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Introduction

Le développement des compétences, l’acquisition et la mise à jour de savoirs et de savoir-faire représentent dans les sociétés contemporaines une composante essentielle de la vie adulte. Parallèlement, assurer l’efficacité des apprentissages de populations de plus en plus diversifiées constitue un défi pour les organismes de formation. Une meilleure connaissance des facteurs qui concourent à l’apprentissage permettrait à terme de fournir des repères utiles aux pédagogues.

L’acquisition de nouvelles connaissances sollicite un investissement important en termes d’effort et de persévérance de la part d’un étudiant même des plus compétents. Pour accéder à la compréhension profonde d’un domaine, l’étudiant doit s’engager dans diverses activités coûteuses en effort, comme organiser et intégrer l’information, élaborer activement de la signification, contrôler et superviser sa compréhension et son progrès (Pintrich, 1988 ; Meece, 1994 ; Weinstein et Mayer, 1986). Cependant, la connaissance de stratégies d’étude efficaces n’est pas en soi suffisante pour assurer la réussite de l’apprentissage (Borkowski, Carr, Rellinger et Pressley, 1990 ; Schunk, 1994 ; Zimmerman, 1989). Ces dernières décennies ont vu le développement d’un courant de recherche cognitivomotivationnel visant à analyser les relations entre les motivations d’accomplissement de soi et les stratégies cognitives et métacognitives d’étude. Ces ensembles de variables sont, d’ailleurs, censés faciliter ou inhiber les acquisitions scolaires.

Parmi les modèles de ce courant de recherche, nous avons retenu celui de Dweck (1986 ; Dweck et Leggett, 1988), parce qu’il constitue la tentative la plus précise d’intégration de différents facteurs cognitivomotivationnels, mais aussi parce qu’il reste largement à vérifier dans la mesure où peu d’études empiriques ont testé simultanément l’ensemble du modèle.

Sur le plan empirique, la population retenue dans notre étude est constituée d’adultes de retour aux études universitaires. Peu étudiée à ce jour, cette population présente un ensemble de caractéristiques qui sont cruciales pour définir une conduite motivée et favoriser la mise en évidence de relations entre motivations et conduites d’étude. En effet, la reprise d’études est sous-tendue par des objectifs très diversifiés : reconnaissance sociale, développement personnel, acquis diplômant, etc. La pluralité des parcours scolaires initiaux et des expériences professionnelles s’accompagne d’une variabilité interindividuelle des sentiments de compétence et de la capacité personnelle à mener à bien des études universitaires. En outre, ces publics maîtrisent inégalement les exigences cognitives et métacognitives favorables à l’acquisition de connaissances. Enfin, cette population se révèle un bon paradigme pour étudier l’influence des variables motivationnelles sur les conduites d’apprentissage. En effet, plus que pour des étudiants réguliers, s’inscrire à une formation diplômante constitue un choix délibéré de la part des étudiants en reprise d’études. Étant donné que leurs études ont été interrompues (à cause d’échec scolaire ou non), leur réussite à cette formation se révèle un enjeu personnel important. Mener à bien ces études requiert enfin un investissement en temps et en effort : outre l’investissement cognitif requis par des pratiques d’étude dont l’étudiant a perdu l’habitude, le suivi de la formation s’ajoute à d’autres activités dans lesquelles ces étudiants sont engagés (vie professionnelle, vie familiale, etc.).

Avant d’exposer la méthodologie et les résultats de notre recherche, nous présenterons le modèle de Dweck ; nous résumerons ensuite les principaux résultats des études de généralisation de ce modèle aux situations naturelles d’apprentissage.

La théorie de la motivation d’accomplissement de Dweck

Le modèle de Dweck a été élaboré à partir des recherches menées sur les styles attributifs et la résignation acquise chez des enfants de classes élémentaires. Dans une série d’études, Dweck et ses collègues (Diener et Dweck, 1978, 1980 ; Dweck, 1975 ; Dweck et Repucci, 1973 ; Licht et Dweck, 1984) ont montré que des enfants d’aptitude équivalente réagissent de façon différente lorsqu’ils sont confrontés à des obstacles (difficultés ou échecs). Certains enfants ont une réaction de résignation (helpless), voire mal adaptée selon des auteurs, dans la mesure où elle se caractérise par une motivation et une persévérance faibles. D’autres enfants ont une réaction orientée vers la maîtrise (mastery-oriented) considérée comme adaptée par les auteurs au sens où elle est caractérisée par une motivation et une persévérance importantes. Dans la mesure où les deux patterns de réactions contrastées face aux obstacles ne peuvent pas être attribués à des différences d’aptitude des enfants, Dweck (1986 ; Dweck et Leggett, 1988) a cherché une explication motivationnelle. Elle fait l’hypothèse que les réactions inadaptées et adaptées sont liées à la poursuite de buts différents. Les enfants qui ont une réaction inadaptée ou de résignation acquise chercheraient à démontrer leur compétence ou à éviter de montrer leur manque de compétence : ils poursuivraient un but de performance (performance goal). Les enfants qui ont une réaction adaptée ou orientée vers la maîtrise chercheraient à apprendre et à développer leur compétence : ils poursuivraient un but d’acquisition (learning goal).

