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Introduction

Le jeune enfant n’est pas passif face à l’écrit. Comme pour tout autre objet de son environnement, il cherche à comprendre, à penser cet écrit qu’il voit autour de lui, sur les produits alimentaires, sur les vêtements, les livres, dans la ville, sur les ordinateurs… Il développe une relation avec cet objet à travers ses expériences, il se positionne vis-à-vis de lui. Il n’attend pas que soit venue l’heure de l’apprendre pour le penser. Il se questionne : « À quoi ça sert ? », « Comment ça marche ? », bien avant qu’institutionnellement, avec l’école, lui soit proposé un enseignement systématique. Il construit par tâtonnement des représentations, aidé par les ressources humaines et physiques qu’il trouve sur son chemin, qui sont comme autant d’essais et d’erreurs pour se rapprocher de la réalité du système. C’est pourquoi, lorsqu’ils sont placés dans des situations incitatives, les élèves de maternelle sont en mesure d’écrire à leur façon des mots ou des phrases. On appelle ces productions « orthographes inventées » ou encore « orthographes approchées », appellation proposée par Jean-Marie Besse et l’ACLE (2000) pour rendre compte de façon plus précise de ce que fait l’enfant. Même si ces « orthographes approchées », le plus souvent non conventionnelles, ne sont pas forcément reconnaissables par l’adulte, elles témoignent néanmoins des conceptualisations qu’a l’enfant de son système d’écriture. Produire ces écrits sans modèles à recopier confronte l’enfant aux contraintes de notre système d’écriture ; il doit mobiliser ses hypothèses sur la langue écrite. Il est rarement capable de verbaliser ses représentations. En passant par les « orthographes approchées », les représentations sont accessibles par la voie d’habiletés procédurales.

Ces tentatives d’écriture sont généralement écartées par l’adulte qui n’y voit que des « fautes ». Il y a rarement, vis-à-vis de ces essais, l’attitude compréhensive adoptée face aux premiers dessins ou encore face aux tâtonnements moteurs des premiers pas, qui sont perçus comme la marque d’une évolution en cours, regardée avec tolérance. Il est regrettable que ces mêmes essais, lorsqu’ils portent sur l’écrit, soient encore perçus plutôt négativement, car, de la même manière, on peut y voir la marque d’un cheminement en cours. Ces « orthographes approchées » et les conceptualisations qui en sont la source permettent de mieux comprendre les processus qui sous-tendent l’acquisition de l’écrit. Or, cette appréhension des mécanismes impliqués dans l’acquisition de l’écriture constitue encore largement un défi à relever, malgré l’intérêt croissant pour ce champ d’étude depuis quelques années.

La notion d’« orthographes inventées » s’est développée dans les années 1970. Les pionniers (Read, 1986 ; Chomsky, 1979 ; Ferreiro, 1977) ont permis de comprendre que, pour intégrer la norme orthographique, les jeunes scripteurs ne peuvent se contenter de la recopier, ils doivent se l’approprier. L’oeuvre d’Emilia Ferreiro est centrale dans ce domaine. Elle a mis au point un modèle rigoureusement piagétien où l’accent porte sur le travail de reconstruction de l’enfant. Après avoir travaillé sur la langue orale, c’est en 1977 qu’elle publie son premier article sur l’apprentissage de la lecture. Elle y considère le lire-écrire comme un objet cognitif au même titre que les autres objets traditionnellement étudiés par Piaget. En 1980, au Mexique, avec Margarita Gomez Palacio, Emilia Ferreiro dirige une recherche portant sur plus de 1000 enfants rencontrés à quatre reprises durant une année. À la suite de cette recherche, elle distingue les huit niveaux suivants de conceptualisation de l’écrit :

  1. écriture avec tracé peu différencié

  2. sans contrôle de quantité

  3. une graphie par mot

  4. quantité fixe de graphies

  1. écart fixe de la variation de la quantité

  2. quantité variable, avec limites contrôlées

  3. syllabique

  4. syllabico-alphabétique et alphabétique

Assez rapidement, elle organise ces niveaux en quatre niveaux hiérarchisés : les niveaux présyllabique, syllabique, syllabico-alphabétique et alphabétique. Dans la section ii de Lire-écrire à l’école : comment s’y apprennent-ils ? (Ferreiro et Gomez Palacio, 1988), elle détaille les types de productions qu’on retrouve à chaque niveau.

Tableau 1

Niveaux de conceptualisation de l’écrit selon Ferreiro et Teberosky (1982)

Niveaux de conceptualisation de l’écrit selon Ferreiro et Teberosky (1982)

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On peut constater que l’un des principes organisateurs de ce modèle développemental est le traitement de la quantité de caractères. L’extraction phonologique est secondaire et placée à la même enseigne que, par exemple, le répertoire utilisé. La séquentialité n’est pas considérée.

