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Introduction, contexte et problématique

Le développement de mesures d'aide permettant de contrer le décrochage scolaire, la faible réussite scolaire et la baisse du taux de diplômés représente une priorité dans le milieu collégial (Conseil supérieur de l'éducation, 1995). Parmi l'ensemble des mesures envisagées, l'encadrement de type tutorat maître-élève offrirait un contexte propice à la prévention des difficultés d'adaptation et du décrochage scolaire lors de la transition aux études collégiales (Conseil supérieur de l'éducation, 1995; Ministère de l'Éducation, 1996). D'ailleurs, les collèges sont de plus en plus nombreux à recourir à cette forme de soutien personnalisé pour favoriser l'intégration des élèves à leur arrivée au collège (Soucy, Duchesne et Larose, 2000).

La recherche sur le tutorat maître-élève en milieu scolaire a considérablement proliféré ces quinze dernières années[1]. Elle s'est surtout attardée à conceptualiser ce type d'encadrement et à étudier son impact sur l'intégration des jeunes à l'école (Hamilton et Hamilton, 1992; Jacobi, 1991; Martin et Samels, 1993; Wilson, Mason et Ewing, 1997; Wunsch, 1994). Dans le contexte des études collégiales, le tutorat maître-élève se présente comme un encadrement socioaffectif et scolaire hors classe à travers lequel une personne volontaire ou mandatée [2] interagit avec un élève sur une base régulière et individuelle pour lui fournir le soutien dont il a besoin (Bahniuk, Dobos et Hill, 1990). Bien que la nature de l'aide puisse varier d'une façon importante d'une dyade à l'autre, elle se concrétise généralement par du soutien méthodologique (aider l'élève à gérer son temps d'étude), social (aider l'élève à composer avec la restructuration de son réseau social), émotif (aider l'élève à composer avec des conflits amoureux, familiaux) et vocationnel (aider l'élève à clarifier ses intérêts et ses choix professionnels) à l'intérieur d'un encadrement structuré (Andrews, Andrews, Long et Henton, 1987; Slicker et Palmer, 1993). Cette relation interpersonnelle apparaît comme un processus d'apprentissage orienté sur des principes et des buts davantage éducationnels que thérapeutiques (Cohen, 1995) et se veut complémentaire à l'aide offerte par les professionnels, tels que les psychologues et les conseillers d'orientation.

Les objectifs relatifs au tutorat maître-élève visent notamment à aider les élèves à surmonter leurs difficultés liées à la transition au collège (Cyrenne et Lacombe, 1997; Larose et Roy, 1993) et à augmenter leur persévérance aux études (Bishop et Brenneman, 1986; Jacobi, 1991) et leur réussite scolaire (Wilson et al., 1997). Cependant, les effets du tutorat sur l'intégration des collégiens et leur réussite scolaire s'avèrent plutôt mitigés (Howard et Grosset, 1992; Larose et Roy, 1993; Slicker et Palmer, 1993; Terrell et Hassell, 1994). Quelques études indiquent que les élèves qui ont profité du tutorat montrent un meilleur développement personnel et une plus grande satisfaction à l'égard de leur environnement scolaire (Brown et DeCoster, 1982; Cosgrove, 1986; Terrell et Hassell, 1994; Tracey et Sedlacek, 1985). D'autres études précisent que le tutorat est associé à la persévérance aux études (Bishop et Brenneman, 1986), à la réussite scolaire (Wilson et al., 1997) et à l'augmentation du taux de diplomation (Frank et Kirk, 1975). Par contre, des auteurs rapportent que le tutorat maître-élève n'a pas d'effets sur certains aspects psychosociaux comme la perception de soi et l'ajustement au collège de même que sur la moyenne collégiale et la persévérance scolaire (Cyrenne et Lacombe, 1997; Pascarella, Terenzini et Hibel, 1978; Slicker et Palmer, 1993).

Plusieurs facteurs ont été identifiés pour rendre compte du caractère équivoque des résultats présents d'une étude à l'autre. Le petit nombre de sujets, l'absence de groupes témoins et de procédures d'assignation aléatoire, la formation sommaire des tuteurs et le peu d'encadrement à leur égard sont généralement les facteurs les plus fréquemment mentionnés (Cyrenne et Lacombe, 1997; Howard et Grosset, 1992; Jacobi, 1991; Slicker et Palmer, 1993; Terrell et Hassell, 1994; Wunsch, 1994).