Cependant, la figure 1 montre que, pour Dweck, le sentiment de compétence des personnes interagit avec le but de performance : lorsqu’une personne a une confiance élevée en sa compétence actuelle, elle aura tendance à se conduire de façon adaptée et à rechercher des tâches suffisamment difficiles pour mettre pleinement en valeur le niveau de compétence qu’elle perçoit ; si elle a une confiance faible en sa compétence actuelle, elle aura tendance à avoir une réaction de type mal adaptée en évitant toute situation représentant un risque pour l’évaluation de sa compétence. En revanche, sous un but d’acquisition, le niveau de compétence perçu ne joue aucun rôle puisque l’objectif est justement d’accroître cette compétence. Aussi, une personne qui poursuit un but d’acquisition aura une conduite adaptée quelle que soit la confiance qu’elle a en ses compétences présentes.

En ce qui concerne les antécédents des buts (figure 1), si Dweck ne néglige pas le rôle des influences de l’environnement (Dweck et Leggett, 1988 ; Henderson et Dweck, 1990), elle postule que l’orientation vers un but est déterminée par la conception qu’une personne a de la nature profonde de son intelligence (implicit theories of intelligence). Une personne orientée vers un but de performance aurait une image de son intelligence comme étant une entité fixe et incontrôlable qui n’évoluerait pas ou peu au cours de la vie : elle aurait une conception statique de son intelligence (entity theory). Quant à une personne orientée vers un but d’acquisition, elle se représenterait son intelligence comme une qualité modifiable et contrôlable, susceptible d’être développée par l’acquisition de nouvelles connaissances ainsi que par l’effort : elle aurait une conception dynamique ou malléable de son intelligence (incremental theory).

Figure 1

Modèle de motivation d'accomplissement de Dweck (adapté de Dweck, 1986)

Modèle de motivation d'accomplissement de Dweck (adapté de Dweck, 1986)

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En résumé, dans son modèle, Dweck accorde une place centrale aux buts poursuivis par les personnes, puisque les conceptions de l’intelligence agissent sur les conduites par l’intermédiaire des buts et que l’influence du sentiment de compétence est limitée à un rôle modulateur des effets du but de performance. On notera que son modèle représente une prise de position théorique forte puisque le rôle des croyances sur soi (exprimées ici par le sentiment de compétence) est secondaire par rapport aux composantes motivationnelles qui orientent la conduite, alors que d’autres conceptions théoriques (Bandura, 1986) accordent un rôle central à ces croyances. Dans des écrits plus récents, Dweck envisage une influence directe des conceptions de l’intelligence sur les conduites (Dweck, Chiu et Hong, 1995a, b).

Sur le plan empirique, Dweck a essentiellement testé son modèle chez l’enfant par des procédures expérimentales d’induction de buts, de conceptions de l’intelligence et de sentiment de compétence (Elliott et Dweck, 1988). Les résultats expérimentaux obtenus confirment les postulats du modèle. Plus récemment, Henderson, Dweck et Chiu (1992, dans Hong, Chiu et Dweck, 1995) ont conçu et validé un instrument destiné à mesurer les conceptions de l’intelligence. Il s’agit d’un questionnaire comprenant trois items décrivant l’intelligence comme un trait fixe pour lesquels l’enfant doit indiquer son degré d’adhésion. Cette procédure comporte un implicite, à savoir qu’un individu qui rejette une conception statique est supposé adhérer à une conception dynamique, point de vue qui a été discuté théoriquement, entre autres par Harackiewicz et Elliot (1995) ainsi que Schunk (1995), et qui demande à être validé empiriquement.

Ultérieurement, ce modèle a été généralisé aux situations naturelles d’acquisition de connaissances et testé, non seulement auprès de jeunes élèves, mais aussi auprès d’étudiants. Cet élargissement a conduit les chercheurs à élaborer des questionnaires d’évaluation des buts. En outre, dans ces recherches, les effets des buts sont évalués conjointement par rapport aux plans quantitatif et qualitatif, à travers l’analyse de la nature des activités cognitives et métacognitives d’étude.

Principaux résultats du test modèle de Dweck en situations naturelles d’apprentissage

Étant donné le rôle central dévolu aux buts dans la première formulation du modèle de Dweck, nous examinerons d’abord les relations entre les orientations de buts et les caractéristiques des conduites des sujets (performances et stratégies d’étude), puis nous regarderons si, conformément au modèle de Dweck, les conceptions de l’intelligence sont associées aux buts et si, en accord avec les versions les plus récentes de ce modèle, elles exercent une influence directe sur les conduites.