Son modèle a évolué à la suite de nombreuses expérimentations réalisées dans des pays d’Amérique latine. Il contient désormais trois périodes centrales. Les deux premières ne sont pas phonogrammiques [1], seule la troisième l’est. Ce nouveau modèle est régi par un principe organisateur différent, il ne s’agit plus de considérer surtout le mode de traitement de la quantité de caractères, mais de se centrer sur les caractéristiques de l’écrit sur lesquelles l’enfant opère. Emilia Ferreiro (1988), modifiant le principe organisateur de la psychogenèse, commence à considérer l’objet de l’appropriation. En effet, l’écrit n’est plus l’objet simple des débuts de ses travaux, qu’on pouvait rapprocher des objets classiques et du logico-mathématiques étudiés par Piaget. Il est significatif que ce changement théorique soit apparu à propos d’une recherche interlangue, alors qu’Emilia Ferreiro s’efforçait de montrer les constantes des opérations des enfants quelles que soient les langues abordées. Toutefois, la troisième période, qui correspond à la phonétisation de l’écriture, s’organise toujours autour de la question du traitement de la quantité de graphies.

À la suite d’Emilia Ferreiro, d’autres chercheurs, linguistes de formation ou travaillant en collaboration étroite avec des linguistes, ont davantage considéré l’importance de la langue qui fait l’objet de l’appropriation. C’est le cas en France de deux groupes de chercheurs : le PsyEF avec Jean-Marie Besse et Marie-Hélène Luis, et le CNRS-HESO avec Jean-Pierre Jaffré (dans ce numéro) et Jacques David (dans ce numéro). À travers leurs recherches, ils ont montré que les caractéristiques de la langue étaient loin d’être une dimension négligeable. La psychogenèse du français écrit n’est pas identique à celle de l’espagnol, les deux langues ne présentant pas exactement les mêmes caractéristiques structurales.

Le français écrit est un objet très complexe (Catach, 1980). Cependant, comme tout autre objet, il est abordé par le jeune enfant à partir des processus cognitifs qu’il privilégie (Lautrey, 1990 a et b). C’est pourquoi, par exemple, un nombre élevé de jeunes enfants construisent un prototype de ce qu’est un mot en gardant comme trait pertinent le nombre de caractères (Kamii, Long, Manning et Manning 1993 ; Montésinos-Gelet, 1999). La création de prototype est un processus cognitif très opérant pour la construction de concepts langagiers. Il n’est donc pas surprenant que les jeunes enfants fassent l’hypothèse consistant à mobiliser ce processus pour écrire. Parmi les différentes façons de travailler l’écrit repérables dans les « orthographes approchées », l’enfant peut parfois retrouver en mémoire à long terme des formes écrites déjà rencontrées qu’il va restituer telles quelles ou légèrement altérées. En procédant ainsi, l’enfant mobilise son « lexique orthographique » qu’il commence progressivement à constituer. Le « lexique orthographique » est l’une des composantes du « lexique mental » (Forster, 1976) qui se présente comme une sorte de dictionnaire interne composé de morphèmes auxquels sont associées des informations orthographiques, phonologiques, syntaxiques et sémantiques. Pour identifier et produire des mots, les experts utilisent deux moyens différents qui ont été décrits par Coltheart (1978) en lecture et par Caramazza et Miceli (1989) en écriture dans le « modèle de la double voie ». La médiation par le « lexique orthographique » constitue « la voie directe », connue aussi sous le nom de « voie lexicale ». C’est un moyen rapide de reconnaître et de produire des mots, à la condition cependant qu’ils soient déjà connus et qu’ils aient été mémorisés et intégrés au lexique mental. La seconde voie consiste à utiliser les correspondances entre les phonèmes et les graphèmes. Cette « voie phonologique » est plus lourde et coûteuse à utiliser compte tenu de toutes les irrégularités dans les correspondances ; cependant, elle est générative puisqu’elle permet d’identifier et de produire les mots alors qu’ils ne sont pas connus (Morais, Pierre et Kolinsky, dans ce numéro). Ces deux voies sont fortement mobilisées au début de l’enseignement systématique, cependant elles commencent à se mettre en place plus tôt. L’une des premières écritures mémorisées dans le « lexique orthographique » est souvent le prénom. Il n’est pas rare dans les productions « d’orthographes approchées » de voir coexister des bouts de productions issues de la voie lexicale avec d’autres ayant mobilisé la voie phonologique. Parfois même, cette coexistence des modes de fonctionnement est à l’origine de conflit et de remaniement dans les représentations de l’enfant.

