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La société du savoir « promise dans les années 1970, vantée dans les années 1980 et envisagée dans les années 1990 avec un respect mêlé de crainte et d’incrédulité » est devenue, au XXIe siècle, une réalité incontournable (Gouvernement du Canada, 2000). Nous croyons que si l’école a pour mission de mieux préparer les futurs citoyens aux défis de la société de demain, elle se doit de favoriser une intégration en profondeur, quotidienne et régulière, des technologies de l’information et de la communication pour mettre à profit les possibilités nouvelles, invitantes, prometteuses et diversifiées des TIC en éducation (Karsenti, 2002). Cependant, comme l’illustrent les travaux présentés dans ce numéro thématique, l’introduction des technologies se révèle complexe.

Les contradictions apparentes dans les résultats de recherche qui portent sur l’impact des TIC sur l’apprentissage semblent indiquer, outre de grandes différences sur le plan des méthodes de recherche, que cet impact relève principalement de la manière dont elles sont intégrées par les enseignants à leur pratique. Dans cette perspective, la formation des maîtres à l’intégration pédagogique des TIC devient un enjeu de société de premier plan. Pour plusieurs chercheurs, dont Perrenoud (1998) et Peraya (2002), l’effort d’intégration des TIC n’aurait d’ailleurs d’intérêt que dans la mesure où les technologies permettent, soit au formateur, d’améliorer sa pédagogie, soit à l’apprenant d’établir un meilleur rapport au savoir. L’intégration des TIC est ainsi l’occasion idéale de repenser la pédagogie, la conception de l’école, tant au point de vue de l’enseignement qu’à celui de l’apprentissage.

Au début de ce numéro, nous avons retenu cinq questions liées à l’intégration des TIC dans le cadre de la formation des maîtres, auxquelles nous voulions à partir de travaux récents apporter des éléments de réponse. Les voici à titre de rappel : Quel est l’état actuel de la recherche sur la formation des maîtres à l’intégration pédagogique des TIC ? Quel est l’impact de l’intégration des technologies en formation des maîtres ? Quelles sont les stratégies de formation des maîtres les plus prometteuses ? Quels sont les facteurs de résistance à l’intégration pédagogique des TIC ? Quels sont les perspectives et les besoins pressants en matière de recherche portant sur la formation à l’intégration pédagogique des TIC ?

Nous reprenons succinctement les réponses apportées à ces questions par les recherches présentées dans ce numéro thématique et les complétons, à l’occasion, par les résultats d’autres recherches récentes dans le domaine.

Quel est l’état actuel de la recherche sur la formation des maîtres à l’intégration pédagogique des TIC ?

Plusieurs chercheurs, dont Ungerleider (2002) et Pouts-Lajus et Riché-Magnier (1998), soulignent que les leçons tirées des expériences passées et les voies actuellement explorées par la recherche sur les technologies éducatives forment un ensemble de savoirs fragmentaires et très incomplets. Selon eux, les connaissances actuelles ne permettent aucunement de fonder un enseignement où, d’emblée, pourraient être spécifiés les compétences pédagogiques et les modes d’évaluation des acquis, en termes de savoirs et de savoir-faire. Certes, l’histoire de la formation aux usages pédagogiques des technologies éducatives est relativement courte et souvent imprégnée d’écueils et de résultats mitigés. Mais, contrairement à Ungerleider et à Pouts- Lajus et Riché-Magnier (2002), nous pensons que les études récentes ont fait évoluer le domaine des technologies éducatives et qu’un cadre de référence intéressant commence à émerger des recherches actuelles, voire à prendre forme, en particulier sur le plan de la formation à la dimension pédagogique des usages. Comme en témoignent certaines études présentées dans ce numéro, il semble désormais nécessaire d’évoluer d’une formation technocentrée pour tendre vers une formation technopédagogique, une formation à l’intégration et aux usages pédagogiques des TIC. De surcroît, le fait de se détacher de regards locaux et limités (les outils, les contenus d’enseignement, etc.) pour prendre en compte le système dans son ensemble avec ses facteurs organisationnels, institutionnels, sociaux et affectifs, semble la preuve d’une évolution entre une recherche morcelée, fragmentaire et un domaine d’étude de plus en plus mûr et graduellement en voie de consolidation ou de stabilisation. En effet, après les mesures incitatives, on commence progressivement, avec les technologies éducatives, à se préoccuper des conditions de pérennité.