Ces facteurs mis à part, une lacune encore plus apparente semble émerger de la documentation scientifique. Très peu d'études ont porté sur les comportements préconisés par les tuteurs (Healy et Welchert, 1990; Jacobi, 1991). De fait, en ne sachant pas exactement ce que fait le tuteur dans ses interventions, il est difficile d'expliquer les raisons qui ont contribué à la réussite ou à l'échec de l'intervention. C'est pourquoi il paraît approprié d'examiner la nature des comportements des tuteurs de même que leurs corrélats. Une connaissance accrue des comportements des tuteurs pourrait contribuer à préciser les actions à prescrire et à proscrire dans la mise en place d'une intervention.

Deux objectifs sont visés par la présente étude[3]. Le premier consiste à décrire les comportements exercés par les tuteurs auprès d'élèves à risque du collégial, en documentant leur nature, leur fréquence et leurs interrelations. Cette description repose à la fois sur les points de vue du tuteur et de l'élève. Le second vise à examiner le lien entre ces comportements et trois aspects spécifiques de l'intégration des élèves qui participent au tutorat: 1) leurs perceptions de soutien, d'utilité et de bien-être en tutorat; 2) leur ajustement personnel, scolaire, social et institutionnel; 3) leur réussite scolaire. Dans la suite de cet article, les modèles théoriques de Wubbels, Créton, Levy et Hooymayers (1993) et de Cohen (1995) sont explicités dans le but de conceptualiser les comportements des tuteurs.

Cadre théorique

Les études empiriques qui portent spécifiquement sur les comportements des tuteurs en milieu scolaire sont peu nombreuses. Les écrits dans ce domaine se limitent généralement à décrire de façon anecdotique les interventions des tuteurs (Martin et Samels, 1993; Shea, 1992; Wunsch, 1994) et le développement de la relation tutorale (Collins, 1993; Houde, 1995; Kram, 1985). Cette documentation ne repose donc pas sur des observations empiriques, mais davantage sur des éléments spéculatifs. Or, afin de guider notre analyse des comportements propres aux tuteurs, il est apparu utile de consulter les textes sur les comportements interpersonnels exercés par les enseignants en classe puisque ceux-ci reposent sur des concepts théoriques qui ont fait l'objet de validations empiriques. Cette référence est d'autant plus justifiée que la fonction de tuteur serait une extension du rôle occupé par l'enseignant (Ryan, 1995).

Wubbels et al. (1993) ont regroupé les comportements interpersonnels des enseignants à partir d'un modèle descriptif élaboré en psychologie clinique (Leary, 1957). Quatre pôles sont à la base de ce modèle: la coopération, l'opposition, la dominance et la soumission. Le continuum coopération-opposition fait référence au niveau de proximité qui s'installe dans les relations enseignant-élèves. La coopération implique, chez l'enseignant, des conduites à la fois proactives, soutenantes et chaleureuses basées sur la confiance, le respect, la réciprocité et l'engagement dans les relations avec les élèves. L'opposition fait référence à des comportements de l'enseignant qui se manifestent notamment par la colère, l'insatisfaction et la réprimande (Wubbels et al. , 1993). Pour ce qui est du continuum dominance-soumission, il traduit la notion de contrôle exprimé par l'enseignant dans sa relation avec les élèves. L'enseignant qui est rigoureux, qui établit des règles et ne laisse rien passer, se situe dans le répertoire comportemental de type dominant. Ces comportements s'expriment principalement par le leadership et l'autorité de l'enseignant. Enfin, le pôle soumission fait référence à des comportements interpersonnels de l'enseignant plus passifs caractérisés par la tolérance, la patience, le laxisme, mais aussi par l'hésitation et le manque d'assurance à l'égard des élèves.