Compte tenu du lien entre les modes de fonctionnement des enfants et leurs préférences envers certains processus cognitifs, il nous semble pertinent d’éclairer ce qu’il en est de l’influence des processus cognitifs décrits par Kaufman et Kaufman (1995) à travers la théorisation de leur épreuve psychométrique (K-ABC). Ces auteurs ont distingué deux grands ensembles de processus cognitifs, les processus séquentiels et les processus simultanés. La mise en relation entre les troubles de l’apprentissage de la lecture et d’éventuelles défaillances au niveau des processus séquentiels a fait l’objet de maintes recherches (Fisher, Jenkins, Bancroft et Kraft, 1988 ; Kraft, 1988 ; Majsterek, 1986 ; Willson et Rupley, 1993). Cependant, malgré quelques remarques de certains auteurs (Bastien et Bastien-Toniazzo, 1993 ; Besse, 1993) relatives au désordre des graphèmes introduits par les enfants en production d’orthographes inventées, aucune description de la nature des désordres et de l’importance du phénomène n’a été publiée. Nous entendons, par « désordres séquentiels », les désordres introduits lors du traitement de la temporalité des phonèmes et de la spatialisation des graphèmes.

Avant d’entreprendre cette recherche, nous avions constaté de façon empirique que les désordres séquentiels semblaient assez fréquents lors de la construction de la dimension phonogrammique, et ce, quel que soit le niveau de traitement phonogrammique atteint par l’enfant. En prenant en compte le caractère quelque peu alarmiste des recherches citées plus haut mettant en lien les troubles de l’apprentissage de la lecture avec des défaillances sur le plan des processus séquentiels, il nous a semblé important d’approfondir l’étude des désordres séquentiels en production d’« orthographes approchées ». En conséquence, l’objet de cet article est triple. Dans un premier temps, nous examinons l’importance relative des désordres séquentiels introduits par des enfants de maternelle en production d’orthographes inventées. Dans un deuxième temps, nous décrivons les différents types de désordres en production de mots et nous examinons leur importance. Enfin, dans un troisième temps, nous décrivons l’évolution temporelle des désordres séquentiels lors de la construction de la dimension phonogrammique.

Méthode

Cadre méthodologique

Pour accéder aux représentations du système d’écriture à partir des « orthographes approchées », il convient de tenir compte des conditions dans lesquelles ces productions sont effectuées en s’appuyant sur l’observation et l’investigation d’indices comportementaux comme les mouvements labiaux ou les pauses et les changements de rythme dans la production. C’est pourquoi la méthode choisie est apparentée à la méthode « clinico-critique » piagétienne. Dans le cadre de cette recherche, l’approche est celle d’un entretien individuel où il est demandé à des enfants de maternelle de produire des écrits. Le thème de l’entretien et le matériel linguistique sont dirigés, mais on ne peut pas parler ici de test opérationnel, tant une large part de l’entretien consiste à suivre le raisonnement du sujet, sur la base de ses réponses, par des demandes de justification ou d’éclaircissement dans une investigation contextuelle et finalisée, donc très éloignée des questions standardisées. Cette méthodologie en ligne ou on-line est inspirée des travaux de Ferreiro (1988). Ce qui différencie ce type d’entretien, c’est l’introduction de questions d’approfondissement en fonction des réponses des enfants. Voici deux exemples qui illustrent cette particularité.

Étienne, un petit garçon de 5 ans, écrit allumette « AUR » en attribuant un caractère par syllabe. Il subvocalise abondamment. En désignant le « R », nous lui demandons ce que c’est. Il répond : « Un R ». Nous poursuivons : « Pourquoi penses-tu qu’il faut un R pour écrire allumette ? » Il répond : « Parce que j’entends [E] dans [ER] ». Dans une épreuve où l’on ne devrait recourir qu’à des questions standardisées, nous serions passés à côté de cette originale procédure épellative.

Par ailleurs, alors qu’il écrit coq « HMH », Étienne réalise de nombreux mouvements labiaux. En désignant le premier « H », nous lui demandons ce que c’est. Il répond : « Le « H » c’est pour marquer [k] ». Nous l’interrogeons alors en lui disant : « Pourquoi tu l’as marqué deux fois ? » Il dit : « Parce que je l’entends deux fois. » En lui montrant le « M », nous poursuivons : « Et ça, qu’est-ce que c’est ? » Il répond : « C’est un « M », il y a quelque chose entre les deux [k], mais je ne trouve pas ce que c’est et je ne veux pas rien mettre. » Étienne fait preuve d’une conscience phonémique aiguisée, puisqu’il parvient à identifier à la fois l’attaque (consonne qui marque le début de la syllabe) et la coda (voyelle qui marque la frontière de la syllabe) de cette syllabe complexe. Sans suivre sa pensée à travers un questionnement sur mesure, la qualité de son analyse serait passée inaperçue.

