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Introduction

Le Conseil supérieur de l’éducation (Gouvernement du Québec, 2000) constatait, dans son dernier rapport annuel, que la progression de l’utilisation pédagogique des technologies de l’information et de la communication (TIC) en enseignement, particulièrement au primaire, demeurait faible depuis le lancement du programme d’informatisation et de réseautage des écoles par le ministère de l’Éducation (Gouvernement du Québec, 1996). Se référant à un rapport annuel précédent (Gouvernement du Québec, 1994), le Conseil soulignait que des progrès importants ont été réalisés sur le plan de l’équipement et du « branchement » des écoles. Cependant, si le niveau d’alphabétisation informatique du corps professoral semble s’être significativement amélioré depuis cinq ou six ans, l’intégration des TIC au sein des pratiques enseignantes, pour sa part, ne progresse que très faiblement.

Le phénomène n’est pas particulier au Québec. Si des investissements d’un milliard de livres sterling sur cinq ans ont été consentis en Grande-Bretagne pour informatiser et réseauter l’ensemble du système scolaire, l’impact sur les pratiques d’utilisation pédagogique des TIC, que ce soit sur le plan des échanges entre praticiens ou sur celui de l’intégration de ces technologies aux pratiques enseignantes, s’avère faible (Lawson et Comber, 2000 ; Selwyn, 2000). De la même façon, l’investissement massif du ministère de l’Éducation de l’Alberta en matière d’équipement et de branchement des écoles de cette province n’a guère eu d’effet significatif sur le profil d’utilisation des technologies de réseaux de la part des enseignantes et des enseignants (Oberg et Gibson, 1999).

Certaines recherches récentes suggèrent que le rapport que ces derniers entretiennent avec les TIC sur le plan pédagogique est le reflet contextualisé du rapport qu’ils établissent avec le matériel didactique en général (Lawson et Comber, 2000). Cela étant, c’est le rapport au savoir des praticiennes et des praticiens ainsi que les modèles d’intervention pédagogique qu’ils privilégient qui est en cause. Cette relation, autant avec la matière scolaire qu’avec la gestion de l’enseignement en général, reste fortement influencée par les opinions, les attitudes et les pratiques des pairs.

Chez les praticiennes et les praticiens novices ainsi que chez les étudiantes et les étudiants, cette relation semble tributaire des représentations et des pratiques des enseignantes et des enseignants chevronnés qu’ils sont appelés à fréquenter dans le cadre de leur formation pratique ou de leur insertion professionnelle (Larose et Lenoir, 1998 ; Larose, Lenoir et Grenon, 2001 ; Larose et Ratté, 2001). C’est cette dimension que nous analyserons de façon particulière, en fondant notre propos sur les données recueillies dans le cadre de deux volets d’une même recherche subventionnée [1]. Nous traiterons plus particulièrement du profil de recours aux TIC en enseignement d’un sous-échantillon de 547 étudiantes et étudiantes du programme de baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire (BEPP) [2] de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke ainsi que de leur exposition à l’utilisation pédagogique de ces technologies de la part de leurs enseignantes associées. Nous ferons aussi état du recours à l’informatique pédagogique qui caractérise un échantillon de 181 enseignantes du préscolaire et du primaire intervenant dans les commissions scolaires de l’Estrie.

Alphabétisation informatique, compétence informatique et profils de recours aux TIC en enseignement

Durant les dix dernières années, plusieurs chercheurs s’intéressant à l’implantation pédagogique des TIC en enseignement ont examiné l’impact que le seuil d’alphabétisation informatique atteint par les praticiennes et les praticiens peut avoir sur la probabilité qu’ils recourent de façon plus ou moins systématique à l’informatique scolaire (Lowther et Sullivan, 1994 ; Lowther, Bassoppomoyo et Morrison, 1998 ; Rosen et Weil, 1995). Durant cette période, la définition même de l’alphabétisation informatique [3], concept labile s’il en est, a évolué (Larose, David, Dirand, Karsenti, Grenon, Lafrance et Cantin, 1999 ; McMillan, 1996 ; Stein, Craig et Scollary, 1997).

Au début des années 1990, le concept d’alphabétisation informatique renvoyait essentiellement à une liste d’habiletés minimales, souvent identifiées en tant que compétences informatiques. Ces dernières étaient nécessaires à la manipulation de l’ordinateur, au recours aux fonctions de base des logiciels disponibles, à la sauvegarde et à la récupération de l’information. Dans de telles limites, l’alphabétisation informatique fait référence à une somme de capacités opératoires dont l’identification permet la reconnaissance, formelle ou non, d’une forme de qualification (Larose et Peraya, 2001). Depuis 1995, ce construit a évolué, principalement par l’intégration d’une dimension cognitive, d’ordre méthodologique, qui renvoie à la capacité de recherche sélective de l’information sur le réseau Internet et à son appropriation critique dans le but de construire de la connaissance (Stein, Craig et Scollary, 1997). Certains auteurs, dont Badwen (2001), distinguent d’ailleurs les construits d’alphabétisation informatique (computer literacy) et d’alphabétisation digitale (digital literacy), le dernier faisant référence à des structures cognitives complexes, à des compétences dites transversales au sens que leur donne Rey (1996).

Au Québec, la disponiblité d’accès à des postes de travail reliés au réseau Internet pour les enseignants et les enseignantes ainsi que le seuil minimal d’alphabétisation informatique qu’ils ont atteint ne représentent plus des obstacles majeurs à l’utilisation de l’informatique pédagogique (Conseil des ministres de l’Éducation du Canada, 2000 ; Gouvernement du Québec, 2000). Cette situation correspond à ce que mentionne la documentation scientifique dans certains pays anglo-saxons (Ertmer, 1999). Le problème semble plutôt se manifester en termes de seuil d’alphabétisation digitale atteint et de dissonance entre le profil d’utilisation privée que les enseignantes et les enseignants font de l’informatique et de la télématique, d’une part, et celui qu’ils développent lorsqu’ils sont en contexte d’intervention éducative, d’autre part (Levin, Stuve et Jacobson, 1999).

