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Problématique

L'apprentissage expérientiel consiste essentiellement en la transformation de son expérience vécue en savoir personnel. L'apprenant, au lieu de chercher à comprendre et à assimiler une information verbale ou écrite, doit pouvoir donner un sens à ce qu'il a vécu et construire des connaissances qui lui sont utiles (Coleman, 1976). Si les conduites et les stratégies nécessaires à un apprentissage efficace à partir d'informations verbales ou écrites ont donné lieu à de nombreuses recherches (Romainville, 1993), celles relatives à un apprentissage expérientiel sont comparativement peu documentées.

Les facteurs de réussite d'un apprentissage expérientiel

L'étude des facteurs de réussite d'un apprentissage expérientiel permet de mettre en évidence plusieurs caractéristiques propres aux étudiants qui réussissent mieux ce type d'apprentissage. Ces apprenants ont davantage une orientation vers la tâche (plutôt que vers les personnes) (Harrison et Lubin, 1965), des comportements liés à la dominance (plutôt qu'à la soumission) (Waldie, 1981), un foyer de contrôle interne et se sentent responsables de leurs actions (Maynes, MacIntosh et Mappin, 1992). Par rapport au contenu à apprendre, les meilleurs étudiants ont plus de connaissances antérieures de la matière et du contexte (Orion et Hofstein, 1991). Par rapport aux objectifs, ils ont une meilleure conscience du but ainsi que de leurs forces et faiblesses pour les atteindre (Kolb et Boyatzis, 1974; Maynes, MacIntosh et Mappin, 1992). De plus, ils ont des attentes élevées de réussite (succès) (Kolb et Boyatzis, 1974). Concernant le fonctionnement d'apprentissage, ces étudiants ont une meilleure attitude face à la méthode pédagogique utilisée (Orion et Hofstein, 1991), ils présentent une meilleure organisation de leurs connaissances (Roehler, Duffy, Conley, Herrmann, Johnson et Michelsen, 1990) et un nombre plus élevé de conduites et d'attitudes cognitives utilisées dans leur journal d'apprentissage (Grégoire-Dugas, 1991). Ils ont la préoccupation de «mesurer» leur progrès et utilisent l'autoévaluation en cours de route (Kolb et Boyatzis, 1974). Ils présentent aussi un sentiment élevé de sécurité psychologique (Kolb et Boyatzis, 1974) et de confiance (sécurité physique, psychologique et responsabilité personnelle) leur permettant de prendre plus de risques (Spector et Gibson, 1991). En définitive, le fonctionnement des apprenants varie en situation d'apprentissage expérientiel et l'apprenant qui réussit adopte des conduites et des attitudes particulières qui favorisent le succès de son entreprise.

Si ces recherches ont permis d'identifier des conduites et des attitudes cognitives propres à un apprentissage expérientiel, aucune toutefois n'étudie directement ce dernier à partir d'un cadre de référence intégré du savoir-apprendre expérientiel. L'image qui s'en dégage reste parcellaire et notre compréhension du phénomène y gagnerait si nous parvenions à enchâsser ces attitudes et ces conduites cognitives dans un cadre qui permettrait d'en distinguer le rôle et l'importance au sein d'une démarche d'apprentissage.

L'approche privilégiée ici est d'analyser le fonctionnement global de l'apprenant en prenant pour cadre intégrateur le modèle d'apprentissage expérientiel de David Kolb (1984; Charbonneau et Chevrier, 1990). Plusieurs autres modèles d'apprentissage expérientiel ont été proposés, tels que ceux de Argyris (1976), de Steinaker et Bell (1979; Côté, 1998), de Boud, Keogh et Walker (1985), de Lonergan (1996; Angers et Bouchard, 1985; Palkiewicz, 1988), de Jarvis (1987) et de Pfeiffer et Ballew (1988), mais c'est celui de Kolb (1984) qui a été retenu parce qu'il est le plus utilisé en éducation des adultes (Henry, 1989; Bourassa, Serre et Ross, 1999) et le plus étudié par les chercheurs (Furnham, 1995). Cependant, tel que le soulignent Kolb et Fry eux-mêmes en 1975, et c'est encore vrai aujourd'hui, même si leur modèle est devenu un outil important de planification pédagogique, il y a eu peu «d'attention donnée à l'exploration de la manière dont se passe l'apprentissage [expérientiel]» (p.34), et ce, particulièrement en contexte éducatif. En effet, même si un grand nombre de recherches sur les styles d'apprentissage (Kolb, 1984) et sur les habiletés d'apprentissage (Boyatzis et Kolb, 1991) issues de ce modèle lui confèrent une certaine validité, on s'est peu intéressé au fonctionnement même de l'apprenant et aucune recherche, à notre connaissance, n'a tenté de le valider en observant directement le comportement d'apprenants en situation d'apprentissage réel.

L'apprentissage expérientiel selon David Kolb

Pour Kolb, l'apprentissage expérientiel suppose une double relation du savoir par rapport à l'expérience: d'une part, le savoir tire son origine des expériences vécues; d'autre part, il se valide dans de nouvelles expériences vécues (Kolb, 1984, p.27; Serre, 1995). Sa conception de l'apprentissage expérientiel s'organise autour des thèmes suivants: le processus d'apprentissage expérientiel, les modes d'adaptation au réel, les styles d'apprentissage et les habiletés requises (Kolb et Fry, 1975; Kolb, 1984; De Ciantis et Kirton, 1996).

S'inscrivant lui-même dans la lignée de John Dewey, Kurt Lewin et Jean Piaget, Kolb (1984; Cyr, 1981; Charbonneau et Chevrier, 1990) conçoit le processus d'apprentissage expérientiel en quatre phases. Il y a d'abord l'expérience concrète dans laquelle l'individu est personnellement et directement plongé (phase d'expérience concrète). De cette expérience, la personne tire un certain nombre d'observations sur lesquelles elle réfléchit selon différents points de vue afin de lui donner un sens (phase d'observation réfléchie). Cette réflexion fournit le matériel nécessaire pour élaborer un ou des concepts (principes, règles, etc.) permettant de généraliser à plus d'une situation (phase de conceptualisation abstraite). Des implications pratiques ou des hypothèses peuvent alors être déduites et validées dans l'action (phase d'expérimentation active). Le savoir ainsi constitué est réutilisable pour vivre de nouvelles expériences. Le processus est donc séquentiel, intégré et cyclique (au sens de récursif) (Cyr, 1981; Kolb, 1984, 1985).

À chacune des quatre phases correspond un mode d'adaptation au réel, c'est-à-dire une manière distincte d'entrer en relation avec son expérience. Ainsi, il y a, respectivement, les modes d'adaptation «concret», «réflexif», «abstrait» et «actif» (Kolb, 1984; Kolb et Fry, 1975). Kolb (1984, 1985) oppose ces modes selon deux dimensions fondamentales, analytiquement distinctes, de l'apprentissage: la «préhension» et la «transformation». La dimension «préhension» de l'expérience oppose les modes concret et abstrait et la dimension «transformation» de l'expérience oppose les modes réflexif et actif. Les «conflits» entre les modes d'adaptation dialectiquement opposés sont réglés par l'apprenant en privilégiant, dans les situations d'apprentissage, un mode au profit de son opposé. Les quatre combinaisons possibles de deux modes dominants forment les quatre styles d'apprentissage: divergent (concret-réfléchi), assimilateur (abstrait-réfléchi), convergent (abstrait-actif) et accommodateur (concret-actif). Par ailleurs, puisque le processus d'apprentissage requiert les quatre phases pour être réalisé parfaitement, Kolb (1984; Kolb et Fry, 1975; Boyatzis et Kolb, 1991) affirme que, pour être efficace, l'apprenant doit dépasser ces oppositions et développer les habiletés propres à chacune des phases.

Le savoir-apprendre expérientiel

En termes de savoir-apprendre expérientiel, nous avons considéré que chacune des quatre phases du processus d'apprentissage et, par conséquent, chacun des modes d'adaptation supposent un «mode de fonctionnement cognitif» particulier, c'est-à-dire une manière d'être (des attitudes cognitives) et une façon d'agir (des conduites cognitives et des conduites de gestion) propres: le mode exploratoire (mode E) pour la phase d'expérience concrète, le mode réfléchi (mode R) pour la phase d'observation réfléchie, le mode abstractif (mode A) pour la phase de conceptualisation abstraite et le mode vérificatoire (mode V) pour la phase d'expérimentation active. Différent du mode d'adaptation qui renvoie davantage à une manière générale pour l'individu de concevoir sa relation au monde et à l'expérience, le mode de fonctionnement cognitif définit plutôt une manière d'entrer en relation avec un objet d'apprentissage donné en un moment et dans un lieu donnés.