Relations entre buts et conduites d’apprentissage

Les études recensées qui évaluent la relation entre buts et engagement dans les activités d’apprentissage rapportent des résultats globalement cohérents pour le but d’acquisition, quel que soit l’indicateur spécifique utilisé : ce but est généralement relié positivement à la gestion de l’effort et à la persévérance (Miller, Behrens, Greene et Newman, 1993 ; Miller, Greene, Montalvo, Ravindran et Nichols, 1996), ainsi qu’à l’utilisation de stratégies de traitement profond, telle que l’élaboration (Ames et Archer, 1988 ; Greene et Miller, 1996 ; Meece, Blumenfeld et Hoyle, 1988 ; Nolen et Haladyna, 1990). La relation entre but d’acquisition et performance paraît moins claire : elle est positive dans quelques études (Miller, Behrens, Greene et Newman, 1993), mais se révèle absente dans d’autres études (Eppler et Harju, 1997 ; Harackiewicz, Barron, Carter, Lehto et Elliot, 1997 ; Meece, Blumenfeld et Hoyle, 1988). Un tel résultat n’est toutefois pas contraire aux attentes dans la mesure où le modèle de Dweck ne postule pas un effet direct des orientations de buts sur la performance, mais un effet indirect concilié par l’engagement cognitif et l’effort déployé. En revanche, pour le but de performance, les relations avec l’activité stratégique des sujets sont plus confuses. On constate, ainsi qu’il avait été prévu, des corrélations positives entre stratégies superficielles de mémorisation et ce but (Meece, Blumenfeld et Hoyle, 1988 ; Miller, Greene, Montalvo, Ravindran et Nichols, 1996 ; Nolen, 1988), mais on ne retrouve que rarement la corrélation négative attendue entre ce but et les autres indicateurs stratégiques. Pour les stratégies profondes, l’activité métacognitive et la gestion de l’effort, ces corrélations sont en majorité proches de zéro (Eppler et Harju, 1997 ; Miller, Behrens, Greene et Newman, 1993 ; Nolen, 1988 ; Pintrich et Garcia, 1991), voire dans quelques cas positives (Meece, Blumenfeld et Hoyle, 1988). Comme pour le but d’acquisition, la majorité des études relèvent une absence de relation entre but de performance et performance (Greene et Miller, 1996 ; Seifert, 1997), exceptionnellement une relation positive (Harackiewicz et al., 1997). Une première explication possible à ces résultats contradictoires pour le but de performance est compatible avec le modèle de Dweck et concerne le rôle modulateur du sentiment de compétence. Cependant, les quelques études empiriques qui ont testé cette hypothèse ne retrouvent pas l’effet modérateur attendu du sentiment de compétence sur le but de performance, mais soutiennent au contraire une interaction entre ce sentiment et le but d’acquisition (Kaplan et Midgley, 1997 ; Miller, Behrens, Greene et Newman, 1993 ; Miller, Greene, Montalvo, Ravindran et Nichols, 1996 ; Vezeau, Bouffard et Tétreault, 1997). Une seconde explication consiste à considérer que le but de performance est multidimensionnel et a récemment conduit à des dichotomisations de ce but : dimensions d’approche (recherche de jugements favorables sur son aptitude) et d’évitement (évitement de jugements négatifs) (Elliot et Church, 1997 ; Middleton et Midgley, 1997 ; Skaalvik, 1997 ; VandeWalle, 1997) ; composantes extrinsèques (recherche de gratifications externes et normatives, comme des notes ou des louanges) et d’aptitude relative (recherche de compétition avec les autres et de comparaison sociale) (Wolters, Yu et Pintrich, 1996 ; Young, 1997) ; dimensions d’approbation sociale (désir d’atteindre de bonnes performances pour obtenir l’approbation et éviter le rejet) et normative (désir d’apprendre pour obtenir des gratifications extrinsèques comme des bonnes notes et les diplômes voulus) (Dupeyrat et Escribe, 2000 ; Escribe, Obé et Darcy, 1998 ; Hayamizu, Ito et Yoshizaki, 1989 ; Hayamizu et Weiner, 1991). D’une manière générale, la pertinence de ces distinctions a été validée empiriquement.

Relations entre conceptions de l’intelligence, buts et activités d’étude

Les résultats des études réalisées en situation naturelle ne sont pas probants. En effet, globalement, les résultats de ces études contredisent partiellement le modèle de Dweck et surtout les relations obtenues entre conceptions et buts varient d’une étude à l’autre (Dupeyrat et Escribe, 2000 ; Dupeyrat et Mariné, 2001 ; Escribe, Obé et Darcy, 1998 ; Hayamizu et Weiner, 1991 ; Roedel et Schraw, 1995 ; Spinath et Stiensmeier-Pelster, 2001 ; Stipek et Gralinski, 1996 ; VandeWalle, 1997).

Enfin, quelques études ont aussi analysé le postulat plus récent d’un lien direct entre conceptions de l’intelligence et activités d’étude. Celles-ci mettent en évidence une relation positive entre conception dynamique et stratégies (Braten et Olaussen, 1998) et une relation positive entre les deux conceptions et la performance (Faria, 1996 ; Faria et Fontaine, 1997). Cependant, en l’absence de mesure des buts, ces études ne permettent pas de trancher entre l’hypothèse d’un effet direct des conceptions de l’intelligence et l’hypothèse d’un effet concilié par les buts. Seule l’étude de Stipek et Gralinski (1996) qui inclut l’ensemble des variables du modèle, sauf le sentiment de compétence, parvient à mettre en évidence un effet direct des conceptions : positif sur les stratégies superficielles et négatif sur la performance pour la conception statique et, pour la conception dynamique, positif uniquement sur les stratégies profondes.

En résumé, la théorie de Dweck offre un modèle intégratif de la motivation au sens où il présente un système structuré de croyances relatives aux raisons de s’engager dans une situation d’accomplissement, de perceptions subjectives des compétences et des aptitudes et des réactions face aux réussites et aux échecs. L’examen des études empiriques fait apparaître une vérification partielle de ce modèle ainsi que des résultats parfois contradictoires. On notera cependant qu’à ce jour, très peu d’études ont évalué l’ensemble de ce modèle. En conséquence, l’objectif principal de la présente étude est de tester le modèle de Dweck dans son ensemble et de le généraliser à une population d’adultes en reprise d’études tout en tenant compte des différents points critiques identifiés dans la documentation scientifique. Sur le plan opérationnel, cela nous a menées à privilégier une mesure conjointe de l’adhésion à une conception statique et dynamique de l’intelligence et à opter pour une approche multidimensionnelle du but de performance en distinguant les composantes d’approbation sociale et normative de ce but.