Certaines études récentes suggèrent qu’à seuil d’alphabétisation digitale équivalent, les profils d’utilisation des fonctions de réseaux dépendent à la fois du modèle d’intervention éducative privilégié par les praticiennes et les praticiens ainsi que des attitudes qui y sont reliées. À cet effet, Ohlund, Yu, Jannasch-Pennell et DiGangi (2000) constatent que les pratiques pédagogiques mettant ou non en valeur l’utilisation des fonctions de réseaux par les élèves du primaire et du secondaire dépendent notamment de l’attitude des enseignants au regard de l’apprentissage collaboratif. Lawson et Comber (2000) concluent, pour leur part, que le profil d’intégration pédagogique des TIC ainsi que l’importance et la variabilité des formes que ce dernier peut prendre en enseignement sont largement tributaires d’une conception cloisonnée ou, au contraire, intégratrice des matières scolaires. Plusieurs recherches laissent entendre à cet égard que la majeure partie des praticiennes et des praticiens, notamment lorsqu’ils interviennent au préscolaire et au primaire, partagent une conception cloisonnée et hiérarchique des matières scolaires et que cette dernière interfère avec le développement de pratiques de type interdisciplinaire ou intégratrice (Larose et Lenoir, 1998 ; Lenoir, Larose, Grenon et Hasni, 2000).

Lorsqu’ils partagent une conception du rapport aux matières scolaires de type « disciplinaire » ou cloisonnée, les enseignants et les enseignantes ont tendance à restreindre leur utilisation des ressources de la réseautique à la recherche d’informations pour leurs préparations de cours. Ils y sont rapidement confrontés à leur propre limites au regard des connaissances scientifiques qui doivent être détenues afin de faire un choix éclairé dans la sélection et l’analyse de l’information accessible sur Internet (Clark et Slotta, 2000). En conséquence, la majorité des praticiennes et des praticiens tendent à considérer le recours pédagogique aux TIC comme ayant une utilité restreinte, soit sur le plan de la préparation de l’enseignement, en général dans le cadre de matières scolaires particulières, soit encore sur celui de l’enrichissement du matériel didactique mis à la disposition des élèves (Karchmer, 2001). Lorsque c’est le cas, ils intègrent ces ressources de façon limitée, habituellement en invitant les élèves à utiliser des cédéroms pour des recherches ou en les incitant à visiter certains sites Internet présélectionnés, presque toujours pour l’enseignement de matières scolaires spécifiques (Van Braak, 2001 ; Yaghi, 2001). Ils y recourent principalement pour l’enseignement de la langue, maternelle ou seconde, et accessoirement pour celui des mathématiques et des sciences humaines (Larose, Lenoir et Karsenti, 2002 ; Rekrut, 1999).

Formation universitaire, formation pratique et impact du modelage sur les probabilités d’intégration des TIC dans la pratique des enseignantes et des enseignants en formation

L’importance des pratiques d’observation par les étudiantes et des étudiants ainsi que de l’interaction entre praticiennes ou praticiens novices et chevronnés, dans le contexte de l’apprentissage d’une profession, est reconnue dans la documentation scientifique portant sur les formations universitaires professionnalisantes, par exemple, en génie et en médecine (Edan et Livshitz, 1999 ; Kroenke, Omori, Landry et Lucey, 1997 ; Reuler et Nardone, 1994). Le caractère stratégique de telles pratiques dans la construction d’une identité professionnelle lors de la formation initiale à l’enseignement et dans l’établissement de conditions favorisant l’intégration des apprentissages en milieu universitaire et dans les stages est, lui aussi, largement relevé en Amérique du Nord (Orland, 2001 ; Sexton, Snyder, Lobman, Stricklin et Akers, 1996 ; Wade, Anderson, Yarbrough, Pickeral, Erickson et Kromer, 1999). L’impact du modelage sur la reproduction des modèles d’intervention éducative en vigueur, sur la représentation que les jeunes enseignantes et enseignants ont de la hiérarchie, du cloisonnement des matières scolaires et sur l’adoption de pratiques pédagogiques plus ou moins novatrices représente aussi un phénomène documenté, notamment au Québec (Larose, Grenon, Ratté et Pearson, 2000 ; Lenoir, Larose, Grenon et Hasni, 2000).

L’exposition des étudiantes et des étudiants aux discours et aux pratiques d’utilisation des TIC par les enseignantes et les enseignants chevronnés et l’interaction avec ces derniers semblent constituer un des facteurs affectant les probabilités de transfert des compétences informatiques construites en milieu universitaire sur le plan des pratiques professionnelles des novices (Rogers, 2000). Cette exposition, dont la force d’impact est progressive au gré de l’évolution du formé et de son identification à la profession ainsi qu’au formateur qui l’incarne, peut renforcer ou, au contraire, inhiber le processus de transfert des compétences « technopédagogiques » construites lors de la formation initiale. Ceci, notamment, s’il y a contradiction entre les fondements épistémologiques de l’utilisation pédagogique ou didactique des TIC qui prévalent dans le cadre de la formation universitaire et ceux qui sous-tendent l’intervention éducative des enseignantes et des enseignants associés (Marra et Carr-Chellman, 1999 ; Rogers, 2000).

