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Introduction[1]

La transition à la vie adulte constitue une période développementale qui implique d’importants changements contextuels. Ces derniers sollicitent le potentiel adaptatif des jeunes comme jamais auparavant au cours de leur développement (Sameroff, Peck et Eccles, 2004 ; Schulenberg, Sameroff et Cicchetti, 2004b). Les défis associés à cette période sont décuplés lorsque les jeunes qui doivent négocier cette transition sont aux prises avec des difficultés d’adaptation, comme des conduites antisociales, qui entravent leur capacité à faire face aux changements (Ministère de l’Éducation du Québec, 2000). À ce chapitre, les études longitudinales portant sur les conduites antisociales et déviantes ont permis d’améliorer considérablement les connaissances liées à la séquence développementale de ces conduites, et d’identifier les jeunes qui sont les plus susceptibles de maintenir ces conduites à l’âge adulte (Fortin et Lessard, 2005 ; Moffitt, 1993 ; Moffitt, Caspi, Dickson, Silva et Stanton, 1996). Toutefois, une majorité de ces études ont porté sur le développement des conduites antisociales sévères dans un cadre clinique, psychopathologique ou criminologique (Moffitt, 1993 ; Moffitt et collab., 1996). Ainsi, l’étude des trajectoires de conduites antisociales dans un contexte scolaire, le plus souvent appréhendées sous la forme de problèmes de comportement extériorisés (opposition, bagarre, intimidation, etc.), est de tradition beaucoup plus récente. Fortin et Lessard (2005) ont récemment identifié quatre trajectoires de problèmes de comportement des garçons au secondaire, qui varient selon la stabilité et l’âge d’apparition des problèmes. Par contre, leurs analyses touchent exclusivement les jeunes à l’adolescence, limitant ainsi la compréhension des effets que peut avoir la manifestation de ces comportements affichés en milieu scolaire sur l’ajustement personnel et scolaire du jeune adulte. De plus, à l’instar des trajectoires identifiées pour les jeunes aux prises avec des conduites sévères (Moffitt, 1993 ; Moffitt et collab., 2002), celles documentées par Fortin et Lessard (2005) s’appliquent principalement aux garçons.

Qu’en est-il de l’ajustement des jeunes adultes qui ont présenté des problèmes de comportement extériorisés au secondaire ? Vivent-ils des situations personnelles et scolaires différentes de leurs pairs sans problème de comportement ? Les filles et les garçons qui ont présenté ce type de problème s’ajustent-ils de façon comparable à l’âge adulte ? Dans cet article, nous abordons ces questions en présentant, dans un premier temps, les modèles théoriques explicatifs du maintien ou de la résorption (désistance) des conduites antisociales à l’âge adulte.

Modèles théoriques explicatifs

Patterson, Reid et Dishion (1992) ont proposé un modèle qui repose sur une séquence d’action-réaction, identifiant une série de facteurs de risque qui s’accumulent et s’intensifient au fil du temps pour expliquer l’apparition, le maintien et la généralisation des conduites antisociales. Ainsi, les conduites antisociales apparaissent d’abord dans la famille où, à la suite d’interventions punitives et de pratiques éducatives inadéquates des parents, l’enfant ne développe pas les habiletés sociales et l’estime de soi, essentiels à une interaction adéquate avec les autres. Lorsqu’il entre à l’école, ces lacunes l’amènent à développer des relations empreintes d’agressivité et d’opposition avec les pairs et les enseignants. Conséquemment, l’environnement scolaire réagit ; l’enseignant développe des attitudes négatives à l’égard du jeune, qui devient plus sujet au rejet par ses pairs. Ce dernier peut alors perdre l’intérêt pour l’apprentissage scolaire et devenir à risque de vivre des échecs. À l’adolescence, il a tendance à se regrouper avec des pairs déviants et à raffiner ses conduites antisociales, en plus de les généraliser en dehors du contexte de l’école. Avec l’affranchissement de chacune de ces étapes, le jeune évolue dans sa trajectoire antisociale qui le mène vers l’inadaptation, la délinquance et la criminalité à l’âge adulte (Patterson et collab., 1992 ; Patterson, Forgatch, Yoerger et Stoulmiller, 1998). Appuyée par d’autres études longitudinales (Farrington et Loeber, 2000 ; Moffitt, 1993, Moffitt, Caspi, Harrington et Milne, 2002), cette séquence placerait les jeunes adultes à haut risque de développer de sérieuses difficultés au plan psychologique, social et relationnel. Aussi, ils seraient plus susceptibles de se retrouver sous le régime d’aide sociale ou de chômage.

Selon d’autres études toutefois (Jahnukainen, 1998 ; Laub, Nagin et Samson, 1998 ; Schulenberg, Bryant et O’Malley, 2004a), au fil du temps, continuité et changement se retrouvent à la fois dans l’implication déviante. Dans certains cas, la déviance perdure à la vie adulte et peut même s’aggraver. Par exemple, un adolescent qui consomme des drogues illicites peut se transformer en toxicomane sévère à l’âge adulte (Laub, Nagin et Sampson, 1998). En revanche, des événements de vie heureux, tels que le mariage ou l’obtention d’un emploi satisfaisant et valorisant, peuvent entraîner un changement d’orientation vers la conformité. Cette dernière théorie, appelée la théorie des points tournants, conduit à une vision moins fataliste des trajectoires des jeunes en difficulté. Certains auteurs suggèrent que la transition à la vie adulte, en tant que passage offrant une liberté accrue et une diversité de choix, peut constituer en soi un point tournant dans la vie de jeunes qui ont connu des difficultés (Schulenberg et collab., 2004a). En outre, les travaux longitudinaux de Moffitt (1993) ont permis de documenter un sous-groupe de récupérateurs chez des jeunes aux prises avec des conduites antisociales. Ce sous-groupe se caractérise par la présence de conduites antisociales en bas âge et la disparition de ces conduites à l’adolescence. À la lumière des travaux récents de Moffitt et de ses collaborateurs (2002), il semble qu’il y aurait eu erreur dans la désignation de ce sous-groupe. En effet, malgré des situations sociodémographiques comparables aux individus sans conduite antisociale, l’examen de leur ajustement personnel à 26 ans montre que ces récupérateurs se réengagent dans une trajectoire antisociale et sont aux prises avec différents problèmes intériorisés comme la dépression et l’anxiété. Ces résultats mettent en lumière l’importance d’appréhender l’ajustement au-delà de l’aspect situationnel en s’intéressant également aux aspects personnels tels que les problèmes intériorisés et extériorisés.