Pour identifier les attitudes et les conduites propres à chacun des modes de fonctionnement cognitif (voir figure 4 en annexe), nous avons eu recours à trois approches méthodologiques. Dans un premier temps, une liste initiale a été établie à partir de l'expérience personnelle de quatre intervenants dont trois en éducation et un en counselling. En équipe[1], nous avons partagé notre compréhension du modèle à partir d'expériences vécues en tant que professeur, formateur, conseiller et apprenant. Par la suite, une recension des écrits en apprentissage expérientiel et en psychologie cognitive a permis de compléter la liste. Cette liste a été modifiée au cours de son application sur des journaux de bord d'étudiantes en éducation dans le cadre d'un laboratoire de microenseignement (Grégoire-Dugas, 1991) et sur des enregistrements vidéoscopiques d'adultes en situation d'apprentissage du traitement de texte. Les attitudes et les conduites retenues ont donc une origine expérientielle, empirique et théorique.

Les attitudes cognitives correspondent aux dispositions affectives proactives (tendance à agir d'une certaine façon; Beyer, 1988, p.49) de l'apprenant à l'égard de ses conduites cognitives dans une situation d'apprentissage expérientiel. Par exemple, dans la phase d'observation réfléchie, la volonté de comprendre l'expérience est une attitude cognitive importante pour que l'apprenant puisse mettre en oeuvre certaines conduites telles que l'analyse et l'interprétation des données issues de l'expérience concrète. Ces attitudes se fondent essentiellement sur un ensemble de croyances que la personne entretient à l'égard de l'apprentissage en général et à l'égard de la tâche en particulier (Beyer, 1988; Schoenfeld, 1985). En ce qui concerne les conduites cognitives, elles correspondent à des manières d'agir (types de comportements) visant à créer ou à traiter l'information dans une situation d'apprentissage. Par exemple, dans la phase d'expérience concrète, une conduite telle que «agir» permet de créer des informations alors que «percevoir» ou «réfléchir dans l'action» relèvent du traitement de ces informations en cours d'expérience concrète.

Enfin, les conduites de gestion sont les activités de prise de conscience et de traitement (planification, régulation et évaluation) relatives, soit aux attitudes et aux conduites cognitives elles-mêmes quand l'apprenant se trouve dans un mode de fonctionnement, soit à la démarche d'apprentissage dans son ensemble. Les résultats de Kolb et Boyatzis (1974) ainsi que les recherches sur la métacognition (Romainville, 1993) montrent que la seule identification d'attitudes et de conduites cognitives demeure partielle et que, par conséquent, la définition d'un savoir-apprendre expérientiel ne peut faire l'économie de cette dimension. Il est donc apparu essentiel d'ajouter non seulement une troisième dimension à l'intérieur de chacun des modes de fonctionnement, mais aussi un cinquième mode de fonctionnement relatif à la gestion de l'ensemble du processus d'apprentissage expérientiel. Ce mode de fonctionnement, nommé «gestionnel» (mode G) pour souligner la dimension gestion de l'apprentissage, comprend, à l'instar des autres modes de fonctionnement, des attitudes et des conduites qui lui sont propres.

En somme, le mode de fonctionnement cognitif correspond à une forme particulière de fonctionnement (mise en oeuvre d'attitudes cognitives, de conduites cognitives et de conduites de gestion) selon laquelle s'accomplit en partie un apprentissage expérientiel. C'est un ensemble d'attitudes cognitives, de conduites cognitives et de conduites de gestion qui constitue une manière particulière d'entrer en relation épistémique avec son expérience et les connaissances que l'on construit.

Dans le contexte du modèle d'apprentissage expérientiel de Kolb et des modes de fonctionnement qui en découlent, savoir apprendre de son expérience réside dans l'application efficace des attitudes et des conduites propres à chacun des cinq modes de fonctionnement cognitif. Pour Kolb (1984), le plus haut niveau d'apprentissage peut être atteint lorsque la personne «combine les quatre modes du processus d'apprentissage» (p.66). Même si, face à un objet d'apprentissage expérientiel, l'apprenant peut passer d'un mode de fonctionnement à un autre et adopter une démarche d'apprentissage incomplète en ne privilégiant qu'un mode ou deux, il n'en demeure pas moins que pour Kolb (1984), la démarche idéale d'apprentissage demeure celle qui respecte la séquence complète des quatre étapes du processus d'apprentissage. La réalisation et la gestion efficace d'un apprentissage expérientiel nécessitent donc la mise en oeuvre structurée des cinq modes de fonctionnement cognitif.

Les cinq modes de fonctionnement cognitif

Ayant défini la nature et les dimensions du mode de fonctionnement cognitif, nous présentons maintenant la description utilisée dans le cadre de cette étude pour chacun des cinq modes de fonctionnement cognitif ainsi qu'une définition de la phase à laquelle le mode se rattache.

Mode de fonctionnement exploratoire – La phase d'expérience concrète se caractérise par l'expérience vécue, la mise en contact avec un événement réel permettant l'élaboration d'un vécu intime et multidimensionnel (cognitif [le pensé et le perçu], affectif [le ressenti] et opératoire [le voulu et le fait]) à partir d'une interaction concrète avec des objets et des personnes. Dans cette phase, le mode de fonctionnement cognitif est dit «exploratoire» (mode E), car l'apprenant doit s'impliquer affectivement dans l'expérience nouvelle et explorer. Il agit pour découvrir. S'il planifie son action, c'est pour voir «ce que ça va avoir l'air», pour voir «ce que ça va donner». L'apprenant doit avoir une attitude d'ouverture cognitive face à l'inconnu, cherchant davantage à absorber tout ce qui se passe plutôt qu'à privilégier des informations particulières. Ses attentes doivent demeurer flexibles, sujettes à changement, soutenues par une attention la plus englobante possible. Il n'y a donc pas, préalablement à l'expérience proprement dite, d'anticipations très spécifiques ni de remises en question, lesquelles caractérisent le mode vérificatoire de l'expérimentation active. L'apprenant doit rester aussi en contact avec ses sentiments sans les inhiber, mais sans se laisser envahir par eux. Pour passer à l'étape suivante, l'apprenant doit changer d'attitude et prendre du recul par rapport à son expérience pour mieux observer et pour réfléchir à celle-ci. Or, cette réaction, parfois spontanée, est souvent suscitée par l'apparition de difficultés. Face à un problème l'incitant à l'observation et à la réflexion, l'apprenant prend conscience que ses connaissances sont dysfonctionnelles, non adaptées, voire inutiles. En résistant, le réel incite la personne à changer, à se changer, donc à apprendre.

Mode de fonctionnement réfléchi – La phase d'observation réfléchie se caractérise par le retour sur l'expérience afin de la comprendre, ce qui exige parfois de l'apprenant qu'il adopte différents points de vue, qu'il regarde l'événement selon diverses perspectives. Dans cette phase, le mode de fonctionnement cognitif est dit «réfléchi» (mode R), car l'apprenant prend du recul par rapport à l'événement qui vient de se produire et cherche à le comprendre. On retrouvera alors des conduites de description, d'analyse, d'évaluation et d'interprétation de l'expérience proprement dite. L'apprenant pourra pousser plus loin la réflexion en dégageant des régularités dans son expérience ou en comparant d'autres expériences, personnelles ou celles d'autres personnes. Il aura aussi avantage à changer de perspective, à chercher à adopter différents points de vue à l'égard de son expérience. L'apprenant ne doit pas pour autant perdre une attitude critique à l'égard de ses observations et de ses réflexions. À partir du moment où le recul par rapport à l'expérience augmente, où le vécu perd son importance première, où les concepts deviennent autonomes et servent de matière première au fonctionnement cognitif, l'apprenant a changé de mode de fonctionnement. Il a laissé le mode réfléchi pour privilégier le mode «abstractif».

Mode de fonctionnement abstractif – La phase de conceptualisation abstraite se caractérise par l'examen des conclusions sur l'expérience afin de la représenter de manière plus générale. L'apprenant tente d'élargir sa compréhension d'un événement spécifique à la compréhension d'un phénomène plus général, exigeant le passage de la réflexion concrète sur une situation particulière (phase précédente) à une spéculation plus abstraite. Dans cette phase, le mode de fonctionnement cognitif est dit «abstractif» (mode A), car l'apprenant se détache et s'affranchit totalement de son expérience. Sa réflexion devient abstraite et l'événement prend statut de cas particulier dans sa réflexion au lieu d'être le contenu envahissant de la conscience. L'attention se déplace sur la conceptualisation et, à la limite, la réflexion pourra se poursuivre sans référence à l'événement particulier. L'apprenant a une volonté de se comprendre comme personne ou de comprendre un phénomène plutôt que de chercher à comprendre un événement spécifique. S'il pousse plus loin, il cherche à organiser et à intégrer ces nouvelles connaissances entre elles et avec celles qu'il possède déjà. À partir du moment où l'apprenant prend encore plus de recul par rapport à ses conceptualisations et qu'il décide de les valider, de les soumettre à l'épreuve de la réalité, il laisse le mode abstractif et entre dans le mode «vérificatoire».