Méthodologie

Sujets

Cent vingt-six (126) sujets inscrits au diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU), une formation d’une durée d’une année offrant une équivalence au baccalauréat français, ont participé au recueil des données. Parmi ces sujets, il y avait 70 % de femmes et 30 % d’hommes âgés de 20 à 61 ans (x̄ = 30,7 ans, σ = 7,6). De ces sujets, 30 % ont quitté l’école en troisième année ou avant et le reste, durant la scolarité au lycée ; 7,1 % des sujets n’est titulaire d’aucun diplôme ; 31,5 % est titulaire du BEPC ; 41,7 % demeure titulaire d’un diplôme professionnel (BEP, CAP).

Matériel

Les différents instruments de mesure ont été adaptés de divers questionnaires de langue anglaise et soumis à plusieurs prétests afin de s’assurer de leur validité interne et de construit. Les réponses ont été recueillies sur des échelles de type Likert, en six points allant de 1 (tout à fait faux pour moi) à 6 (tout à fait vrai pour moi), pour les variables motivationnelles et en 5 points allant de 1 (jamais) à 5 (toujours) pour les variables de stratégies d’étude.

Conceptions de l’intelligence

Le questionnaire sur les conceptions de l’intelligence adapté de Henderson, Dweck et Chiu (1992, dans Hong, Chiu et Dweck, 1995) reprend les 4 items qui mesurent une conception statique (exemple : « Je peux apprendre de nouvelles choses, mais je ne peux pas changer mes capacités intellectuelles. » ; α = 0,72) auxquels nous avons rajouté 3 items mesurant une conception dynamique (exemple : « Je peux augmenter mon niveau d’intelligence en m’entraînant. » ; α = 0,75). Les résultats d’analyses factorielles confirmatoires mettent en évidence deux facteurs distincts correspondant à chacune des deux conceptions (CFI = 0,97 ; RMR = 0,04)[1].

Orientations de buts

L’adaptation française du Achievement goal tendencies questionnaire (AGT) de Hayamizu et Weiner (1991) contient 20 items qui expriment chacun une raison pour laquelle le sujet étudie (exemple : « J’étudie parce que ... »). Neuf (9) de ces items renvoient au but d’acquisition (exemple : « J’étudie parce que j’aime progresser. » ; α = 0,85), 5 items au but de performance d’approbation sociale (exemple : « J’étudie parce que je veux prouver aux autres que je suis intelligent(e). » ; α = 0,78) et 6 items au but de performance normatif (exemple : « J’étudie parce que j’aimerais obtenir une mention. » ; α = 0,72). Les résultats des analyses factorielles confirmatoires permettent, ici aussi, de retrouver la structure attendue (CFI = 0,90 ; RMR = 0,07).

Sentiment de compétence

Deux types de mesures ont servi à évaluer le sentiment de compétence : une mesure globale adaptée de questionnaires de Miller, Behrens, Greene et Newman (1993) et de Pintrich et DeGroot (1990) comprenait 6 items (exemple : « Je suis sûr(e) que je n’aurais pas de difficultés à apprendre pour les cours du DAEU. » ; α = 0,85). Une mesure plus spécifique, relative à la réussite à l’examen demandait aux sujets de prédire sur une échelle allant de 0 % à 100 % leur degré de certitude quant à l’obtention du diplôme.

Stratégies d’études

Pour mesurer l’évaluation subjective de la fréquence d’usage des stratégies d’étude, nous avons adapté le Motivated strategies for learning questionnaire (MLSQ) de Pintrich, Smith, Garcia et McKeachie (1993) qui comporte 24 items répartis en trois sous-échelles. La première mesure l’emploi de deux types de stratégies cognitives, avec 3 items de « mémorisation » (exemple : « Je mémorise le contenu d’un texte en me le répétant. » ; α = 0,70) et 7 items d’« élaboration » (exemple : « Je relie ce que j’apprends à ce que je sais déjà. » ; α = 0,73). La deuxième sous-échelle mesure l’emploi de stratégies métacognitives et comprend 10 items (exemple : « Si certains passages d’un texte me paraissent peu clairs, je les relis plus lentement. » ; α = 0,72). La dernière sous-échelle correspond à la gestion des ressources internes et mesure par 4 items la régulation de l’intensité de l’effort (exemple : « Je persévère même quand ce que j’apprends est difficile ou compliqué. » ; α = 0,69).

Procédure

Les données ont été recueillies en séance collective, sans contrainte de temps, lors de la dernière séance de cours un mois avant l’examen. La participation était volontaire et les sujets avaient le choix d’indiquer ou non leurs nom et prénom et de donner leur accord pour l’accès à leurs résultats d’examen. Les consignes insistaient sur le fait qu’il n’y avait pas de bonnes ou de mauvaises réponses.

Résultats

Analyse descriptive et contrôle des facteurs sociodémographiques

Les statistiques descriptives présentées dans le tableau 1 révèlent un modèle motivationnel et d’autorégulation plutôt positif. Le but dominant des étudiants est le but d’acquisition et, à un moindre degré, le but de performance normatif. Ils conçoivent leur intelligence comme une caractéristique dynamique plutôt que statique. En général, ils évaluent leurs compétences comme modérées. Ils disent également utiliser, de fréquemment à souvent, toutes les activités d’autorégulation ; les moyennes des notes obtenues aux examens indiquent que la majorité des sujets ont été reçus. Sans compter les sujets qui n’ont pas pu être identifiés parce qu’ils ont choisi de répondre au questionnaire de façon anonyme et ceux qui ne se sont pas présentés (9 sujets), la distribution exacte des réussites et des échecs est de 71 % de réussite et 29 % d’échecs.

