous faut avant tout comprendre l’état présent de la pratique des maîtres de soutien linguistique pour éventuellement, à terme, en déplacer la cohérence interne.

Notre double statut de formateur / chercheur permet également de recueillir le discours des enseignants lorsqu’ils sont en formation. Discours précieux puisqu’il vient lui aussi recouper des faits observés en classe ou encore des données de l’analyse des auto-confrontations. Notre corpus se compose des séquences vidéo, des transcriptions et des analyses des autoconfrontations ainsi que des échanges en formation.

Résultats

Nous montrerons d’abord que la prescription a un impact sur le choix des instruments didactiques des maîtres, puis nous présenterons les trois catégories d’instruments qu’ils utilisent principalement. Enfin, nous verrons que ces catégories d’instrument influent elles-mêmes sur les objectifs de l’enseignement de l’écrit, ce qui nous conduit à considérer avec attention le couple moyens / objectifs d’enseignement lorsque nous parlons de la cohérence de la pratique enseignante.

L'étude descriptive

Les prescriptions

Le maître de soutien linguistique va devoir se créer un milieu d’enseignement / apprentissage déterminé en grande partie par le fait que sa langue et celle des savoirs est différente de celle de l’élève. Nous entendons par milieu l’ensemble de conditions mises en place par l’enseignant pour permettre à l’élève de rencontrer des objets de savoir (Davin-Chnane et Faïta, 2003, p. 95). L’enseignant va chercher dans la prescription ce qui peut l’aider à définir ses objectifs, à choisir ses instruments, à élaborer sa planification.

Si l’on observe la prescription primaire, qui inclut les programmes, les instructions et les évaluations, on s’aperçoit qu’elle est quasi inexistante en ce qui concerne les élèves nouveaux arrivants. Par contre, la prescription secondaire, à caractère moins officiel, qui réunit ce qu’il est bon de faire, comme par exemple le discours en formation initiale ou en formation continue, est plus fournie et semble avoir un réel impact sur les maîtres. Nous avons schématisé ci-dessous (Figure 2) ce que valorisent les maîtres, autant dans leurs discours que dans leurs pratiques.

Du fait que les prescriptions primaires FLSco sont très floues et très succinctes, les maîtres se tournent vers la prescription secondaire FLE/FLS et la prescription primaire FLM qu’ils valorisent fortement. Notons qu’ils interprètent et transforment la prescription en fonction des moyens et des ressources dont ils disposent, ce qui les contraint à une importante redéfinition de la tâche, car ils fondent leur enseignement tantôt sur les priorités et objectifs du FLE/FLS tantôt sur ceux du FLM. Leur travail consiste ainsi à estimer, pour chacun de leurs objectifs, quelle est la part de l’une et de l’autre, ce que nous appelons la pondération. Évoquons le problème du manque de temps auquel les enseignants reviennent systématiquement. Le temps institutionnel, lié à la prescription (FLE, FLS ou FLM), n’est pas transposable à l’ensemble du français enseigné aux nouveaux arrivants, car les maîtres ne peuvent pas en respecter les contraintes qui sont inadaptées à leurs élèves. L’enseignant est plutôt dans une logique où il organise l’environnement de façon à ce que le savoir auquel l’élève accède soit un savoir qui avance et non pas du temps qui passe (Amigues et Zerbatou-Poudou, 2000). Dans cet exemple, la pondération est nulle et la tâche de transformation totale.

Figure 2

Entre prescription primaire et secondaire

Entre prescription primaire et secondaire

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Le maître de soutien linguistique se crée un état d’équilibre professionnel qui lui permet de mettre en oeuvre les instruments choisis en fonction des besoins des élèves et des objectifs qu’il se fixe. Citons la reconnaissance de mots nouveaux en lecture. Confronté à un texte de français langue maternelle, l’élève nouvel arrivant va déchiffrer des mots qui ne lui évoquent rien. Il n’accède pas à la reconnaissance de ces mots au même titre que l’élève natif qui leur associe une forme orale connue et un sens. Le maître, dans cette situation, met alors en place des instruments dont les schèmes d’utilisation cherchent à prendre en compte les obstacles que rencontre l’élève.