Les textes présentés dans ce numéro comportent plusieurs caractéristiques communes. On remarque d’abord, pour toutes les recherches, que les discours et les démarches s’orientent vers des recherches méthodologiquement plus rigoureuses dépassant le simple récit de pratiques technopédagogiques, les analyses de cas et les best practices qui caractérisent si souvent les études sur l’enseignement et les TIC. Ces expérimentations aux méthodologies bien articulées à une problématique clairement développée sont souvent construites au moyen de recherches-action (voir Breuleux, Erickson, Laferrière et Lamon, 2002 ; Deaudelin, Dussault et Brodeur, 2002 ; Karsenti, Larose et Garnier, 2002 ; Schürch, 2002), voire de recherches-action-formation (Charlier, Daele et Deschryver, 2002). Comme nous l’avons noté en introduction et comme le montrent les recherches rapportées dans ce numéro, au regard de l’innovation technopédagogique, nous sommes tous « partenaires du changement ». Les dimensions que ces recherches prennent en compte se sont ouvertes à une analyse systémique et plus globale qui irait au-delà de la salle de classe pour englober des facteurs humains, sociaux et institutionnels qui conduisent vers les dimensions culturelle et sociologique du phénomène. En ce sens, les travaux de Viens et Rioux (2002) abordant les facteurs influant sur l’efficacité pédagogique de l’intégration des TIC sous l’angle combiné des représentations, valeurs, attitudes et pratiques des apprenants, des enseignants et des institutions permettent de mieux saisir la complexité et la richesse de l’intégration pédagogique des TIC. La formation des maîtres à l’intégration pédagogique des TIC ne peut plus se limiter à la maîtrise de l’outil technologique par le futur enseignant. Elle doit soutenir une prise de conscience de l’ensemble des facteurs en jeu et le développement d’une réflexion critique sur les différents usages afin de préparer l’enseignant à devenir un agent de changement au sein de cette société du savoir en émergence.

Quel est l’impact de l’intégration des technologies en formation des maîtres ?

Selon plusieurs auteurs, les difficultés sous-jacentes à la pénétration des TIC à l’école seraient en bonne partie attribuées à l’absence de modèles pour les futurs enseignants (Karsenti et Larose, 2001). Pour Larose et Peraya (2001), la présence de modèles lors de leur formation pourrait permettre aux futurs enseignants d’intégrer à leur tour les TIC, lorsqu’ils oeuvreront auprès d’élèves du primaire ou du secondaire. L’effet de modelage de ces contextes d’apprentissage sur l’utilisation des technologies et particulièrement sur les pratiques professionnelles des enseignants commencent d’ailleurs à être bien mis en évidence par un nombre croissant de recherches récentes, dont l’étude de Larose, Lenoir, Karsenti et Grenon du présent numéro. Toutefois, précisent Larose et ses collaborateurs, l’exposition aux pratiques des enseignants en milieu de stage semble un facteur de modélisation des pratiques des novices plus important que les activités privilégiées dans le cadre de leur formation universitaire.

De surcroît, en contexte universitaire, cet effet de modelage serait très limité car, en général, ce sont souvent les formateurs des cours de technologies éducatives qui sont les plus susceptibles de former aux usages pédagogiques des TIC. Pour que le transfert dans la pratique professionnelle des nouveaux enseignants en formation soit plus important, il semblerait nécessaire que l’utilisation des TIC, dans la formation initiale, cesse d’être l’apanage des cours de technologies et soit adoptée par la majorité des formateurs. Il faut donc élargir l’intégration des TIC à la formation des enseignants tout entière, à toutes les disciplines, sans perdre pour autant les cours spécifiques de technologies éducatives. En effet, l’ouverture aux TIC n’empêche aucunement la formation spécifique aux TIC ou encore aux usages pédagogiques des TIC, élément essentiel de la formation initiale des enseignants. Toutefois, dans une société de plus en plus imprégnée de technologie, l’intégration pédagogique par l’ensemble des formateurs viendrait appuyer les efforts des responsables des cours de technologies éducatives. Ce n’est qu’ainsi que l’effet de modelage pourrait être plus significatif.

