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If teaching were trees, the prevailing culture of higher education would still be a desert.

Arrowsmith, 1967

Introduction

Depuis plus de trente ans, l’évaluation de l’enseignement par les étudiants est une pratique courante dans nos universités. On ne la questionne plus, elle fait maintenant partie de la réalité. Mais plusieurs questions posées au début de cette opération n’ont pas encore obtenu de réponses : Quel est le véritable but de cette évaluation ? Les étudiants ont-ils la compétence et la maturité nécessaires pour évaluer leurs professeurs ? Les questionnaires sont-ils valides ? Que se passe-t-il à la suite d’une évaluation ? Les professeurs la prennent-ils en considération ? Quel est le rôle des directeurs de département à cet égard ?

Au regard de ces questions, nous avons entrepris une vaste étude en trois volets afin de sonder les représentations des étudiants évaluateurs (Thivierge et Bernard, 1996), des professeurs évalués (Bernard, Postiaux, Salcin, 2000 ; Bernard et Normand, 1998) et des directeurs de département concernant l’évaluation de l’enseignement et son impact sur la qualité de l’enseignement. Les directeurs de départements ont en outre été interrogés sur le rôle qu’ils s’attribuent dans le dossier de l’évaluation et de la promotion de l’enseignement et, conséquemment, les actions qu’ils ont mises de l’avant en rapport avec cette question.

Sur la base des travaux de Moscovici, de même que ceux de Giordan et de Vecchi (bien que ces derniers traitent plutôt de la notion de conception), la représentation est ici définie, à la suite de Mainville (1997), comme un « système d’interprétation […] qui permet à l’individu de comprendre et d’interpréter les phénomènes et événements avec lesquels il est confronté » (p. 45). L’environnement social d’un individu de même que ses expériences personnelles diverses influencent l’élaboration de ses représentations. Ainsi, « l’individu construitses représentations à partir du réel et donc, son approche n’est pas exclusivement scientifique, mais aussi psychologique, culturelle, politique, économique, etc. » (Ibid., p. 54).

Les résultats de l’étude du volet étudiant, réalisée auprès de 391 sujets interrogés dans sept disciplines différentes d’un même établissement, révèlent que l’évaluation étudiante est perçue par ces derniers comme une opération importante pour l’amélioration de l’enseignement (96 %) et la formation des étudiants (85 %), mais plus de la moitié d’entre eux estiment qu’elle n’influencerait pas les pratiques des professeurs (58 %). De l’avis de 79 % des étudiants interrogés, l’évaluation ne serait pas considérée au moment des promotions ; plus de la moitié estime que la qualité de l’enseignement est une préoccupation importante pour l’université et pour les professeurs de leur département (60 %) ; enfin, 41 % soupçonnent que les professeurs ne se donnent pas la peine de lire leurs commentaires.

En ce qui a trait au volet des professeurs évalués, près de 1 300 d’entre eux ont accepté de répondre à un questionnaire de 40 questions. Ceux-ci provenaient de cinq établissements universitaires et représentaient plus de 30 disciplines d’enseignement. Les résultats de l’étude ont fait ressortir les points de concordance (plus de 85 %) suivants :

  • Tous les professeurs, quel que soit leur statut, et tous les cours, quel que soit leur niveau d’enseignement (1er, 2e et 3e cycles), devraient être évalués.

  • Les étudiants ne devraient pas être les seuls juges de la qualité de l’enseignement universitaire ; les professeurs devraient être également en mesure de se prononcer sur leur enseignement.

  • Les professeurs affirment que l’évaluation leur permet d’améliorer leur enseignement, et plusieurs (près de 80 %) ajoutent que les commentaires écrits des étudiants sont une source intéressante de suggestions, même si 60 % d’entre eux avouent que c’est également une source de défoulement pour les étudiants.

Tout comme les étudiants, les professeurs jugent que l’université se soucie peu de la qualité de l’enseignement et qu’elle devrait entreprendre des actions concrètes pour parfaire son amélioration (95 %).

Enfin, une très grande majorité de professeurs (près de 80 %) juge que leur directeur de département n’a pas la compétence nécessaire pour les appuyer dans leur enseignement, et certains mentionnent que celui-ci ne devrait même pas avoir accès aux résultats.

Autre résultat étonnant de cette étude, environ 60 % des professeurs et des chargés de cours sont d’avis que des mesures disciplinaires devraient être prises lorsque les résultats des évaluations sont trop souvent faibles. Dans un secteur particulier, les résultats à cette question s’élèvent à près de 80 %.

Objectifs de la recherche

Après avoir sondé les perceptions des étudiants et des professeurs, le troisième volet de cette recherche vise à faire émerger les représentations des directeurs de département [2] et des vice-doyens à l’enseignement (lorsqu’il s’agit de facultés sans département) sur les buts poursuivis par les pratiques d’évaluation de l’enseignement, de même que sur l’impact de ces pratiques sur la qualité et l’amélioration de l’enseignement. En outre, la recherche avait aussi comme objectif d’étudier les représentations des directeurs et des vice-doyens à l’égard de leur rôle dans le dossier de la qualité de l’enseignement, ainsi que sur la place qu’ils accordent à la qualité de l’enseignement dans l’ensemble de leurs priorités. Mentionnons d’emblée qu’il s’agit d’une démarche essentiellement exploratoire, ces questions étant peu abordées dans les ouvrages scientifiques.

Signalons que ces administrateurs sont aussi des professeurs et qu’ils ont donc été ciblés dans le deuxième volet de l’étude. Nous avons ainsi fait ressortir leurs avis lorsqu’ils se distinguaient de ceux des professeurs ou lorsqu’ils étaient interpellés. Citons, à titre d’exemple, qu’ils avouent être d’accord avec les professeurs sur leur compétence limitée par rapport au rôle d’aide à l’enseignement qu’on voudrait leur faire jouer suite aux évaluations (Bernard, Postiaux et Salcin, 2000).

Dans notre étude, le troisième volet n’avait pas pour but de confronter l’avis des directeurs par opposition à celui des professeurs, mais bien de comprendre le rôle qu’ils estiment pouvoir jouer dans ce dossier. De même, le but de cette recherche n’était pas d’opposer le rôle des directeurs face à l’enseignement et à la recherche, quoique cette dimension soit tout de même nettement ressortie lors des entrevues.

Cadre théorique

Les écrits scientifiques sur le rôle des directeurs de département au regard de la qualité et de la promotion de l’enseignement sont peu étoffés, et ceux que l’on retrouve sont généralement prescriptifs, peu d’études empiriques ayant été menées sur le sujet. Le cadre théorique est donc composé d’une recension des écrits, principalement américains, sur les pratiques de l’évaluation de l’enseignement et notamment sur le rôle susceptible d’être joué par les directeurs de département dans l’évaluation, l’amélioration et la valorisation de l’enseignement universitaire, celui-ci n’étant pas clairement défini dans les institutions universitaires, sauf exceptionnellement dans certaines politiques institutionnelles. En second lieu, nous examinons les travaux qui jettent un regard critique sur les pratiques actuelles.

Évaluer l’enseignement

En ce qui concerne les pratiques d’évaluation de l’enseignement, Cashin (1999) propose un certain nombre de pistes pour rendre cette opération valide et efficace : utiliser de nombreuses sources d’information en plus des étudiants ; faire l’évaluation du matériel d’enseignement ; valoriser la contribution du professeur à son évaluation ; interpréter les résultats en fonction de leurs variables contextuelles.

Menges (1990) présente, pour sa part, un modèle qu’il nomme les 4P : Plans, Procedures, Preconditions, Products, permettant de faciliter l’utilisation des informations contenues dans les évaluations pour améliorer l’enseignement. Le modèle de Menges rejoint en tout point le modèle de Bernard (1992) qui propose de prendre en considération les différentes dimensions de l’enseignement, dont la planification, la prestation, les résultats et les conditions d’enseignement, afin d’en tracer un portrait complet.

Pour Brinko (1991), une évaluation doit être suivie d’une rétroaction et d’une action. Cette chercheuse propose un modèle en quatre phases qui va bien au-delà de l’évaluation proprement dite : une rencontre initiale avec le professeur et un expert afin de définir les besoins d’amélioration ; une formation permettant de mieux cerner la situation de l’enseignement ; une évaluation de l’enseignement ; une analyse des résultats suivie d’une planification de l’amélioration.