Les instruments didactiques

Notre corpus nous permet de distinguer trois catégories d’instruments didactiques.

a. Les emprunts

Les maîtres empruntent alternativement des artefacts existants aux disciplines du FLE / FLS et du FLM. Ces emprunts évoluent en fonction des relations qu’entretient l’élève avec la langue au cours de son avancée dans l’apprentissage du français. Au fur et à mesure qu’il progresse en français, la langue change de statut. Pour aborder les compétences de communication orale, les maîtres se tournent plutôt vers les supports de FLE. Pour des objectifs d’apprentissage de la lecture / écriture, les maîtres s’appuient surtout sur les instruments du FLM mais également sur des techniques telles que la simulation globale, chère au FLE. Le maître, dans cette première catégorie d’instruments, reste fidèle aux concepteurs. Il ne modifie ni l’artefact ni le(s) schème(s) associé(s). Cependant, on distingue deux types d’emprunt. Les uns sont issus d’un même instrument. Un maître explique, par exemple, qu’il utilise certains dialogues d’une méthode de FLE et qu’il suit fidèlement le déroulement préconisé dans le livre du maître. Dans ce cas, artefacts et schèmes sont conservés. Les autres sont issus d’instruments différents. Le maître emprunte, dans un manuel, un document qui répond à ses besoins mais ne procède pas comme conseillé pour l’exploitation de ce dernier. Il adopte le schéma d’utilisation initialement destiné à un autre document. Les artefacts et le(s) schème(s) sont alors empruntés même s’ils sont d’origine différente.

b. Les adaptations

Cette seconde catégorie se particularise par deux démarches. Dans la première, le professeur emprunte le support d’un instrument didactique existant mais modifie l’organisation de l’activité proposée. L’artefact est donc emprunté et le(s) schème(s) d’utilisation change(nt). Les maîtres évoquent deux raisons majeures à cette démarche. D’une part, ils avancent la complexité du schème aux vues des compétences de l’élève. D’autre part, ils soulignent la distance avec des pratiques préconisées dans lesquelles ils ne se retrouvent pas. Dans la seconde catégorie, le principe est inversé. Le maître fabrique un artefact à sa mesure, mais il lui associe un schème d’utilisation qu’il connaît grâce à son expérience professionnelle. Ici, le schème est emprunté, c’est l’artefact qui est original. Lors d’un entretien d’auto- confrontation simple, un maître commente son activité en différé et insiste sur sa pratique de création : Je les ai tous fabriqués, ces jeux. Je fais des jeux de cartes, mais je garde les règles de jeux connus.

c. Les créations

Les maîtres de soutien linguistique conçoivent, innovent et créent des instruments qui leur sont propres. Ils mettent en oeuvre des supports et des manières de faire autres que les deux précédents. Leurs instruments répondent à des besoins et à des situations précises qui prennent en compte la relation de l’élève aux savoirs et la relation du maître à l’élève. L’artefact et le(s) schème(s), dans cette configuration, sont innovants. Par exemple, un enseignant cite une lettre que les élèves ont reçue et à partir de laquelle il a bâti plusieurs séquences d’apprentissage.

Le tableau (Tableau 1) qui suit synthétise les trois catégories d’instruments des maîtres que nous venons de commenter. Chacune d’entre elles est illustrée par des extraits d’autoconfrontations simples et croisées.

Tableau 1

Le maître et ses instruments

Le maître et ses instruments

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Notre corpus nous permet d’identifier les instruments dont se servent les maîtres dans leur enseignement quotidien. Pour conclure, on pourra retenir qu’ils recourent aux trois types d’instruments présentés ci-dessus. On notera, tout d’abord, que les emprunts purs sont minoritaires, sauf contraintes d’enseignement très fortes. En effet, les maîtres sont unanimes pour dire qu’un instrument n’est quasiment jamais donné clé en main. La prise en considération de l’hétérogénéité des élèves demande déjà de le modifier. Ensuite, on observe que chaque maître possède des instruments personnels. Par contre la mutualisation de ces derniers ne se fait pas ou peu, car les enseignants manquent de temps pour se rencontrer. Enfin, parmi nos trois catégories, les adaptations sont majoritaires et celles qui s’appuient sur un artefact existant et qui modifient le(s) schème(s) sont les plus fréquentes. Là, les enseignants disent recourir à des pratiques habituelles qu’ils appliquent à un artefact prêt à l’emploi. Dans la classe, le cahier de l’élève est un artefact qui, lui-même, témoigne souvent de l’alternance de ces trois sortes d’instruments.