Quelles sont les stratégies de formation des maîtres les plus prometteuses ?

Comme nous l’avons souligné dans l’introduction, les pratiques de formation des maîtres en ce qui a trait à l’usage pédagogique des TIC sont plus systématiques et envisagent la préparation des enseignants par l’exposition à une pratique d’apprentissage construite sur la base des principes pédagogiques à acquérir (formation aux outils ; formation aux usages pédagogiques des TIC). Ce numéro thématique présente une variété de stratégies « prometteuses » pour la formation des maîtres, allant des facteurs individuels (Carugati et Tomasetto ; Deaudelin et al. ; Larose, Lenoir, Karsenti et Grenon), organisationnels (Breuleux et al.) et institutionnels (Charlier et al. ; IsaBelle, Lapointe et Chiasson) aux facteurs sociétaux (Schürch).

L’expérience pilote de Karsenti et al. met en évidence comment l’utilisation de moyens de communication électroniques pourrait faciliter la tâche des futurs enseignants en stage, notamment en bénéficiant d’un soutien accru de la famille dont la collaboration à la vie scolaire serait renforcée. Carugati et Tomasetto ont montré de quelle manière la perception de sa propre performance face à l’utilisation de l’ordinateur (self-confidence, self-efficacy) a un impact sur la modification des usages et des pratiques d’intégration des TIC. Deaudelin et ses collègues ont mis en évidence comment une stratégie de développement professionnel qui favorise le sentiment d’autoefficacité peut avoir un impact sur l’intégration de l’apprentissage coopératif et sur celui des TIC dans la pratique professionnelle. L’étude de Larose et al. présente plusieurs facteurs individuels qui ont un impact sur le transfert des compétences informatiques construites par les futurs enseignants dans leur éventuelle intervention éducative en salle de classe.

L’équipe de Breuleux a montré comment la participation des enseignants et la collaboration entre eux, dans le cadre de communautés d’apprentissage en réseau, sont des conditions organisationnelles essentielles au processus d’intégration des TIC. De surcroît, leur recherche met en évidence treize conditions qui permettent une appropriation progressive des TIC, par l’entremise de communautés de pratique et d’apprentissage. Charlier, Daele et Deschryver, quant à eux, proposent une approche systémique intégrée de formation aux usages pédagogiques des TIC, au moyen d’une démarche d’action-recherche-formation qui prend en considération à la fois les spécificités individuelles des enseignants et institutionnelles des établissements. De plus, comme l’indique le texte d’IsaBelle, Lapointe et Chiasson, il est désormais essentiel d’impliquer tous les acteurs scolaires dans le virage technologique que le monde de l’éducation semble être enclin à emprunter. Dans cette visée, l’enquête d’IsaBelle et de ses collaborateurs révèle l’importance du rôle des directions d’école dans une intégration réussie des TIC en éducation. Selon ces auteurs, le rôle des directions d’écoles ne peut d’ailleurs être négligé si l’on désire favoriser l’incursion des TIC dans les milieux scolaires. Enfin, Schürch et ses collègues présentent une étude qui dépasse le contexte de la formation des maîtres et qui met en évidence le rôle des facteurs technologiques, mais aussi psychologiques, sociaux, culturels et institutionnels dans l’intégration des TIC.