Quant au modèle de Centra (1993), le NVHM, il constitue un modèle intéressant pour favoriser le changement à la suite des évaluations : faire en sorte que l’évaluation apporte des informations nouvelles (New Knowledge) ; que cette information soit valorisée (Value) ; qu’elle conduise au changement (How to Change) et que la motivation soit au centre du processus (Motivation). Ainsi, une évaluation informative qui conduit au changement et une évaluation valorisée qui motive le changement seraient des conditions de succès dans l’utilisation des résultats de l’évaluation.

Si les politiques et pratiques institutionnelles d’évaluation de l’enseignement sont connues dans les universités québécoises (Bernard et Bourque, 1999), il en est autrement des pratiques locales ou départementales, chaque département étant libre d’adapter les politiques institutionnelles à sa convenance. Les entrevues auprès des directeurs permettront de mieux cerner les pratiques d’évaluation en cours et de distinguer les particularités de chacun des départements ciblés.

Améliorer et valoriser l’enseignement

D’autres auteurs se sont intéressés aux conditions à mettre en place pour améliorer, mais aussi valoriser l’enseignement à l’université. L’ouvrage de Seldin (1990), qui réunit plusieurs textes d’auteurs intéressés par le sujet, présente un certain nombre de stratégies susceptibles d’améliorer l’enseignement. À cet effet, le chapitre de Green (1990) propose des recommandations intéressantes à l’intention des administrateurs des institutions universitaires :

  • faire de l’enseignement une priorité ;

  • encourager et soutenir les professeurs ;

  • superviser le changement ;

  • injecter des sommes d’argent dans l’enseignement ;

  • valoriser de façon significative l’excellence ;

  • faire en sorte que l’enseignement devienne une responsabilité institutionnelle ;

  • veiller à ce que l’enseignement fasse partie des critères d’engagement et de promotion.

Paulsen et Feldman (1995) insistent sur l’importance d’une culture universitaire qui soutient l’enseignement : « Unambiguous commitment to and support of teaching and its improvement from senior administrators » (p. iii), cette implication formelle devant être partagée par les autres niveaux de direction (doyens et directeurs) et par les professeurs. Les auteurs proposent des interventions fréquentes de la part des professeurs dans tout ce qui a trait à l’enseignement.

Au Québec, l’exemple de l’École polytechnique de Montréal, dans son engagement face à l’enseignement, est intéressant à mentionner. L’École a mis sur pied, il y a près de vingt ans, un programme de formation pédagogique obligatoire pour tous ses nouveaux professeurs. Celle-ci se fait de façon individuelle, sur mesure et comprend environ une centaine d’heures d’encadrement pendant la première année. Elle comprend quatre volets : la formation, l’observation en classe, l’évaluation faite par les étudiants et la rétroaction. L’impact de cette formation a été évalué à plusieurs reprises. Le rapport de 1992 indique que les professeurs sont hautement satisfaits de cette formation et mentionnent que si celle-ci n’avait pas été obligatoire au départ, ils ne l’auraient sans doute pas suivie. Les directeurs de département manifestent aussi leur satisfaction, étant libérés de l’encadrement de leurs nouveaux professeurs, qui est pris en charge par un service spécialisé de soutien à l’enseignement. Enfin, l’impact de la formation à l’enseignement se fait davantage ressentir lorsque ces derniers siègent à des comités pédagogiques ou occupent, à leur tour, un poste de coordonnateur de programme ou de directeur de département. On constate en effet une plus grande réceptivité de la part de ces administrateurs pour les questions pédagogiques. Le programme est maintenant reconnu sur le plan international, non seulement par les écoles de génie, mais aussi par un grand nombre d’universités à travers le monde.

Dans la même perspective que Green, Lucas (1990) insiste sur la valorisation de l’enseignement au sein des unités administratives, et certaines de ses recommandations sont dirigées vers les responsables de départements :

  • faire de l’enseignement une priorité ;

  • créer un climat de confiance et de soutien entre les professeurs ;

  • valoriser l’excellence en enseignement ;

  • placer l’enseignement à l’ordre du jour dans les réunions départementales ;

  • échanger les plans de cours ;

  • créer un comité sur l’enseignement ;

  • utiliser les résultats des évaluations pour valoriser l’enseignement ;

  • développer un système de monitorat.

Impact des stratégies d’évaluation, d’amélioration, de valorisation sur l’enseignement

La fin des années 1990 a conduit plusieurs auteurs à faire le point sur leur domaine de recherche. L’évaluation de l’enseignement n’a pas échappé à cette réflexion. Le portrait n’est sans doute pas celui qu’on attendait. Si l’on a cru que l’évaluation allait améliorer l’enseignement de façon significative, simplement parce que les étudiants allaient remplir des questionnaires, les études montrent qu’après trois décennies de mise en application, cette pratique n’a pas porté fruit, et ce, malgré les conseils et les stratégies proposés par les chercheurs les plus réputés dans le domaine.

Le sondage de Wright et O’Neil (1995), auprès de différentes institutions universitaires canadiennes, américaines, australiennes et européennes sur les stratégies permettant l’amélioration de l’enseignement, démontre que parmi 36 stratégies proposées, les deux plus efficaces, selon les spécialistes du domaine, sont la reconnaissance de l’enseignement dans les dossiers de promotion et le rôle des directeurs et des doyens face à l’importance de l’enseignement. Par ailleurs, le programme de monitorat à l’intention des nouveaux professeurs arrive au 5e rang, l’attribution de subventions aux professeurs désirant améliorer leur enseignement se positionne au 6e rang, suivi des ateliers de formation sur mesure, des prix d’excellence et de l’évaluation du matériel d’enseignement à des fins formatives. L’évaluation faite par les étudiants, à la fin de la session, se situe en 34e position, alors que l’évaluation en cours de session se classe au 21e rang.

Seldin (1999) et ses collaborateurs constatent, à leur tour, l’échec de l’évaluation de l’enseignement. En effet, ils observent que l’évaluation n’a pas réussi à motiver les professeurs à améliorer leur enseignement et que, de plus, l’évaluation n’est pas parvenue à établir une distinction entre un enseignement de qualité, un enseignement pauvre et un enseignement adéquat. Quelle en est la raison ? Est-ce par manque d’intérêt ou de connaissances sur le sujet ? Ou par laxisme ? Est-ce en raison de la mauvaise utilisation de l’évaluation et de l’interprétation des résultats ? Les chercheurs vont même jusqu’à affirmer que certains groupes de professeurs provoquent volontairement l’échec du système d’évaluation.

Cannon (2001) rapporte des conclusions peu réjouissantes sur l’utilisation des résultats de l’évaluation à l’enseignement.

En enseignement supérieur, nous avons réussi de manière relativement satisfaisante à développer des façons d’évaluer l’enseignement, notamment lorsqu’il s’agit d’interventions spécifiques ou de cours particuliers. Nous savons cependant encore peu de choses sur la façon dont ces résultats sont mis à profit dans la prise de décisions et les jugements relatifs à la planification des activités d’enseignement (Mullins et Cannon, 1992). Pire encore, il semble que ces données de recherche ne soient tout simplement pas utilisées (Johnson, 1999).

Cannon, 2001, p. 94-95

Ory (2000) constate que l’évaluation s’inscrit davantage dans une démarche administrative que dans la perspective du développement de l’enseignement tant individuel qu’institutionnel. Il propose de changer la culture de l’évaluation et de faire en sorte que celle-ci passe de la compétition à l’amélioration par des discussions ouvertes entre collègues et directeur.

Dans les années à venir, les universités devront développer une nouvelle culture de l’évaluation qui ne vise pas à évaluer de manière individuelle et numérique les activités de formation ou à comparer les professeurs entre eux mais qui permet plutôt aux formateurs d’une même faculté de discuter ouvertement entre eux et avec les administrateurs des buts qu’ils poursuivent ainsi que de leurs réalisations. Les formateurs doivent avoir l’occasion d’échanger sur ce qu’ils ont fait, sur ce qu’ils font et sur ce qu’ils peuvent encore faire. L’évaluation doit viser l’amélioration non seulement des individus mais aussi celle de l’institution.

Traduction libre p. 17

Questions de la recherche

L’impact de l’évaluation de l’enseignement sur la qualité de l’enseignement ne serait donc pas aussi important que ce qu’on avait anticipé. C’est du moins ce qui ressort des études qui viennent d’être présentées. Nos travaux antérieurs ont aussi montré les limites de cette pratique du point de vue des principaux intéressés, à savoir les étudiants et les professeurs. Ces derniers se sont, par ailleurs, montrés sceptiques quant au souci véritable de leurs institutions à l’égard de la qualité de l’enseignement. En outre, on constate un vide dans la recherche concernant les suites données à la démarche d’évaluation des enseignements (Cannon, 2001). C’est pourquoi il devient urgent de se pencher sur cette question. La présente étude désire ainsi contribuer à la réflexion sur le sujet en interrogeant les directeurs de département sur cette question, de même que sur le rôle qu’ils s’attribuent dans le dossier de la promotion de l’enseignement.