Dans le cadre d’une recherche subventionnée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (1998-2001), nous avons procédé à la réalisation de deux séquences de recueil de données. La première consistait en une enquête par questionnaire faite auprès d’un échantillon non aléatoire de 181 enseignantes et enseignants du préscolaire et du primaire provenant surtout de la Commission scolaire de la région de Sherbrooke et, secondairement, d’autres commissions scolaires de l’Estrie et de la Montérégie. La deuxième séquence consistait en une enquête par questionnaire menée de façon récurrente depuis l’année universitaire 1998-1999 auprès de l’ensemble des étudiantes et des étudiants des divers programmes de formation à la profession enseignante [4] dispensés par la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Dans cet article, nous ne faisons état que de certains résultats des deux enquêtes. Par ailleurs, nous ne traitons que des résultats obtenus auprès des 547 étudiantes et étudiantes de BEPP présents lors de la séquence 1999-2000 de l’enquête longitudinale.

Bien que les deux instruments de recueil de données soient distincts et qu’il soit impossible d’établir une correspondance directe entre les deux échantillons, le traitement successif des données concernant les enseignantes et les enseignants ainsi que les étudiantes et les étudiants nous semble intéressant, dans la mesure où la majorité de ces derniers effectuent leurs stages dans les classes dont les répondantes et les répondants de notre échantillon « enseignants » sont les titulaires.

Enquête auprès des professionnels en exercice

Durant les semestres d’automne 2000 et d’hiver 2001, 250 questionnaires d’enquête ont été diffusés par courrier interne à l’ensemble des enseignantes et des enseignants de la Commission scolaire de la région de Sherbrooke ainsi que, de façon moins systématique, aux praticiennes et praticiens d’autres commissions scolaires de la région. Une version informatisée du questionnaire était aussi disponible « en ligne » depuis le semestre d’hiver 2000 et avait fait l’objet d’une large publicité, par exemple, lors des congrès annuels successifs de l’Association québécoise des utilisateurs de l’ordinateur au primaire et au secondaire (AQUOPS). Le questionnaire « en ligne » n’a eu que peu d’impact ; par contre, le taux de réponses des enseignantes du préscolaire et du primaire à l’emploi de la Commission scolaire de la région de Sherbrooke à la version « papier » de l’instrument représente près de 80 % du personnel enseignant de cette commission scolaire. Ceci corrobore les résultats de plusieurs recherches comparatives portant sur l’efficacité des différents modes de recueil de données et sur la représentativité des structures d’échantillons obtenues (Sheehan, 2001 ; Woong Yun et Trumbo, 2000).

L’instrument d’enquête comptait 22 items répartis sous trois rubriques. À la première, on visait à recueillir des éléments d’information sur le profil sociologique des répondantes et des répondants. Cette rubrique incluait, entre autres, des items sur le profil de formation initiale et continue des sujets, sur leur expérience professionnelle et sur le profil socioéconomique des clientèles desservies. À la seconde, il était question du profil de formation initiale et continue des répondantes et des répondants en matière d’utilisation pédagogique de l’informatique et de la réseautique ainsi que de la description des outils informatiques accessibles dans leur école. Enfin, sous la troisième rubrique se retrouve l’identification de leur profil d’utilisation pédagogique des TIC.

Échantillon

L’échantillon était composé de 181 sujets dont 163 (90,1 %) étaient à l’emploi de la Commission scolaire de la région de Sherbrooke et 18 (9,9 %) à l’emploi d’autres commissions scolaires. Il s’agit d’un échantillon majoritairement féminin (N = 146 ; 81 %), les hommes y étant habituellement sous-représentés au regard de la répartition du genre en enseignement préscolaire et primaire au Québec (N = 35 ; 19 %). La répartition de l’effectif est relativement bien équilibrée, du moins en ce qui a trait à la représentation des trois cycles d’enseignement (tableau 1).

Tableau 1

Répartition de l’effectif selon les niveaux d’enseignement

Répartition de l’effectif selon les niveaux d’enseignement

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Le genre est associé [5] au profil de tâche (L2 = 16,83 (5) ; p < 0,005 ; τ = 0,025 ; p < 0,005, considérant le profil en tant que variable dépendante), les hommes étant particulièrement présents au troisième cycle du primaire. Sur le plan de la répartition par groupe d’âge (tableau 2), l’échantillon comprend surtout des intervenants et des intervenantes en début de carrière ou à mi-carrière (71,3 %). Au contraire, celles et ceux qui sont en âge d’être en insertion professionnelle (5 %) ou en fin de carrière (23,8 %) demeurent minoritaires.

Tableau 2

Répartition de l’effectif selon l’âge

Répartition de l’effectif selon l’âge

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La majeure partie de l’échantillon est formé de praticiennes et de praticiens chevronnés, les novices représentant tout de même le quart de l’effectif (tableau 3).

Tableau 3

Répartition de l’effectif selon l’expérience au préscolaire et au primaire

Répartition de l’effectif selon l’expérience au préscolaire et au primaire

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Enfin, les écoles dans lesquelles oeuvrent les répondantes et les répondants desservent des quartiers représentant l’ensemble des classes sociales présentes en Estrie et en Montérégie (tableau 4).

Tableau 4

Répartition de l’effectif selon le milieu social d’origine des élèves

Répartition de l’effectif selon le milieu social d’origine des élèves

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Les élèves des classes des enseignantes et des enseignants de l’échantillon ont accès de façon variable à un ordinateur, réseauté ou non, à la maison (tableau 5).