Les chercheurs associés aux trajectoires de continuité (Moffitt et collab., 2002) et de changement (Laub, Nagin et Sampson, 1998 ; Schulenberg et collab., 2004a) soutiennent qu’elles s’appliqueraient tant aux garçons qu’aux filles. Dans leur étude, Dekovic, Buist et Reitz (2004) ont également montré que l’étiologie des problèmes de comportement serait la même pour les garçons et les filles, bien que la prévalence soit plus élevée chez les garçons. En contrepartie, selon Blackorby et Wagner (1996), les filles et les garçons montreraient d’importantes différences dans la façon dont ils vivent la transition à la vie adulte. Les filles présentant des problèmes de comportement extériorisés seraient plus susceptibles que les garçons de se désister d’une trajectoire antisociale à l’émergence de la vie adulte, mais elles seraient plus nombreuses à commettre des tentatives de suicide et à solliciter de l’aide professionnelle au cours de cette période charnière (Corneau et Lanctôt, 2004).

Ces modèles théoriques explicatifs constituent des cadres de référence utiles pour comprendre le développement des conduites antisociales sévères et leurs répercussions à l’âge adulte. Qu’en est-il des connaissances au sujet des problèmes de comportement extériorisés manifestés dans un contexte scolaire ? Dans la prochaine partie de ce document, nous relatons les travaux qui ont porté sur la transition à la vie adulte des jeunes à problèmes de comportement en milieu scolaire.

La transition à la vie adulte des jeunes ayant présenté des problèmes de comportement en milieu scolaire

Parmi les recherches sur les jeunes en difficulté d’adaptation scolaire et sociale, l’ajustement des jeunes à la vie adulte a été le plus souvent mesuré à partir de trois indicateurs situationnels : la formation postsecondaire, l’occupation d’un emploi et les arrangements résidentiels (Blackorby et Wagner, 1996 ; Corbett, Clark et Blank, 2002 ; Levine et Edgar, 1994 ; Mattison, Spitznagel et Felix, 1998 ; Sitlington, Frank et Carson, 1992). Les résultats de ces études indiquent que, de façon générale, le passage à la vie adulte est plus ardu pour ceux qui ont été identifiés en difficulté. D’une part, les jeunes à problèmes de comportement au secondaire sont moins nombreux à poursuivre une formation postsecondaire, ou à occuper un emploi après le secondaire. D’autre part, ils vivent plus fréquemment chez leurs parents et aux dépens de ces derniers (Armstrong, Dedrick et Greebaum, 2003 ; Blackorby et Wagner, 1996 ; Levine et Nourse, 1998 ; Sitlington et collab., 1992).

Au Québec, le ministère de l’Éducation du Québec (1997) a effectué un sondage sur l’insertion sociale et professionnelle des jeunes non diplômés de l’école secondaire auprès d’un échantillon représentatif de 2071 jeunes, dont 10 % présentaient des problèmes de comportement. Les résultats suggèrent que ces derniers quittent l’école significativement plus tôt que les autres jeunes non diplômés : 45 % d’entre eux avaient 16 ans ou moins au moment de décrocher. Ces jeunes sont plus souvent inactifs (près de 50 %), et ceux qui travaillent obtiennent un salaire inférieur à celui des autres jeunes non diplômés (Ministère de l’Éducation du Québec, 1997). Le sondage indique également que les comportements antisociaux à l’émergence de la vie adulte sont davantage l’apanage des jeunes ayant des problèmes de comportement extériorisés. Ainsi, 28 % d’entre eux disent avoir commis des infractions mineures qui impliquaient des problèmes avec la police, comparativement à 4 % chez les autres jeunes non diplômés. Or, ce sondage porte uniquement sur les élèves qui ont décroché de l’école, ce qui ne fournit aucune donnée sur les élèves qui présentent des problèmes de comportement et qui poursuivent leur scolarité.

En somme, peu d’études ont porté sur l’ajustement au collégial des jeunes qui ont présenté des problèmes de comportement au secondaire. Parmi les auteurs qui se sont penchés sur l’ajustement au collégial, Larose et Roy (1990) montrent que, pour les élèves à risque (ceux qui ont une moyenne inférieure à 68 %), les compétences personnelles au niveau affectif, cognitif et social sont plus importantes que leur réussite scolaire antérieure pour prédire leur ajustement au collégial (Larose et Roy, 1990). Conséquemment, leur anticipation de l’échec et l’anxiété face aux examens seraient particulièrement importantes pour expliquer leur réussite. Or, la notion d’élèves à risque utilisée dans cette étude ne permet pas de discriminer les élèves qui ont présenté des problèmes de comportement extériorisés de ceux qui vivent des difficultés d’apprentissage. L’étude de Rao, Hammen et Daley (1999) sur l’ajustement au collégial indique que le passage de l’école secondaire au collège serait associé à une augmentation du risque de vivre une dépression chez les garçons et les filles. De plus, un épisode dépressif vécu au cours de cette transition aurait des effets particulièrement néfastes et durables sur l’adaptation future de la personne.