La recherche présentée ici visait à répondre aux questions suivantes :

  • Quels sont, selon les administrateurs, les buts poursuivis par l’évaluation de l’enseignement ?

  • À leur connaissance, quelles suites sont données à l’évaluation de l’enseignement ?

  • Quelle est, de leur point de vue, l’utilité de cette pratique en relation avec les buts poursuivis ?

  • Selon les administrateurs, l’évaluation contribue-t-elle à maintenir et/ou à améliorer la qualité de l’enseignement ?

  • Plus largement, quelles actions les administrateurs entreprennent-ils pour améliorer ou promouvoir l’enseignement au sein de leur unité ?

  • Les administrateurs jouent-ils un rôle actif, voire proactif, dans ce dossier ?

De plus, des données factuelles ont été recueillies auprès des répondants au sujet des modalités effectives d’évaluation de l’enseignement dans leurs unités respectives.

Méthodologie

Les sujets

L’échantillon de cette étude est constitué de 10 administrateurs, dont 8 directeurs de département et 2 vice-doyens aux études. Ces administrateurs ont été choisis sur la base d’un échantillonnage contrasté, tel que décrit par Van der Maren (1995), qui consiste à sélectionner des individus en fonction de leurs différences. Cette procédure permet de constituer un échantillon sensible aux tendances de dispersion. La démarche étant exploratoire, la recherche ne vise pas ici la représentativité des sujets, elle tend plutôt à cerner la diversité des tendances en matière de gestion de la qualité de l’enseignement. Dans le cas de la présente recherche, c’est sur la base de la diversité disciplinaire que les sujets ont été recrutés ; ces derniers proviennent des secteurs de la santé (2), des sciences (2), des sciences sociales (3) et des secteurs professionnels (3).

La collecte des données

Les données ont été recueillies par le truchement d’entrevues semi-structurées menées à l’automne 1998 et à l’hiver 1999. Les sujets ont été joints par téléphone, et une lettre leur fut transmise par courrier dans laquelle étaient brièvement identifiés les objectifs de la recherche ainsi que les questions qui allaient être abordées au cours de l’entrevue. Ces questions ont tenu lieu de canevas d’entrevue. Deux entrevues préliminaires ont été réalisées afin de valider les questions d’entrevue et pour permettre à l’intervieweur de se familiariser avec les caractéristiques du terrain et d’ajuster le style de ses interventions, comme le suggère Van der Maren (1995). Les entrevues, d’une durée de 45 à 60 minutes, ont été enregistrées et entièrement retranscrites.

L’analyse des données

Une analyse qualitative du contenu des entrevues a ensuite été réalisée. Comme il s’agit d’un champ d’étude relativement nouveau, les catégories de codage n’ont pu être déterminées a priori ; elles ont plutôt été dégagées du corpus lui-même après plusieurs lectures et quelques tentatives exploratoires de codage.

Résultats de la recherche

Des données factuelles ont d’abord été recueillies sur les pratiques d’évaluation de l’enseignement dans les différentes unités administratives visitées. Les entrevues ont, par ailleurs, permis de recueillir des informations tantôt factuelles et tantôt perceptuelles sur les suites données à l’évaluation de l’enseignement, et notamment sur le rôle des différents responsables en lien avec ce suivi. Enfin, les résultats de cette recherche permettent de pointer les facteurs qui, du point de vue des répondants, représentent des entraves à la qualité de l’enseignement. Ces résultats sont présentés de manière détaillée dans les pages qui suivent.

Les pratiques d’évaluation

Considérant que la pratique de l’évaluation de l’enseignement n’est pas nécessairement uniforme dans toutes les unités administratives, nous avons interrogé les administrateurs sur les modalités de cette opération dans leurs unités respectives afin de dégager les similitudes et les variations. Cinq variables ont été dégagées à partir des commentaires recueillis pour décrire les pratiques d’évaluation de l’enseignement : les modalités de collecte d’information, le traitement des données, l’accès aux résultats, les pratiques d’évaluation parallèles et l’encadrement de la démarche d’évaluation (tableau 1).

L’analyse du tableau 1 permet de confirmer qu’il existe une pratique d’évaluation relativement répandue et standard dans les départements et les facultés visités. Celle-ci se présente sous la forme d’un questionnaire distribué aux étudiants à la fin du semestre (9 unités). Ce questionnaire comporte une série de questions, une échelle d’accord et quelques questions ouvertes permettant de recueillir les commentaires des répondants. Les données ainsi recueillies sont ensuite traitées par une entité administrative impartiale, comme le service informatique de l’institution, qui les traduit sous une forme statistique (9 unités). Quant aux commentaires, ceux-ci sont simplement retranscrits. Les résultats statistiques sont ensuite transmis au professeur (10 unités) et à son directeur (9 unités), mais les commentaires ne sont communiqués qu’au professeur concerné par l’évaluation. Les administrateurs indiquent que cette pratique d’évaluation de l’enseignement a des visées à la fois formative et administrative (promotion, permanence et renouvellement de contrats). Ajoutons que, dans la plupart des unités, le professeur peut choisir d’inclure ou non les résultats de ses évaluations dans son dossier de promotion, mais certaines unités les exigent.

Tableau 1

Les pratiques d’évaluation de l’enseignement

Les pratiques d’évaluation de l’enseignement

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Bien que cette pratique d’évaluation de l’enseignement soit relativement répandue, des variantes sont mises en place en vue d’élargir la portée formative de la démarche. Comme nous le verrons, certaines de ces variantes ne sont pas sans rappeler quelques-unes des recommandations des auteurs cités précédemment.

Deux unités encadrent la pratique d’évaluation de l’enseignement par une politique qui leur est propre. C’est d’ailleurs en vertu de cette politique que les administrateurs de ces unités rencontrent chaque année et systématiquement tous les groupes d’étudiants de première année afin d’expliquer à ces derniers le sens de l’évaluation de l’enseignement et de les inciter à réaliser cette activité de manière sérieuse et constructive. Comme le préconise Centra (1993), cette démarche a pour effet de valoriser l’exercice d’évaluation de l’enseignement réalisé par les étudiants, et les précautions mises de l’avant pour assurer une évaluation sérieuse de leur part visent à augmenter l’impact véritable de l’évaluation sur l’amélioration de l’enseignement.

Des variantes ont également été relevées à propos des modalités de collecte de l’information et du traitement des données recueillies. Ainsi, dans une des unités, le questionnaire des étudiants est accompagné d’un questionnaire destiné au professeur, ce qui permet à ce dernier de signaler toute information concernant son cours. Cette fiche de variables contextuelles permet de moduler l’interprétation des résultats et de relativiser les données recueillies auprès des étudiants. On reconnaît ici la préoccupation de Cashin (1999) pour une contribution du professeur à son évaluation et pour la prise en compte des variables contextuelles dans l’interprétation des résultats.

Dans une autre unité, les questionnaires distribués aux étudiants ont été adaptés aux différents types de cours. L’unité dispose ainsi d’un questionnaire pour évaluer l’enseignement des cours magistraux et d’un autre questionnaire pour les cours qui adoptent une démarche davantage centrée sur l’apprentissage des étudiants. Dans cette même unité, les données sont traitées d’une manière plus sophistiquée que dans la pratique régulière. Plutôt que de transmettre aux professeurs les moyennes des réponses pour chacune des questions, comme c’est le cas dans la pratique courante, les réponses sont classées en deux catégories, positive et négative, et les résultats sont présentés sous forme d’histogrammes. Cette présentation visuelle permet au professeur d’apprécier plus aisément les résultats obtenus. En outre, le document remis au professeur montre les résultats pour l’ensemble des professeurs ayant donné le même type de cours (magistral ou pratique). Ces résultats sont aussi présentés sous forme d’histogrammes permettant ainsi au professeur de se situer par rapport à ses collègues qui enseignent dans un contexte similaire au sien (cours de 1re année, groupe nombreux, etc.). Quant aux commentaires des étudiants, l’unité a choisi de ne pas les présenter intégralement, mais d’en rédiger plutôt une synthèse d’où sont évacués les propos non pertinents. Notons que les frais rattachés à ce traitement particulier sont entièrement assumés par l’unité concernée. Il s’agit d’un choix administratif qui a été fait dans le cadre de la politique sur l’amélioration de l’enseignement. Il semble que cette adaptation du traitement des données d’évaluation facilite l’utilisation des données de l’évaluation par les professeurs concernés, comme le préconisent Menges (1990) et Bernard (1992).