Afin de contrôler l’influence éventuelle des facteurs sociodémographiques (sexe, âge et degré initial d’étude) sur les orientations motivationnelles, les activités d’autorégulation et la performance des sujets, une série de test t de Student a fait ressortir des différences significatives en fonction du sexe et du degré scolaire initial.

Tableau 1

Statistiques descriptives des orientations motivationnelles, activités d’autorégulation et performance en fin de formation

Statistiques descriptives des orientations motivationnelles, activités d’autorégulation et performance en fin de formation

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En ce qui concerne le sexe des sujets, on constate que les femmes de notre échantillon adhèrent davantage à un but de performance normatif (x̄ = 3,92) que les hommes (x̄ = 3,52) [(122)= 2,37 ; p= 0,019] ; elles disent utiliser plus de stratégies de mémorisation (x̄ = 3,33) et de stratégies métacognitives (x̄ = 3,88) que les hommes (x̄ = 2,83 et x̄ = 3,68 respectivement) [(121)= 2,95 ; p= 0,005 pour les stratégies de mémorisation et (122) = 2,19 ; p = 0,030 pour les stratégies métacognitives]. Enfin, elles disent également fournir un effort plus important (x̄ = 3,99) que les hommes (x̄ = 3,74) [(122) = 2,07 ; p = 0,04].

Le degré scolaire initial des étudiants a un effet sur la conception dynamique de l’intelligence [(107) = 2,28 ; p = 0,024], le but de performance d’approbation sociale [(107) = 2,71 ; p = 0,008] et la performance [(101) = -3,01 ; p = 0,003]. Les étudiants qui ont interrompu leur scolarité en troisième année ou avant adhèrent plus fortement à une conception dynamique (x̄ = 4,14) et à un but de performance d’approbation sociale (x̄ = 2,43) mais obtiennent des notes plus faibles (x̄ = 38,50) que les étudiants qui ont poursuivi leur scolarité jusqu’au lycée (x̄ = 3,62, ; x̄ = 1,97 et x̄ = 45,85 respectivement pour les trois mesures).

Confrontation des données au modèle de Dweck

Nous commençons cette analyse par une étude corrélationnelle portant sur a) les relations entre les différentes variables motivationnelles, b) les relations entre variables motivationnelles et activités stratégiques, c) les variables précédentes et la performance. Ensuite, pour tester l’ensemble du modèle, nous présentons les résultats d’une analyse en pistes causales basée sur des équations de régression pas à pas. Afin d’examiner les interactions entre buts et sentiments de compétence, nous avons inclus des termes d’interaction dans ces analyses de régression en suivant les recommandations préconisées par Aiken et West (1991).

Analyses corrélationnelles

Tableau 2

Statistiques descriptives des orientations motivationnelles, activités d’autorégulation et performance en fin de formation

Statistiques descriptives des orientations motivationnelles, activités d’autorégulation et performance en fin de formation
*

p < 0,05 ;

**

p < 0,01 ;

***

p < 0,001.

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L’examen des relations entre buts fait apparaître une forte corrélation positive entre les deux buts de performance et une corrélation positive uniquement entre le but de performance normatif et le but d’acquisition.

Par ailleurs, la corrélation entre les deux conceptions de l’intelligence qui est négative reste modérée, ce qui ne permet pas de considérer qu’il s’agit de deux pôles opposés d’un même continuum. Les corrélations entre conceptions de l’intelligence et buts sont contraires aux attentes issues du modèle de Dweck : la conception dynamique de l’intelligence est associée positivement aux deux buts de performance uniquement et aucune relation n’apparaît entre la conception statique de l’intelligence et les buts. Enfin, les deux composantes des croyances sur soi sont fortement corrélées entre elles et présentent le même modèle de corrélations positives avec le but d’acquisition et le but de performance normatif.

Avant d’examiner les relations entre variables motivationnelles et activités d’étude, les données du tableau 2 montrent des corrélations positives entre toutes les mesures de stratégies, à l’exception d’une indépendance entre stratégies de mémorisation et stratégies d’élaboration.

Sur le plan des relations entre variables motivationnelles et variables stratégiques, on retrouve, tout d’abord, la relation positive maintes fois constatée dans la documentation scientifique entre but d’acquisition et activités stratégiques (sauf pour les stratégies superficielles). Pour les buts de performance, l’adhésion à un but de performance normatif va de pair avec l’emploi de stratégies de mémorisation et dans une moindre mesure de stratégies métacognitives et de gestion de l’effort. Aucune relation n’est en revanche observée entre le but de performance d’approbation sociale et les activités d’étude.

L’effet direct des conceptions de l’intelligence sur les conduites d’apprentissage (c’est-à-dire sans la médiation des buts) tel que l’envisage Dweck dans ses récents écrits ne se vérifie pas ; en particulier, aucune relation n’est constatée entre les deux conceptions et les stratégies de gestion de l’effort.

Des relations directes entre croyances sur soi et activités d’autorégulation ne sont pas proposées dans le modèle. On notera cependant qu’un fort sentiment de réussir à l’examen s’accompagne de l’expression de l’usage de stratégies métacognitives et d’une gestion de l’effort. Les relations avec le sentiment de compétence général sont plus faibles et ne concernent que les stratégies d’élaboration et métacognitives.