Avec la réforme des programmes d’enseignement au Québec, le développement des compétences informatiques est identifié en tant que compétence transversale devant être construite par l’élève dans l’ensemble des activités des diverses matières scolaires (Gouvernement du Québec, 2001). De la même façon, la formation des maîtres ne devrait-elle pas assurer la concomitance entre la formation initiale des enseignants et les enjeux de la Réforme au primaire et au secondaire (Karsenti, 2002 ; Viens et Renaud, 2001) ? Une plus grande exposition des futurs maîtres à des pratiques d’intégration pédagogique des TIC dans le cadre de leurs cours de formation universitaire serait-elle susceptible de soutenir chez eux une plus grande intégration pédagogique des TIC lors de leurs stages ou encore lors de leur pratique future ? C’est à partir de ces questions qu’une expérience pilote de création d’un cours exclusivement sur le web [1] et à distance, Introduction à la recherche en éducation, a été menée avec les enseignantsen en formation d’une université au Québec (Karsenti, 1999). Les résultats de l’expérience pilote, reprise trois années consécutives (1998, 1999, 2000), ont montré comment un cours, ne portant pas sur les TIC mais où les TIC sont plutôt essentielles à l’apprentissage, a un impact significatif sur l’attitude des futurs enseignants envers l’utilisation pédagogique des TIC et sur l’intégration pédagogique des TIC dans leur pratique professionnelle en salle de classe, une fois leur formation complétée. Pour les futurs enseignants qui ont participé à ce cours en ligne, les TIC ont été perçues, après plusieurs écueils en début de parcours, comme des outils d’apprentissage avec lesquels l’apprenant accroît son autonomie et son sens critique (Karsenti, Savoie-Zajc et Larose, 2001 ; Karsenti, 2002). Déjà en 1997, Viens et Amélineau avaient identifié des phases d’appropriation et d’appréciation d’une utilisation socioconstructiviste des TIC par des étudiants universitaires. Ces travaux ont, entre autres, permis de mettre en relief les difficultés rencontrées et les retombées positives des remises en questions générées par l’expérience pédagogique. Vivre de telles expériences permet aux enseignants de mieux saisir les exigences et les conséquences d’un apprentissage actif et collaboratif.

En Europe, LearnNett [2], financé par le programme de la Communauté européenne SOCRATES [3], rassemble virtuellement des formateurs de futurs enseignants et des futurs enseignants belges, français, britanniques, espagnols et suisses, dans le cadre de « mini-projets » de recherche menés en collaboration et à distance par le truchement du réseau Internet. Les projets de recherche portent sur divers aspects de l’intégration des technologies en éducation, entre autres la conception, l’expérimentation et l’évaluation de modalités d’introduction de l’enseignement ouvert et à distance dans et pour la formation des enseignants. Un des objectifs de LearnNett est de permettre aux futurs enseignants de se former aux TIC par une expérience vécue avec les TIC. Une stratégie de base de LearnNett est de mieux préparer enseignants et formateurs à utiliser les TIC pour l’éducation et la formation en les amenant à vivre une expérience d’apprentissage collaboratif où est maximisé l’usage des TIC.

Finalement, la distinction entre formation initiale des maîtres et formation continue à l’intégration pédagogique des TIC est, d’une certaine façon, remise en question par ces pratiques de recherche-action-formation qui concernent différents types d’intervenants lors des formations. Les communautés de pratique et d’apprentissage mises en place par Charlier et al. et par Breuleux et al. ouvrent la porte à des pratiques innovatrices regroupant ces clientèles dans des actions communes et convergentes. En témoignant de pratiques établies depuis près de dix ans à l’Université de Montréal, Laurier et Viens (2000) et Viens et Renaud (2001) proposent de mettre sur pied des activités de formation où futurs maîtres et enseignants collaborent à la production et à l’expérimentation de scénarios pédagogiques intégrant les TIC. Cette coconstruction de compétences paraît des plus prometteuses.

Mais quelles que soient les pratiques préconisées, il semble important de rappeler que le document ministériel d’orientation pour la réforme de la formation initiale des enseignants au Québec (Gouvernement du Québec, 2001, p. 151) suggère qu’au terme de sa formation initiale, le futur enseignant devrait être en mesure :

  • de manifester un esprit critique et nuancé par rapport aux avantages et aux limites véritables des TIC comme soutien à l’enseignement et à l’apprentissage ;

  • de disposer d’une vue d’ensemble des possibilités que les TIC offrent sur les plans pédagogique et didactique, notamment par l’intermédiaire des ressources d’Internet, et de savoir les intégrer de façon fonctionnelle, lorsqu’elles s’avèrent appropriées et pertinentes, dans la conception des activités d’enseignement-apprentissage ;

  • d’utiliser efficacement les possibilités des TIC pour les différentes facettes de son activité intellectuelle et professionnelle : communication, recherche et traitement de données, évaluation, interaction avec des collègues ou des experts, etc. ;

  • de transmettre efficacement à ses propres élèves la capacité d’utiliser les TIC pour soutenir de façon critique et articulée la construction personnelle et collective des savoirs.