Mode de fonctionnement vérificatoire – La phase d'expérimentation active se caractérise par le réinvestissement dans la réalité des nouvelles conceptualisations dans le but de les valider, soit en formulant et en testant des implications pratiques dans une intervention planifiée, soit en formulant et en testant des hypothèses dans une expérience planifiée. L'expérimentation active est donc la phase de réinvestissement critique dans laquelle l'apprenant vérifie délibérément, par une expérience planifiée et avec une attitude critique, la validité pratique ou théorique d'observations ou de conceptualisations. Dans cette phase, le mode de fonctionnement cognitif est dit «vérificatoire» (mode V), car l'apprenant se remet en interaction avec l'environnement, mais, cette fois, avec la volonté d'éprouver ses observations ou ses conceptualisations. L'attitude en est une de validation, de vérification du «connu». L'apprenant cherche véritablement à vérifier «si ça marche, si ça donne le résultat attendu» ou «si telle observation spécifique ou telle conceptualisation est vraie». L'apprenant doit devenir critique dans son rapport à la connaissance et poser définitivement la connaissance comme un objet. Son action devient définitivement encadrée par des attentes et des anticipations spécifiques dans le prolongement de ses observations et de ses réflexions antérieures. Sa planification de l'action et ses décisions sont soutenues par des réflexions du type: «Si je fais cela, alors ça devrait...».

Mode de fonctionnement gestionnel – La gestion de l'apprentissage ne renvoie pas, à proprement parler, à une phase d'apprentissage ni à un mode d'adaptation, mais plutôt à un ensemble de conduites qui permettent la réalisation du processus d'apprentissage. En soi, il constitue un mode de fonctionnement que nous avons nommé «gestionnel» (mode G); il se caractérise par l'attention portée par l'apprenant à son apprentissage et donne lieu à des observations, à des réflexions, à des décisions et à des actions reliées au fonctionnement même d'apprentissage. Dans ce mode de fonctionnement, l'apprenant oriente son apprentissage et voit à sa bonne marche. Il gère l'articulation des quatre autres modes de fonctionnement, donne une direction et une signification aux attitudes et aux conduites cognitives propres à chacun des modes. En mode de fonctionnement gestionnel, l'apprenant s'assure de la présence, de la qualité et de l'articulation de ses attitudes et de ses conduites d'apprentissage. Pour ce faire, il doit prendre le parti d'apprendre en combinant à la fois un niveau d'exigence suffisant dans son fonctionnement d'apprentissage et une attitude constructive face à l'erreur ou à l'échec, en les considérant comme des sources potentielles d'apprentissage. Il décide de ses objectifs d'apprentissage et de la façon dont il peut les atteindre, observe de manière critique sa démarche d'apprentissage et en évalue le résultat.

En somme, on a deux modes de fonctionnement relatifs à l'expérience et à l'action qui constituent deux formes différentes d'entrer en contact avec la réalité et de vivre un événement, le mode exploratoire et le mode vérificatoire, deux modes de fonctionnement relatifs à la pensée, qui constituent deux formes différentes de se représenter la réalité et de réfléchir sur cet événement, le mode réfléchi et le mode abstractif, et enfin, un mode de fonctionnement relatif à l'expérience et au contrôle métacognitif du fonctionnement d'apprentissage lui-même.

Les questions de recherche

Trois questions orientent notre étude[2]. Premièrement, est-il possible de décrire de manière fidèle le fonctionnement d'apprentissage d'un adulte en termes de modes de fonctionnement cognitif? Deuxièmement, un apprentissage expérientiel réussi implique-t-il la mise en oeuvre d'un nombre plus élevé de modes de fonctionnement? Troisièmement, un apprentissage expérientiel réussi comporte-t-il la mise en oeuvre d'une séquence particulière des modes de fonctionnement cognitif?

Méthodologie

Pour répondre à ces questions, nous avons choisi d'analyser deux protocoles d'apprentissage expérientiel représentant respectivement une situation de réussite et une situation d'échec. La comparaison des deux protocoles devrait permettre de mettre en évidence les différences supposées sur le plan des modes de fonctionnement cognitif utilisés et leur séquence. L'étude du processus d'apprentissage lui-même suppose la présence d'une activité mentale qui, n'étant pas directement observable, exige à la fois la conception préalable de modèles de processus et l'utilisation de méthodes pertinentes pour les valider (Caverni, 1988). Si l'approche expérimentale peut être utile pour étudier la nature et le rôle d'une opération mentale, l'observation du comportement et les verbalisations concomitantes du sujet apparaissent particulièrement adaptées pour comprendre la structure des processus cognitifs. Les verbalisations concomitantes sont des énoncés produits en langue naturelle, mais provoqués à des fins de recherche (Caverni, 1988). Ces énoncés sont dits non spontanés parce que le sujet les fournit sur demande et qu'il ne les produirait pas normalement dans les mêmes circonstances en l'absence de cette incitation.

Cette condition d'artificialité n'est pas sans questionner la validité des verbalisations comme moyen d'étude des processus cognitifs sur plusieurs points: modification possible de l'exécution de la tâche et de la performance par la verbalisation, incomplétude des informations fournies par les verbalisations, épiphénoménalité des verbalisations par rapport aux processus étudiés et non-exploitabilité des verbalisations (Caverni, 1988; Ericsson et Simon, 1993). Toutefois, on considère que les verbalisations concomitantes peuvent fournir des informations valides et pertinentes quant au fonctionnement cognitif du sujet au cours d'une tâche (qu'il s'agisse de résolution de problèmes, d'identification de concept ou d'apprentissage) dans la mesure où certaines conditions sont réalisées: compatibilité de la verbalisation avec l'activité en cours, consignes de verbalisation centrées sur la description directe (et non sur l'explication) du contenu de la conscience à ce moment (sans rappel ni anticipation), présence d'un modèle du fonctionnement cognitif pour la tâche étudiée, procédures explicites et testables du codage des protocoles, comparaison possible du codage des protocoles verbaux avec des protocoles d'une autre nature (par exemple, des protocoles d'exécution) (Caverni, 1988; Ericsson et Simon, 1993). Ce sont ces conditions que nous avons tenté de réunir dans la présente recherche.

Les sujets

Deux étudiantes en éducation, au baccalauréat, ont agi comme sujets. Âgées respectivement de 20 et 22 ans, elles connaissent toutes les deux les rudiments du traitement de texte (WordPerfect, version IBM) et sont intéressées à en apprendre plus. Elles se sont portées volontaires et nous les avons retenues parce qu'elles ont fait preuve d'une démarche d'apprentissage complexe, utilisant un éventail important et diversifié de conduites en situation d'apprentissage de traitement de texte (ce qui n'est pas le propre de plusieurs apprenants que nous avons enregistrés dans ce type de situation). De plus, elles présentent un rapport à l'apprentissage très différent, l'une préférant lire la «théorie» avant de passer à l'action (sujet 1), l'autre préférant nettement l'action à la lecture (sujet 2). Les protocoles d'apprentissage retenus correspondent respectivement, pour le sujet 1, à une réussite et, pour le sujet 2, à un échec, en termes d'autoformation au traitement de texte.

La tâche d'apprentissage

La tâche d'apprentissage consiste à apprendre de manière autonome, avec l'aide d'un guide d'apprentissage, la fonction «Recherche» d'un traitement de texte commercial (WordPerfect, 5.0) sur microordinateur (compatible IBM). La documentation fournie est le guide d'apprentissage individualisé de WordPerfect écrit par Béchard (1990) et approuvé par le ministère de l'Éducation du Québec. La structure pédagogique de la documentation comprend essentiellement deux parties: une partie théorique et une partie pratique. La partie théorique présente les deux fonctions «Recherche avant» et «Recherche arrière» et leur procédure respective, le tout suivi d'informations sur des caractéristiques générales de la fonction recherche (notion de chaîne de caractères, recherche de codes, différenciation minuscules-majuscules). La seconde partie pratique propose trois exercices à l'apprenant. Pour la situation présente, les fichiers d'accompagnement n'étaient pas fournis. Les apprenants devaient concevoir leurs propres «exercices», rendant ainsi la tâche plus expérientielle. De manière générale, l'apprenant demeurait libre de structurer son apprentissage à sa guise. Bien que l'activité soit réalisée en laboratoire, le contexte d'apprentissage simule une situation d'autoformation individuelle au traitement de texte.

La procédure d'enregistrement du comportement

La procédure d'enregistrement comprend deux éléments importants: l'enregistrement vidéo du comportement et la technique de verbalisation.

Enregistrement vidéo du comportement – Le montage technique élaboré permet d'enregistrer simultanément, sur une bande vidéo, les comportements de l'apprenant, et sur une autre, le contenu de l'écran. Un code chronométrique identique est généré sur chacune des bandes et sert deux fonctions: repérer des séquences particulières et synchroniser le déroulement des deux bandes de manière à pouvoir visionner simultanément l'apprenant et ce qui se passe à l'écran (ce qui est impossible manuellement, sans un contrôle assisté par la «machine» elle-même).