Les relations entre les différentes variables mesurées par questionnaire et les notes aux examens se révèlent d’abord par des corrélations conformes aux attentes entre buts et performance scolaire : une relation positive, même si elle est non significative, avec le but d’acquisition, des relations négatives avec les buts de performance, en particulier pour le but de performance d’approbation sociale. Paradoxalement, une conception dynamique de l’intelligence est associée négativement à la performance académique. On constate également une corrélation positive entre les deux mesures de sentiment de compétence et la note obtenue. Enfin, pour les stratégies cognitives, le modèle de corrélations est conforme aux attentes, avec une corrélation positive entre stratégies profondes et notes et une corrélation négative, quoique non significative, entre stratégies superficielles et notes. En revanche, les stratégies métacognitives et de gestion de l’effort sont indépendantes de la performance.

Analyses en pistes causales : test de l’ensemble du modèle

Afin de tester l’ensemble du modèle, nous avons effectué une analyse en pistes causales réalisée à partir de régressions pas à pas (figure 2 et tableau 3). Nous avons aussi utilisé ces analyses de régression afin de tester les effets d’interactions entre orientations de buts et sentiments de compétence sur l’utilisation des stratégies d’études et la performance. Rappelons que, selon le modèle de Dweck, dans le cas où une personne poursuit un but d’acquisition, il n’y aurait pas d’impact du sentiment de compétence. Par contre, le fait de poursuivre un but de performance devrait conduire une personne qui a un sentiment de compétence faible à présenter un engagement cognitif et une performance plus faibles que ceux d’une personne qui a un sentiment de compétence élevé. Pour tester ce postulat dans les analyses de régression, nous avons recouru à la méthode d’Aiken et West (1991), méthode qui consiste à créer un terme d’interaction en multipliant les valeurs des deux variables supposées interagir et à inclure ce nouveau terme dans l’équation de régression. Ainsi, contrairement à l’ANOVA, cette méthode permet d’éviter la perte d’information ou de puissance résultant de la transformation de variables continues en variables dichotomiques. Conformément à la procédure recommandée, nous avons centré les valeurs des orientations de buts et des sentiments de compétence avant de calculer les termes d’interaction. Toutes les analyses de régression ont été réalisées avec des valeurs centrées pour l’ensemble des variables indépendantes tout en conservant la valeur d’origine de la variable dépendante. Cette procédure permet d’éviter les problèmes de multicolinéarité résultant des fortes corrélations entre variables principales et termes d’interaction lorsque les valeurs ne sont pas centrées. Enfin, nous avons utilisé l’ajustement de Bonferroni pour tests multiples et fixé le seuil de signification à p = 0,01 en divisant le seuil classique (p = 0,05) par le nombre de tests effectués (8).

Dans les analyses de régression réalisées, les variables ont été introduites dans les équations de régressions selon leur position théorique dans le modèle de Dweck. Une première série d’analyses a porté sur l’influence des conceptions de l’intelligence sur les orientations de buts ; une deuxième, sur les effets respectifs de l’ensemble des variables motivationnelles sur les stratégies d’étude ; enfin, une dernière analyse a examiné l’influence relative des variables motivationnelles et d’autorégulation sur la performance.

Telles qu’elles ressortent de nos résultats, les relations entre les conceptions de l’intelligence et les buts sont peu conformes au modèle de Dweck. D’ailleurs, aucune conception n’est prédictive des orientations de buts.

Au regard des activités stratégiques, nos données sont davantage en accord avec la première version du modèle de Dweck qu’avec la deuxième. Aucune relation directe n’apparaît entre conception de l’intelligence et stratégies ; en revanche, les buts prédisent, pour une part non négligeable, l’usage de stratégies d’études, et les relations sont conformes aux attentes en ce qui concerne les types de stratégies cognitives rapportées : le but d’acquisition va de pair avec l’emploi de stratégies cognitives profondes, alors que le but de performance normatif va de pair avec l’emploi de stratégies cognitives superficielles. Mais seul le but d’acquisition s’accompagne d’une gestion de l’effort et participe largement à l’usage de stratégies métacognitives. L’adhésion à un but de performance d’approbation sociale ne prédit aucune activité stratégique. Il ne ressort aucun effet principal des deux sentiments de compétence ni d’effet de leurs interactions avec les orientations de buts sur l’usage de stratégies et la gestion de l’effort.

Relativement à la performance, la variable qui a la plus forte contribution à la variance expliquée s’avère le but de performance d’approbation sociale : plus l’étudiant adhère à ce but, moins il obtient de bonnes notes. La deuxième contribution provient du sentiment de compétence relatif aux examens : plus le sentiment de pouvoir réussir les examens est fort, meilleure est la réussite. En revanche, aucune interaction entre sentiments de compétence et orientations de buts ni aucune stratégie d’étude, telle que le rapportent les étudiants, ne contribue à la performance.

Figure 2

Analyse en pistes causales

Analyse en pistes causales

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Tableau 3

Proportion de variation (R2) et coefficients de régression standardisés (ß) pour les variables indépendantes qui entrent dans l’équation (n = 117)

Proportion de variation (R2) et coefficients de régression standardisés (ß) pour les variables indépendantes qui entrent dans l’équation (n = 117)

Notes : Les équations de régression pour chacune des variables dépendantes ont été analysées par des régressions pas à pas.

Pour les orientations de buts, nous avons inclus les deux conceptions de l’intelligence comme variables indépendantes dans l’équation.