Une majorité d’études signalent l’adaptation plus difficile des jeunes avec des problèmes de comportement extériorisés au moment de la transition à la vie adulte. En revanche, chez plusieurs jeunes adultes identifiés comme ayant des problèmes de comportement, les effets s’amenuisent à partir du moment où ils quittent l’école (Jahnukainen, 1998 ; Laub, Nagin et Sampson, 1998 ; Lichtenstein, 1993 ; Scanlon et Mellard, 2002 ; Schulenberg, Sameroff et Cicchetti, 2004a). La taille restreinte des échantillons de ces études et l’absence de comparaison en fonction du genre masculin ou féminin limitent toutefois la généralisation de ces résultats à l’ensemble des jeunes ayant des problèmes de comportement.

Pertinence de la présente étude et objectifs poursuivis

À l’instar des études sur le développement des conduites antisociales sévères (Farrington et Loeber, 2000 ; Moffitt, 1993 ; Moffitt et collab., 2002 ; Patterson et collab., 1992), celles qui portent sur l’ajustement lors de la transition à la vie adulte des jeunes ayant présenté des problèmes de comportement extériorisés en milieu scolaire dévoilent deux types de profils. En effet, selon certaines recherches (Armstrong, Dedrick et Greebaum, 2003 ; Blackorby et Wagner, 1996 ; Levine et Nourse, 1998 ; Sitlington et collab., 1992), on constate une persistance et une aggravation des problèmes, alors que selon d’autres, des changements et des points tournants apparaissent (Jahnukainen, 1998 ; Laub, Nagin et Sampson, 1998 ; Lichtenstein, 1993 ; Scanlon et Mellard, 2002 ; Schulenberg et collab., 2004a). Or, la taille restreinte des échantillons, l’absence de comparaison en fonction du genre, ainsi que les études portant uniquement sur les jeunes décrocheurs limitent les connaissances sur les jeunes ayant affiché des problèmes extériorisés en milieu scolaire lors de la transition à la vie adulte (Levine et Nourse, 1998). En conséquence, les suivis à l’âge adulte considèrent souvent toutes les catégories de problématiques (problèmes d’apprentissage, problèmes de comportement, etc.) de façon combinée : peu d’études utilisent un groupe témoin d’élèves sans difficultés (Jahnukainen, 1998 ; Laub, Nagin et Sampson, 1998 ; Lichtenstein, 1993 ; Ministère de l’Éducation du Québec, 1997), et certaines recherches s’intéressent seulement aux jeunes qui ont décroché (Ministère de l’Éducation du Québec, 1997). Aussi, il existe très peu de données sur l’ajustement des jeunes en problèmes de comportement qui accèdent au collège. Par ailleurs, l’absence de comparaison de l’ajustement des jeunes en fonction du genre limite considérablement la spécificité des connaissances quant aux filles et aux garçons (Schulenberg et collab., 2004a). Finalement, l’ajustement à la vie adulte peut être interprété différemment si l’étude l’aborde sous l’angle situationnel (par exemple, arrangements résidentiels) ou sous l’angle personnel (dépression, délinquance, etc.).

En résumé, pour combler les lacunes des études sur la transition à la vie adulte des élèves ayant eu des problèmes de comportement extériorisés en milieu scolaire, s’impose la nécessité d’améliorer les connaissances sur le développement et l’adaptation de ces jeunes, pour savoir s’ils voient une persistance de leur problématique ou encore si la transition à la vie adulte représente un point tournant dans leur vie.

Notre étude poursuit deux objectifs : 1) Identifier les situations scolaires et sociales des jeunes ayant présenté des problèmes de comportement extériorisés à la fin du secondaire et les comparer à celles des jeunes sans problèmes de comportement selon le genre ; et 2) Comparer l’ajustement des jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés par rapport à celui des jeunes sans problèmes et en fonction du genre, à l’émergence de la vie adulte.

En nous intéressant aux problèmes de comportement vécus en milieu scolaire et à leurs résultantes tant situationnelle que psychosociale à l’émergence de la vie adulte, nous estimons répondre à un besoin urgent de connaissances touchant cette période développementale, comme la vivent les jeunes Québécois en difficulté.

Méthodologie

Étude longitudinale sur les difficultés d’adaptation sociale et scolaire (ÉLDASS)

Les données et les participants de la présente étude sont issus de la recherche longitudinale à mesures répétées visant à évaluer la réussite scolaire et l’adaptation des élèves à risque de décrochage de Fortin, Royer, Potvin et Marcotte (ÉLDASS) (1996-2007). Le cadre multifactoriel de cette recherche permet de documenter un grand nombre de variables personnelles, familiales, sociales et scolaires. L’échantillon de cette plus vaste étude compte 714 élèves (53,9 % de garçons) en provenance des villes de Québec (151 élèves), de Trois-Rivières (346 élèves) et de Sherbrooke (217 élèves). Selon les indicateurs socioéconomiques des commissions scolaires et du ministère de l’Éducation du Québec, la cohorte de Sherbrooke est située dans un quartier socioéconomique plutôt défavorisé, alors que celles de Québec et de Trois-Rivières sont situées dans un quartier de classe moyenne.

Au premier temps de mesure (1996), les participants entraient en première secondaire et étaient âgés entre 12 et 13 ans. Par la suite, l’équipe de recherche les a rencontrés en groupe classe en mars et en octobre de chaque année scolaire entre 1996 et 2001 (première secondaire à cinquième secondaire). Entre 2001 et 2007, ce qui correspond à l’entrée au collège pour plusieurs élèves, les jeunes ont fait l’objet de rencontres deux fois par an pour répondre, d’une part, à des questionnaires et, d’autre part, à une entrevue individuelle. Après huit ans, les jeunes sont maintenant âgés de 20 à 21 ans et ont pris différentes trajectoires qui sont toutes documentées dans l’étude : décrochage, marché du travail, formation professionnelle, études collégiales ou universitaires.