Une variante a aussi été relevée à propos, cette fois, de l’accès aux résultats. Ainsi, dans l’une des dix unités visitées, les résultats des évaluations de l’enseignement ne sont pas seulement transmis au directeur et au professeur, mais également à un comité pédagogique constitué de professeurs et d’étudiants qui a le mandat de les analyser et de faire des recommandations au directeur. Soulignons cependant que, dans ce cas, les résultats ne sont pas nominatifs. Ici, la procédure d’évaluation adoptée par cette unité inclut une dimension rétroactive en vue de susciter des changements véritables à la suite de l’évaluation, comme le suggèrent Brinko (1991) et Centra (1993).

Enfin, dans certaines unités, il existe des pratiques d’évaluation parallèles de l’enseignement qui, selon les cas, sont initiées par l’association étudiante, l’assemblée départementale ou le directeur lui-même. Ces pratiques parallèles visent, selon les cas, les professeurs et les chargés de cours (n = 2), les auxiliaires d’enseignement (n = 1) ou le programme de formation dans son ensemble (n = 4). Les deux cas d’évaluation parallèle que nous avons identifiés qui concernent les professeurs et les chargés de cours sont assez semblables dans leur forme. Ces évaluations se déroulent assez tôt dans le trimestre de manière à permettre, si nécessaire, un ajustement en cours de route. Dans les deux cas, c’est un délégué de l’association étudiante qui rencontre les étudiants et les interroge à partir d’une liste de questions préétablie. Les étudiants expriment leur opinion à main levée et de courtes discussions peuvent s’ensuivre. Le délégué est ensuite chargé de rédiger un court rapport qu’il transmet au professeur concerné. Dans un cas, cette initiative d’évaluation parallèle est entièrement prise en charge par l’association étudiante, alors que dans l’autre cas, elle est assumée conjointement par l’association étudiante et l’assemblée départementale.

Dans une autre unité, une pratique d’évaluation parallèle a été mise en place afin d’évaluer les auxiliaires de l’enseignement qui sont, dans la majorité des cas, des étudiants de 2e et 3e cycles. Cette évaluation s’apparente à l’évaluation standard des professeurs dans la mesure où il s’agit d’un questionnaire auquel les étudiants sont invités à répondre. Les résultats de cette évaluation sont ensuite transmis à l’auxiliaire, au professeur responsable du cours ainsi qu’à la direction de l’unité.

Finalement, un autre type d’évaluation parallèle a été mis en évidence par quelques administrateurs (n = 4). Il s’agit d’une évaluation qui vise non pas des individus, mais plutôt l’ensemble de la formation elle-même. Dans tous les cas, ces pratiques d’évaluation prennent la forme de réunions-bilans où les professeurs, et parfois les chargés de cours, examinent les plans de cours et les bibliographies, discutent des stratégies pédagogiques, et ceci en vue d’assurer une meilleure cohérence dans la formation. Dans certains cas, la discussion s’appuie sur les résultats d’un sondage auprès des étudiants concernant l’ensemble du programme. Ces réunions conduisent à des ajustements qui touchent l’organisation de la formation plutôt que les performances individuelles des personnes. Cette perspective plus collégiale est fondée sur une vision élargie de la qualité de l’enseignement où l’analyse des performances individuelles fait place à une analyse de l’ensemble des activités de formation au sein du programme, rejoignant la perspective présentée par Ory (2000) sur l’importance de viser non seulement l’amélioration des individus, mais aussi celle des institutions. En ce qui a trait aux moyens mis de l’avant pour favoriser cette évaluation macroscopique, ceux-ci rejoignent les recommandations de Lucas (1990) qui favorise la création d’un comité sur l’enseignement et l’échange entre collègues, notamment à partir des plans de cours.

En somme, bien qu’il existe une pratique relativement courante pour évaluer l’enseignement, plusieurs unités ont jugé utile de modifier cette pratique ou de lui adjoindre une évaluation parallèle. Dans tous les cas, on observe que ces variantes visent à élargir la portée même de l’évaluation de manière à ce que celle-ci ne reste pas sur les tablettes ou dans les dossiers de promotion, mais qu’elle contribue véritablement à l’amélioration de la qualité de l’enseignement au sein des programmes de formation.

Le rôle des responsables dans le suivi des évaluations

Comme il a été soulevé dans la première partie de cet article, différentes études interrogent l’impact véritable des pratiques d’évaluation de l’enseignement. Il importe de préciser que dans l’établissement visité dans le cadre de cette étude, la politique institutionnelle de l’évaluation de l’enseignement ne donne aucune indication quant au suivi à accorder à l’évaluation de l’enseignement ; le rôle des administrateurs dans cette démarche n’est pas non plus précisé, ce qui laisse la porte ouverte à une diversité de pratiques. Dans ce contexte, la présente étude s’est intéressée aux suites qui sont données à la démarche d’évaluation de l’enseignement et aux actions concrètes qui en découlent. Les commentaires des administrateurs nous incitent à considérer cette question sous trois aspects : 1) le suivi donné par le directeur, 2) le suivi donné par les professeurs et 3) l’impact de l’évaluation sur le programme de formation (tableau 2).

Le suivi donné par le directeur

L’examen des résultats suivi d’une rencontre des cas problèmes semble être la mesure la plus fréquente. En effet, 8 administrateurs sur 10 examinent systématiquement les résultats des évaluations de l’enseignement, portant surtout leur attention aux résultats les plus faibles. Même si cette pratique semble largement partagée, deux répondants ont néanmoins révélé qu’ils ne regardaient jamais ces évaluations. Dans un cas, l’administrateur n’a tout simplement pas accès à ces données alors que dans l’autre cas, l’administrateur considère que ces résultats relèvent du domaine privé.

Je suis mal à l’aise d’examiner les résultats d’évaluation de mes collègues ; c’est un peu comme si je vérifiais leurs formulaires d’impôt. Je considère que les évaluations de mes collègues ne me regardent pas au même titre que leurs salaires ou leurs impôts.

Tableau 2

Le rôle des responsables dans le suivi des évaluations

Le rôle des responsables dans le suivi des évaluations

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Lorsque les résultats sont faibles, quatre administrateurs indiquent qu’ils rencontrent les professeurs en difficulté pour comprendre la source du problème et recueillir leur version des faits. Il est rare que les administrateurs proposent à un professeur des moyens pour redresser la situation puisque, de leur propre aveu, ceux-ci se sentent assez peu compétents sur le plan pédagogique pour agir à titre de conseiller. Les administrateurs essaient plutôt d’aider le professeur à trouver lui-même des solutions, comme nous en a fait part l’un d’entre eux.

J’ai essayé d’intervenir, mais je ne suis pas un spécialiste en pédagogie. Je ne peux pas dire à un professeur quel est son problème, mais je peux essayer de lui faire comprendre qu’il a peut-être un problème. J’ai déjà soulevé la question avec l’un d’entre eux, mais je me sens inconfortable dans le rôle de guide spirituel.

Les administrateurs sont peu nombreux à envisager les sanctions, bien que tous soient parfaitement au courant de cette disposition légale. Un seul administrateur a indiqué avoir eu recours à des sanctions qui se sont concrétisées par une modification des tâches du professeur et le retrait d’un de ses cours. L’administrateur nous a cependant indiqué que cette mesure avait été très mal reçue par le corps professoral. Dans un autre cas, l’administrateur a fait valoir une menace d’avis disciplinaire pour inciter l’un de ses professeurs à se conformer aux règlements pédagogiques. Les sanctions et les avis disciplinaires sont cependant des mesures que les administrateurs hésitent à employer, trop conscients des implications d’une telle mesure sur la carrière d’un professeur, comme nous l’a signalé l’un d’eux.

Je préfère envoyer à un professeur une lettre officielle plutôt qu’un avis disciplinaire. Parce qu’un avis disciplinaire reste au dossier pendant deux ans et c’est une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Si le professeur récidive et bien là, la deuxième sanction s’applique.

Un autre administrateur dit n’avoir jamais eu recours à des mesures disciplinaires, mais il affirme qu’il n’hésiterait pas à le faire en cas de besoin.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que l’évaluation des chargés de cours est prise en compte par au moins un administrateur dans l’attribution des charges de cours.