Dans ces entretiens de production d’orthographe approchée, il est demandé de tenter d’écrire des mots proposés oralement sans modèle à recopier. Les neuf mots proposés par présentation d’images ont été choisis à partir de critères linguistiques précis (nombre et nature des syllabes, familiarité lexicale, composition phonogrammique, etc.) à l’aide de la base Brulex (Content, Mousty et Radeau, 1990). Les entretiens sont filmés sur vidéo, la caméra est posée sur un pied et l’angle de vue adopté est fixe et légèrement plongeant ; il permet de cadrer la feuille, les mains et le visage de l’enfant.

Participants

Les participants sont 50 enfants scolarisés en maternelle et âgés de 5 à 6 ans. Ils sont issus de trois écoles de la région lyonnaise en France. Les milieux socioéconomiques sont diversifiés. Ils sont tous engagés dans la construction de la dimension phonogrammique et produisent tous au moins un phonogramme ou un graphème (pour les définitions, voir Morais, Pierre et Kolinsky, dans ce numéro) dans leur production d’orthographes inventées.

Analyses

Dans une première analyse, pour examiner l’importance relative des désordres séquentiels introduits par des enfants de maternelle en production d’« orthographes inventées », trois modalités de réponse sont envisagées : il peut y avoir présence ou absence de désordre dans la séquentialité des graphèmes, ou encore il peut n’y avoir aucun élément séquentialisable dans la production (par exemple, lorsque seul un unigraphe est produit). Nos résultats sont présentés sous la forme de pourcentages mettant en relation le nombre de sujets ou d’items pour lesquels nous observons la présence de désordres avec le nombre de sujets ou d’items considérés.

Dans une deuxième analyse, après avoir décrit les différentes formes possibles des désordres séquentiels, nous décrivons leur importance de la même manière que nous l’avons fait dans la première analyse.

Enfin, dans une troisième analyse, nous étudions nos données de manière transversale en nous attachant à décrire l’évolution temporelle des désordres. Nous utilisons pour cela des échantillons correspondant de manière distincte à des groupes de sujets de niveaux successifs et pour lesquels n’est considéré qu’un seul examen. Ces groupes de sujets présentent des niveaux de fonctionnement qui sont classés de façon hiérarchisée en fonction du degré de traitement phonogrammique. Si l’on se base sur l’ensemble des théories qui rendent compte de l’entrée dans l’écrit, le traitement phonogrammique s’accroît avec le temps. C’est pourquoi nous avons postulé que cette dimension pouvait nous renseigner sur le rythme de développement. Nous avons défini des strates successives en divisant notre échantillon en quartiles selon un niveau phonogrammique calculé en mettant en relation le nombre de phonèmes extraits par l’enfant et le nombre de phonèmes présents dans les items proposés.

Résultats

Pour ce qui est de l’importance relative des désordres séquentiels introduits par des enfants de maternelle en production d’orthographes inventées, nous avons observé que 52 % des sujets sont concernés par des troubles de la séquentialité.

Si nous examinons ce qui touche à la séquentialité en nous intéressant à la proportion d’items dans lesquels il y a des désordres plutôt qu’à la proportion de sujets produisant des désordres, nous observons que 15 % des productions d’items présentent des désordres, 82 % des productions d’items sont séquentielles et 3 % ne présentent pas d’éléments séquentialisables.

Toutefois, ces désordres ne sont pas tous identiques et nous pouvons en décrire trois différents types en production de mots : les inversions d’unités intrasyllabiques, les permutations de syllabes et les inversions dans des multigrammes.

Dans le premier type de désordre séquentiel, il s’agit de permutations à l’intérieur d’une syllabe, entre les unités intrasyllabiques. Voici quelques exemples de ce type de désordres :

  • Exemple 1 sur syllabe ouverte : Teddy (ami) aim

    Teddy permute l’attaque et la rime de la syllabe ouverte [mi].

  • Exemple 2 sur syllabe fermée : Robin (robe) BRO

    Robin produit d’abord la coda, puis l’attaque et enfin, le pic.

  • Exemple 3 sur syllabe branchante : Charles (berce) SR

    Charles produit d’abord le dernier phonème de la coda, puis les autres phonèmes de la rime grâce à une procédure épellative.