Échantillon de la présente étude

La présente étude concerne le sixième temps de mesure de l’ÉLDASS, soit l’année suivant la cinquième et dernière année (théoriquement) du secondaire. L’échantillon de convenance tiré de l’ÉLDASS compte 186 jeunes, âgés en moyenne de 17 ans et 5 mois au moment de la collecte qui se déroulait lors de la sixième année suivant le début de leurs études secondaires. Le groupe à problèmes de comportement extériorisés compte 93 jeunes (61 garçons et 32 filles). Ces jeunes ont été sélectionnés lorsque leur score à l’échelle de problèmes de comportement extériorisés du Questionnaire sur les habiletés sociales (Gresham et Elliott, 1990) se situait au-delà d’un écart-type du score moyen du groupe de référence, pour au moins deux temps de mesure, au cours des cinq années du secondaire. Le choix de regrouper tous les jeunes ayant présenté des problèmes de comportement extériorisés (par exemple, les jeunes qui ont présenté ce type de problèmes de façon transitoire et ceux qui l’ont présenté de façon persistante) a été effectué à partir des résultats de Wiesner et Windle (2006), qui montrent que des sous-groupes d’adolescents présentant des caractéristiques particulières à l’adolescence quant à la délinquance (transitoire et persistante) ne se distinguent pas significativement dans leur ajustement à l’âge adulte. L’échelle de problèmes de comportement extériorisés a été complétée par l’enseignant à chaque année. Les items suivants relèvent de cette échelle : se fâche facilement, se bagarre avec les autres, profère des menaces, etc.

À chacun de ces jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés, un jeune sans trouble de comportement a été apparié selon le genre masculin ou féminin, la région de provenance, le type de famille (intacte ou non) et le revenu familial. Ce groupe constitue le groupe témoin (GT) de l’étude et compte également 93 jeunes (61 garçons et 32 filles).

Procédure

Tous les participants ont été joints par l’entremise de l’enseignant. Ce dernier a été informé de l’étude par le directeur de l’école, et un expérimentateur l’a rencontré pour lui présenter les objectifs de la recherche et solliciter sa participation. Ensuite, les parents ou les tuteurs légaux ont été joints, afin que l’on puisse obtenir leur consentement écrit et leur assurer la confidentialité du traitement des données. Le taux de réponse a été de 78,1 %. Les questionnaires ont été administrés en groupe classe à tous les jeunes par des assistants de recherche spécialement formés, au cours des mois d’octobre et de novembre, et au cours des mois de mars et d’avril de chaque temps de mesure (1 à 5). L’enseignant responsable du groupe a rempli les questionnaires d’habiletés sociales pour chacun des élèves au cours du mois d’avril. À partir du temps 6, les jeunes étaient contactés individuellement afin de favoriser le maintien de leur participation à l’étude. Les questionnaires administrés variaient selon le cheminement emprunté à la fin du secondaire.

Mesures

Les données relatives aux situations des jeunes ont été recueillies à partir des indicateurs sociodémographiques qu’ils avaient fournis lors de la passation des questionnaires. À l’exception de celui sur les habiletés sociales ayant servi à l’identification du groupe problèmes de comportement extériorisés, les questionnaires ont été retenus sur la base des informations qu’ils fournissaient à propos de l’ajustement psychosocial intériorisé (dépression et anxiété) et extériorisé (délinquance), ainsi que sur l’ajustement scolaire du jeune accédant au collège.

Questionnaire sur les habiletés sociales (Gresham et Elliot, 1990). Traduction du Social Skills Rating System (SSRS). Rempli par l’enseignant, ce questionnaire fournit une évaluation multivariée des comportements sociaux des jeunes à l’école. La version Enseignant comprend 51 énoncés et trois sous-échelles : les habiletés sociales, les problèmes de comportement et la performance scolaire. Le S.S.R.S. montre une fidélité adéquate (test-retest : 0,90 ; alpha de Cronbach : 0,90) et une validité de convergence avec le Social Behavior Assessment (Platt, Weyman et Hirsh, 1980). Des analyses factorielles, en composantes principales avec rotation varimax auprès de 810 élèves du secondaire, indiquent que la version québécoise possède la même structure factorielle que la version américaine. Les coefficients de consistance interne varient entre 0,79 et 0,92.

L’inventaire de la dépression de Beck (IBD) (Beck, 1978). Traduit en français par Bourque et Beaudette (1982), ce questionnaire autorévélé comprend 21 items auxquels l’élève répond, ce qui permet d’évaluer l’intensité des symptômes affectifs, comportementaux, cognitifs et somatiques de la dépression. Les qualités psychométriques du IBD ont été confirmées auprès d’adolescents québécois, les coefficients de consistance interne variant de 0,86 à 0,88. Un score de coupure de 16 est suggéré pour identifier les sujets qui présentent les caractéristiques de la dépression clinique (Strober, Green et Carlson, 1981).

L’inventaire d’anxiété de Beck (IAB) (Beck, Epstein, Brown et Steer, 1988). Traduit en français par Freeston, Ladouceur, Thibodeau, Gagnon et Rhéaume (1994), ce questionnaire auto-évaluatif de 21 énoncés a été utilisé pour évaluer le niveau d’anxiété chez les répondants. Les données psychométriques de ce questionnaire révèlent un haut degré de cohérence interne (alpha = 0,92), une bonne fidélité test-retest après une semaine (r = 0,75) et une validité discriminante acceptable entre l’anxiété et la dépression.

Délinquance auto-révélée (LeBlanc, 1994). La mesure d’adaptation sociale pour les adolescents québécois (MASPAQ) est autorévélée. L’échelle des comportements violents et antisociaux du jeune comprend 29 questions. Ce questionnaire a déjà été validé auprès de 6604 jeunes Québécois âgés entre 10 et 18 ans. Il porte sur différents aspects de l’activité marginale, parmi lesquels l’activité déviante, délinquante et les problèmes de comportement. Pour chacun des aspects, sont mesurées des données qui portent sur la participation cumulative (variété à vie), la participation actuelle (variété au cours des 12 derniers mois), la fréquence des activités au cours des 12 derniers mois, ainsi que l’âge du premier délit (précocité). Dans la présente étude, nous utilisons les données relatives aux 12 derniers mois (fréquence) pour l’échelle de délinquance criminelle, ainsi que pour les sous-échelles d’agression physique, de drogue et d’alcool.