Le suivi accordé par les professeurs

Lorsqu’ils sont interrogés sur le suivi accordé par les professeurs aux évaluations de l’enseignement, les administrateurs restent vagues dans leurs réponses. S’inspirant de leur propre expérience dans l’enseignement, les administrateurs mentionnent que les professeurs ne sont pas insensibles à ces évaluations. Mais lorsque nous insistons pour connaître les mesures employées par ces derniers afin d’améliorer leur performance, les administrateurs admettent qu’ils en savent peu de chose. Certains croient que les professeurs font des ajustements relativement mineurs (n = 5) ; d’autres affirment que des professeurs consultent des ressources spécialisées (n = 7), mais ils n’ont pas d’information précise là-dessus. Deux administrateurs admettent, par ailleurs, que l’évaluation de l’enseignement a surtout pour effet de créer une pression sur les jeunes professeurs qui conviennent que l’évaluation de leur enseignement représente un certain poids dans leur dossier de promotion, ce qui concorde avec les résultats de Wright et O’Neil (1995). La plupart des administrateurs admettent cependant que le dossier de recherche pèse beaucoup plus lourd dans la promotion d’un professeur que celui de l’enseignement.

L’impact sur les programmes

Lorsque la démarche d’évaluation des enseignements est accompagnée d’une évaluation du programme de formation, l’impact sur le programme concerné est parfois très concret, conduisant bel et bien à des ajustements entre les professeurs quant aux contenus des cours et aux approches pédagogiques et donnant à l’ensemble du programme une meilleure cohérence. C’est ce qu’affirment deux des administrateurs interrogés.

Les stratégies d’amélioration de l’enseignement

Bien que la pratique de l’évaluation de l’enseignement soit utile pour des fins de promotion, il va sans dire qu’il s’agit aussi d’une opération menée dans une perspective d’amélioration de l’enseignement. Nous avons donc voulu savoir si, parallèlement à la démarche d’évaluation, d’autres moyens sont mis en oeuvre en vue de maintenir ou d’améliorer la qualité de l’enseignement au sein des unités. Interrogés sur cette question, les administrateurs considèrent que la qualité de l’enseignement est certes relative à la performance des individus qui enseignent, mais c’est aussi une question qui doit être envisagée dans une perspective plus large, notamment en lien avec la coordination des individus, des cours ainsi que des stratégies d’enseignement et d’évaluation au sein d’un programme de formation. Par conséquent, les moyens qu’ils mettent de l’avant pour promouvoir et soutenir la qualité de l’enseignement sont tantôt orientés vers les individus et tantôt vers les programmes de formation (tableau 3).

Tableau 3

Les stratégies d’amélioration de l’enseignement

Les stratégies d’amélioration de l’enseignement

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Agir sur la qualité de l’enseignement dans une perspective individuelle

Parler de la qualité de l’enseignement, c’est évidemment s’exprimer sur la compétence pédagogique des individus qui enseignent, qu’ils soient professeurs ou chargés de cours. Les administrateurs en sont conscients, c’est pourquoi ils adoptent différentes attitudes ou actions qui visent plus spécifiquement à influencer la performance pédagogique des personnes qui enseignent. Nous examinons ici les différentes approches qui nous sont révélées par le biais des entrevues.

La culture de l’enseignement – À l’instar des Paulsen et Feldman (1995), plusieurs administrateurs (n = 5) considèrent que la promotion de l’enseignement passe d’abord par l’instauration et/ou le maintien d’une culture de l’enseignement au sein de l’unité. Les entrevues réalisées auprès des administrateurs révèlent en outre des données intéressantes sur les mesures concrètes mises de l’avant pour instaurer ou maintenir une telle culture. Pour l’un des répondants, le message doit être transmis au professeur dès son entrée au département, et c’est au directeur d’y voir.

Dès qu’un professeur arrive à l’université, le directeur de département a un rôle important à jouer. Dès le début, nous mettons les choses au point tant sur l’importance de l’enseignement, son évaluation et l’impact de l’enseignement dans le dossier de promotion des professeurs et dans un milieu professionnel comme le nôtre. C’est de l’enseignement de base, mais c’est également de l’enseignement continu. Nous sommes très sollicités.

Dans une autre unité, c’est en offrant à tous les nouveaux professeurs un guide sur la préparation d’un cours que l’on communique l’importance accordée à l’enseignement.

Nous avons fait l’achat d’un grand nombre de livres intitulés La préparation d’un cours de Richard Prégent (1990), conseiller pédagogique à l’École polytechnique, et nous les avons distribués à tous nos nouveaux professeurs. Cela démontre l’importance que nous accordons à l’enseignement. Nous offrons des outils aux professeurs et nous nous attendons à ce qu’ils les utilisent.

Pour un autre administrateur, c’est en encourageant les professeurs à s’impliquer dans des projets spéciaux avec les étudiants qu’ils contribuent à promouvoir la culture de l’enseignement.

Je pense que c’est important que la direction transmette la culture de la qualité de l’enseignement ainsi que l’importance de l’enseignement et de l’encadrement de l’étudiant. Et ce, par le discours à l’assemblée départementale et par des mesures concrètes que nous prenons lors des activités étudiantes auxquelles nous incitons les professeurs à participer.

D’autres administrateurs diront, à l’instar de Green (1990), que c’est par les promotions et surtout par l’importance accordée au volet de l’enseignement dans les dossiers de promotion que l’administration témoigne de son souci pour la qualité de l’enseignement.

La formation à l’enseignement – Afin d’améliorer leurs compétences en enseignement, les professeurs ont l’occasion de s’inscrire à des ateliers de formation, disent quelques administrateurs (n = 4). Certains professeurs y vont de leur propre initiative, mais il arrive que les administrateurs les incitent à le faire.

Si la fréquentation des ateliers en pédagogie est un moyen apparemment utile de développer ses habiletés d’enseignement, un bémol est apporté par certains administrateurs qui critiquent la qualité des formations parfois offertes par leur institution.

Nous avons déjà fait venir des spécialistes et il y a des professeurs qui ont suivi des ateliers, mais disons que cela n’a pas été un succès et que les gens n’ont pas été impressionnés. Quelques-uns ont carrément critiqué la qualité des ateliers auxquels ils ont participé.

Le recrutement et les promotions – Trois administrateurs pensent que, pour prévenir les problèmes dans l’enseignement, il faut embaucher des candidats qui manifestent a priori de bonnes aptitudes pédagogiques. Dans ces unités, la procédure de sélection prévoit une présentation du candidat devant un groupe de professeurs et parfois même devant un groupe d’étudiants. Mais, comme le signale un autre administrateur inquiet de la qualité de l’enseignement dans son unité, cette procédure n’est pas infaillible puisqu’il y a un fossé entre une présentation devant quelques personnes et un cours à des centaines d’étudiants.

D’autres administrateurs mentionnent, comme le propose Green (1990), qu’on peut exercer une pression sur les professeurs par le truchement du système de promotion en maintenant des exigences élevées.

Je crois qu’il faut continuer à manifester pour la qualité de l’enseignement en insistant sur son importance dans la carrière d’un professeur. Nous nous en soucions et nous l’affirmons clairement dans nos actions, dans les dossiers de promotion, au moment de l’engagement. Les nouveaux professeurs seront conscients de cet engagement et prendront les moyens nécessaires pour suivre cet exemple.

Un autre administrateur indique que, si des mesures doivent être prises, il faut que ce soit avant d’accorder l’agrégation parce qu’ensuite, il devient difficile d’agir.

Je ne pense pas que l’agrégation bonifie un professeur. Une personne qui a toujours bien enseigné continuera avec ou sans agrégation. Mais il existe des failles dans le système et quelques professeurs ont passé leur titularisation, je ne sais trop comment. Quand des professeurs ont atteint ce niveau et qu’ils sont incompétents, il est trop tard pour agir.

Maintenir une pression par les promotions est certes utile, mais là encore les administrateurs restent lucides : le volet recherche a davantage de poids que le volet enseignement dans l’évaluation des dossiers de promotion et de recrutement. C’est ce dont nous a fait part l’un des directeurs.

En ce qui a trait à la promotion et au recrutement d’un professeur, l’importance est mise sur la qualité intellectuelle qui s’exprime par la recherche et le type d’études suivies par le professeur. L’enseignement a évidemment un rôle à jouer, c’est-à-dire la façon de s’exprimer et de faire passer son message, mais entre deux bons candidats, celui qui aura choisi de publier aura la préséance sur celui qui a le sens de l’enseignement.

L’ouverture aux étudiants – Trois administrateurs mentionnent l’importance de maintenir une oreille attentive aux doléances des étudiants, car c’est souvent par eux qu’ils sont informés des problèmes reliés à l’enseignement.