Ces compétences synthétisent, selon nous, les principaux défis qui attendent les futurs maîtres et devraient guider les diverses initiatives que les établissements de formation des maîtres mettront de l’avant pour favoriser l’intégration pédagogique des TIC par les nouveaux enseignants.

Quels sont les facteurs de résistance à l’intégration pédagogique des TIC ?

Pour certains gouvernements (Cuban, 1999), les obstacles liés à l’intégration des TIC se limiteraient à trois facteurs : l’équipement ou les logiciels, le temps et le soutien technique. Un investissement accru dans ces trois domaines permettrait, selon ces derniers, de favoriser une intégration pédagogique des TIC en éducation. Pourtant, les conclusions des recherches présentées semblent indiquer que le succès de la formation aux usages pédagogiques des technologies éducatives serait lié à un ensemble de facteurs qui dépassent largement les facteurs classiques si souvent évoqués par les gouvernements. En effet, à l’instar de Blumenfeld, Fishman, Krajcik, Marx et Soloway (2000), les auteurs de cet ouvrage mettent plutôt en évidence que les facteurs psychologiques, sociaux, idéologiques et organisationnels sont aussi importants que les facteurs classiques ; le temps, l’argent (les ressources matérielles) et le soutien technique sont certes des conditions essentielles à l’intégration des TIC, mais ce n’est pas suffisant pour réduire de façon substantielle la distance entre ce que Schön (1983, 1987) nomme « théorie épousée » et « théorie pratiquée ».

Selon Viens, Breuleux, Bordeleau, Armand, Legendre, Vasquez-Abad et Rioux (2001), les pratiques pédagogiques dominantes en contexte scolaire sont aussi un frein majeur à l’intégration pédagogique des TIC. Ainsi, même si le courant pédagogique constructiviste semble à nouveau se renforcer sous la forme des pédagogies actives, ce sont des interventions éducatives de type béhavioriste qu’on retrouve le plus souvent dans les écoles. Pourtant, les approches pédagogiques de nature socioconstructiviste paraissent de plus en plus comme une des conditions de succès de l’intégration pédagogique des TIC. Concevoir l’école comme une institution en lien avec le monde extérieur suppose une préférence pour une école ouverte sur le monde et à ses influences, comme les écoles à pédagogie Freinet (Karsenti, 2002).

Quels sont les perspectives et les besoins pressants en matière de recherche portant sur la formation à l’intégration pédagogique des TIC ?

Sur le plan de l’intégration pédagogique des TIC en formation des maîtres, les besoins de recherche sont encore nombreux, en particulier parce que l’histoire de ce champ d’études est relativement jeune. Comme l’expriment les auteurs de ce numéro, il serait intéressant de chercher à mieux comprendre l’apport de divers facteurs individuels, organisationnels, institutionnels ou sociétaux dans l’intégration pédagogique des TIC à la pratique éducative des nouveaux enseignants. Quels sont les contextes et les processus qui favorisent le plus le transfert de compétences technopédagogiques dans la pratique professionnelle ? Comment favoriser l’émergence de caractéristiques individuelles qui favorisent l’intégration des TIC ? Comment diminuer les résistances des futurs enseignants et des formateurs face aux TIC ? Comment diminuer la distance entre la théorie et la pratique ? Quelles activités ou stratégies pédagogiques permettent de soutenir telles compétences ? Comment faciliter l’adaptation des apprenants aux pédagogies actives préconisées ? Comment soutenir le développement des habiletés nécessaires à l’apprenant actif et à l’enseignant guide ? Une autre question semble fondamentale pour que la formation aux usages pédagogiques des TIC en formation des maîtres puisse éventuellement être qualifiée de succès, celle de l’aval de l’intégration pédagogique des TIC par l’ensemble des formateurs, non pas individuellement, mais en tant que groupe ou profession (Baron, 2001).

Voilà des questions auxquelles devront répondre des recherches rigoureuses. Car c’est à la généralisation et à la systématisation de la recherche – qu’elle prenne la forme de recherche-action ou de suivi plus expérimental de projets pilotes – que nous invite le débat sur le rôle qu’occupent les TIC dans la formation initiale des enseignants (Karsenti et Larose, 2001). Dans l’introduction, nous avons souligné que, depuis les années 1990, la formation des maîtres connaît aussi une profonde réorientation méthodologique comme le montre l’ensemble des textes de ce numéro. On découvre que la recherche sur la formation aux usages pédagogiques et didactiques des technologies éducatives prend de plus en plus souvent la forme de recherches-action. Les chercheurs sont ainsi des acteurs fort actifs lors des expériences qu’ils mettent en place.