L’adaptation de l’élève au collège (SACQ-F) (Baker et Siryk, 1984), validé au Québec par Larose, Soucy, Bernier et Roy (1996), est un questionnaire auto-révélé qui comprend 67 énoncés évaluant la qualité de l’adaptation de l’élève aux exigences du collège. Cette mesure comporte cinq échelles, dont l’ajustement scolaire (récemment, j’ai des problèmes à me concentrer quand j’essaie d’étudier), l’ajustement social (je rencontre autant de gens et je me fais autant d’amis que je le veux), l’ajustement personnel et émotionnel (je me suis senti nerveux et tendu récemment), l’attachement ou sentiment d’appartenance (je prévois continuer ici l’an prochain) et le score total calculé à partir de toutes les échelles. La fidélité est très acceptable avec des scores alpha de 0,79 à 0,87 et une fidélité test-retest (deux semaines) de 0,75 à 0,87. La validité de construit réalisée auprès d’un autre instrument (TRAC : Test de réactions et d’adaptation au collégial, Falardeau, Larose et Roy, 1989) et entre les sous échelles se révèle aussi satisfaisante (scores de 0,24 à 0,55).

Résultats

Le premier objectif de cette étude était d’identifier les situations scolaires et sociales des jeunes ayant présenté des problèmes de comportement extériorisés à la fin du secondaire et celles des jeunes sans problème de comportement selon le genre masculin ou féminin. Afin de répondre à la nature descriptive de cet objectif, nous avons réalisé un tableau de fréquence pour illustrer la distribution des jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés et des jeunes du groupe témoin selon le genre, d’après les indicateurs de la situation actuelle du jeune : le niveau scolaire, l’occupation d’un emploi, le milieu de vie et le statut actuel si le jeune a quitté l’école. Le tableau 1 présente la distribution des jeunes selon leur groupe d’appartenance et le genre, en fonction des différents indicateurs scolaires et sociaux qui caractérisent leur situation.

Tableau 1

Distribution des jeunes en pourcentage selon leur situation socio-scolaire

Distribution des jeunes en pourcentage selon leur situation socio-scolaire

Note : les fréquences sont exprimées entre parenthèses

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Le tableau 1 indique qu’une majorité de jeunes du groupe témoin (GT) (95,7 %) et de jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés (83,9 %) poursuivent leur scolarité à la fin des cinq années du secondaire. Parmi les jeunes ayant des problèmes extériorisés, 22,6 % terminent leur scolarité secondaire au secteur Jeunes (filles : 28,1 % ; garçons : 19,6 %) tandis que cette proportion est de 16,1 % au sein du groupe témoin (garçons : 19,7 % ; filles : 9,4 %). L’école aux adultes constitue le choix de 12,9 % des jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés et de 9,7 % des jeunes du groupe témoin et la formation professionnelle est préférée par 6,5 % des jeunes des deux groupes. Au sein de ces filières adultes du secondaire (école aux adultes et formation professionnelle), les garçons sont davantage représentés que les filles, et ce, dans les deux groupes. Finalement, le collégial correspond à l’option la plus choisie lors de la prise de mesure : 42,0 % des jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés et 63,4 % des jeunes du groupe témoin optent pour cette voie. Chez les jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés, les filles et les garçons choisissent le cégep dans les mêmes proportions, alors que les filles du groupe témoin sont surreprésentées par rapport aux garçons (78,1 % comparativement à 55,7 %). Parmi ces jeunes qui poursuivent leur scolarité, 66 % d’entre eux ayant présenté des problèmes extériorisés et 45 % des jeunes GT déclarent occuper un emploi. Les garçons occupent plus souvent un emploi pendant leurs études (PÉ = 70,6 % et GT = 47,5 %), comparativement aux filles (PÉ = 57,7 % et GT= 40,0 %).

Seulement 18 jeunes (13 ayant présenté des problèmes extériorisés et cinq GT) ne sont plus à l’école. Parmi ceux-ci, la majorité occupe un emploi (13 jeunes : huit avec diplôme et cinq sans diplôme), et trois ont décroché et sont sans emploi. Finalement, deux jeunes ont obtenu leur diplôme, mais n’occupent pas d’emploi pour le moment. Pour terminer, en ce qui concerne le milieu de vie, on note que, pour la grande majorité, ils vivent avec leurs parents, et que cette option est légèrement plus représentative des garçons (PÉ = 95,1 % et GT = 98,4 %) que des filles (PÉ = 89,2 % et GT = 87,5 %).

Le deuxième objectif était de comparer l’ajustement personnel des jeunes au moment de la transition à la vie adulte en fonction du groupe et du genre. Pour atteindre cet objectif, des analyses multivariées et univariées ont été effectuées sur les variables d’ajustement, afin de vérifier l’existence de différences significatives entre les groupes selon le genre. Les résultats des analyses multivariées indiquent un effet significatif entre les groupes d’élèves quant aux variables d’ajustement personnel (dépression, anxiété, délinquance) (Lambda de Wilks = 0,88 ; F (5, 162) = 4,94, p < 0,00). Par ailleurs, on note un effet d’interaction significatif entre les groupes d’élèves et le genre (Lambda de Wilks = 0,86 ; F (5, 162) = 2,46, p < 0,01), révélant que le fait d’être une fille ou un garçon intervient dans la relation entre l’appartenance à un des groupes et l’ajustement personnel. En outre, les analyses multivariées effectuées sur les variables d’ajustement au collège montrent qu’il n’y a pas de différences significatives entre les groupes d’élèves (Lambda de Wilks = 0,92 ; F (5, 94) = 1,70, p = 0,14), mais une interaction significative entre le groupe d’élèves et le genre (Lambda de Wilks = 0,80 ; F (5, 94) = 2,15, p < 0,05). En somme, les résultats montrent, dans l’ensemble, des différences significatives attribuables au groupe, au genre ou à ces deux aspects, pour les différents types de variables. Afin de vérifier les effets simples du genre et du groupe sur les différentes variables, nous avons effectué des analyses de variance (ANOVAS) sur les indices d’anxiété, de dépression et de délinquance (MASPAQ), pour préciser les effets multivariés observés. Les tableaux 2 et 3 présentent les différentes variables d’ajustement selon le groupe d’élèves (Tableau 2) et le genre (Tableau 3).