Les étudiants savent que je suis très ouvert et sensible à leurs besoins. Ils viennent me voir, me parlent de leurs professeurs ou m’envoient des courriers électroniques pour se plaindre de certains d’entre eux. Maintenant, ils vont même jusqu’à faire signer des pétitions.

Le soutien aux professeurs et aux étudiants qui enseignent – Enfin, un administrateur indique, tout comme le souligne Green (1990), l’importance de soutenir les professeurs dans leur tâche d’enseignement, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de professeurs en difficulté ou débutants. Ainsi, pour faciliter la tâche d’un professeur en difficulté sur le plan pédagogique, cet administrateur se propose de lui adjoindre un « super assistant ».

À un professeur en difficulté, je propose qu’il soit assisté par un étudiant de doctorat qui a fait au moins l’examen de synthèse dans le domaine de ce cours de première année. Cet étudiant peut faciliter la tâche du professeur et encadrer les étudiants qui sont souvent plus de deux cents par cours.

Ce même administrateur explique comment il soutient aussi les étudiants de doctorat qui enseignent pour la première fois dans le programme.

En général, les étudiants de doctorat remplacent les professeurs en année sabbatique. Si le professeur est sur place, je lui demande d’encadrer l’étudiant qui va donner son cours. Si le professeur est à l’extérieur en sabbatique, je lui demande de préparer son cours avec l’étudiant avant son départ. D’autre part, je réclame que les étudiants de doctorat me tiennent au courant du déroulement des cours.

Cet administrateur considère, en outre, qu’un enseignement de haut niveau ne peut être donné que par des professeurs. Si ce ne peut être le cas, celui-ci préfère confier le cours à un étudiant inscrit au doctorat plutôt qu’à un chargé de cours.

Les actions concrètes quant à la qualité de l’enseignement consistent à faire un bon choix de professeurs pour chacun des cours et de se battre pour ne pas avoir de chargés de cours.

Agir sur la qualité de l’enseignement dans la perspective du programme de formation

La qualité de l’enseignement se mesure, bien sûr, à la performance de ceux qui enseignent, mais pour plusieurs administrateurs, c’est aussi, comme nous l’avons vu précédemment, une question qui doit être envisagée par rapport à la cohérence et à la complémentarité des activités de formation au sein du programme. Plusieurs administrateurs ont tenu à mettre en évidence ce volet souvent oublié dans la qualité de l’enseignement et ils ont tenu à nous informer des moyens qu’ils mettent en oeuvre pour assurer cette cohérence dans l’ensemble du programme.

Les réunions pédagogiques – Dans sept des dix unités visitées, des réunions pédagogiques sont organisées afin d’offrir aux professeurs et parfois aux chargés de cours un lieu d’échange, de communication et de coordination. Dans certaines unités, ces réunions sont régulières et annuelles alors que dans d’autres unités, il s’agit de réunions spontanées ou ponctuelles. Les formules de réunions sont variées. Dans certains cas, la discussion se tient dans le cadre de l’Assemblée départementale où l’on prend soin d’inscrire l’enseignement à l’ordre du jour ; les professeurs sont alors invités à échanger librement sur le sujet pour un temps donné. Dans d’autres cas, il s’agit de réunions spéciales pouvant se dérouler en présence de l’ensemble des professeurs ou de sous-groupes réunis selon la matière ou le secteur, et où l’on a parfois recours à des ressources spécialisées afin d’obtenir un éclairage adéquat sur une question particulière. Divers thèmes sont abordés au cours de ces réunions, comme en témoignent les extraits suivants.

Cette année, en journée pédagogique, nous avons analysé tous les cours de première année. Les professeurs ont commenté les contenus de cours, la cohérence ou l’incohérence des exigences pédagogiques, les examens et les travaux pratiques, puis nous avons fait les ajustements appropriés.

Certains professeurs réalisent de bonnes performances dans des cours où le nombre d’étudiants est considérable ; par contre, d’autres éprouvent des difficultés et nous avons osé en discuter entre nous. Il est évident que ce ne sont pas tous les professeurs qui peuvent donner un bon cours à 250 étudiants. Il faudrait peut-être en convenir.

Chaque année, à l’occasion de notre réunion-bilan, nous ajoutons une demi-journée, parfois une journée complète pour une rencontre thématique avec les chargés de cours et les professeurs sur un des volets de l’enseignement, notamment sur la notation et le plan de cours.

La révision du programme – La révision d’un programme de formation est une opération propice pour faire une mise à jour des contenus enseignés ou pour réfléchir à la cohésion des activités de formation au sein de ce programme, et c’est ce qui a été fait dans trois des unités visitées. Certaines unités ont profité de cette occasion pour se pencher sur les stratégies d’enseignement ainsi que sur les modalités d’évaluation, comme nous l’a confié cet administrateur.

Nous nous assurons que les professeurs utilisent les méthodes pédagogiques souhaitées parce que notre nouveau programme de baccalauréat insiste beaucoup sur le changement dans l’approche pédagogique. Cette nouvelle approche mise davantage sur l’apprentissage de l’étudiant par des communications orales, des études de cas et des travaux pratiques. Pour leur part, les professeurs doivent offrir aux étudiants plus d’encadrement et de rétroaction.

Dans le contexte d’une révision de programme, il arrive que les unités fassent appel à des spécialistes en enseignement afin de les soutenir dans leur démarche.

Un spécialiste en enseignement est engagé par différentes facultés pour des projets spéciaux. Quant à nous, nous l’avons engagé l’année dernière sur la base de deux jours/semaine pour travailler avec nous sur le projet de refonte du programme de formation. Comme nous ne sommes pas des spécialistes dans ce domaine, cette personne nous a procuré une aide précieuse.

Un comité de suivi pour le programme de formation – Si la révision d’un programme est propice à une réflexion concertée sur la qualité de l’enseignement au sein du programme, certaines unités (n = 2) ont cherché à prolonger les effets de cette révision en créant un comité de suivi chargé de vérifier annuellement la qualité du programme de formation, la cohérence de l’ensemble des activités de formation et la complémentarité entre les cours. Voici ce que dit un administrateur au sujet de ce comité.

Chaque année, depuis que nous avons refait le programme de baccalauréat, le comité spécial s’assure de revoir les cours en rencontrant les professeurs avec leur matériel pédagogique : le plan de cours, les examens et le recueil de textes. À cet effet, nous rencontrons les professeurs par secteurs et nous nous assurons que les cours dans leur constitution rejoignent les objectifs du programme en termes de contenu, qu’il n’y a pas de découpage néfaste ou non souhaité et qu’il n’existe pas de répétitions entre les cours. Nous essayons vraiment d’avoir le maximum de complémentarité.

Les obstacles à l’amélioration de l’enseignement

Il est difficile de parler de qualité de l’enseignement sans évoquer les multiples facteurs qui, au quotidien, y font entrave. Ainsi, bien que le discours des administrateurs soit par moments optimiste et créatif, il est aussi ponctué de déceptions et parfois d’une certaine amertume à l’égard des difficultés auxquelles ils sont quotidiennement en butte. Les obstacles à la qualité de l’enseignement ont été classés en deux catégories selon qu’ils sont liés aux ressources humaines ou de nature contextuelle (tableau 4).

Tableau 4

Les obstacles à l’amélioration de l’enseignement

Les obstacles à l’amélioration de l’enseignement

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Les facteurs liés aux ressources humaines

Résistance, manque de volonté ou incapacité des professeurs – Comme il a été mentionné précédemment, l’amélioration de la qualité de l’enseignement passe, en partie, par les personnes qui enseignent, et plus particulièrement par les professeurs. De ce point de vue, l’amélioration de l’enseignement dépend largement de la volonté, mais aussi de la capacité des individus à s’améliorer. C’est du moins ce qu’ont révélé les entretiens réalisés auprès des administrateurs (n = 4). Or, selon ces derniers, il arrive que l’un ou l’autre de ces facteurs fasse défaut. Dans l’extraitsuivant, c’est la volonté du professeur qui est mise en cause.

J’ai un jour abordé gentiment le problème avec un professeur pour l’amener à prendre conscience de sa résistance au changement, mais il faisait la sourde oreille me répondant que le contenu de son cours était parfait. J’ai tenté une approche différente en lui indiquant qu’il y a des façons d’enseigner qui ne permettent pas aux étudiants d’apprendre, mais encore là il m’a répondu qu’il ne changerait pas ses méthodes d’enseignement. « On peut changer d’autres chargés de cours, mais moi on ne me changera pas. » Il a été difficile par la suite de revenir sur le sujet.