Technique de verbalisation – Pendant la réalisation de la tâche d'apprentissage, on demande au sujet de décrire verbalement ses comportements (technique des verbalisations concomitantes; Caverni, 1988). Un court entraînement sur une tâche connue précède l'enregistrement proprement dit et dure le temps nécessaire pour familiariser le sujet avec la situation et la méthode (Ericsson et Simon, 1993). Sur place, une personne-ressource incite le sujet à parler à haute voix en utilisant, au besoin et selon les circonstances, l'une des questions suivantes: «Que veux-tu faire? Que fais-tu? Que ressens-tu? Que regardes-tu? À quoi penses-tu?» (Miller, Nunnally et Wackman, 1976).

L'élaboration du protocole d'exécution

Le protocole d'exécution est élaboré selon les étapes suivantes: 1) constitution des données de base (transcription des verbalisations et description des comportements de l'apprenant), 2) détermination des unités d'analyse (comportements et verbalisations), 3) découpage du flux comportemental en séquences et en plans, 4) mise en page du protocole en fonction du temps (minutes), 5) validation du protocole par le sujet lui-même.

Formation des données de base: verbalisations et description des comportements – Les verbalisations de chaque apprenant sont transcrites intégralement. Les transcriptions sont vérifiées et les temps respectifs associés aux verbalisations. L'insuffisance des verbalisations relativement à la nature et au contexte de l'action effectuée nous a obligés à ajouter au verbatim la description, au niveau molaire (et non moléculaire, Wright, 1967), du comportement de l'apprenant et des circonstances ambiantes. Un comportement est dit molaire lorsque: a) il comporte une signification en relation avec une partie de l'environnement, b) il est orienté en fonction d'un but et c) il est généralement conscient. Un comportement tel que «lève la main» n'a pas de sens par rapport au traitement de texte. Par contre, «positionne le curseur sur le premier mot» correspond à un comportement attendu dans une situation d'apprentissage du traitement de texte. De fait, il s'agit du niveau de description où des erreurs de comportement sont possibles par rapport aux conduites attendues face au traitement de texte. Les comportements molaires peuvent être structurés en hiérarchie. Par exemple, «copier un paragraphe» comprend quatre groupes de comportements bien distincts: délimiter le texte, le mettre en mémoire («couper»), se déplacer à l'endroit désiré, le rappeler («coller»). Chacune de ces opérations, qui en temps normal se structure en un tout homogène, se décortique à son tour en sous-comportements aussi de niveau molaire. De fait, chacune de ces sous-opérations mérite une attention particulière au moment de l'apprentissage. Après avoir associé un temps à chacun des comportements décrits, on les met en parallèle avec les verbalisations pour produire le protocole d'exécution de base.

Détermination des unités d'analyse – L'unité d'analyse correspond à une action spécifique et/ou à une verbalisation en rapport avec l'apprentissage de la fonction «Recherche». La constance du but demeure la caractéristique essentielle pour définir une unité d'analyse. Les indices utilisés pour marquer un changement d'unité d'analyse s'apparentent à ceux de Wright (1967, p.68): a) changement dans la partie du corps principalement engagée (la main, le regard), b) changement dans l'objet d'attention de l'apprenant (vers le clavier, vers l'écran, vers les notes), c) changement dans l'attitude posturale du corps. Lorsque la verbalisation complète l'action, les deux composent une unité. Par contre, lorsque l'apprenant verbalise uniquement, le découpage s'effectue à partir des propositions qui se dégagent du texte. Il s'agit essentiellement d'un découpage praxéologique de la bande en unités fonctionnelles. Par exemple, la série suivante est extraite du protocole du sujet 1:

  • Active la fonction «Recherche»

  • Observe le résultat à l'écran

  • Conclut qu'elle avait déjà vu ça

  • Mais qu'elle ne savait pas ce que c'était

  • Retourne aux instructions du volume pour savoir quoi faire

  • Dit qu'il lui faut maintenant taper le mot qu'elle cherche

  • Tape son mot

  • Se demande comment confirmer le mot tapé

Les deux protocoles totalisent 293 unités d'analyse, respectivement 125 et 168 pour les sujets 1 et 2. Ils correspondent à 13 minutes d'apprentissage pour le sujet 1 et à 21 minutes pour le sujet 2.

Découpage du flux comportemental en séquences et en plans – Pour structurer la bande en unités organiques plus molaires, nous avons opté pour deux niveaux de structuration hiérarchique: les séquences et les plans. La séquence (S) correspond à une suite d'actions constituant un tout sous le rapport d'un objet d'apprentissage déterminé du point de vue de l'apprenant alors que le plan (P) correspond à une succession d'actions définie par l'utilisation d'une stratégie d'apprentissage déterminée appliquée à un même contenu. Une stratégie d'apprentissage est définie par l'utilisation d'une méthode d'apprentissage ou une combinaison de méthodes d'apprentissage, celles-ci étant la lecture de la documentation (D), l'interaction avec la personne-ressource (R) ou l'expérimentation avec le logiciel (L). Un changement de stratégie d'apprentissage ou un changement de contenu entraîne un changement de plan, symbolisé par un changement de chiffre: P1, P2, P3. La nature de la stratégie est identifiée par l'initiale (en lettre majuscule) du (ou des) mode(s) d'apprentissage utilisé(s) placée à la fin du code: P1aD, P2L, P3R, P4DL.

Une partie de l'organisation praxéologique du sujet 1 se présente ainsi:

  • S4 : Apprentissage à rechercher des codes

  • P1L : Crée un exercice en faisant la recherche de codes [Souligné]

  • P2L : Tente de créer un autre exercice avec la recherche de codes [Tab]

  • S5 : Apprentissage de la recherche de mots en majuscules et en minuscules

  • P1LD : Crée un exercice en faisant la recherche de «leadership» avec une chaîne écrite en minuscules

  • P2LD : Crée un exercice dans lequel la recherche devrait passer outre le mot «leadership», mais sans succès

Cette structuration permet de reconstruire l'unité d'ensemble du flux comportemental et de rendre compréhensibles les comportements plus «pointus» de l'apprenant au moment de la codification. Le retour ultérieur à un même objet d'apprentissage est considéré comme la continuation d'une séquence antérieure et est symbolisé par les lettres minuscules de l'alphabet: S1a, S1b, S1c. La lecture globale préliminaire du protocole ainsi qu'une approche contextualisante de l'analyse (lecture de ce qui précède et de ce qui suit) se sont révélées deux stratégies nécessaires pour parvenir à bien identifier les actions et à découper le flux comportemental en unités d'analyse signifiantes.

Mise en page du protocole – Chaque unité d'analyse est isolée des autres, ce qui permet la codification ultérieure par les juges. La correspondance exacte entre le protocole d'exécution et la bande vidéoscopique est rendue possible grâce à la transcription sur le protocole du temps (heure, minute, seconde) apparaissant sur la bande vidéoscopique. La codification se fait sur papier, dans un espace aménagé pour entrer un code à la droite de chaque unité d'analyse.

Validation du protocole par le sujet lui-même – Une fois la mise en page terminée, le protocole d'exécution est soumis au sujet pour validation. Sa tâche consiste à vérifier le contenu du protocole d'exécution tout en visionnant la bande, et à corriger toute description qui ne correspondrait pas à sa démarche d'apprentissage. Pour les deux protocoles utilisés dans cette étude, une seule correction a été apportée à l'un des protocoles.

L'analyse des protocoles d'exécution

Codification des protocole s – Les protocoles d'exécution sont codés à partir des bandes vidéo et à l'aide d'un manuel comportant la définition de chacune des phases d'apprentissage, la description de chacun des modes de fonctionnement ainsi que la définition de chacune des attitudes, des conduites cognitives et des conduites de gestion (voir des exemples à la figure 1). Afin de tenir compte du contexte dans lequel chaque comportement se produit, le juge visionne d'abord la bande afin de bien situer la séance d'apprentissage et suit les étapes suivantes pour la codification des unités d'analyse: identification du mode de fonctionnement, identification de la dimension du fonctionnement (attitude, conduite ou gestion), identification de l'attitude ou de la conduite spécifique. Lorsque cela est nécessaire, un jugement sur la qualité de la conduite peut être noté vis-à-vis du code attribué. La codification débute au moment où l'apprenant prend contact avec l'appareil et fait l'expérience directe de la fonction à apprendre; elle prend fin lorsque le sujet affirme avoir terminé son apprentissage de la fonction.

Figure 1

Extraits (S1b-P1LD et S5-P1LD) du protocole d'exécution du sujet 1 avec la codification et les définitions correspondantes des codes

Extraits (S1b-P1LD et S5-P1LD) du protocole d'exécution du sujet 1 avec la codification et les définitions correspondantes des codes

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Fidélité intrajuge et interjuge – Pour déterminer la fidélité interjuge, les protocoles sont analysés indépendamment par deux juges qui utilisent la procédure de codification décrite ci-haut. Chaque unité d'analyse constitue une unité d'observation et la détermination de la fidélité se fonde sur la concordance des jugements des juges sur ces unités. Il s'agit d'une analyse de fidélité par épisode et non par tranche de temps ou par durée puisque les juges n'ont pas à indiquer quand commence ou se termine un «épisode». Pour la fidélité intrajuge, les deuxièmes jugements sont effectués dix jours après les premiers. Entre les deux séries de jugements, d'autres protocoles sont analysés, brouillant ainsi le souvenir.