Tableau 2

Analyses de variance en fonction des groupes effectuées sur les variables d’ajustement

Analyses de variance en fonction des groupes effectuées sur les variables d’ajustement

**p < 0,01 ***p < 0,001

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Tableau 3

Analyses de variance effectuées sur les variables d’ajustement en fonction du genre dans les deux groupes

Analyses de variance effectuées sur les variables d’ajustement en fonction du genre dans les deux groupes

*p < 0,05 **p < 0,01 ***p < 0,001

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Au tableau 2, les ANOVAS effectuées sur les divers indices d’ajustement en fonction des deux groupes indiquent que les jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés et les jeunes du groupe témoin ne se différencient pas significativement quant aux scores de dépression (F (1, 181) = 0,15, n.s.) et d’anxiété (F (1, 183) = 0,56, n.s.). En ce qui a trait à la délinquance, les jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés ont des scores plus élevés aux échelles de délinquance criminelle (F (1, 183) = 7,04, p < 0,01), aux échelles de drogues et d’alcool (F (1, 184) = 21,01, p < 0,001) et d’agression physique (F (1, 185) = 8,90, p < 0,01). Les comparaisons de moyennes de l’ajustement au collège, comme nous l’avons mesuré à partir des échelles d’ajustement scolaire, d’ajustement social, d’ajustement personnel et émotionnel, d’attachement et du score global, ne montrent aucune différence significative entre les jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés et ceux du groupe témoin lors de la transition à la vie adulte. L’examen de la taille de l’effet (η²) indique que les variables associées à la consommation de drogues et d’alcool (11 %), l’agression physique (5 %) et la délinquance (4 %) sont, par ordre d’importance, les variables qui permettent d’expliquer les différences observées entre les deux groupes. Autrement dit, l’examen de la taille de l’effet indique le poids relatif de chacune des variables (tel qu’exprimé par le pourcentage entre parenthèses) dans la différenciation entre les deux groupes.

Les analyses de variance effectuées pour chacun des groupes en fonction du genre montrent que les filles ayant présenté des problèmes extériorisés affichent des scores significativement plus élevés aux mesures de dépression (F (1, 89) = 6,30, p < 0,01) et d’anxiété (F (1, 91) = 4,74, p < 0,01). Nous ne notons aucune différence significative entre les garçons et les filles quant aux mesures associées à la délinquance, de même que pour toutes les mesures d’ajustement au collège, sauf pour celle de l’ajustement personnel émotionnel, où les filles obtiennent des scores significativement inférieurs aux garçons (F (1, 41) = 10,80, p < 0,01). L’examen de la taille de l’effet (η²) révèle que les scores de dépression et d’anxiété contribuent respectivement à expliquer 8 % et 5 % de la variance entre les genres, tandis que le score d’ajustement personnel-émotionnel au collège permet d’expliquer 21 % de la variance en fonction du genre, pour ceux qui accèdent au collège. Du côté des jeunes du groupe témoin, deux seules mesures, associées à l’ajustement au collège, permettent de différencier significativement les garçons et les filles. Ainsi, l’ajustement personnel-émotionnel (F (1, 57) = 6,15, p < 0,05) est moins favorable pour les filles, tandis que l’attachement (F (1, 57) = 4,82, p < 0,05) est moins grand chez les garçons du groupe témoin. Ces variables contribuent respectivement à expliquer 12 % et 7 % de la variance en fonction du genre, au sein des jeunes du groupe témoin qui ont accédé au collège.

Discussion des résultats

Parmi les transitions de vie normatives, le passage à la vie adulte constitue l’une des plus critiques, parce qu’elle implique de nombreux changements sociaux et contextuels (Schulenberg et collab., 2004a ; 2004b). Les études portant sur les problèmes de comportement dégagent diverses trajectoires théoriques : certaines se caractérisent par une persistance et parfois une aggravation des conduites (Moffitt et collab., 2002 ; Farrington et Loeber, 2000 ; Patterson et collab., 1998), tandis que d’autres sont ponctuées de changements, de points tournants et de résilience (Roisman, Aguilar et Egeland, 2004 ; Laub, Nagin et Sampson, 1998 ; Schulenberg et collab., 2004a).

Notre étude poursuivait deux objectifs précis. Le premier, essentiellement descriptif, était de présenter les situations sociales et scolaires des jeunes ayant affiché des problèmes extériorisés et celles des jeunes du groupe témoin à l’issue du secondaire, à partir d’indicateurs de la fréquentation scolaire, de l’emploi et des arrangements résidentiels.

Selon nos résultats, lors de ce sixième temps de mesure, dans leur ensemble, la situation des jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés et celle du groupe témoin sont semblables. En effet, la grande majorité des jeunes des deux groupes sont toujours inscrits à l’école, ils vivent chez leurs parents et une très faible proportion d’entre eux sont inactifs (ne fréquentent pas l’école et sont sans emploi). Certains contrastes émergent lorsque l’on considère le niveau scolaire. Les jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés sont plus nombreux à ne pas avoir terminé leur secondaire et à le terminer aux secteurs jeunes et adultes, alors que les jeunes du groupe témoin (GT) sont plus susceptibles d’accéder au cégep directement après le secondaire. Ce contraste est d’autant plus manifeste lorsque les données sont observées selon le groupe : deux fois plus de filles du groupe témoin que de filles ayant présenté des problèmes extériorisés sont inscrites au cégep. La présente étude se situe à un temps précis, soit la fin du secondaire (17-18 ans) ; il est donc probable que les jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés, aux prises avec des difficultés affectant leur rendement scolaire, prennent plus de temps pour terminer leur secondaire, car une majorité d’entre eux présentent souvent des difficultés d’apprentissage concomitantes (Fortin, Royer, Potvin et Marcotte, 2000). Il est possible qu’ils accèdent au collégial une ou deux années plus tard. En effet, les données du ministère de l’Éducation du Québec (2004) révèlent que 20 % des jeunes interrompent leurs études avant l’âge de 20 ans, et que seulement 32 % des jeunes qui les poursuivent sans interruption finiront leur collégial dans les temps prescrits ; les cheminements scolaires, probablement plus longs, des jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés ne relèvent donc pas de la marginalité. Finalement, par rapport à ceux du groupe témoin, une proportion plus grande de jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés occupent un emploi tout en poursuivant des études. Puisque les jeunes ont été appariés en fonction du revenu familial, cette différence ne peut être attribuable à un écart dans les statuts socioéconomiques des deux groupes.