S’il arrive que la résistance s’exprime de manière directe, celle-ci emprunte parfois des voies plus détournées en se manifestant sous la forme d’une inertie ou d’une certaine pudeur qui, d’une façon comme de l’autre, met un frein à toute innovation pédagogique.

Nous tentons de développer des formules qui permettent à l’étudiant de participer activement aux cours. Mais pour travailler dans ce sens, nous devons affronter une grande inertie de la part des étudiants, mais aussi chez certains professeurs et auxiliaires d’enseignement.

Nous n’osons pas critiquer les méthodes d’enseignement d’un collègue, car il existe une certaine pudeur, pour ne pas dire une certaine gêne, à ce sujet entre professeurs.

Des administrateurs ont, par ailleurs, tenu à souligner les limites du potentiel individuel qui représentent, selon eux, un obstacle non négligeable à l’amélioration de l’enseignement.

Je crois qu’il y a des gens qui possèdent un talent naturel pour l’enseignement et d’autres qui doivent faire des efforts. Il existe également une très faible minorité qui ne pourra jamais enseigner parce qu’il leur faudrait une psychanalyse pour donner des cours.

À mon avis, il y a une dimension de l’enseignement qui s’apprend et qui s’améliore et il y en a une autre qui est innée et qui peut peut-être se développer, mais cela demande un minimum de talent.

Certains professeurs parviennent à améliorer la qualité de leur enseignement. Pour d’autres, les problèmes sont plus profonds et il leur est impossible d’apporter les changements nécessaires. Car il y a des aspects de l’enseignement qui ne sont pas modifiables comme le sens de l’organisation ou la faculté d’élocution. Il est alors possible de s’améliorer un peu, mais seule une minorité parvient à effectuer des changements en profondeur.

Dans ces trois extraits, on constate une représentation partagée selon laquelle l’enseignement est une aptitude innée chez les individus et, par conséquent, il est assez difficile, voire impossible pour certaines personnes, d’améliorer leurs performances à cet égard.

Compétence pédagogique des administrateurs et des comités d’évaluation – Par le poste qu’ils occupent, les directeurs de départements sont interpellés dans le dossier de la qualité de l’enseignement. Or, ces administrateurs sont d’abord et avant tout des professeurs mandatés pour une période limitée pour occuper des fonctions administratives, un mandat qui les place temporairement en situation d’autorité par rapport à leurs collègues. Cette réalité provoque chez certains un malaise lorsqu’il leur faut intervenir auprès de collègues en difficulté, comme en témoignent ces extraits.

Une des difficultés c’est, d’une part, le caractère temporaire de la fonction et, d’autre part, comme je ne suis pas né pédagogue, je ne suis pas non plus né administrateur. La fonction d’administrateur est limitée dans le temps, et si l’administrateur est incompétent c’est peut-être parce qu’il ne possède pas les bons outils pour agir. Ce n’est pas parce qu’une personne est un bon professeur et un bon chercheur qu’elle sera nécessairement un bon administrateur. De plus, tout dépend de ce que l’on recherche dans la vie. Certains recherchent l’approbation des autres, d’autres la popularité, la justice, la dictature, etc.

Ce que j’ai trouvé le plus difficile en tant qu’administrateur, c’est d’être obligé de faire des remarques pas toujours positives à un collègue qui est aussi un ami.

De plus, les administrateurs reconnaissent qu’ils n’ont pas toujours les compétences requises et reconnues pour intervenir efficacement auprès de collègues en difficulté, ce qui tend à limiter la portée de leur intervention.

J’enseigne depuis près de vingt ans et je crois pouvoir me définir aujourd’hui comme un professeur expérimenté. Comme la majorité des professeurs, je suis un professeur qui, en termes d’évaluation, réussit assez bien. Je n’ai pas de difficultés avec mes évaluations, et puis j’aime enseigner. Je vous dirais que cette habileté, je ne l’ai pas acquise par apprentissage. C’est une aptitude qui me permet de donner un cours avec facilité quel que soit le nombre d’étudiants. Par ailleurs, je ne saurais pas comment venir en aide à un professeur en difficulté. Comment lui communiquer mon expérience ? Je ne sais pas.

Les mêmes limites se posent d’ailleurs pour les personnes siégeant aux comités d’évaluation formés pour des fins de recrutement ou de promotion, comme en témoignent ces extraits.

Je me rappelle d’un comité d’évaluation de l’enseignement qui n’était pas nécessairement composé des meilleurs professeurs. Quels sont les critères de sélection pour faire partie d’un comité d’évaluation ? Est-ce qu’un professeur est sélectionné en raison de sa popularité auprès des étudiants ? De fait, j’ai parfois l’impression qu’il s’agit d’un concours de popularité. Voilà pourquoi je critique la composition et l’existence d’un comité d’évaluation de l’enseignement.

Dans un département aussi éclectique que le mien, je dois par exemple critiquer l’enseignement de tel professeur dont la discipline ne relève pas de mon domaine d’expertise. Je me dois donc de mesurer mes interventions, car qui suis-je pour critiquer l’enseignement de ce professeur alors que j’évolue dans une toute autre discipline ?

D’autres obstacles liés aux ressources humaines ont déjà été soulevés précédemment ; il s’agit notamment de la piètre qualité des ateliers pédagogiques ainsi que de la compétence des chargés de cours jugée douteuse par l’un des administrateurs. Par ailleurs, l’un d’entre eux a souligné l’existence d’un problème de recrutement, mentionnant qu’il est assez difficile de trouver d’excellents candidats. Notons que, dans ce cas précis, cet administrateur reproche à ses collègues professeurs une piètre maîtrise de la langue française. Ce qui, à ses yeux, est une lacune majeure à laquelle il semble impossible de remédier.

Les obstacles liés à des facteurs contextuels

La qualité de l’enseignement dépend évidemment des personnes qui enseignent et qui interviennent dans ce dossier, mais elle peut aussi être favorisée ou, au contraire, entravée par une multitude d’autres facteurs qui relèvent davantage du contexte que des personnes. Ces facteurs organisationnels sont de divers ordres : le manque de ressources financières ou matérielles, le contexte d’accueil, les conditions de travail, l’attribution des locaux et des salles de cours, etc. Ces obstacles organisationnels sont présentés ci-après.

Le manque de soutien et de ressources – L’innovation pédagogique nécessite souvent un investissement financier qu’il est difficile d’obtenir. C’est du moins ce que pensent cinq administrateurs qui ont souligné le manque de ressources à leur disposition pour mettre en place ou pour soutenir des projets d’innovation pédagogique. Voici ce que trois d’entre eux ont révélé à ce sujet.

Nous avons réalisé des vidéos et des guides d’animation vidéo et, pour ce faire, nous avons travaillé conjointement avec [une autre université]. Heureusement d’ailleurs, car nous avons reçu beaucoup plus d’aide de leur part que de notre université. Il y a beaucoup plus de créativité administrative à l’[autre université] pour soutenir des démarches comme celles-là. Ici, il y a un fonds, mais ce n’est pas facile d’y avoir accès. On nous a tout simplement dit que le professeur n’était pas éligible.

Il y a un domaine où nous sommes très en retard si nous nous comparons à d’autres universités, c’est celui du soutien à apporter aux professeurs qui souhaitent faire l’apprentissage des nouvelles technologies. À l’université, ce soutien n’existe pas. Les professeurs découvrent les programmes et apprennent comme ils peuvent.

Bonne chance ! C’est ce qu’on souhaite à un professeur à son arrivée à l’Université. Personne ne lui dit qu’il pourra disposer de certaines ressources comme un moniteur ou un observateur dans ses cours, nous n’avons pas ce genre de ressources. Peut-être que je rêve en couleur, mais idéalement…

La primauté de la recherche dans les dossiers d’embauche et de promotion – Le deuxième facteur le plus souvent commenté (n = 4) est celui du poids de la recherche comparé à celui de l’enseignement dans la carrière d’un professeur. Cette situation est connue et il semble, selon certains administrateurs, qu’elle ne soit pas à la veille de changer.

À l’occasion d’une campagne de recrutement, si l’un des candidats possède un doctorat, qu’il a déjà publié et qu’il est susceptible d’avoir des fonds, il sera difficile de l’écarter.

Ici, à l’Université, ce qui donne un statut au professeur, ce sont ses publications, sa renommée, sa participation à des congrès et à des sociétés savantes. […] Être simplement un excellent professeur n’est pas suffisant. Quelques-uns s’en tirent et reçoivent des prix. Évidemment, c’est flatteur, ils sont reconnus, mais c’est quand même une minorité qui reçoit des prix pour la qualité de son enseignement.