Tableau 5

Répartition de l’effectif selon l’accessibilité des élèves à l’informatique domestique

Répartition de l’effectif selon l’accessibilité des élèves à l’informatique domestique

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Compte tenu du ratio moyen de 30 élèves par classe au primaire au Québec, approximativement 40 % des répondantes et des répondants enseignent dans des milieux où moins du tiers des élèves ont accès à l’informatique hors du milieu scolaire. Le statut socioéconomique des clientèles et la disponibilité d’un ordinateur à la maison sont significativement associées (L2 = 73,80 (15) ; p < 0,0001 ; τ = 0,079 ; p < 0,0001). Les classes dans lesquelles plus de la moitié des élèves ont accès à l’informatique domestique sont généralement situées en milieux « moyens » ou favorisés, celles où moins de 5 enfants en bénéficient sont, au contraire, situées en milieu socioéconomique faible.

Alphabétisation informatique et pratique de recours à l’informatique scolaire

D’une façon générale, les sujets de notre échantillon peuvent être considérés alphabétisés sur le plan de l’informatique scolaire. La plupart de ceux qui ont moins de 41 ans ont eu accès à de la formation portant sur les applications pédagogiques de l’ordinateur (APO) ou sur l’utilisation des technologies de réseaux en enseignement durant la formation initiale. Les sujets de 41 ans et plus n’ont majoritairement pas bénéficié d’une telle formation mais, en revanche, ils ont eu recours de façon relativement systématique à la formation continue dans le domaine (tableau 6).

Tableau 6

Répartition de l’effectif selon l’âge et la connaissance des TIC

Répartition de l’effectif selon l’âge et la connaissance des TIC

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Le fait d’avoir bénéficié d’un enseignement portant sur les APO ou sur l’utilisation pédagogique des TIC est significativement associé avec l’âge des répondantes et des répondants (APO : L2 = 36,42 (4) ; p < 0,0001 ; τ = 0,194 ; p < 0,0001 ; TIC : L2 = 27,38 (4) ; p < 0,0001 ; τ = 0,204 ; p < 0,0001), l’âge prédisant la probabilité d’accès à l’un ou l’autre des profils de formation dans les deux cas.

Le fait de disposer ou non d’une formation minimale au regard de l’utilisation pédagogique de l’informatique et des technologies de réseaux n’est pas le seul obstacle potentiel à leur mise en oeuvre par le corps professoral. La disponibilité d’équipements et d’infrastructures de réseaux, selon qu’ils soient accessibles en classe ou en laboratoire d’informatique peut représenter un obstacle au recours à l’ordinateur « outil didactique », dans la mesure où le déplacement en laboratoire peut poser des problèmes de gestion des conduites enfantines (tableau 7).

Tableau 7

Répartition de l’effectif selon l’accessibilité des postes de travail en classe

Répartition de l’effectif selon l’accessibilité des postes de travail en classe

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Mis à part les trois classes [6] où chaque élève dispose d’un ordinateur, la plupart d’entre eux ont accès à un ou deux postes de travail dans leur classe. Quand c’est le cas, au moins un de ces postes de travail dispose d’un accès Internet. Par ailleurs, 18 % des classes où au moins un ordinateur est disponible pour les élèves et où ce poste de travail est relié au réseau Internet ne disposent pas de façon concurrente d’un lien par courrier électronique. Enfin, la très large majorité des enseignantes et des enseignants (77 %), peu importe le nombre de postes de travail disponibles dans leur classe, a recours au moins une fois par semaine aux ordinateurs du laboratoire d’informatique de l’école.

Dans les classes des sujets de notre échantillon, la plupart des élèves recourent à l’informatique pédagogique lors des périodes d’enseignement, une à trois par semaine scolaire (tableau 8). Lorsque c’est le cas, les élèves ont principalement accès à l’Internet (82,3 %), au traitement de texte dans le cadre d’activités d’écriture (68 %), à des didacticiels exerciseurs lors d’interventions orthopédagogiques (68 %) et à des logiciels ludiques lors d’activités de renforcement (« activités récompenses », 67 %). Le recours au courrier électronique (15,5 %) et aux cédéroms dans le cadre de recherche d’information (27 %) demeure marginal.

Tableau 8

Nombre de périodes par semaine scolaire où les élèves utilisent l’ordinateur

Nombre de périodes par semaine scolaire où les élèves utilisent l’ordinateur

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Pour leur part, les professeurs utilisent les TIC pour préparer leur enseignement. À cette fin, ils effectuent surtout des recherches sur l’Internet afin de trouver de l’information ou du matériel didactique complémentaire (83 %) ; secondairement, ils cherchent de l’information dans des encyclopédies électroniques (cédéroms, 33 %). La moitié (51 %) a recours au courriel afin de correspondre avec des collègues, mais ceci n’a pas nécessairement de finalité d’ordre pédagogique.

Les enseignantes et les enseignants jugent que le recours aux TIC est surtout utile au regard de l’apprentissage de certaines matières scolaires (tableau 9). Lorsqu’ils intègrent ces outils didactiques à leur enseignement, ils le font principalement afin de soutenir chez les élèves le développement des habiletés d’écriture (73 %) ainsi que des compétences méthodologiques reliées à la recherche d’information (75 %) et, dans une moindre mesure, de soutenir le développement d’habiletés spécifiques en mathématiques (60 %). Le recours à ces technologies dans le but de promouvoir ou de soutenir le développement des compétences de communication entre les élèves constitue aussi une finalité de l’intégration de l’informatique pédagogique, mais cette dernière demeure relativement marginale (22 %).

L’utilisation pédagogique des TIC se fait essentiellement au regard de matières scolaires privilégiées (tableau 9). On y poursuit des finalités distinctes (figure 1). L’intégration de l’informatique à l’enseignement est associée au développement des habiletés d’écriture en français (90 %), à celui d’habiletés spécifiques en mathématiques (65,7 %) et à la construction de compétences méthodologiques (recherche d’informations) en sciences de la nature (63 %) et en sciences humaines (53 %).