Analyse des résultats

Avant d'analyser le fonctionnement d'apprentissage des sujets, nous examinons le degré de fidélité obtenu avec la grille proposée.

La mesure de la fidélité[3]

Désirant connaître le degré d'accord entre les jugements plutôt que le lien d'association, nous avons retenu comme indices de fidélité les pourcentages d'accord (%T, %W, %O) qui sont des mesures directes non biaisées statistiquement plutôt que les mesures dites «corrélationnelles» (telles que WA, Kappa, Phi et Lambda) qui estiment le lien de dépendance entre deux distributions de données et dont la valeur absolue ne peut être comparée à celle des pourcentages (Hartmann, 1977). House, House et Campbell (1981) proposent les formules suivantes et suggèrent de présenter les moyennes obtenues dans les quatre cases de la matrice servant à calculer les indices:

  • Le pourcentage d'accord total: %T = (A+D)/(A+B+C+D)

  • Le pourcentage total pondéré: %W = (A+D)/(A+D+2[B+C])

  • Le pourcentage d'occurrence d'accord: %O = A/(A+B+C)

où les symboles signifient:

  • A=Accord: juge 1 et juge 2 disent oui pour la présence de la conduite

  • B=Désaccord: juge 1 dit oui, juge 2 dit non

  • C=Désaccord: juge 1 dit non, juge 2 dit oui

  • D=Accord: juge 1 et juge 2 disent non pour la présence de la conduite

La fidélité interjuge

Caractéristiques des protocoles – Le tableau 1 présente le nombre de catégories utilisées par les sujets pour chacun des modes de fonctionnement ainsi que le nombre de catégories possibles par mode de fonctionnement. Dans l'ensemble, tous les modes sont représentés. Toutefois, les dimensions «attitude» et «gestion» sont sous-représentées dans les modes vérificatoire et gestionnel. Au total, 53% (45/85) des catégories sont présentes dans les deux protocoles.

Tableau 1

Nombre de catégories observées (NCO) et possibles (NCP) en fonction des cinq modes de fonctionnement et des trois dimensions du fonctionnement cognitif dans l'étude de fidélité

Nombre de catégories observées (NCO) et possibles (NCP) en fonction des cinq modes de fonctionnement et des trois dimensions du fonctionnement cognitif dans l'étude de fidélité

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Indices de fidélité en fonction des modes de fonctionnement – Dans sa partie supérieure, le tableau 2 présente les indices de fidélité interjuge (pourcentages d'accord) pour chacun des modes de fonctionnement. Pour ce calcul, seule la première partie du code est prise en considération pour signifier un accord ou un désaccord. Même si les juges ne s'entendent pas sur la conduite spécifique, l'élément est compté comme un accord si les deux juges s'entendent sur le mode impliqué. La valeur des indices indique un accord suffisant pour considérer la grille utilisable à ce niveau d'analyse. L'indice %O est plus bas parce qu'il ne prend en compte que les accords sur la présence du code (mesure A) et ne tient pas compte des accords sur son absence (mesure D). Des divergences d'accord sont toutefois présentes pour tous les modes de fonctionnement. Elles sont particulièrement présentes en ce qui concerne le mode gestionnel. Le tableau 2 ne permet cependant pas de connaître la nature des désaccords. L'analyse plus approfondie des désaccords montre qu'ils se concentrent principalement sur des jugements entre le mode E et le mode R (6/15=40%).

Tableau 2

Indices de fidélité interjuge pour les modes de fonctionnement cognitif et les dimensions du fonctionnement cognitif

Indices de fidélité interjuge pour les modes de fonctionnement cognitif et les dimensions du fonctionnement cognitif

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Indices de fidélité en fonction des dimensions du fonctionnement – Le tableau 2 présente aussi dans sa partie inférieure les indices de fidélité interjuge pour les jugements sur les trois dimensions du fonctionnement, à savoir attitude, conduite et gestion. Pour le calcul des indices, seule la seconde partie du code a été prise en considération. Encore ici, les indices obtenus montrent un accord élevé entre les deux juges, les pourcentages variant de 80% à 99%. L'analyse des désaccords montre que la quasi-totalité (12/13=92%) des désaccords proviennent de la non-concordance des jugements entre les dimensions «conduites cognitives» et «conduites de gestion».

La fidélité intrajuge

La fidélité intrajuge est estimée à partir d'un extrait de chacun des deux protocoles (4 minutes d'apprentissage) correspondant aux parties les plus complexes, c'est-à-dire où les cinq modes de fonctionnement cognitif sont présents. Les extraits totalisent 69 jugements, respectivement 37 et 32 unités d'analyse pour les sujets 1 et 2.

Coefficients d'accord – Le tableau 3 présente les indices de fidélité obtenus pour chacun des juges en fonction des modes de fonctionnement et des dimensions du fonctionnement. En ce qui concerne les modes de fonctionnement, la valeur des indices de fidélité est élevée pour les deux juges, n'étant pas plus basse que 88,8%. En ce qui concerne les dimensions du fonctionnement, la valeur des indices pour la dimension attitude est plus faible. Ces résultats s'expliquent en partie par le petit nombre d'occurrences de cette dimension et par la non-exclusivité de cette dimension par rapport aux deux autres. Comme dans la plupart des cas, l'aspect attitude réside dans la manière de faire ou de dire, le juge est confronté à choisir entre la dimension attitude par opposition aux dimensions conduite ou gestion. D'après les données, les juges n'ont opté pour la dimension attitude que dans de rares cas. Pour éviter cette impasse, il est recommandé que le codage de la dimension «attitude» soit effectué en parallèle avec les deux autres dimensions.

Le fonctionnement d'apprentissage des sujets

Nous analysons maintenant l'importance relative des modes de fonctionnement pour chacun des sujets, la structuration de leur démarche d'apprentissage et l'enchaînement des modes de fonctionnement.

Importance relative des modes de fonctionnement – Basé sur le protocole consensuel des juges, le tableau 4 présente le nombre et le pourcentage d'éléments en fonction des modes de fonctionnement. De manière générale, le mode de fonctionnement exploratoire (37%) domine en termes de pourcentage d'éléments. Viennent ensuite, dans l'ordre, le mode réfléchi (29%), le mode vérificatoire (21%), le mode abstractif (7%) et, enfin, le mode gestionnel (6%). En ce qui concerne les dimensions du fonctionnement, les proportions sont sensiblement les mêmes pour les deux sujets, les conduites cognitives représentant nettement le plus fort pourcentage des éléments, respectivement 72% (90/125) et 70% (117/168) pour les sujets 1 et 2. L'analyse comparative des deux sujets fait ressortir des similitudes et des différences intéressantes. Les pourcentages d'éléments sont très semblables pour les modes de fonctionnement exploratoire (41% et 35%) et gestionnel (6% et 5%). Par contre, des différences marquées apparaissent pour les modes réfléchi (11% et 42%), abstractif (14% et 2%) et vérificatoire (28% et 16%). Si l'on considère la proportion d'éléments comme un indicateur de la présence relative des cinq modes de fonctionnement cognitif chez les apprenantes, il ressort, pour les modes de fonctionnement où les pourcentages divergent, que le sujet 1 insiste plus sur les modes abstractif et vérificatoire alors que le sujet 2 privilégie le mode réfléchi.

Tableau 3

Indices de fidélité intrajuge pour chacun des juges pour les modes de fonctionnement cognitif et les dimensions du fonctionnement cognitif

Indices de fidélité intrajuge pour chacun des juges pour les modes de fonctionnement cognitif et les dimensions du fonctionnement cognitif

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En conclusion, l'apprentissage réussi ne comporte pas un nombre plus élevé de modes de fonctionnement utilisé. Le nombre de modes de fonctionnement n'apparaît pas en relation avec la réussite de l'apprentissage. Par contre, la nature des conduites privilégiées dans les deux apprentissages diffère.

Tableau 4

Nombre d'items (N) et pourcentage (%) en fonction des cinq modes de fonctionnement cognitif et des trois dimensions du fonctionnement cognitif pour les deux sujets

Nombre d'items (N) et pourcentage (%) en fonction des cinq modes de fonctionnement cognitif et des trois dimensions du fonctionnement cognitif pour les deux sujets

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Structuration de la démarche d'apprentissage – La démarche d'apprentissage du sujet 1 comporte les séquences suivantes. C'est un apprentissage réussi et l'apprenant passe à l'étape subséquente seulement après avoir réussi l'étape précédente.

  • S1a : Apprentissage de la fonction «recherche»

  • S2 : Apprentissage de la fonction «recherche avant»

  • S3 : Apprentissage de la fonction «recherche arrière»

  • S1b : Apprentissage de la fonction «recherche»

  • S4 : Apprentissage à faire la recherche de codes

  • S5 : Apprentissage à faire la recherche en distinguant majuscules et minuscules

  • S1c : Apprentissage de la fonction «recherche»

Le sujet 2 structure sa démarche d'une manière quelque peu différente. De prime abord, la démarche paraît débuter par les mêmes étapes que celles du sujet 1. Toutefois, il y a passage à la séquence 3 «recherche arrière» sans qu'il y ait eu compréhension par le sujet de la notion de «recherche» à la fin de la séquence 2 «recherche avant», ce qui rend nécessaire la séquence 4. De plus, le sujet ne touche pas aux deux derniers aspects de la notion de «recherche»: recherche de codes et recherche en distinguant majuscules-minuscules.