Les filles sont moins portées à travailler pendant leurs études, par comparaison avec les garçons de leur groupe respectif. Ces données appuient l’observation avancée par Blackorby et Wagner (1996), selon laquelle l’indépendance financière est plus tardive chez les filles, à l’émergence de la vie adulte. Une étude de Marcotte, Fortin, Cloutier, Royer et Marcotte (2005) révèle que les filles ayant des problèmes de comportement extériorisés bénéficient d’un engagement plus grand de leurs parents au fil du secondaire, comparativement aux garçons. Cet engagement plus intensif des parents auprès des filles pourrait se traduire, à l’âge adulte, par un soutien financier accru.

Le deuxième objectif de cet article était de comparer l’ajustement personnel et l’ajustement au collège (pour ceux qui accèdent à ce niveau scolaire) des jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés et des jeunes GT selon le genre. En ce qui concerne l’ajustement personnel, quand on les compare au groupe témoin, les jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés semblent s’ajuster de façon similaire pour les dimensions intériorisées, comme en témoigne l’absence de différences significatives entre les groupes pour les mesures de dépression et d’anxiété. Cependant, des différences significatives entre les jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés et les jeunes du groupe témoin (genres confondus) se retrouvent aux mesures des comportements délinquants au cours des 12 derniers mois. En effet, les jeunes ayant eu des problèmes extériorisés semblent maintenir certaines conduites antisociales : ils présentent davantage d’actes de vandalisme, de vols, de comportements agressifs impliquant une autre personne et consomment davantage d’alcool et de drogues, comparativement aux jeunes du groupe témoin. Ces observations reflètent une certaine continuité des conduites antisociales à l’âge adulte chez les jeunes ayant présenté des problèmes de comportement extériorisés en milieu scolaire. De tels résultats tendent à appuyer les trajectoires de continuité à l’âge adulte, identifiées auprès de sujets présentant des conduites antisociales sévères (Farrington et Loeber, 2000 ; Moffitt, 1993 ; Moffitt et collab., 2002 ; Patterson et collab., 1998). Or, étant donné le devis transversal de notre étude, nous ne pouvons statuer sur l’aggravation de ces conduites (Farrington et Loeber, 2000).

L’examen intra-groupe des mesures d’ajustement personnel en fonction du genre au sein du groupe ayant présenté des problèmes extériorisés comporte également des différences. Ainsi, les filles ayant présenté des problèmes extériorisés montrent des scores significativement plus élevés du point de vue des problématiques intériorisées comme la dépression et l’anxiété. Ces données vont dans le sens des résultats obtenus par Corneau et Lanctôt (2004), selon lesquels une proportion plus élevée de femmes que d’hommes, ayant eu des problèmes de comportement pendant l’adolescence, requièrent une aide psychologique ou nécessitent une hospitalisation dans un établissement psychiatrique. Si les différences entre les garçons et les filles ayant présenté des problèmes extériorisés sont non significatives en ce qui a trait aux différents scores associés à la délinquance, on remarque une tendance des filles à obtenir des scores plus élevés que les garçons pour les différentes mesures. Ce dernier résultat n’appuie pas ceux de Blackorby et Wagner (1996) et de Corneau et Lanctôt (2004), selon lesquels les filles sont plus susceptibles de se désister des comportements délinquants et extériorisés à l’âge adulte. Malgré la nature moins sévère de leur problématique comparativement aux études portant sur l’agressivité (Stack, Fisher, Serbin, Temcheff, Grunzeweig, Hodgins, De Genna, Schwartzmann et Ledingham, 2006) ou sur les adolescentes judiciarisées (Corneau et Lanctôt, 2004), les filles de notre étude présentent un cumul de symptômes intériorisés et extériorisés, et affichent, à l’émergence de l’âge adulte, une problématique plus complexe et distincte des garçons ayant présenté des problèmes extériorisés. Nos résultats semblent confirmer, à certains égards, des différences de trajectoires adultes entre les filles et les garçons aux prises avec des problèmes de comportement extériorisés (Silverthorn et Frick, 1999). En revanche, contrairement aux études consultées (Corneau et Lanctôt, 2004), les problèmes intériorisés n’apparaissent pas à la faveur d’une disparition des problèmes extériorisés : les filles ayant présenté des problèmes extériorisés présentent une concomitance des deux types de problèmes. Du côté des garçons et des filles du groupe témoin, aucune différence n’a été observée relativement aux scores de dépression, d’anxiété et de délinquance, ce qui révèle un ajustement équivalent dans ces sphères de fonctionnement.