Les comportements interpersonnels des enseignants qui se retrouvent dans la catégorie coopération sont associés positivement aux attitudes des élèves (Brekelmans, Wubbels et Levy, 1993). Ces enseignants sont perçus comme plus chaleureux et soutenants par les élèves et par les autres membres du personnel enseignant. Les enseignants qui coopèrent avec leurs élèves montrent une grande assurance dans leurs interventions et réprimandent moins que la plupart des autres enseignants (Wubbels, Levy et Brekelmans, 1997). Leurs élèves sont également plus motivés et participent davantage aux activités de la classe. À l'inverse, les comportements d'opposition sont négativement reliés aux attitudes et à la réussite scolaire des élèves (Brekelmans et al., 1993; Wubbels et al., 1997). Au demeurant, les élèves qui ont une perception négative de leurs relations avec les enseignants, sont peu motivés, se sentent moins compétents et ont une plus faible estime de soi que ceux qui ont développé une relation chaleureuse et soutenante avec leurs enseignants (Ryan et Grolnick, 1986). Enfin, les comportements de la catégorie dominance sont associés positivement à la réussite scolaire alors que les comportements de la dimension soumission sont liés négativement à la réussite scolaire des élèves (Brekelmans et al., 1993).

En somme, les fondements théoriques sous-jacents au modèle de Wubbels et al. (1993) s'attardent à la personnalisation des relations enseignant-élèves. Cet aspect des comportements constitue également un élément capital lorsqu'il est transposé en tutorat maître-élève. Dans cette étude, le continuum coopération-opposition est estimé à partir d'une échelle de sensibilité qui renvoie à la capacité du tuteur d'écouter avec attention, de comprendre les besoins, les inquiétudes et les questionnements de l'élève, et de savoir quoi faire pour l'aider. D'autre part, le continuum dominance-soumission est évalué à l'aide d'une échelle de contrôle qui implique des interventions dans lesquelles le tuteur a pris des décisions, a orienté l'élève dans les actions qu'il a à poser pour résoudre son problème.

Au-delà des comportements interpersonnels, il est primordial que les tuteurs aient recours à des comportements facilitant la résolution des problèmes exprimés par les élèves. Plus exactement, ces comportements devraient mener l'élève à l'acquisition ou au maintien de stratégies d'intégration à la vie collégiale. Par conséquent, le modèle de Cohen (1995) sur les comportements centrés sur la résolution de problèmes peut s'avérer un complément judicieux aux fondements théoriques proposés par Wubbels et al. (1993) puisqu'il précise quels sont les comportements susceptibles de répondre aux besoins d'intégration des élèves en difficulté. L'attrait que suscite le modèle de Cohen (1995) se trouve dans son intégralité apparente puisqu'il enchâsse les comportements de résolution de problèmes fondamentaux qu'on trouve dans la documentation sur l'encadrement individualisé (Collins, 1993; Daloz, 1986; Houde, 1995; Kram, 1985; Merriam, 1983; Shea, 1992; Tentoni, 1995). Cohen identifie six comportements du tuteur: la prise de contact (se présenter et apprendre à connaître l'autre); la recherche d'information (poser des questions, écouter); la facilitation (aider, conseiller, suggérer); la confrontation (faire réagir, demander de justifier les choix); l'exemplarité (servir d'exemple pour l'élève, utiliser ses propres expériences); la personnalisation (tenir compte des différences individuelles, des visions propres à l'élève).

Malgré la pertinence que laisse prévoir cette conceptualisation, Cohen n'émet pas une distinction notable entre les divers comportements à la base de sa classification puisque plusieurs d'entre eux n'apparaissent pas exclusifs à une seule catégorie. Ainsi, le fait que le tuteur choisisse d'illustrer son propos à partir d'expériences personnelles pourrait être considéré comme un comportement lié à la facilitation même si Cohen le classe dans l'exemplarité. Il se peut qu'en s'offrant en exemple à l'élève, le tuteur vise à le rendre conscient qu'il n'est pas seul à être confronté à un problème particulier et qu'il est possible de le surmonter.