  • S1a : Apprentissage de la fonction «recherche»

  • S2 : Apprentissage de la fonction «recherche avant»

  • S3 : Apprentissage de la fonction «recherche arrière»

  • S4 : Distinction entre «recherche avant» et «recherche arrière»

  • S1b : Apprentissage de la fonction «recherche»

Enchaînement des modes de fonctionnement – Représentant un apprentissage réussi, la démarche d'apprentissage du sujet 1 comporte cinq séquences avec quelques plans respectifs. La figure 2 présente l'enchaînement des modes de fonctionnement cognitif tels qu'ils sont définis à partir des attitudes, des conduites cognitives et des conduites de gestion identifiées dans le protocole d'exécution. Dans la séquence 1 (S1a), l'apprenante commence par lire l'ensemble de la documentation sur la fonction «recherche». Cette séquence n'a pas été analysée puisqu'il ne s'agit pas d'une séquence expérientielle. Toutefois, on peut affirmer que l'apprenante fait preuve d'une lecture efficace et possède, de toute évidence, des stratégies de lecture. Dans la séquence S2, pour connaître la fonction de «recherche avant», elle commence par se construire un exercice (P1LD) qu'elle répète deux fois (P2LD, P3L) avant de considérer qu'elle maîtrise son apprentissage. Les modes de fonctionnement passent de la gestion de l'apprentissage (mode gestionnel) à une alternance entre le mode exploratoire et le mode réfléchi au cours des deux premiers plans. Au plan 3 (P3L), son attitude change. Elle planifie son exercice et anticipe un résultat. Dattitude de découverte (mode E) dans les deux premiers plans (P1LD et P2LD), elle passe à la vérification (mode V) dans le plan 3 (P3L). Dans ce même plan, après avoir réfléchi à ce qu'elle avait fait (mode R), elle reformule dans ses propres mots la règle générale qu'elle a lue (mode A).

Dans la séquence S3, elle porte son attention sur la fonction «recherche arrière». Encore une fois, elle se construit un exercice (P1LD) qu'elle répète deux fois (P2L, P3L). Au début, elle aborde l'apprentissage avec une attitude de découverte (mode E) tout en spécifiant le nouvel objet d'apprentissage et en le distinguant du précédent (mode G). Après avoir réfléchi (mode R en P2) sur ces deux expériences (P1 et P2), elle énonce une conclusion générale qui intègre les deux fonctions «recherche avant» et «recherche arrière». Elle termine cette séquence en vérifiant sa règle (mode V en P3).

Dans la séquence suivante (S1b), elle formule dans ses mots et de manière très explicite les deux procédures générales de «recherche» (mode A), englobant ainsi tout ce qu'elle a fait jusque-là. Elle survole ensuite la documentation en se demandant si elle a couvert toute la matière (mode G). Elle décide de poursuivre son apprentissage en choisissant d'apprendre la recherche de codes afin de compléter sa connaissance de la notion générale de «recherche».

Dans la séquence S4, elle apprend à faire la recherche de codes en créant un exercice (P1L) qu'elle reprend une autre fois (P2L). Dès le départ (P1L), elle utilise ses nouvelles connaissances et son fonctionnement en est un de validation (mode V) qu'elle conclut par la formulation d'un principe général (mode A). Elle reprend (P2L) une dernière vérification (mode V), mais sans formuler explicitement sa conclusion qui est confirmée.

Dans la séquence S5, elle apprend à faire la recherche différenciée de mots en majuscules et en minuscules. Elle commence (P1LD) par créer un exercice qu'elle réussit (mode V). Le second exercice (P2LD) se solde par une non-confirmation de ses attentes (mode V), conséquence surprenante qu'elle utilise (mode R) pour créer un troisième exercice (P3LD) qui lui permet de comprendre le principe de cette fonction. D'emblée, elle fonctionne en mode vérificatoire avec planification et anticipation très articulées. Sa première prédiction au plan 1 se confirme, mais pas la seconde au plan 2. Elle prend alors le temps de revenir et de réfléchir sur ce qui s'est passé (mode R). À court d'explications, elle tente un nouvel essai pour voir (mode E en P3), et la tentative réussit. Elle analyse ce qu'elle vient de faire (mode R) et parvient à formuler une règle générale (mode A) qui la satisfait. Elle ne la valide pas pourtant, ce qu'elle aurait pu faire. Enfin, dans la séquence S1c, elle survole la documentation pour vérifier qu'elle a tout couvert (mode G en P1D). En conclusion, il s'agit d'une apprenante efficace qui sait se donner les conditions nécessaires pour apprendre et adopter les attitudes et les conduites voulues, même en présence de problèmes.

Quant à la question concernant la présence d'un enchaînement spécifique des modes de fonctionnement cognitif dans un apprentissage réussi, la séquence observée correspond, de façon globale, à la séquence proposée pour les phases du processus d'apprentissage expérientiel selon Kolb, à savoir EC, OR, CA, EA. L'apprenante commence par adopter un mode exploratoire jumelé au mode réfléchi, ce qui lui permet de passer au mode abstractif après un certain nombre d'exercices. Vers la fin de l'apprentissage, le mode vérificatoire devient la règle jusqu'au moment où l'apprenante obtient un résultat inattendu qui la ramène temporairement à un mode de fonctionnement exploratoire. Seule la séquence S3 présente un enchaînement correspondant à la séquence de référence. Enfin, la gestion est présente à plusieurs endroits, tant à l'intérieur de chacun des modes que dans l'ensemble de l'apprentissage.

Représentant un échec, la démarche d'apprentissage du sujet 2 comprend quatre séquences dont deux avec onze et douze plans. La figure 3 présente l'enchaînement des modes de fonctionnement cognitif utilisés. Dans la séquence S1a, l'apprenante survole la documentation pour porter son attention spécifiquement sur la fonction «recherche avant». Le premier plan (P1D) de la séquence S2 est occupé par la lecture des informations qui touchent uniquement cette fonction. Au plan 2 (P2LD), l'apprenante prend la décision (mode G) de passer à l'action et de créer un exercice pour essayer la procédure (mode E). C'est là que débute la codification. Les sept plans qui suivent (P3D à P9L) constituent un va-et-vient entre des essais pour voir (mode E) et une réflexion sur ces essais à partir de la documentation (mode R). Son cheminement à travers ses expériences apparaît comme suit. Le résultat de sa première expérience (P2LD) la surprend et elle réagit en disant: «C'est pas normal.» Après lecture de la documentation (P3D), elle trouve le principe qui explique son résultat: le curseur s'arrête sur une chaîne de caractères, que cette dernière se trouve à l'intérieur d'un mot ou qu'elle constitue un mot en elle-même, principe qu'elle reformule dans ses mots de manière très imprécise (mode A). Elle ne remet toutefois pas en question son présupposé voulant que le logiciel doive trouver «tous» les mots et ne pas s'arrêter uniquement sur le premier. Après sa deuxième tentative (P4LD), elle s'exclame: «Mais comment qu'il fait pour continuer, pour chercher, pour faire les autres?» Elle commence alors, par essais et erreurs, à chercher des solutions à son problème. Elle tente d'abord (P5LD) de positionner le curseur avant les codes, ce qui ne change strictement rien à l'efficacité de la «recherche». Devant le résultat insatisfaisant, elle tente (P6LD), à la fin de la recherche, de déplacer le curseur vers le bas, comme si elle voulait l'inciter à continuer de chercher; devant son résultat, elle affirme: «Y fait pas ou c'est moi qui fait pas correct.» Même si elle lit la documentation pertinente à ce moment (P7D), elle ne la comprend pas et ne change pas son présupposé. Elle essaie ensuite quatre solutions: positionner le curseur parfaitement au début du texte (P8L), déplacer le curseur (P9L), changer le mot à chercher (P10DL), faire un retour chariot (P11L). Mais elle ne réussit pas, selon ses attentes, à faire continuer la «recherche» d'elle-même. Ce n'est qu'au dixième plan (P10DL) que l'apprenante formule un principe général (mode A) qui par ailleurs est faux, et qu'elle tente de valider (mode V), mais sans succès. Elle termine la séquence en lisant la documentation dans le but de comprendre (P12D), mais en vain.

Figure 2

Enchaînement des modes de fonctionnement cognitif pour le sujet 1

Enchaînement des modes de fonctionnement cognitif pour le sujet 1

Figure 2 (continuation)

Enchaînement des modes de fonctionnement cognitif pour le sujet 1

Une case noircie indique la présence du mode de fonctionnement (Mdf) : E = exploratoire, R = réfléchi, A = abstractif, V = vérificatoire, G = gestionnel.

