Article body

Rédigé par des philosophes et des sociologues préoccupés par le problème du devenir de l’école, cet ouvrage traite de façon approfondie et transdisciplinaire de questions fondamentales. Les auteurs reprennent des acquis empiriques et théoriques au bénéfice d’une meilleure compréhension de l’institution scolaire actuelle. Les questions retenues sont les suivantes : Comment surmonter les problématiques et les paradoxes qui affectent l’éducation dans les sociétés démocratiques modernes ? Que signifie l’idéal démocratique pour l’enseignement ? Quels diagnostics peuvent être posés sur l’évolution de l’école ? Que révèlent les comparaisons internationales de l’évolution de l’école dans les différents pays industrialisés ? Qu’en est-il des efforts pour diminuer les inégalités ? Les systèmes éducatifs sont-ils efficients ?

L’ouvrage comprend deux parties regroupant douze textes. La première partie, intitulée « Les contradictions de l’école dans la société démocratique », présente des analyses des relations de l’éducation aux rapports sociaux en démocratie et des analyses des changements des systèmes éducatifs soumis à des dynamiques de démocratisation. La seconde partie, intitulée « Évolution des inégalités et efficacité de l’école », offre au lecteur des diagnostics et des interprétations concernant, d’une part, l’évolution contemporaine de l’inégalité des chances scolaires et sociales, et, d’autre part, l’efficience des systèmes éducatifs au regard de l’orientation, de la formation et de la recherche.

Dans un premier temps, Mohamed Cherkaoui propose une analyse des liens qui unissent différents modèles de régime démocratique aux missions attribuées à l’éducation. Pour sa part, Alain Renaut développe une approche historique de la formation de l’identité démocratique moderne et de ses incidences éducatives, alors que Guy Coq oppose la vocation de l’école comme instance médiatique entre individu et société aux contradictions qui affectent l’éducation dans les sociétés démocratiques. Monique Hirschhorn analyse les changements de la nature de la demande d’éducation et, à cet égard, elle montre la fécondité heuristique du concept de consommation. Quant à Philippe Nemo, il aborde le problème de la dégradation de la fonction pédagogique de l’école. Nathalie Bulle, de son côté, explique les changements éducatifs qui accompagnent la massification des systèmes d’enseignement à partir de la théorie de l’idéologie. À partir d’un examen des causes de l’inégalité des chances scolaires, Raymond Boudon met en lumière les erreurs des politiques qui misent sur la réduction des inégalités scolaires par des réformes pédagogiques. Dans un contexte d’expansion scolaire, Michel Forsé développe une analyse de données récentes qui rend compte de la stagnation de l’inégalité des chances sociales en France. Louis-André Vallet étudie l’évolution de l’inégalité des chances sociales et scolaires à long terme avec l’appui d’un sondage de 1953 sur l’emploi, et des enquêtes Formation et qualification professionnelle de 1970, 1977, 1985 et 1993. Concernant l’accès aux statuts sociaux en Grande-Bretagne, Richard Breen et John Goldthorpe proposent une analyse de l’évolution du rôle joué par des variables de mérite. Nathalie Damoiselet et Louis Lévy-Garboua livrent une description des systèmes éducatifs de 16 pays industrialisés membres de l’OCDE. En dernier lieu, Terry Shinn étudie les formes d’organisation des systèmes d’enseignement et de recherche qui ont accompagné les performances industrielles dans quatre pays : l’Allemagne, la France, l’Angleterre et les États-Unis.

Ces réflexions et analyses comparatives fournissent au lecteur des éléments de réponses aux questions relatives aux problèmes et aux paradoxes qui affectent l’éducation dans les sociétés démocratiques modernes. La pertinence des démarches et la justesse de l’argumentation offrent des bases solides pour formuler de nouvelles questions de recherche. Dans ce contexte, certains textes ont retenu plus particulièrement mon attention, celui de Monique Hirschhorn, notamment, qui présente l’usage du terme consommateur et montre sa valeur pour analyser l’évolution du rapport des élèves et de leurs familles à l’institution scolaire. L’autrice y précise que le « consommateur d’école » a une attente contradictoire à l’égard du service d’enseignement. Cette attente vise à obtenir l’irréalisable, les avantages de l’élitisme et la facilité de l’accès. Cette attente, bien que contradictoire, est toutefois cohérente au plan du contenu de la demande d’école.

L’analyse comparée réalisée par Nathalie Bulle est très pertinente, car l’objet de cette comparaison est d’identifier et d’expliquer les tendances majeures des transformations pédagogiques des systèmes éducatifs en voie de massification. Il s’agit des changements pédagogiques survenus aux États-Unis au début du xxe siècle et en France durant la décennie 1980. Son analyse révèle le jeu d’une dynamique qui se développe permettant au système éducatif de s’adapter aux évolutions sociales globales. Elle conclut que les changements pédagogiques, peu à peu institutionnalisés, offrent une solution illusoire et potentiellement destructrice au problème posé par la démocratisation de l’enseignement.

Les quatre textes de la seconde partie du volume sont particulièrement intéressants. Par exemple, celui de Raymond Boudon présente clairement une mise en ordre des causes de l’inégalité des chances scolaires, et il tente d’en déterminer les facteurs principaux, afin de limiter, dit-il, sinon l’inégalité, du moins ses conséquences.

L’article de Michel Forsé présente une analyse de l’évolution des inégalités sociales et scolaires en France au cours des trente dernières années. Il explique pourquoi la mobilité sociale ne s’est pas fondamentalement modifiée même si l’on observe une élévation du niveau d’études accompagnée d’une réduction faible mais continue de l’inégalité des chances de réussite scolaire selon la catégorie sociale d’origine.

Le texte de Terry Shin examine les relations entre la recherche technologique et scientifique, les changements dans l’enseignement et les performances industrielles dans quatre pays industrialisés. Il part du postulat selon lequel les performances industrielles et l’émergence d’innovations industrielles d’un pays sont déterminées par la recherche et l’enseignement seulement lorsqu’il existe une forte interaction, voire une intégration, entre l’enseignement et la recherche. Les grandes disparités des relations école-laboratoire-industrie qu’il met en évidence en comparant l’Allemagne, la France, l’Angleterre et les États-Unis permettent de constater que chaque société a généré des types de relations forts distincts, et parfois même divergents, entre les entreprises, la recherche et l’enseignement. Il démontre que l’enseignement ne détermine pas de façon linéaire et directe la croissance industrielle d’un pays.

Sur le plan de l’unité dans le traitement des thèmes retenus, l’axe de réflexion et d’analyse qui nous est proposé dans cet ouvrage facilite l’intégration des différents textes autour du thème. Ce livre est donc fort utile pour ses solides analyses des transformations pédagogiques des systèmes éducatifs et des évolutions de l’école. Les comparaisons internationales fournissent des points de référence aux études de notre système. Les réflexions originales autour de notions fondamentales comme l’égalité des chances, la démocratie dans les sociétés modernes et l’efficience contribuent à l’avancée des connaissances et alimentent nos réflexions sur les thèmes abordés.