Tableau 9

Intégration de l’informatique pédagogique dans l’enseignement de diverses matières scolaires

Intégration de l’informatique pédagogique dans l’enseignement de diverses matières scolaires

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Figure 1

Finalités du recours aux TIC pour des matières scolaires : analyse en grappes sur matrice des distances euclidiennes (Ward) (Lorr, 1983)

Finalités du recours aux TIC pour des matières scolaires : analyse en grappes sur matrice des distances euclidiennes (Ward) (Lorr, 1983)

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Le contexte pédagogique dans lequel les élèves recourent à l’informatique pédagogique, notamment aux fonctions de réseaux, varie d’une matière scolaire à l’autre. Si l’utilisation de l’ordinateur n’est pas associée de façon significative à la réalisation de projets, individuels ou collectifs, en français ou en sciences de la nature, on l’utilise principalement pour réaliser des projets individuels en mathématiques (L2 = 18,92 (3) ; p < 0,001 ; τ = 0,089 ; p < 0,001) et, alternativement, en situation de projets individuels ou collectifs en sciences humaines (L2 = 15,78 (3) ; p < 0,001 ; τ = 0,088 ; p < 0,002).

Enfin, une analyse des correspondances multiples intégrant les variables matières scolaires, finalités de l’intégration des TIC, milieu socioéconomique de provenance des élèves et niveau d’enseignement permet de constater ce qui suit. Le milieu social dans lequel se situent les écoles ainsi que le cycle d’enseignement déterminent le type de recours aux TIC, la finalité visée et la matière scolaire par rapport à laquelle on utilise surtout cette instrumentation didactique. Les enseignantes et les enseignants qui interviennent dans des écoles situées en milieu très défavorisé recourent surtout aux didacticiels exerciseurs pour le soutien à l’apprentissage des mathématiques au premier cycle ainsi qu’au traitement de texte au premier et au deuxième cycle afin de soutenir le développement des habiletés à l’écrit. Ce sont les enseignantes et les enseignants de deuxième et de troisième cycle, intervenant auprès de populations provenant des classes moyennes et favorisées, qui intègrent de la façon la plus systématique possible l’Internet et les cédéroms en tant qu’instruments soutenant la réalisation de recherches en sciences humaines ainsi qu’en sciences de la nature.

Profil d’exposition à l’informatique pédagogique des étudiants de baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire

Durant le semestre d’hiver 2000, 950 questionnaires d’enquête ont été diffusés dans les divers cours suivis par les étudiantes et les étudiants de l’ensemble des programmes de formation initiale à la profession enseignante dispensés à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Au total, 543 étudiants du programme de baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire (BEPP) y ont répondu. L’échantillon regroupe la quasi-totalité des effectifs des cohortes de première, de deuxième et de troisième année, les étudiants de quatrième étant en stages au moment du recueil de données.

L’instrument d’enquête comptait 35 items répartis sous quatre rubriques. Sous la première, nous avons recueilli des éléments d’information sur le profil sociologique des répondantes et des répondants. À la deuxième, nous avons situé le profil d’alphabétisation informatique et d’utilisation privée des TIC par les sujets. À la troisième, 14 items à format de réponse de type Likert représentant une échelle d’attitude envers l’informatique ont été regroupés. Cette échelle se subdivise en deux sous-échelles portant sur le profil d’attitude des sujets au regard de l’utilisation pédagogique des TIC et le niveau de stress ressenti par rapport aux environnements informatiques [7]. Enfin, sous la quatrième se trouve l’identification de leur exposition à l’informatique pédagogique dans le cadre des divers cours suivis au baccalauréat, sur celle des pratiques d’utilisation didactique des TIC par leurs enseignantes et enseignants associés en milieu de stage et sur l’identification de leur propre pratique de recours à l’informatique scolaire lors de prises en charge de l’enseignement.

L’échantillon comprend 518 étudiantes (95,4 %) et 25 étudiants (4,6 %) répartis entre la première (N = 187 ; 34,2 %), la deuxième (N = 224 ; 41 %) et la troisième (N = 136 ; 24,8 %) année du BEPP. Il s’agit d’une clientèle généralement jeune, 95 % des sujets étant âgés de moins de 25 ans. La majorité de répondantes et des répondants dispose d’un ordinateur à la maison (91 %) et, dans la plupart des cas, ils disposent d’une liaison par modem à un serveur commercial (69,2 %).

La plupart des sujets (81,7 %) disent avoir été exposés à l’utilisation de l’informatique dans le cadre de cours ou d’activités pédagogiques réalisées depuis le début de leurs études de baccalauréat. Lorsque c’est le cas, les étudiantes et les étudiants ont nécessairement suivi le cours portant sur l’utilisation pédagogique des TIC, obligatoire en deuxième année (71,3 %), mais ils ont aussi dû recourir à l’informatique et à la télématique dans des cours de pédagogie ou de didactique (tableau 10).

Tableau 10

Fréquence et contexte d’exposition à l’informatique pédagogique en formation initiale

Fréquence et contexte d’exposition à l’informatique pédagogique en formation initiale

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Le niveau moyen d’exposition à l’utilisation des TIC, en tant qu’objet de formation ou en tant que soutien instrumental à la réalisation d’apprentissages en pédagogie universitaire, demeure relativement faible. Si l’on fait exception d’un cours de didactique des mathématiques, d’un cours de didactique du français écrit et d’un cours de psychopédagogie, il n’y a que dans le cours obligatoire d’intégration pédagogique des TIC que les étudiantes et les étudiants sont mis en contexte pour prendre conscience de façon concrète de l’utilité que ces outils peuvent avoir sur la pratique de l’enseignement.