À l’instar de Chevenez (2002), il semble aussi essentiel de souligner que l’intégration des TIC doit être prise en main par les principaux acteurs de l’éducation, pour éviter que d’autres ne s’en occupent, avec des motivations sans doute bien différentes. Les TIC représentent un immense enjeu de société sur lequel l’école doit apporter son éclairage. Sans quoi, il ne sera alors peut-être plus question de canaliser l’engouement des jeunes, mais plutôt de canaliser les coffres de l’État dans ceux d’entreprises privées qui n’ont aucun souci pédagogique (Karsenti, 2002). Quand on sait que les responsables administratifs des établissements scolaires sont confrontés à des budgets d’investissement et de fonctionnement limités, il est préférable que les investissements bénéficient vraiment à l’éducation. De plus, l’échec onéreux de l’intégration didactique de l’audiovisuel des années 1970 contribue à rappeler aux administrateurs la nécessité d’une certaine prudence face aux innovations technologiques. Les coûts inhérents aux TIC, tout comme les échecs passés, représentent donc des facteurs qu’il importe de considérer puisqu’ils sont susceptibles de freiner les initiatives et les innovations technologiques en éducation (Karsenti, 2002).

Selon Dolbec et Clément (2000), en sciences de l’éducation, l’école a souvent eu recours à des chercheurs, externes à leur contexte, pour trouver des solutions à ses problèmes. Le désir des chercheurs d’identifier des pistes de solution aux problèmes posés par les établissements scolaires était motivé, notamment, par la perspective de généralisation de la réponse. Pour Dolbec et Clément, ce type de recherche pouvait se traduire par un échec sur le plan des retombées dans le contexte scolaire « parce que la plupart des éducateurs ne tenaient pas compte des résultats des recherches qui étaient souvent publiés dans des revues scientifiques » (p. 200). Le fait que les résultats des recherches ne répondaient pas, concrètement, aux problèmes rencontrés par l’école était invoqué. La recherche-action serait plus susceptible de répondre aux besoins pressants du milieu parce qu’un de ses premiers objectifs serait de « produire un changement dans une situation concrète » (Ibid., p. 201). La recherche- action intègre l’action au processus de recherche pour que le changement souhaité puisse à la fois se produire et être étudié pendant le processus de recherche, contrairement à la recherche traditionnelle où l’action ne se produit qu’un certain temps après la réalisation de la recherche. La recherche-action semble donc une avenue intéressante afin de mieux comprendre la meilleure manière de former aux usages pédagogiques des TIC, dans le but d’amener, à court terme, des changements réels dans la pratique des formateurs et des futurs enseignants.

Finalement, tel que le soulignent Charlier et Peraya (2002), la recherche-action portant sur la formation aux usages pédagogiques et didactiques des technologies éducatives s’adjoint une forte composante de formation. Le modèle de recherche qui semble prévaloir aujourd’hui est celui de la recherche-action-formation qui, comme cela a été indiqué dans l’introduction, « prend en compte progressivement d’autres dimensions – institutionnelles, organisationnelles, psychosociales, affectives, etc. – que celles directement liées à la formation stricto sensu ».

Les TIC sont de puissants outils cognitifs qui offrent de multiples solutions pour contrer plusieurs problèmes actuels de l’éducation, mais elles ne seront utiles que si le formateur accepte de transformer, voire de faire évoluer ses pratiques. Pour Karsenti (2002), l’intégration des TIC dans la formation à la profession enseignante, ce n’est pas l’école sans livre ni cartable pour l’apprenant. Ce n’est pas non plus la machine à apprendre de Skinner qui remplace à nouveau le formateur. L’intégration des TIC en formation des maîtres, « c’est l’épanouissement réel et virtuel des pédagogies humanistes et socioconstructivistes, de la pédagogie du projet, de l’apprentissage coopératif, de l’université du goût d’apprendre, de l’université transfrontalière, ouverte sur le reste du monde ».