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La revue belge Enjeux a fait peau neuve. Nouveau format, nouvelle typo, mais surtout nouveau défi : cette revue de recherche de didactique entend contribuer à la formation continuée des enseignants de français du secondaire. Avant d’apprécier comment cette livraison relève ce défi, voyons de quoi se compose cette livraison.

Le no 62 regroupe six articles. Un premier présente les résultats de six entretiens semi-directifs avec des enseignants de français sur leurs besoins en formation continue. Quelques consensus ressortent, que plébisciteraient sans doute les enseignants québécois : se voir offrir un plus large ensemble de propositions de formation ; que chacune articule réellement (pas seulement sur le descriptif) théorie et pratique ; que les formateurs aient une connaissance du terrain ; qu’un plus grand nombre porte sur la maitrise de la langue par les élèves, sujet de désarroi. Ils sont très critiques par rapport aux programmes trop flous et touche-à-tout, qui ne proposent pas de réelles progressions et sous-estiment les lacunes des élèves, etc. Le second article propose un ensemble d’activités pour accroître la maîtrise de l’orthographe prenant appui sur des études en psychologie cognitive (Tardif), en psycholinguistique et en didactique (Jaffré, Hass, Lorrot, Saada-Robert) : ateliers de négociation graphique, stratégies de résolution de problèmes, production d’outils de révision, d’autocorrection et de justification des corrections, apprentissages de connaissances déclaratives, activités d’écriture ciblées, etc. Il s’agit d’une intéressante synthèse de nombre de propositions actuelles. Les principaux concepts des théories de l’énonciation et d’analyse du discours sont illustrés par une analyse fine d’un texte persuasif ayant eu une grande répercussion en Belgique. L’auteur initie ainsi les enseignants à une analyse du discours argumentatif avec ces outils qui leur sont peu connus. Suit un traitement didactique non conventionnel d’une nouvelle littéraire (Un mariage à Lyon de S. Zweig) : il s’agit d’entrer dans le texte par le biais d’une lecture personnelle, à la subjectivité assumée, pour travailler la réception du texte, son effet sur le lecteur, pas un lecteur modèle, mais un lecteur singulier. Un autre article aborde un sujet important, mais qui reçoit peu d’attention de la part des enseignants (il y a tant à faire !), l’enseignement de l’image. Un dernier article propose une approche interlangue dans l’enseignement des langues secondes ou étrangères, en montrant l’intérêt de prendre appui sur la langue première pour l’enseignement d’autres langues.

Rigueur théorique, créativité pédagogique et évaluation critique constituent le triple objectif que ce numéro d’Enjeux atteint de façon mitigée. Indépendamment de l’intérêt des sujets traités, on peut penser que certains articles intéresseront davantage les enseignants en ce qu’ils leur offrent de nouveaux outils qui, tout en étant fondés sur la recherche, leur sont directement utiles (il ne s’agit pas de prêt-à-porter, bien entendu, qui en voudrait ?). L’article sur l’orthographe est du nombre. Les articles d’analyse de textes sont fort inspirants (ils sont l’oeuvre d’experts), mais moins directement utilisables en classe, car pour mener de telles analyses, il faudrait aux enseignants un solide bagage théorique et une grande expérience d’analyse. On peut difficilement imaginer que, sans un travail de formation, les enseignants pourront s’approprier de façon critique et créatrice les outils et démarches proposés. Le souci de fonder les propositions didactiques sur des recherches scientifiques est louable, mais il m’a semblé que le recours à certains appareillages théoriques était parfois maladroit. Enfin, je déplore que cette revue (ou ses auteurs) n’adopte pas l’orthographe rectifiée, que la qualité d’écriture des textes soit très inégale et qu’on ait choisi une police qui se lit aussi difficilement : cela diminue beaucoup le plaisir de la lecture.