L’absence de formation pédagogique pour les professeurs – Trois administrateurs critiquent les conditions d’accueil pour les nouveaux professeurs. Certains se demandent comment il est possible d’avoir des exigences sur le plan pédagogique sans offrir au nouveau professeur un appui ou une formation initiale. À cet égard, le témoignage suivant est éloquent.

Je ne connais aucun secteur, industriel ou commercial, qui lance un nouveau venu dans le coeur de la machine sans lui donner au préalable une période d’orientation, sans le mettre au courant de la culture institutionnelle et sans vérifier avec lui certains de ses besoins. Ici, pour les nouveaux professeurs, rien de ça ! Chez nous, c’est plutôt du genre : « Félicitations, vous êtes embauché, voici votre lettre. Dans deux ans et demi vous passerez au bâton pour renouveler votre statut d’adjoint. Mais, entre-temps, publiez dans de bonnes revues et obtenez des fonds pour la recherche. Sans oublier de rayonner et d’enseigner. Et ne vous leurrez pas, l’enseignement est aussi important que le reste. » C’est l’accueil que nous réservons aux jeunes professeurs.

Bien qu’il ne soit pas possible de généraliser les données recueillies ici, ce commentaire révèle que l’encadrement offert aux nouveaux professeurs est bien loin de ce que recommande Brinko (1991) qui préconise une démarche de formation et d’accompagnement pédagogique basée sur une analyse des besoins du professeur.

La surcharge de travail – La charge de travail que doivent assumer les professeurs constitue un autre obstacle important à la qualité de l’enseignement, aux dires de deux administrateurs, qui considèrent que la somme de travail que l’on exige des professeurs est « inhumaine ».

Le temps que les professeurs ont à consacrer à l’amélioration de la pédagogie, je vais vous dire, oubliez ça. La charge de travail qu’on exige d’eux, spécialement dans notre domaine, vous ne l’obtiendrez pas en regardant leur charge de cours théoriques qui est exprimée en crédits où l’on demande au professeur de faire douze, quinze, dix-huit ou vingt-deux crédits d’enseignement.

Les facteurs matériels et organisationnels – Parce que la qualité de l’enseignement et l’innovation pédagogique dépendent en partie de la disponibilité de locaux et de matériel adéquats et adaptés à une diversité de besoins, deux administrateurs se plaignent des facteurs matériels qui font quotidiennement obstacle à un enseignement de qualité.

Une bonne partie des difficultés dans les cours obligatoires, c’est le nombre d’étudiants et l’impossibilité de subdivision des groupes. Dans une salle qui contient 120 places, c’est impossible physiquement de diviser les groupes. Rien ne s’y prête, pas même la disposition physique des chaises. Tous ces irritants n’encouragent en rien l’élaboration de méthodes pédagogiques nouvelles.

Il n’y a personne qui peut être contre la vertu dans ce processus, mais la qualité de l’enseignement est aussi intimement liée aux moyens mis à notre disposition. Et dans ce cas précis, la qualité de l’enseignement en souffre. Des salles de cours convenables avec un équipement multimédia, les professeurs chez nous en redemandent ; ils sont ouverts à toutes ces nouvelles technologies. Mais pour obtenir une de ces salles, c’est toute une histoire. Et quand on l’obtient, souvent rien ne fonctionne. C’est un fouillis total que l’assignation des salles de cours.

Discussion et conclusion

Quels constats se dégagent de cette étude ? D’abord, nous constatons que, malgré toute la bonne volonté des directeurs de département, certains rencontrent une multitude d’obstacles les empêchant d’aller de l’avant dans leur mission, notamment la résistance des professeurs, des étudiants et des dirigeants qui semble être un facteur dominant. Notons également le manque de ressources financières et de ressources compétentes pour promouvoir la qualité de l’enseignement. Finalement, la primauté de la recherche dans les institutions universitaires semble priver l’enseignement de son importance. Ce premier constatrejoint les représentations des étudiants et des professeurs à l’égard de l’évaluation et des stratégies d’amélioration de l’enseignement.

Malgré ces obstacles, les directeurs réussissent à mettre en place des stratégies d’amélioration de l’enseignement hors évaluation. Plusieurs croient que la culture de l’enseignement est la première action à insuffler à leurs collègues. Ainsi, certains trouvent important d’aménager des activités pour favoriser les échanges sur l’enseignement, entre autres par des rencontres pédagogiques ou en insistant sur l’importance de la qualité de l’enseignement au moment du recrutement de nouveaux professeurs ou lors des promotions. D’autres croient à l’importance de la formation à l’enseignement pour les professeurs nouvellement engagés, les chargés de cours et les auxiliaires. Ce second constat rejoint les écrits de certains chercheurs à l’effet que toutes les personnes à tous les échelons de la direction, ainsi que celles impliquées dans un établissement universitaire, sont responsables de la qualité de l’enseignement. Pensons à la sélection des étudiants, des professeurs, des directeurs, des doyens, des vice-recteurs et des recteurs, ainsi qu’aux locaux, aux horaires, aux équipements, aux ressources disponibles et à l’environnement dans lequel l’enseignement est vécu.

Le troisième constat important est sans aucun doute celui de l’impact de l’évaluation sur l’amélioration des programmes de formation. Ainsi, le professeur ne serait pas le seul concerné par cette évaluation. On semble considérer qu’un ensemble de cours regroupés dans un programme d’études pourrait être revu à la suite des évaluations. En outre, le rôle du directeur de département est celui d’un leader, responsable de la qualité de l’enseignement dans toutes ses composantes, que ce soit pour chacun des cours, l’ensemble d’un programme, le soutien à accorder et la reconnaissance de l’importance et de l’excellence de l’enseignement.

Enfin, nous ne pouvons passer sous silence le fait que l’évaluation mise en place dans les années 1980 poursuit lentement sa progression malgré les fréquentes évaluations du système en cours. Seuls quelques éléments de la politique institutionnelle sont mis en application, c’est-à-dire l’évaluation faite par les étudiants. Il est très peu question de l’évaluation du matériel d’enseignement, de la prise en compte des variables contextuelles au moment de l’interprétation des résultats ou encore de l’évaluation des activités d’enseignement autres que l’enseignement en classe. Ainsi, les directeurs fondent leur jugement et leur décision sur la base de cette seule évaluation. En cela, nous rejoignons les nombreux chercheurs qui, à la fin du xxe siècle, ne peuvent faire autrement que de déplorer la piètre qualité des systèmes d’évaluation de l’enseignement et, par le fait même, de l’enseignement universitaire.

Qu’avons-nous appris durant les trois dernières décennies sur l’évaluation de l’enseignement universitaire ? Que celle-ci est maintenant pratique courante dans toutes les universités nord-américaines et qu’elle a de nombreux adeptes dans le reste du monde ; que la résistance à cette évaluation est moins féroce qu’elle ne l’était au début des années 1960 ; que les professeurs ont réussi à apprivoiser l’évaluation faite par les étudiants et qu’ils la considèrent même comme un apport à la qualité de leur enseignement ; qu’ils la jugent importante pour leur promotion et désirent qu’elle soit prise en compte au même titre que la recherche.

Par ailleurs, il reste encore plusieurs échelons à gravir pour améliorer nos systèmes d’évaluation. D’abord, il convient de les rendre crédibles pour l’ensemble des partenaires, dont les étudiants, les professeurs, les directeurs, les décanats, le rectorat et le public. Puis, de les compléter afin que toutes les facettes de l’enseignement soient prises en considération. Ensuite, de leur donner une qualité incontestable tant dans ses instruments que dans ses procédures et ses suivis. Enfin, que des modèles soient développés pour étudier son impact et son efficacité. Et, finalement, un dernier souhait serait celui de faire en sorte qu’une formation sérieuse à l’enseignement devienne une étape préalable à l’évaluation.

Somme toute, une interrogation persiste à la suite de cette étude. Qu’est-ce qui fait que certaines unités administratives sont dynamiques et proactives à l’égard de la qualité de l’enseignement, alors que d’autres le sont moins ? Notre échantillon n’étant pas suffisamment représentatif, il nous est impossible de tirer des conclusions à cet égard. Néanmoins, les données recueillies nous laissent croire que l’attention et l’énergie consacrées au maintien et à l’amélioration de la qualité de l’enseignement ne sont peut-être pas seulement une affaire de culture départementale ou facultaire, mais également un style de gestion, de leadership et de convictions personnelles profondes de la part de l’administrateur. C’est cette dimension que nous souhaitons prochainement étudier.