Les pratiques effectives

L’analyse d’extraits de notre corpus nous a permis de repérer trois sortes de pratiques communes à tous les maîtres du groupe, bien que différemment réparties.

a. Un écrit marqué par le courant communicatif

Nous constatons que les écrits que les maîtres de soutien linguistique donnent à lire ou à produire sont majoritairement de nature fonctionnelle ou dits authentiques. Ils sont liés à la vie quotidienne et ont une utilité directe et observable. Citons, sans être exhaustifs, la lettre, le mode d’emploi, la recette de cuisine ou encore les listes. Ces écrits pratiques sont ceux présentés en début d’apprentissage. Viennent peu à peu s’y ajouter des écrits d’autre nature comme les textes documentaires ou les textes descriptifs. Cependant, les textes fonctionnels, supports des premiers apprentissages, restent prépondérants. Les écrits à caractère plus littéraire sont introduits tardivement dans l’enseignement aux élèves non ou peu francophones. Les maîtres de soutien linguistique disposent d’un temps d’enseignement hebdomadaire et annuel insuffisant pour commencer à proposer les textes plus longs et plus près des outils de la classe ordinaire comme des textes d’histoire, de sciences ou de littérature.

Les maîtres de soutien linguistique semblent en effet réticents à utiliser les supports d’enseignement du français langue maternelle qui donnent un accès plus réel à la culture du pays d’accueil. On note peu de pratiques de réception et de production en lien avec la narration ou la dictée à l’adulte comme en FLM. Les élèves mettent en mots des dialogues mais peu de récits. La lecture de dialogues est majoritaire comme en FLE. Les jeux de rôles, hérités, eux, de la didactique des langues étrangères, donnent lieu à des écrits ; les textes des bandes dessinées issus des manuels de FLE sont travaillés. Toutefois, dans notre corpus, nous ne trouvons ou peu d’exemples d’activités qui permettent à l’élève de travailler le passage du récit oral à sa mise en forme écrite. L’écrit que proposent les maîtres à leurs élèves hérite du courant communicatif où l’oral prédomine.

b. Un écrit différé

Nous pointons un apprentissage de l’écrit différé par rapport à celui de l’oral. Effectivement, si l’on considère le choix des maîtres, l’oral, majoritaire au départ, retarde l’entrée dans l’écrit. Des paramètres tels que l’âge ou les compétences en lecture/écriture dans la langue scolaire du pays d’origine influent sur le choix du moment où commence l’acculturation à l’écrit. Avec des élèves de cycle II (cycle des apprentissages fondamentaux : Grande Section de maternelle, CP, CE1), les maîtres disent débuter assez vite. Atteindre les objectifs du lire / écrire relève de la même urgence que ceux des compétences langagières et surtout en classe de CP ou de CE1. On constate cependant que l’écrit est introduit par des activités relativement nombreuses de graphisme ou de copie, mais que celles qui permettent d’aller vers des écrits plus ambitieux tardent. Les manuels d’apprentissage de la lecture en FLM sont un support dont se servent les maîtres. L’âge de l’élève scolarisé en cycle II (de 5 à 7 ans) le permet. La difficulté est plus grande lorsqu’il s’agit de nouveaux arrivants d’âge cycle III (cycle des approfondissements : CE2, CM1 et CM2). Pour ces élèves, déjà lecteurs dans leur langue d’origine, les situations d’apprentissage de l’écrit ne sont guère différentes de celles proposées à des élèves plus jeunes. Mais alors quand ils étudient la langue, comment font-ils le lien avec le littéraire ? (Richard, 2005). L’argument le plus avancé est l’impossibilité de donner du sens à l’écrit tant qu’une compétence langagière minimale n’est pas en place. Et pourtant ces élèves ont acquis des stratégies culturelles et linguistiques dans leur langue.

c. Un écrit confondu avec l’oral

L’observation de la pratique enseignante nous montre que les maîtres ont du mal à délimiter les deux objets d’apprentissage que sont l’oral et l’écrit. Nous avons essayé de regarder comment ils travaillent l’écrit avec les élèves nouveaux arrivants et les verbalisations qui se rapportent à ce qu’ils croient et disent travailler. Les maîtres disent vouloir orienter leur travail vers les objectifs du ministère de l’Éducation nationale inscrits dans la Circulaire 2002-100 du 25 avril 2002 : Atteindre les mêmes compétences qu’un natif et envisager la maîtrise du français comme langue de scolarisation. Les programmes officiels du cycle II à l’école élémentaire insistent sur un objectif plus particulier :Le cycle des apprentissages fondamentaux (cycle II) doit permettre à chaque élève d’apprendre à lire et à écrire le français tout en se familiarisant avec quelques aspects majeurs de la culture écrite (Bulletin officiel, 2002, p. 40).