Pour les activités d’autorégulation, dans une première étape, nous avons considéré les deux conceptions de l’intelligence ; dans une deuxième étape, les trois orientations de buts et les deux mesures de croyances sur soi ; dans une troisième étape, les termes d’interaction entre orientations de buts et sentiment de compétence.

Pour les performances, dans une première étape, nous avons considéré les deux conceptions de l’intelligence ; dans une deuxième étape, les trois orientations de buts et les deux mesures de croyances sur soi ; dans une troisième étape, les termes d’interaction entre orientations de buts et sentiment de compétence ; dans une dernière étape, les activités d’autorégulation.

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Discussion

L’objectif principal de la présente étude était de tester la pertinence de l’ensemble du modèle de Dweck comme cadre d’analyse des processus d’apprentissage chez l’adulte en situation naturelle. Globalement, nos résultats n’offrent qu’une vérification partielle des différents postulats issus de ce modèle. En accord avec d’autres travaux empiriques de terrain, nos résultats ne confirment pas le statut de déterminant que Dweck accorde aux conceptions de l’intelligence, puisqu’on ne retrouve pas la relation attendue entre conceptions et buts (Hayamizu et Weiner, 1991 ; Stipek et Gralinski, 1996), ni, pour la formulation plus récente du modèle, entre conceptions et conduites (Braten et Olaussen, 1998 ; Faria et Fontaine, 1997). Face à ce résultat répété, plusieurs perspectives théoriques peuvent être envisagées. Tout d’abord, plusieurs chercheurs (Harackiewicz et Elliot, 1995 ; Schunk, 1995) ont remis en cause le point de vue dichotomique de Dweck opposant une conception statique à une conception dynamique de l’intelligence, arguant que, chez l’adulte notamment, on peut supposer la coexistence des deux conceptions chez un même individu. Dans nos propres résultats, les corrélations négatives modérées, observées entre ces deux conceptions, montrent que dans notre échantillon, pour certains sujets, l’adhésion à une conception statique de l’intelligence n’implique pas nécessairement le rejet d’une conception dynamique et vice versa. Un deuxième argument avancé par certains auteurs concerne la définition des conceptions de l’intelligence : la définition théorique de Dweck et son opérationnalisation ne captent qu’une dimension possible des croyances sur l’intelligence et l’apprentissage. Par exemple, une étude de Sternberg, Conway, Ketron et Bernstein (1981) montre que les adultes distinguent trois dimensions de l’intelligence (des habiletés de résolution de problèmes, des aptitudes verbales et des compétences sociales). En outre, certaines de ces dimensions renvoient à des aspects d’intelligence fluide alors que d’autres correspondent à des aspects plutôt cristallisés de l’intelligence. Ainsi, les conceptions que les adultes ont de leur intelligence seraient d’une part multidimensionnelles et, d’autre part, renverraient conjointement à des composantes malléables et fixes (Kanfer, 1990).

D’autres recherches menées également chez l’adulte par Schommer (1990, 1998 ; Schommer, Crouse et Rhodes, 1992) et s’inspirant d’autres auteurs (Dweck, Perry et Schoenfeld) mettent, elles aussi, en évidence la multidimensionnalité des croyances épistémologiques des sujets. À côté des croyances que l’aptitude à apprendre est fixe (proche de la conception statique de l’intelligence de Dweck), ces études dégagent trois autres croyances relatives à l’apprentissage : la connaissance est simple (elle est constituée d’informations isolées les unes des autres), l’apprentissage est rapide (c’est un processus en tout ou rien), la connaissance est certaine (les savoirs transmis par des experts sont définitifs et non critiquables). Ces études montrent que, parmi ces croyances, celles qui sont liées le plus fortement et négativement aux activités d’apprentissage sont que l’apprentissage est un processus rapide ou que la connaissance est simple (et non pas la croyance que l’intelligence est fixe). Sur le plan théorique, on peut se demander si certaines de ces dimensions, selon la typologie de Sternberg et al. (1981) ou de Schommer (1990) ne sont pas plus prédictives des buts et des conduites d’apprentissage que d’autres. Ainsi, Hofer et Pintrich (1997) montrent que des étudiants ayant des conceptions épistémologiques élaborées adhèrent davantage à des buts d’acquisition et produisent des activités cognitives plus performantes. Sur le plan méthodologique, on peut se demander si la formulation vague des items de mesure des conceptions chez Dweck (faisant référence à l’intelligence comme entité globale) n’est pas source d’une pluralité d’interprétations par les sujets selon les dimensions auxquelles ils se réfèrent pour produire leur réponse.

En ce qui concerne les orientations de buts, nos résultats sont similaires à ceux véhiculés dans la documentation scientifique : une forte relation positive entre but d’acquisition et stratégies jugées efficaces, une indépendance entre ces buts et les performances. De plus, un des intérêts de nos résultats est de mettre en évidence l’existence de deux buts de performance distincts déjà relevés dans quelques recherches réalisées auprès d’étudiants traditionnels américains, japonais et français (Hayamizu et Weiner, 1991 ; Dupeyrat et Escribe, 2000) : un but dans lequel l’affichage de sa compétence passe par l’obtention de diplômes et de bonnes notes, un but dans lequel l’affichage de sa compétence passe par la comparaison sociale, par le fait de surpasser ses pairs. La pertinence de cette distinction apparaît non seulement dans la structure factorielle du questionnaire (Dupeyrat et Escribe, 2000), mais aussi dans les différences de patrons de corrélation entre ces buts et les stratégies d’études : le but de performance normatif va de pair avec l’emploi de stratégies cognitives superficielles, mais s’accompagne aussi d’un contrôle métacognitif et d’une gestion de l’effort, alors que le but de performance d’approbation sociale est indépendant de l’utilisation de stratégies d’apprentissage mais prédit de faibles performances à l’examen. Ce résultat est susceptible de distinguer l’hétérogénéité des corrélations observées entre ces variables dans la littérature, dont nous avons fait état au début de ce texte : les autres études qui n’ont pas fait une telle distinction sont susceptibles d’avoir mesuré soit l’une, soit l’autre de ces composantes, voire les deux confondues et de conduire ainsi à des résultats contradictoires.