Le symbole « ▾ » indique la présence de conduites de gestion reliées au mode. Légende: S = séquence, P = plan, L = logiciel, D = documentation, R = personne-ressource.

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Figure 3

Enchaînement des modes de fonctionnement cognitif pour le sujet 2

Enchaînement des modes de fonctionnement cognitif pour le sujet 2

Figure 3 (continuation)

Enchaînement des modes de fonctionnement cognitif pour le sujet 2

Une case noircie indique la présence du mode de fonctionnement (Mdf) : E = exploratoire, R = réfléchi, A = abstractif, V = vérificatoire, G = gestionnel.

Le symbole « ▾ » indique la présence de conduites de gestion reliées au mode. Légende: S = séquence, P = plan, L = logiciel, D = documentation, R = personne-ressource.

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Dans la séquence S3, n'ayant pas réussi la fonction «recherche avant», elle se lance à l'assaut de la fonction «recherche arrière» en se disant: «Peut-être que ça marche mieux.» (mode G). Dans le premier plan (P1DL), elle repart à la découverte (mode E) du logiciel. Elle réfléchit sur le résultat qu'elle obtient (mode R), en dégage une régularité qui est tout à fait exacte («Mais ça marche pour le premier, mais après ça, il arrête»), mais qu'elle considère problématique! En désespoir de cause – il y a maintenant 19 minutes d'écoulées depuis le début –, elle décide de demander l'aide de la personne-ressource: «J'aimerais ça que quelqu'un me l'explique» (mode G en P2RL). Après une brève explication de la personne-ressource, l'apprenante explore (mode E) la fonction à l'aide d'un exercice suivi de deux autres (P3L et P4L) au cours desquels il y a encore quelques échecs, mais qui, à la fin, se soldent par une réussite. Sans formuler de conclusions, elle passe immédiatement à l'expérimentation (mode V) au plan suivant (P5L). En expérimentant, elle fait une petite erreur dont elle tire une règle générale (mode A), partielle par rapport à la règle complète, puis continue en mode de fonctionnement vérificatoire pour les autres plans de la séquence S3 (P6L, P7L, P8L, P9LR, P10L, P11L), mais sans toutefois formuler explicitement un principe général sur la recherche arrière.

Dans la séquence S4, l'apprenante expérimente tour à tour les deux formes de recherche, deux «avant» (P1L) et quatre «arrière» (P2L). Immédiatement après (S1b), l'apprenante décide de terminer son apprentissage (mode G) sans avoir formulé personnellement de règles générales ni de principes généraux concernant les deux fonctions, comme l'a fait le sujet 1.

En quoi est-ce un échec? Dès ses premières expériences, et ça demeure vrai par la suite, la seconde apprenante ne parvient pas à changer de perspectives par rapport à son expérience. Elle élabore rapidement des attentes à l'égard de la fonction «recherche», attentes qu'elle ne remet jamais en question et qui lui font interpréter comme des erreurs, des comportements du logiciel et des résultats par ailleurs tout à fait corrects. Bien qu'elle réalise parfaitement les opérations nécessaires à une «recherche» et obtienne les résultats auxquels on doit s'attendre, elle persiste à croire, devant des résultats qui ne correspondent pas à ses attentes à l'égard de la fonction «recherche», à l'existence d'un problème dans sa façon de faire. Ce «problème», elle cherche à le corriger, sans succès bien entendu, jusqu'à ce qu'elle décide de demander l'aide de la personne-ressource. Par manque de changement de perspectives face aux résultats attendus, elle ne réussit pas à formuler de principes ou de règles appropriés et cela, même si ses comportements et leurs résultats sont tout à fait corrects. En d'autres mots, en l'absence d'une conduite importante du mode réfléchi qui lui aurait permis d'adopter un point de vue différent face à l'expérience, elle ne parvient pas à apprendre par elle-même.

Dans cet apprentissage expérientiel non réussi, l'enchaînement des modes de fonctionnement présente-t-il quelques similitudes ou différences avec celui de l'apprentissage réussi? De manière globale, l'enchaînement semble, encore ici, correspondre à la séquence issue du modèle de Kolb. Toutefois, il faut souligner que les deux moments où le sujet 2 a adopté le mode abstractif avant que la personne- ressource ne donne son explication (S3-P2RL) correspondent, soit à une formulation très imparfaite, soit à une formulation erronée. Ce n'est qu'à la suite de l'intervention de la personne-ressource qu'elle adopte un mode de fonctionnement abstractif qui mène à la formulation juste d'une partie de la règle (S3-P5L) et que son fonctionnement devient systématiquement expérimental (mode V). Avant l'intervention de la personne-ressource, l'apprentissage du sujet 2 présente une nette prédominance des modes exploratoire et réfléchi alors que celui du sujet 1 présente des patrons plus conformes à la séquence attendue des modes à l'intérieur de chacune des séquences d'apprentissage.

Discussion

Dans cette étude, nous avons considéré que l'apprentissage expérientiel se réalise dans un enchaînement de conduites et d'attitudes choisies par l'apprenant dans le but de s'approprier un objet, en l'occurrence la compréhension et la maîtrise de la fonction «recherche» dans un traitement de texte, et que ces conduites et ces attitudes, pouvant être identifiées à partir des verbalisations de l'apprenant sur son fonctionnement en cours d'apprentissage, définissent cinq modes de fonctionnement cognitif issus du modèle d'apprentissage expérientiel de Kolb (1984) et concourant à la réussite de cet apprentissage. Dans ce contexte, trois points importants méritent d'être discutés: l'existence même de ces modes de fonctionnement, leur importance relative dans la réussite de l'apprentissage et l'exigence de leur enchaînement séquentiel.

La notion de mode de fonctionnement

Dans cette étude, nous avons cherché à montrer qu'il est possible, à partir du flot continu des conduites de deux apprenantes en situation d'autoformation au traitement de texte, de décrire de manière fidèle cinq modes de fonctionnement (exploratoire, réfléchi, abstractif, vérificatoire et gestionnel) et deux dimensions (conduites exécutives et conduites de gestion). Des niveaux satisfaisants de reproductibilité (fidélité interjuge) et de stabilité (fidélité intrajuge) ont été atteints en ce qui concerne les modes de fonctionnement cognitif et leurs dimensions. Ces résultats concordent avec ceux habituellement obtenus dans les recherches qui visent à mettre en évidence dans les protocoles des processus cognitifs généraux auxquels Ericsson et Simon (1993) se réfèrent en termes d'entités théoriques de «haut niveau» plus ou moins indépendantes de la tâche proprement dite. Certes, un niveau élevé de fidélité ne garantit pas la validité des conclusions, mais en demeure une condition nécessaire. En plus de la présence de procédures testables de codage des protocoles, d'autres arguments militent en faveur d'accorder une certaine crédibilité à ces résultats. D'abord, le maximum d'exactitude des descriptions a été assuré par les verbalisations concomitantes (plutôt que rétrospectives) en lien direct avec la tâche effectuée. Deuxièmement, la signification des protocoles verbaux a été avantageusement complétée par le contenu des protocoles d'exécution et le visionnement de la bande vidéoscopique; les deux types de protocoles sont vite apparus nécessaires pour obtenir une description complète du fonctionnement de l'apprenant. Troisièmement, la modification de la manifestation naturelle des conduites a été maintenue au minimum grâce à l'utilisation de consignes de niveaux 1 et 2 exigeant la description et non l'interprétation des conduites de l'apprenant (Ericsson et Simon, 1993). Quatrièmement, le protocole final décrivant l'apprentissage du sujet et issu de la conjonction des deux protocoles a été confirmé par les sujets, ce qui a permis de faire un réajustement pour l'un des sujets et de valider ainsi les protocoles du point de vue des sujets. Enfin, l'interprétation du fonctionnement a été ciblée grâce à la présence d'un modèle théorique préalable et de définitions explicites. Sans un tel modèle, il est nécessaire de travailler d'abord aux deux premiers niveaux comme le font Dufresne-Tassé, Sauvé et Banna (1998) dans l'étude de l'apprentissage muséal. Les modes de fonctionnement correspondent en effet à un deuxième degré d'inférence à partir a) des conduites observées en regard du traitement de texte et directement rapportées par le sujet et b) des conduites cognitives et de gestion inférées à partir du premier niveau.