La prescription primaire FLM met l’accent sur des objectifs de langue écrite à partir du CP. L’apprentissage du français oral et du français écrit relèvent de l’urgence. Les maîtres travaillent à ces deux objectifs en partageant leur temps, contrainte forte de leur travail. Que ce soit en situation d’autoconfrontation ou en formation, les maîtres affirment travailler distinctement l’oral et l’écrit. Pourtant, nos résultats montrent qu’ils les travaillent simultanément et non distinctement. Quel est donc l’objet qu’enseignent les maîtres de soutien linguistique aux nouveaux arrivants ? Est-ce de l’écrit, de l’oral, les deux ou encore autre chose qui serait un mixte ? Cette dernière solution nous semble plus fréquente. Nous retrouvons plusieurs fois, dans notre corpus, des moments où le maître fait produire à l’apprenant un énoncé oral qui respecte les normes de l’écrit. L’enseignant commente sa pratique : On écrit une phrase sous chaque image après l’avoir travaillée à l’oral. J’attends qu’il me produise des phrases correctes. Dans ce commentaire, le maître, sous couvert d’une tâche de description orale, fait travailler à la production d’une phrase écrite.

Tableau 2

Les objets enseignés

Les objets enseignés

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Analyse et interprétation

Le rôle de la prescription pour bâtir son enseignement

a. Prescriptions et instruments didactiques

Les maîtres de soutien linguistique composent au mieux leur enseignement du FLSco avec leurs ressources. Si l’on croise nos résultats obtenus concernant les prescriptions et les instruments didactiques, on en déduit qu’ils ont deux options. La première consiste à travailler à partir de la prescription primaire et à aller voir quels instruments, quelles techniques ou conceptions lui correspondent. L’en-seignant doit alors équilibrer le contenu de ses séquences, ce qui implique une composition faite d’extraits de manuels de FLE, de textes littéraires, de pages de manuels de FLM, d’enregistrements audio ou vidéo et d’arrêts sur étude de la grammaire et de la langue (Bertrand et collab., 2001, p. 57). Nous retrouvons bien là nos maîtres piochant leurs instruments dans ce patchwork didactique. La seconde revient à prendre connaissance de la prescription secondaire et à créer des instruments à partir de ce qu’on en infère.

La cohérence des pratiques enseignantes est tributaire, d’une part, des objectifs que se donnent les maîtres en fonction des prescriptions, d’autre part, des instruments didactiques dont ils disposent ou ne disposent pas. La demande d’une prescription claire et riche semble être un véritable socle de travail, quel qu’en soit ensuite l’usage que les maîtres en font : application, redéfinition, détournement, etc.