Lorsqu’ils ont assumé la responsabilité de l’enseignement dans le cadre de leurs stages en milieu de pratique, seule une minorité (38,1 %) des répondantes et des répondants a eu recours à l’informatique. Lorsque tel était le cas, ils ont utilisé les ressources de l’informatique et de la réseautique lors de l’enseignement d’une matière particulière (24,2 %) et, secondairement, pour proposer des activités situées dans une perspective intégratrice (projets intégrateurs impliquant plus d’une matière scolaire, 13,5 %). Plus de 87 % des situations pédagogiques où les stagiaires ont eu recours aux TIC relevaient de l’enseignement du français et des mathématiques. Lorsque tel n’était pas le cas, on a eu recours aux technologies informatiques lors de leçons de sciences de la nature (9 %) ou de sciences humaines (5 %).

Le niveau d’exposition des sujets à des pratiques d’utilisation des TIC dans les divers milieux de stage s’avère relativement faible. En fait, seulement 26,7 % des répondantes et des répondants sont dans des classes où les enseignantes et les enseignants associés demandent aux élèves d’effectuer des recherches sur Internet, 28 % ont observé des situations ou les élèves doivent recourir au traitement de texte dans le cadre de l’apprentissage du français et 10,1 % des sujets effectuent leur stage dans des classes où on a recours à des didacticiels, essentiellement pour des fins orthopédagogiques. Dans 26,3 % des cas, on utilise l’informatique scolaire en tant qu’outil didactique supportant l’apprentissage d’une matière scolaire autre que le français. La principale situation pédagogique où les stagiaires peuvent observer leurs maîtres associés recourir à l’informatique pédagogique demeure celle où les élèves ont accès à ces technologies lors d’activités de renforcement (activités récompenses, 48,8 %).

Enfin, lorsqu’ils recourent aux TIC en contexte d’enseignement (stages) les étudiantes et les étudiants tendent à reproduire assez fidèlement le profil d’utilisation qu’en font leurs enseignantes et leurs enseignants associés. Ils utilisent l’Internet essentiellement pour des fins de recherche d’informations ponctuelle à l’intérieur d’activités spécifiques à certaines matières scolaires, notamment en sciences de la nature et en sciences humaines (L2 = 6,23 (1) ; p < 0,01 ; τ = 0,12 ; p < 0,01), et font réaliser aux élèves des activités nécessitant l’utilisation du traitement de texte en apprentissage de l’écrit en français (L2 = 24,16 (1) ; p < 0,0001 ; τ = 0,044 ; p < 0,0001). Ils ont recours à des didacticiels dans le cadre d’interventions auprès d’élèves rencontrant des difficultés d’apprentissage en français et en mathématiques (L2 = 5,46 (1) ; p < 0,02 ; τ = 0,011 ; p < 0,02) et utilisent plutôt systématiquement l’accès à l’ordinateur en tant que condition de renforcement pour appuyer la réalisation préalable de tâches par les élèves ou encore pour la gestion de leur propre conduite (L2 = 31,64 (1) ; p < 0,0001 ; τ = 0,057 ; p < 0,0001).

Le niveau de formation des étudiantes et des étudiants (première, deuxième ou troisième année du BEPP) est significativement associé à la probabilité d’avoir été exposé à une composante de la formation universitaire portant sur l’intégration des TIC en enseignement (L2 = 185,02 (2) ; p < 0,0001 ; τ = 0,322 ; p < 0,0001). C’est surtout en deuxième année que cette exposition se produit, notamment à cause de la présence à la grille horaire du seul cours obligatoire portant sur cet objet. C’est aussi en deuxième année que les étudiantes et les étudiants sont le plus systématiquement exposés aux cours de didactique incluant une dimension de formation sur l’intégration des TIC à la pratique enseignante (L2 = 105,33 (12) ; p < 0,0001 ; τ = 0,05 ; p < 0,001) alors que c’est en troisième année qu’ils le sont à l’unique cours de psychopédagogie intégrant une telle dimension (L2 = 131,95 (12) ; p < 0,0001 ; τ = 0,226 ; p < 0,0001).

Le niveau atteint par les sujets dans leur formation universitaire est aussi significativement associé à la probabilité de recourir à l’informatique pédagogique au moment des prises en charge de l’enseignement en milieu de stage (L2 = 196,81 (2) ; p < 0,0001 ; τ = 0,305 ; p < 0,0001). Ce sont surtout les stagiaires de deuxième année (50 %) et de troisième (47,1 %) qui réalisent ce type d’expérience.

Lors des stages, les étudiantes et les étudiants de deuxième année sont le plus susceptibles d’observer des situations dans lesquelles les élèves sont appelés à réaliser des recherches sur Internet (L2 = 17,34 (2) ; p < 0,0001 ; τ = 0,031 ; p < 0,001). Ces sujets sont le plus souvent exposés à des situations où l’informatique scolaire soutient l’apprentissage du français (L2 = 39,62 (2) ; p < 0,0001 ; τ = 0,070 ; p < 0,002) en contexte de projet de correspondance scolaire (L2 = 9,91 (2) ; p < 0,007 ; τ = 0,016 ; p < 0,01). Enfin, ce sont ces mêmes étudiants qui ont la plus forte probabilité d’être exposés à l’utilisation de l’ordinateur en tant que condition de renforcement (L2 = 41,66 (2) ; p < 0,0001 ; τ = 0,075 ; p < 0,002).