Finalement, les résultats ne montrent aucune différence significative lorsque les mesures d’ajustement au collège, à l’émergence de la vie adulte, sont comparées en fonction des groupes dans leur ensemble. Par opposition, les études disponibles à propos de l’ajustement au collège montraient une vulnérabilité plus grande au niveau de l’anxiété et de la dépression chez les élèves à risque (Larose et Roy, 1990 ; Rao et collab., 1999). Les comparaisons intra-groupes indiquent que l’ajustement est équivalent pour les garçons et les filles ayant présenté des problèmes extériorisés, sauf pour une variable, celle de l’ajustement personnel-émotionnel. Cette sous-échelle renvoie à la façon dont l’étudiant(e) se sent à la fois physiquement et psychologiquement, s’il ou si elle ressent de la détresse psychologique et manifeste les symptômes somatiques qui l’accompagnent. Il apparaît cohérent que les filles ayant présenté des problèmes extériorisés obtiennent des scores significativement plus faibles à cette mesure, étant donné l’obtention de scores plus élevés aux mesures d’anxiété et de dépression. Il semble que les filles inscrites au collège n’échappent pas à la tendance intériorisée des problématiques présentées par l’ensemble des filles ayant présenté des problèmes extériorisés. Dans notre étude, la vulnérabilité aux problèmes intériorisés des élèves à risque au collégial constituerait uniquement une réalité chez les filles (Larose et Roy, 1990 ; Rao et collab., 1999). Par ailleurs, des différences significatives sont observées pour la même mesure, en fonction du genre, au sein du groupe témoin : les filles rapportent un ajustement personnel et émotionnel plus difficile que les garçons au collège. De plus, dans le groupe témoin, les filles manifestent un attachement significativement plus élevé au collège, qui se traduit par un sentiment d’appartenance supérieur à celui ressenti par les garçons face à leur établissement d’enseignement. Les autres mesures d’ajustement au collégial ne permettent pas de différencier l’adaptation des filles et des garçons, et aucune mesure ne permet de différencier les groupes (ayant présenté des problèmes extériorisés et témoin) lorsque les genres sont confondus. L’inégalité entre les jeunes des deux groupes qui accèdent au cégep nous impose néanmoins d’interpréter ces résultats avec prudence.

Notre étude comporte certaines limites. La première est celle associée à la comparaison de groupes inégaux. En effet, le ratio garçons/filles, bien qu’il soit représentatif des proportions retrouvées quant aux problèmes de comportement dans les écoles, restreint la généralisation des résultats. Également, l’étude évalue un seul temps de mesure, ne permettant pas d’identifier les changements qui pourraient survenir lors des années subséquentes, aux âges de 19 et 20 ans, qui constituent aussi des années charnières cruciales. D’autres études devraient permettre de vérifier, à partir de données longitudinales, ces années importantes.

Conclusion

À l’émergence de la vie adulte, l’examen de l’ajustement situationnel des jeunes ayant présenté des problèmes extériorisés et de celui du groupe témoin semble permettre de brosser un tableau équivalent pour ces deux groupes, avec une très faible proportion de jeunes qui restent inactifs. Ces descriptions appuient, à première vue, les théories qui stipulent que les jeunes en problèmes de comportement en milieu scolaire profitent de la transition adulte et du départ de l’école, pour se rallier davantage à la conformité et prendre leur vie en mains (Laub, Nagin et Sampson, 1998 ; Scanlon et Mellard, 2002 ; Schulenberg et collab., 2004b). Or, l’examen des données sur l’ajustement personnel des jeunes tend plutôt à montrer une persistance dans les conduites antisociales et dans la consommation de drogues et d’alcool. Ces résultats révèlent l’importance de considérer à la fois l’ajustement situationnel et l’ajustement personnel et scolaire, pour bien comprendre l’adaptation lors de la transition à la vie adulte (Moffitt et collab., 2002). Quant aux filles du groupe ayant présenté des problèmes extériorisés, les résultats qui concernent leur ajustement personnel et au collège révèlent un cumul et une persistance des facteurs de risque associés à leurs problématiques ; en effet, elles montrent autant de conduites antisociales que les garçons ayant présenté des problèmes extériorisés ; à cela, il faut ajouter des symptômes dépressifs et anxieux, absents chez ces garçons. De plus, la comparaison des deux groupes indique un déséquilibre plus flagrant entre l’accession des filles au collège, comparativement aux garçons, ce qui laisse envisager la possibilité qu’une plus grande complexité de leurs problématiques personnelles vienne affecter leur situation. Le portrait des filles ayant présenté des problèmes extériorisés adhère donc davantage au modèle de continuité des facteurs de risque (Moffitt, 1993, Moffitt et collab., 2002 ; Farrington et Loeber, 2000), tandis que celui des garçons ayant présenté des problèmes extériorisés dévoile une continuité dans l’agir antisocial, qui ne semble toutefois pas affecter d’autres sphères de fonctionnement ni leur réalité situationnelle, lors de la transition à la vie adulte (Laub, Nagin et Sampson, 1998 ; Schulenberg et collab., 2004a).

En outre, les situations particulières des filles de l’étude au moment d’effectuer la transition à la vie adulte ne sont pas sans rappeler les résultats des études récentes portant sur le développement des conduites agressives et des conduites antisociales : ces études rapportent des conséquences majeures pour les filles, notamment, en ce qui a trait aux grossesses précoces et à la transmission intergénérationnelle de l’agressivité (Verlaan et Déry, 2006 ; Stack et collab., 2006). Bien que ces aspects ne soient pas traités dans la présente étude et que les problèmes de comportement affichés en milieu scolaire soient certainement de nature moins grave, il importe de garder en tête le pronostic plus sombre pour les filles aux prises avec ce type de problème et d’orienter les interventions en ce sens. Des programmes de dépistage et d’intervention des problèmes de comportement différentiels, en fonction du genre masculin ou féminin, dans les milieux scolaires, permettraient sans aucun doute d’améliorer la qualité et la portée des interventions auprès des filles. Ces dernières, en raison de leur moins grande représentation parmi les jeunes en difficulté, sont souvent visées par des actions pensées et conçues pour les garçons. Finalement, il serait avantageux d’instaurer des programmes plus généraux, visant la préparation à la vie adulte pour les jeunes plus vulnérables, afin de favoriser, autant que faire se peut, une transition harmonieuse, pour ces élèves aux prises avec des difficultés qui risquent de persister et même de s’aggraver lors de la transition à la vie adulte.