b. Prescriptions et pratique

Notre étude indique qu’il existe un réel impact de la prescription sur la pratique effective. Les maîtres se réfèrent, par exemple, aux techniques du français langue étrangère, connues pour leur efficacité sur certains points de l’apprentissage, pour tout ce qui relève de la communication ordinaire (Bertrand et collab., 2001, p. 60) et justifient ainsi leur façon de procéder. L’impact, comme nous l’avons déjà souligné, est d’autant plus fort lorsqu’il vient de la prescription secondaire. Les enseignants ont souvent les mêmes lectures et réfèrent aux mêmes extraits d’articles didactiques. Nous avons choisi d’en citer quelques-uns qui jouent un rôle dans leur planification de l’enseignement. Par exemple, il semble clair qu’on ne peut pas apprendre à lire et à écrire dans une langue qu’on ne parle pas, puisque dans les langues alphabétiques le signe écrit est la représentation graphique d’un son […] lire, c’est justement traduire les signes en sons (Lucchini, 2001, p. 5). En début d’apprentissage, les enseignants traduisent cette injonction par un objectif quasi exclusif : l’acquisition de la langue orale. Ils y incluent un travail sur la maîtrise des sons du français. Les activités d’écrit se limitent souvent à du graphisme et à de la copie. L’extrait suivant vient les conforter dans leur pratique : Les analyses de la communication scolaire et la réflexion sur les besoins premiers en matière de scolarisation conduisent à donner la priorité à l’apprentissage du langage oral (Verdelhan-Bourgade, 2002, p. 141). L’impact d’une telle affirmation sur les choix à effectuer en début d’enseignement du FLSco est fort. Nos deux constats précédents, l’écrit marqué par le courant communicatif et l’écrit différé, peuvent en partie s’expliquer par la lecture d’extraits tels que ceux-ci et surtout par l’interprétation que les maîtres en font. Citons un dernier extrait : L’élève allophone a sa ou ses langues et ses usages […] Aussi l’apprentissage de formes nouvelles doit-il se faire en entretenant la référence des pratiques familières. La perspective du maître c’est cela : l’aider à partir du connu pour aller vers le nouveau (Bertrand et collab., 2001, p. 52). La démarche qui consiste à partir de ce que connaît l’élève est de plus en plus courante dans la pratique des maîtres. On cherche les mots issus de la langue de l’élève allophone, on lit et on étudie la traduction en français de textes et oeuvres de la culture d’origine de l’élève. Les maîtres parlent également, comme premier contact avec l’écrit, d’articulation entre la langue 1 et la langue 2. Rien, dans ce sens, concernant la prescription primaire. On se demande alors sur quelle(s) conception(s) doit se fonder la construction d’une progression du français écrit pour les élèves nouveaux arrivants. Est-ce qu’il faut s’appuyer sur des dynamiques d’apprentissage élaborées par les élèves ou sur les objectifs fixés dans les programmes ? Et : Comment envisager une progression d’enseignement qui prendrait en compte les procédures que mettent en oeuvre les élèves allophones lorsqu’ils commencent à écrire en français ? (Rémy-Thomas, 2003, p. 69).

Un nouvel " objet de savoir " ?

Notre description du contexte d’enseignement du français aux élèves nouveaux arrivants engendre bien des pratiques qui n’appartiennent ni au FLE ni au FLM.

Notre analyse pointe l’existence d’une confusion entre deux objets d’apprentissage : ce que les maîtres étiquettent comme de l’oral ou comme de l’écrit. Contraints par le temps, ils se créent un raccourci pour accéder rapidement à l’écrit, ce qui rend cohérente leur pratique. Mais ils réunissent les conditions de rencontre avec des objets de savoir de l’écrit à des moments d’activités langagières à visées communicatives. Ils aboutissent à la production d’un oral surnormé que semble dénaturer l’écrit. Les enseignants exigent de leurs élèves des productions langagières d’une correction proche des productions écrites (Tableau 2). L’écrit est semblable à une production langagière en constant perfectionnement, ce qui nous renvoie à notre mot de confusion. Et si les maîtres manipulaient un nouvel objet de savoir ? S’il ne s’agissait pas de confusion ? Un objet de savoir que nous situons volontiers entre l’oral et l’écrit. On voit là que les enseignants cherchent un moyen d’éviter de différer l’entrée dans l’écrit. Cependant, ils hésitent quant à la nature de l’écrit et de la culture écrite à enseigner. L’état actuel des pratiques nous fait dire que les maîtres fonctionnent dans un paradoxe cohérent : ils proposent une langue où le choix des instruments et des tâches est peu ambitieux et peu motivant car peu tourné vers la culture de l’écrit et les compétences attendues dans ce domaine à l’école et, souvent en dessous des attentes et compétences de l’élève dans sa langue maternelle alors même qu’ils se donnent les moyens de dépasser tout cela. Ils savent que le temps où l’on pensait que des emprunts aux didactiques du FLE ou du FLM pouvaient répondre aux besoins d’enseignement / apprentissage de leurs élèves est révolu. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés dans l’école française sur la question de la langue de scolarisation et des apprentissages ne sont pas pris en compte dans les méthodologies du FLE (Bertrand et collab., 2001, p. 68).