Comme nous l’avons mentionné antérieurement, le questionnaire d’enquête intégrait un instrument de mesure de l’attitude des étudiantes et des étudiants au regard de l’informatique. Dans cet article, nous ne tenons compte que des résultats à la mesure des sous-échelles d’identification de l’anxiété par rapport à l’informatique, et d’identification de l’attitude par rapport à l’utilisation des TIC en enseignement (tableau 11). Pour des raisons d’ordre pratique, le codage des items reliés à l’anxiété a été inversé de sorte qu’un score faible à cette sous-échelle correspond à un haut niveau de stress alors qu’un score élevé correspond à un niveau d’anxiété plus faible. La variation scalaire de la sous-échelle d’attitude au regard de l’utilisation pédagogique des TIC, pour sa part, respecte une distribution logique, allant d’une attitude négative (scores plus faibles) à une attitude positive (scores élevés).

Tableau 11

Scores moyens, échelle d’attitude générale, sous-échelles d’anxiété et d’attitude au regard de l’informatique scolaire

Scores moyens, échelle d’attitude générale, sous-échelles d’anxiété et d’attitude au regard de l’informatique scolaire

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Nous avons d’abord procédé à l’analyse unidimensionnelle de la variance (Anova one-way) des scores obtenus respectivement à la sous-échelle d’anxiété par rapport à l’informatique ainsi qu’à la seconde sous-échelle d’attitude au regard de l’utilisation pédagogique des TIC. Dans le premier cas, les variances sont homogènes alors qu’elles ne le sont pas dans le second (Levene = 9,84 (2, 531) ; p < 0,0001). Dans les deux cas, on relève des différences significatives entre les scores obtenus par deux des trois catégories (niveau atteint dans la formation au BEPP). Les étudiantes et les étudiants de première année ressentent un niveau d’anxiété plus élevé que leurs pairs de deuxième et de troisième au regard de l’informatique (F = 14,87 (2, 530) ; p < 0,0001 ; test de Sheffé significatif à 0,001), le niveau d’anxiété n’étant pas significativement différent entre les sujets de deuxième et de troisième année. Inversement, l’attitude au regard de l’utilisation pédagogique des TIC est plus positive chez les étudiants de deuxième et de troisième que chez ceux de première année (F = 22,19 (2, 531) ; p < 0,0001 ; test de Sheffé significatif à 0,001), l’attitude n’étant pas significativement différente entre les sujets de deuxième et de troisième année.

Nous avons aussi procédé à une analyse de régression logistique (Kleinbaum, 1994) sur variable polychotomique (ordinale) afin de vérifier laquelle de l’échelle générale ou des deux sous-échelles prédisait le mieux l’évolution de l’attitude des clientèles durant le parcours universitaire. Seule la sous-échelle de mesure de l’anxiété ressentie au regard des environnements informatiques permet une fonction de prédiction satisfaisante après 9 itérations (β = -1,114 ; σ = 0,55 ; statistique de Wald =  4,03 (1) ; p < 0,04). Ce résultat vient nuancer le constat précédent (résultats à l’analyse de la variance) et il nous porte à croire que s’il y a un impact de l’exposition à l’informatique, tant en formation initiale qu’en formation pratique, ce dernier se fait surtout sentir sur le plan privé (réduction de l’anxiété par rapport aux TIC) plutôt que sur celui d’une modification radicale de l’attitude au regard de l’utilisation pédagogique de l’informatique.

Discussion

Si, comme nous l’avons mentionné à l’instar d’autres auteurs, tant québécois qu’étrangers, la fonction de modelage joue un rôle déterminant dans l’apprentissage du métier d’enseignant et dans la construction d’une personnalité professionnelle chez la praticienne ou le praticien en phase d’insertion professionnelle, nos résultats soulèvent des questions d’importance. Le profil d’intégration des TIC à la pratique de l’enseignement au préscolaire et au primaire, du moins en ce qui concerne les résultats de l’enquête par questionnaire menée auprès des enseignantes et des enseignants, laisse présumer une forte couleur disciplinaire. L’utilisation didactique des technologies informatiques et de réseaux semble fortement associée à certaines matières scolaires, plus généralement considérées comme matières essentielles ou principales, en l’occurrence le français et les mathématiques et, secondairement, les sciences de la nature et les sciences humaines.

Le nombre restreint de périodes d’enseignement, soit une à trois périodes par semaine scolaire pour plus des trois quarts des sujets, et la variabilité des finalités poursuivies selon la matière scolaire dans le cadre de laquelle il y a recours aux TIC viennent renforcer le caractère labile des profils d’exposition probables des stagiaires à un recours à ces technologies dans une perspective intégratrice. Plus encore, le caractère aléatoire vient interagir avec de multiples facteurs, non traités dans cet article, qui peuvent renforcer une représentation de l’informatique scolaire en tant qu’ensemble d’outils didactiques dont les fonctions sont spécialisées. Par exemple, dans un ouvrage récent où étaient présentés d’autres résultats de cette même étude, nous faisions état de l’impact du statut socioéconomique des clientèles enfantines auxquelles s’adressent les enseignantes et les enseignants du préscolaire et du primaire, sur le profil d’utilisation pédagogique des TIC. On recourt bien plus souvent aux logiciels exerciseurs ou à certains didacticiels utilisés dans une perspective orthopédagogique lorsqu’on intervient en maternelle, au premier ou au deuxième cycle du primaire auprès d’élèves provenant de milieu socioéconomique faible que lorsqu’on enseigne au troisième cycle à des clientèles de classe moyenne (Larose, Lenoir et Karsenti, 2002).

Les données prélevées auprès des étudiantes et des étudiants confirment l’existence d’un degré d’exposition plutôt faible de leur part à l’utilisation pédagogique des TIC par leurs enseignantes et enseignants associés lorsqu’ils sont présent en milieu de pratique. De plus, lorsque les stagiaires sont exposés à l’une ou l’autre forme d’utilisation pédagogique des TIC en milieu de stage, c’est cette dernière qu’ils tendent à reproduire dans le contexte de leurs propres prises en charge de l’enseignement plutôt que celles qui sont privilégiées dans le cours « d’utilisation pédagogique des TIC » qu’ils doivent obligatoirement suivre en deuxième année.