Ce découpage théorique en modes de fonctionnement apparaît utile au chercheur et au praticien pour organiser le flot continu du comportement de l'apprenant. L'apprenant semble en effet entrer dans des modes différents de fonctionnement, établissant une dialectique entre action (modes E et V) et réflexion (modes R et A) (Kolb, 1984; Charbonneau et Chevrier, 1990; Serre, 1995). Tout son corps, sa posture, sa position par rapport à l'appareil, son discours et le ton de sa voix (verbal et non verbal) témoignent d'attitudes cognitives très différentes. On se trouve donc en présence de manières d'être et de faire suffisamment distinctes et organisées pour qu'on puisse parler de modes de fonctionnement distincts. Certes, plusieurs modèles d'apprentissage expérientiel se contentent de faire la distinction entre action et réflexion (Henry, 1989). Mais la distinction entre les deux modes de contact avec la réalité (exploratoire et vérificatoire) se trouve aussi dans certains modèles comme celui de Pfeiffer et Ballew (1988) où l'on distingue entre «faire l'expérience de» et «appliquer une connaissance». Schön (1983) ainsi que Bourassa et al. (1999) établissent une distinction similaire entre trois formes d'expérimentation dans une pratique réflexive. Se rapprochant ici du mode exploratoire, la première forme, l'expérimentation exploratrice, se caractérise par «l'intention de voir ce qui va arriver», «sans prédiction ni attentes», et par une activité visant à se donner une impression générale des choses ( a feel for things, p.145); les deuxième et troisième formes, ressemblant davantage aux deux volets du mode vérificatoire, sont les expérimentations de types vérification d'intervention se caractérisant par la validation d'intentions ( move testing experiment, p.146) et vérification d'hypothèse se caractérisant par la validation de conclusions ( hypothesis testing experiment, p.146). De même, la distinction entre les deux modes de réflexion, concret (mode réfléchi) et abstrait (mode abstractif), fait l'objet d'une distinction importante dans le modèle de Pfeiffer et Ballew (1988). À la réflexion concrète, ils font correspondre deux étapes, la publication et le traitement des données de l'expérience, et à la réflexion abstraite, la généralisation. La pratique pédagogique avec ces deux étapes met en évidence que ces deux types de réflexion ne répondent pas aux mêmes types de questions. La réflexion concrète surgit essentiellement en réponse à la question «Qu'est-ce qui s'est passé dans cette expérience?», alors que la réflexion abstraite est particulièrement suscitée par la question «Qu'est-ce que j'apprends de cette expérience?» La nature de la réflexion suscitée par ces deux questions n'est visiblement pas la même. Une distinction analogue peut être faite entre la réflexion de l'enquêteur qui tente d'élucider (au sens d'expliquer) un vol ou un meurtre et la réflexion du chercheur qui tente d'expliquer un phénomène.

L'importance relative des modes de fonctionnement dans la réussite de l'apprentissage

Un apprentissage réussi implique-t-il la mise en oeuvre d'un nombre plus élevé de modes de fonctionnement? La réussite de l'apprentissage n'apparaît pas en relation avec le nombre de modes de fonctionnement utilisés puisque les deux apprentissages, réussi et échoué, comportent le même nombre de modes de fonctionnement utilisés. C'est plutôt l'importance relative accordée aux divers modes et la nature des conduites privilégiées qui diffèrent, particulièrement si l'on exclut, pour l'apprentissage échoué, la partie suivant l'intervention de la personne-ressource. La réussite de l'apprentissage semble en relation avec la qualité des modes de fonctionnement, conclusion qui va dans le même sens que celle d'autres recherches effectuées dans un contexte similaire (Chevrier et Charbonneau, 1990; Charbonneau et Chevrier, 1992) et dans le contexte très différent du microenseignement où Grégoire-Dugas (1991) a pu montrer une relation positive entre le nombre de conduites cognitives utilisées et le degré d'acquisition d'habiletés pédagogiques. Toutefois, même si les différences obtenues entre les deux apprentissages, en termes de prédominance relative des modes privilégiés, n'apparaissent pas aussi considérables que celles qu'a obtenues Schoenfeld (1985) entre un novice et un expert dans une situation de résolution de problèmes, ces résultats ne permettent pas d'éliminer totalement l'hypothèse d'une relation entre la réussite de l'apprentissage et le nombre de modes utilisés. Il reste à la vérifier dans les cas où les sujets utiliseraient un nombre plus limité et différent de modes de fonctionnement.

L'enchaînement des modes de fonctionnement

Un apprentissage expérientiel réussi comporte-t-il la mise en oeuvre d'une séquence particulière des modes de fonctionnement? Dans l'esprit du modèle de Kolb (1984), l'apprenant devrait s'impliquer cognitivement et affectivement dans l'expérience pour pouvoir en tirer des informations spécifiques sur lesquelles il réfléchit selon diverses perspectives et qui lui permettent d'en tirer des règles plus générales qu'il réinvestira par la suite de manière critique dans la réalité. Cet enchaînement attendu correspondant à une séquence complète des quatre modes est présent dans les deux apprentissages, réussi et échoué. La séquence des modes apparaît donc comme une séquence naturelle, mais qui ne mène pas nécessairement à la réussite dans la mesure où des conduites essentielles n'ont pas été réalisées et que des attitudes importantes n'ont pas été adoptées. D'autre part, dans la mesure où les verbalisations renvoient une image valide et complète des conduites utilisées par l'apprenant, les apprentissages présentent un va-et-vient entre les modes de fonctionnement. L'apprenant peut passer d'un mode à un autre sans nécessairement ressentir l'obligation de suivre une séquence donnée. Les modes semblent correspondre à des fonctions permanentes indépendantes, accessibles au besoin. Une autre étude réalisée auprès de sujets moins expérimentés montre que certains sujets ont tendance à escamoter quelques-uns des cinq modes de fonctionnement, particulièrement les modes abstractif et vérificatoire, et à présenter des chemins d'apprentissage résultant en patrons d'apprentissage incomplets (à deux ou trois modes). D'autre part, les recherches qui ont tenté, au niveau plus général des modes d'adaptation, de confirmer les dimensions concret-abstrait et action-réflexion ont davantage mis en évidence l'indépendance des modes d'adaptation que leur dépendance (Fortin, Chevrier, Amyot, 1997).

Les modes de fonctionnement semblent donc renvoyer à des fonctions indépendantes. Parler de l'observation réfléchie comme une étape présuppose déjà la nécessité d'un ordre. Or, l'observation réfléchie semble exister de manière indépendante à titre de fonction avant d'être insérée dans une séquence définissant un processus. En tant que fonction, chaque mode de fonctionnement comprend des conduites qui s'exercent sur un objet pour produire un résultat qui peut à son tour servir d'objet à une autre fonction. Le résultat produit appelle une autre fonction particulière (par exemple, le vécu multidimensionnel produit par le mode exploratoire demande à être traité en mode réfléchi de fonctionnement) et engendre ainsi «naturellement» une séquence des modes de fonctionnement. Mais cette séquence définissant des transitions particulières entre certains modes de fonctionnement n'a pas à être aussi automatique que semble le suggérer la description du processus. Un apprenant efficace qui se trouve en mode abstractif devrait revenir à l'étape d'observation réfléchie et adapter son mode de fonctionnement correspondant s'il considère qu'il n'a pas toutes les informations nécessaires pour élaborer un concept. Le passage à un autre mode de fonctionnement semble plutôt relever d'un choix stratégique de l'apprenant en fonction de la représentation qu'il se fait de la tâche, en l'occurrence celle d'apprendre une fonction de traitement de texte. Dans une perspective stratégique, l'apprenant a tout avantage à pouvoir fonctionner selon les divers modes en tenant compte des exigences de la situation. Idéalement, l'apprenant devrait adopter le mode de fonctionnement le plus adapté aux circonstances. Une conception stratégique des modes de fonctionnement suppose que l'apprenant peut passer d'un mode à l'autre sans nécessairement suivre de manière rigide les étapes, même si la séquence demeure un cadre de référence dans la mesure où les conduites sont bien appliquées. Cependant, cette souplesse fait en sorte que les modes peuvent aussi ne pas être appliqués ou être appliqués de manière incomplète (Charbonneau et Chevrier, 1992, Chevrier et Charbonneau, 1990, Grégoire-Dugas, 1991). De fait, dans la présente étude, malgré un fonctionnement assez riche des deux apprenantes, seulement 53% (45/85) des catégories possibles ont été explicitement utilisées dans les apprentissages étudiés.

Conclusion

Savoir apprendre de son expérience nécessiterait la mise en oeuvre adaptée de cinq modes de fonctionnement qui, en définitive, devraient produire une séquence correspondant aux étapes du processus d'apprentissage expérientiel et inclure la gestion qui encadre la démarche elle-même. Même s'il s'agit d'un processus dit «naturel», c'est aussi un processus qui doit s'appliquer sur lui-même pour devenir un véritable savoir-apprendre expérientiel. Nous croyons que cet apprentissage peut aussi être favorisé par l'introduction, dans les manuels d'autoformation, de consignes et d'activités incitant chez l'apprenant la mise en oeuvre des cinq modes de fonctionnement sur des contenus spécifiques non seulement afin de produire un apprentissage plus efficace du contenu, mais aussi pour développer chez lui une autonomie plus grande en termes d'apprentissage expérientiel (Chevrier, 1991). Encore trop rares sont les manuels qui invitent les apprenants à utiliser de manière consciente et délibérée les cinq modes de fonctionnement. L'élaboration d'instruments d'autoévaluation et d'évaluation formative (Dumas, 1995) et leur application systématique en contexte de formation pratique devraient aussi permettre aux stagiaires de développer les conduites et les attitudes nécessaires à un apprentissage expérientiel efficace.