C’est bien vers la recherche d’une nouvelle didactique et vers celle de nouveaux instruments que tendent les maîtres. C’est dans la quête de la cohérence de leur enseignement qu’émergent les questions qui pourraient être les fondements et principes d’une didactique du FLSco. Nous soutenons qu’il y a urgence à introduire de nouveaux objets de savoir qui n’appartiennent pas au système ordinaire de l’enseignement du français. Et comme le disent Davin-Chnane et Faïta (2003, p. 96) : Avec les élèves nouveaux arrivants, ce n’est pas la distance entre savoirs savants et savoirs enseignés qui pose problème, mais entre les savoirs à enseigner et l’élève. Les savoirs ne sont pas adaptés aux élèves maîtrisant mal la langue : il faut donc les manipuler pour les adapter. Il semble que les maîtres de soutien linguistique soient arrivés à cette étape.

Conclusion

Nous sommes partie des pratiques de la classe et de la parole des maîtres sur ces pratiques pour étudier une question particulière, celle de l’acculturation à l’écrit dans l’enseignement du FLSco. Notre démarche, qui s’inscrit dans le sillage de la psychologie ergonomique et de l’analyse du travail, nous a conduite à porter un regard sur les moyens, les ressources et les contraintes avec lesquels composent les maîtres : prescriptions, instruments didactiques, objectifs, etc.

Dans notre contexte d’enseignement du FLSco, le maître enseigne indistinctement sa langue maternelle comme langue seconde et comme langue de scolarisation, et il représente pour l’élève un modèle linguistique. Il est le principal médiateur culturel dans la rencontre de l’élève nouvel arrivant avec le français, et ses choix didactiques influent sur les représentations de la langue que se construit ce dernier.

Si nous revenons à l’une de nos questions : Quels médiateurs de la langue et de la culture écrites sont les maîtres de soutien linguistique ?, les résultats de notre échantillon nous permettent d’avancer plusieurs éléments de réponse. Tout d’abord qu’il n’existe pas un travail d’acculturation à l’écrit qui permette à l’élève d’être en situation de réussite à l’école. Bien que les maîtres essaient d’enrichir leurs ressources de travail et tentent d’en dépasser les contraintes, leurs pratiques véhiculent des représentations de l’écrit auxquelles correspondent des compétences bien en deçà de ce que nécessitent les écrits scolaires. Ils donnent l’impression d’avoir du mal à s’émanciper de pratiques pédagogiques installées soit en FLE soit en FLM qui s’avèrent peu efficaces pour leurs élèves, et ce, malgré des efforts de conception instrumentale. En effet, pour les élèves issus d’une culture scolaire plutôt orale, l’étude prolongée de textes fonctionnels et / ou sociaux renforce la représentation d’un écrit très utilitaire. Par contre, ceux qui sont entrés dans l’écrit littéraire et ses codes culturels dans leur première langue de scolarisation sont déçus dans leurs attentes et courent le danger de déstructurer leurs représentations initiales. Lorsqu’on essaie d’aller plus loin dans la compréhension des pratiques des maîtres, ils expliquent cet état de fait de deux façons : (1) le déficit instrumental et (2) l’hété-rogénéité des élèves. Les maîtres attribuent certaines difficultés des élèves aux représentations que véhicule leur culture maternelle mais ils taisent les représentations qu’eux-mêmes semblent induire.

Cependant, nos résultats nous conduisent aussi au constat que les maîtres sont demandeurs d’instruments et de manières de faire innovantes pour l’enseignement d’un écrit plus ambitieux. Et on rejoint là une autre de nos questions : Penser les instruments FLSco dans la pratique enseignante, n’est-ce pas une façon d’en construire la didactique ? Notre réponse est affirmative si on se place dans la perspective de la conception instrumentale, d’abord parce que, sous cet angle, nous prenons en compte la manière dont les maîtres se saisissent et s’approprient des artefacts et leur donnent le statut d’instruments didactiques (étude de l’association artefacts / schèmes), ensuite parce qu’en cherchant à comprendre la cohérence de leur pratique, nous travaillons sur les relations du couple moyens d’enseignement / objectifs d’enseignement, qui nous en disent long sur les susceptibles principes organisateurs de la didactique en émergence.

Nous pensons que la construction de la didactique du français langue de scolarisation, la conception d’instruments didactiques et la formation des enseignants tiennent dans l’intérêt que l’on va porter aux pratiques effectives des enseignants.