Dans certains cas, un désordre de type intrasyllabique peut conduire au mélange dans une même production de plusieurs mots comme nous pouvons l’observer dans l’exemple ci-dessous.

  • Exemple 4 : Myriam (loup) Wolf

    Myriam isole d’abord la rime [u] et dit « c’est comme dans two » en inscrivant « Wo », puis elle isole [l] et marque <l>, enfin, elle regarde attentivement sa production et s’exclame « Je me rappelle ! » et elle ajoute un « f ».

Dans le deuxième type de désordre séquentiel, il s’agit de permutations entre les syllabes d’un item.

  • Exemple 5 : Teddy (avion) oa

    Teddy traite d’abord la rime de la seconde syllabe, puis la première syllabe.

Lorsque certains enfants transcrivent à plusieurs reprises certains graphèmes d’un item, cela occasionne assez souvent des permutations entre les syllabes comme nous pouvons le voir dans cet exemple.

  • Exemple 6 : Élodie (haricot) figure: 009496aro001n.png [2]

    Élodie écrit « aio » par segments syllabés, elle introduit les barres obliques, puis elle poursuit sa production en subvocalisant. Elle s’attache à transcrire les consonnes. Se centrant sur des aspects graphiques, elle fait varier l’orientation et les allographes de ses lettres. Elle transcrit les phonogrammes à plusieurs reprises, ce qui la conduit à introduire des désordres dans l’ordre de traitement des syllabes.

Dans le troisième type de désordre séquentiel, l’enfant inverse les caractères d’un digraphe ou mélange ceux d’un trigraphe.

  • Exemple 7 : Amandine (avion) avno

Nous avons observé que les différents types de désordres n’ont pas la même importance. Ainsi, 28 % des enfants font des inversions d’unités intrasyllabiques, 24 % font des permutations de syllabes et 8 % font des inversions dans des digraphes.

Comme l’illustre la figure 1, le nombre de désordres reste similaire dans l’évolution temporelle des désordres séquentiels lors de la construction de la dimension phonogrammique.

Figure 1

Nombre de désordres séquentiels en fonction du niveau phonogrammique

Nombre de désordres séquentiels en fonction du niveau phonogrammique

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Cependant, la nature des désordres évolue : au départ, on observe davantage de permutations de syllabes, ensuite les inversions d’unités intrasyllabiques prennent le dessus, enfin les inversions dans les digraphes apparaissent.

Figure 2

Nombre de désordres séquentiels de chaque type (intrasyllabique, intersyllabique et intraphonogrammique) en fonction du niveau phonogrammique

Nombre de désordres séquentiels de chaque type (intrasyllabique, intersyllabique et intraphonogrammique) en fonction du niveau phonogrammique

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Conclusion

Les sujets présentent, dans une proportion assez importante, des désordres séquentiels. Il ne s’agit pas d’un phénomène marginal. Est-ce pour autant un phénomène inquiétant comme pourraient le laisser croire les études qui mettent en relation les troubles de l’acquisition de la lecture avec des défaillances sur le plan des traitements séquentiels ? Les résultats de notre recherche transversale décrivant l’évolution temporelle des désordres séquentiels nous indiquent que, quel que soit le niveau phonogrammique de l’enfant, le nombre de désordres dans la séquentialité des phonogrammes demeure identique. Ainsi, la propension à inverser l’ordre des phonogrammes n’est pas liée avec des modes de fonctionnement moins performants.

L’évolution de la nature des désordres se comprend aisément si l’on considère la construction de la dimension phonogrammique. Les inversions d’unités intrasyllabiques nécessitent, pour apparaître, que le jeune enfant introduise au moins deux phonogrammes dans une syllabe ; or, au début de la construction de la dimension phonogrammique, cette combinaison de phonogrammes reste très marginale. Les désordres intraphonogrammiques sont bien moins nombreux que ceux des deux autres types. Notons cependant qu’à l’intérieur des neuf items, il n’y avait que quatre digraphes, donc quatre possibilités de désordres. Ce type de désordre n’apparaît que lorsque l’enfant progresse dans la construction de la dimension phonogrammique ; très peu d’enfants introduisent des digraphes au début de cette construction.

Nos données permettent de douter que le phénomène de désordre dans la séquentialité des phonogrammes chez des enfants de maternelle en production d’orthographes approchées soit préoccupant pour le devenir scolaire de ces enfants. Dans une perspective d’avenir, il serait cependant plus prudent de poursuivre notre exploration en réalisant une recherche longitudinale en vue de nous assurer que les élèves introduisant des désordres en maternelle ne sont pas davantage en échec que les autres élèves en fin de première année.