Nos résultats appuient ainsi les observations soulevées dans la documentation scientifique internationale. Les enseignantes et les enseignants tendent à considérer l’utilité pédagogique de l’informatique et de la réseautique de façon limitée en l’associant à des contextes d’enseignement de matières scolaires particulières. Si les étudiantes et les étudiantes accordent une valeur particulière au discours et aux pratiques des praticiennes et des praticiens chevronnés qu’ils fréquentent chaque semaine lors de leurs stages, il est fort probable qu’ils en reproduisent les profils d’intégration de l’instrumentation didactique, notamment informatisée. Comme, par ailleurs, les formations universitaires sont très peu intégratrices, les curriculums étant maintenant encore fortement éclatés et les enseignements cloisonnés, il est peu probable que les apprentissages réalisés dans des cours spécifiques trouvent un terrain favorable à la généralisation. Néanmoins, ces apprentissages peuvent s’avérer fort utiles sur le plan de la construction de compétences d’ordre techno-instrumental chez les apprenants. Il y aurait là une explication de la réduction de l’anxiété au regard des environnements informatiques ressentie par les étudiants au cours de leur progression universitaire. Cependant, dans un tel cas, on ne pourrait au mieux observer que la possibilité d’un recours plus efficace et plus régulier aux ressources de l’informatique et de la réseautique, sur les pratiques d’ordre privé et non professionnelles de la part des futures praticiennes et praticiens.

Cette éventualité serait conforme aux observations que nous avons faites lors de recherches antérieures portant sur l’utilisation des TIC en pédagogie universitaire (Larose, David, Dirand, Karsenti, Grenon, Lafrance et Cantin, 1999 ; Larose, Lafrance, Grenon, Roy et Lenoir, 1999). Elle le serait aussi avec les observations mentionées dans cet article : les enseignantes et les enseignants associés ainsi que les étudiantes et les étudiants ont généralement atteint un seuil minimal et fonctionnel sur le plan de l’alphabétisation informatique, mais, chez les praticiennes et les praticiens du moins, ces compétences s’exercent beaucoup plus systématiquement sur le plan de la préparation de leurs activités d’enseignement que sur celui de l’enseignement comme tel. Là encore, nos observations vont dans le sens de celles que d’autres chercheurs ont pu soulever, tant en Europe qu’en Amérique du Nord (Lawson et Comber, 2000 ; Levin, Stuve et Jacobson, 1999 ; Selwyn, 2000).

Conclusion

En début d’article, nous avons rappelé le constat récurrent du Conseil supérieur de l’éducation à l’effet que les pratiques des enseignantes et des enseignants au regard de l’intégration pédagogique des TIC n’avaient que fort peu évolué depuis près de dix ans. Nous avons aussi fait état de constats semblables effectués, en Grande-Bretagne notamment, au cours des dernières années. Si, comme certaines recherches le suggèrent, le rapport que les praticiennes et les praticiens entretiennent avec les TIC sur le plan pédagogique est le reflet contextualisé du rapport établi avec le matériel didactique en général (Lawson et Comber, 2000), la modification de ce rapport ne peut s’avérer qu’une conséquence et non une condition préalable au changement du rapport que ces personnes entretiennent avec le curriculum. C’est donc le rapport au savoir des praticiennes et des praticiens ainsi que les modèles d’intervention pédagogique qu’ils privilégient qui est en cause.

À cet effet, d’ailleurs, la position du ministère de l’Éducation du Québec n’a pas pour qualité principale d’être claire, cohérente et limpide ; à preuve, le parallélisme du discours du Ministère au regard de l’intégration des TIC, à la fois avant la restructuration curriculaire en cours et durant cette dernière. La maîtrise d’habiletés techno-instrumentales chez l’élève peut-elle être considérée comme une composante de la construction de compétences d’ordre méthodologique dites transversales ? La maîtrise de compétences d’ordre identique en tant qu’objet de formation ciblée par la réforme de la formation initiale et continue à la profession enseignante doit-elle se transcrire sur le plan de l’alphabétisation digitale des enseignants ou existe-t-elle de façon distincte et indépendante de la cohérence épistémologique qu’on tente de donner aux nouveaux curriculums de formation à l’enseignement ?

Les questions qui se posent ici relèvent clairement de l’épistémologie. L’intégration des TIC en enseignement, par les fonctions de réseaux qu’offrent ces outils didactiques, peut-elle avoir un poids par rapport la conception du savoir et à la façon d’enseigner ? Pour notre part, conformément avec ce que constatent plusieurs chercheurs tant européens que nord-américains, nous croyons devoir répondre par la négative. Au contraire, les recherches évaluatives menées depuis 1998 sur le plan international tendent à prouver que seul un changement dans le rapport à la fonction de médiation qui caractérise le métier enseignant peut être garant d’une modification du profil ainsi que d’une augmentation du rythme d’utilisation des TIC en enseignement, quel que soit l’ordre visé.

Ainsi, en foi des données recueillies, ici comme ailleurs où sont amorcées des réformes curriculaires se réclamant du constructivisme, seules l’ampleur et la profondeur du changement de rapport au savoir ainsi qu’à la relation enseignement-apprentissage peuvent être garantes de modifications significatives du rapport d’appropriation des outils didactiques par les enseignantes et les enseignants. En fait, si le rapport aux disciplines scolaires ainsi qu’aux finalités de l’enseignement ne se modifie pas radicalement sur le terrain, il est peu probable que l’usage des TIC que feront les enseignants que nous formons soit bien différent de celui qui caractérise les pratiques scolaires actuelles au Québec.