Notre étude ne permet pas de confirmer l’hypothèse d’interaction entre les buts de performance et le sentiment de compétence postulée dans le modèle de Dweck. Ce résultat est en accord avec ce qui est obtenu dans d’autres études de terrain (Kaplan et Midgley, 1997 ; Miller, Behrens, Greene et Newman, 1993 ; Miller, Greene, Montalvo, Ravindran et Nichols, 1996 ; Vezeau, Bouffard et Tétreault, 1997) ; mais à la différence de la plupart de ces études, nous n’obtenons pas non plus d’effet d’interaction entre le sentiment de compétence et le but d’acquisition. En revanche, le sentiment de compétence spécifique à l’examen, proche d’un sentiment d’auto-efficacité tel qu’il est défini par Bandura (1986), prédit de bons résultats à l’examen.

Enfin, un résultat de notre étude apparaît paradoxal et pose problème dans une modélisation de l’apprentissage qui accorde un rôle positif et adaptatif aux stratégies : même si nous constatons une faible corrélation positive entre stratégies profondes et performance, aucune stratégie d’étude ne prédit la réussite aux examens. Face à ce problème, un premier argument d’ordre méthodologique concerne la mesure des stratégies par questionnaire et l’écart possible entre stratégies rapportées et véritablement utilisées. Une étude complémentaire par budgets-temps (Dupeyrat et Mariné, 1999) fait en effet émerger des résultats plus conformes aux attentes théoriques que l’étude par questionnaire et souligne l’acuité de ce problème méthodologique. Un deuxième argument plus fondamental peut être invoqué : il ne suffit pas de connaître l’efficacité de stratégies cognitives, métacognitives et de gestion de l’effort, encore faut-il avoir les moyens de les sélectionner de façon adéquate dans diverses tâches d’apprentissage et de les mettre en oeuvre en situation d’étude (Pintrich et Garcia, 1991). Autrement dit, pour fonctionner, une stratégie cognitive a besoin d’être alimentée par une base de connaissances et, de ce point de vue, il paraît indispensable d’élargir le modèle en y intégrant le rôle des connaissances.

Que retenir de notre recherche concernant les’étudiants en reprise d’études ? Conformément à nos hypothèses, on trouve, chez ces étudiants, une orientation motivationnelle et stratégique considérée classiquement favorable à l’acquisition de connaissances scolaires. Ces étudiants se caractérisent par une forte adhésion au but d’acquisition, retrouvant ainsi un résultat similaire à celui obtenu par Eppler et Harju (1997) sur le même type de population. Pour autant, ces étudiants ne rejettent pas un but de performance, tout particulièrement un but de performance normatif et il serait souhaitable, pour cette population comme pour tout adulte, de raisonner sur des combinaisons de buts plutôt que sur des buts exclusifs. Ces étudiants disent aussi utiliser souvent toutes les stratégies cognitives, métacognitives et de gestion de l’effort. Selon leur déclaration, ils ne se distinguent pas d’étudiants traditionnels : en utilisant le même instrument de mesure, on retrouve des scores similaires chez des étudiants français de licence de psychologie (Dupeyrat, Mariné et Escribe, 1999). Malgré ce fonctionnement jugé adaptatif, peu de variables invoquées influencent de façon incontestable la performance académique à l’exception du sentiment de compétence spécifique et du but de performance d’approbation sociale (le premier positivement, le second négativement).

Deux pistes d’approfondissement de ce constat sont à envisager. Une difficulté d’apprentissage pour cette population en rupture de scolarisation pourrait être attribuable, avons-nous déjà indiqué, à un manque d’expérience dans la mise en oeuvre d’un fonctionnement stratégique, c’est-à-dire que ces étudiants peuvent connaître l’utilité des stratégies, mais ne pas savoir les utiliser efficacement. Si une telle hypothèse s’avérait productive – à la suite des observations comportementales d’activités réelles d’étude –, il conviendrait de renforcer l’offre de tutorat, déjà présente dans la formation, en introduisant des procédures d’apprentissage de stratégies dans le dispositif pédagogique. Une autre piste d’approfondissement consisterait à explorer les écarts éventuels entre les orientations motivationnelles et stratégiques propres aux étudiants, celles privilégiées par la structure pédagogique et celles attribuées à la structure par les étudiants. Il ne suffit pas que les étudiants présentent un modèle motivationnel et stratégique adapté, encore faut-il que celui-ci soit sollicité et valorisé par la structure pédagogique. Pour tester cette hypothèse, on dispose d’une taxinomie pour l’analyse motivationnelle et stratégique des structures d’enseignement, telle la grille TARGET développée par Maehr et Midgley (1991) et Ames (1992a, b), et de questionnaires de mesure des buts perçus (Ames et Archer, 1988).