Dans ces conditions, il paraît approprié de réduire le nombre de comportements en tutorat que propose Cohen. Nous arrivons à cette diminution étant donné que la documentation consultée permet de dégager des comportements liés à la résolution de problèmes plus transcendants qui semblent faire l'objet d'un consensus chez les auteurs (Barrows, 1992; Jacobi, 1991; Martin et Samels, 1993; Noddings, 1992; O'Shea, Hoover et Carrol, 1988; Rings et Sheets, 1991; Selke et Wong, 1993). Jacobi (1991) relève trois composantes à la base du tutorat: 1) le soutien émotif et psychologique; 2) le soutien instrumental ou assistance directe; et 3) l'exemplarité. Martin et Samels (1993) indiquent, pour leur part, trois fonctions inhérentes au rôle de tuteur, à savoir 1) donner de l'information utile et précise; 2) écouter avec intérêt; et 3) avoir recours à des stratégies comportementales de résolution de problèmes. Anderson et Shannon (1988) proposent eux aussi un modèle à l'intérieur duquel ils dégagent les fonctions comportementales relatives au tutorat: l'écoute, la clarification, les conseils. Enfin, Andrews et al. (1987) distinguent deux éléments fondamentaux de la fonction de tuteur: servir de source d'information pour l'élève dans son cheminement curriculaire et fournir un soutien instrumental immédiat en réponse aux besoins des élèves.

En considérant l'ensemble de cette documentation, nous retenons dans la présente étude les comportements de résolution de problèmes suivants: la recherche d'information; la facilitation; la confrontation. Sommairement, la recherche d'information consiste à demander directement aux élèves de l'information détaillée pour offrir des suggestions sur leur cheminement et leur progrès concernant l'atteinte de leurs objectifs personnels, éducationnels et professionnels. La facilitation implique que le tuteur assiste les élèves en considérant les options possibles quand ils prennent des décisions relativement à l'élaboration de leurs objectifs personnels, scolaires et professionnels. Finalement, la confrontation stipule que le tuteur confronte respectueusement l'attitude (négative) et les explications des élèves pour éviter qu'ils prennent des décisions et intentent des actions nuisibles à leur cheminement personnel et scolaire. De fait, il aide les élèves à cibler les actions et les comportements improductifs pour en faire une évaluation objective permettant de les modifier ultérieurement.

Les fonctions de ces comportements centrés sur la résolution de problèmes apparaissent complémentaires. D'abord, la recherche d'information permettrait au tuteur de mieux cerner l'origine des problèmes vécus par les élèves. Ensuite, la facilitation aiderait l'élève à analyser le problème et à trouver une façon concrète de le résoudre. Enfin, la confrontation serait priorisée dans certaines situations très précises qui exigent du tuteur de faire réagir l'élève face aux actions ou aux situations qui vont à l'encontre des objectifs établis au préalable (Patterson, 1993). En somme, la confrontation consisterait en une stratégie adaptative du tuteur lorsque les comportements de l'élève lui semblent incongrus ou injustifiés.

Les propositions théoriques qui émanent des modèles de Wubbels et al. (1993) et de Cohen (1995) procurent une modélisation qui fait défaut au tutorat maître-élève en identifiant clairement deux types de comportements propres au tuteur: les comportements centrés sur le climat relationnel et les comportements centrés sur la résolution de problèmes. Jusqu'à maintenant, bien peu d'études empiriques se sont intéressées à modéliser ces comportements et à les examiner en contexte de tutorat maître-élève.

Rappelons les deux objectifs fondamentaux poursuivis dans cette étude. Le premier consiste à décrire les comportements des tuteurs en documentant leur nature, leur fréquence et leurs interrelations. Le deuxième vise à examiner le lien entre les comportements des tuteurs, en termes de climat relationnel et de résolution de problèmes, et l'intégration des élèves à la suite de leur expérience en tutorat maître-élève. Nous posons trois hypothèses: 1) les comportements centrés sur le climat relationnel, caractérisés par la sensibilité et l'exercice actif d'un contrôle de la part du tuteur, contribueront significativement et positivement à la prédiction de la qualité de l'intégration collégiale; 2) les comportements centrés sur la résolution de problèmes (recherche d'information, facilitation et confrontation) seront associés significativement et positivement à la qualité de l'intégration collégiale; 3) les liens entre les comportements centrés sur la résolution de problèmes et l'intégration des élèves seront modérés par les comportements centrés sur le climat relationnel. Plus le climat relationnel qu'instaure le tuteur sera teinté de sensibilité et de l'exercice d'un contrôle, plus sera forte la relation entre les comportements de résolution de problèmes et l'intégration des élèves.

Méthodologie

Les participants

Les élèves – Un total de 148 adolescents (100 filles et 48 garçons; âge moyen = 18,32; σ = 2,71) fréquentant un établissement d'enseignement collégial ont pris part à cette étude. L'échantillon a été constitué à partir d'une population d'élèves répartis dans trois collèges francophones du Québec. L'un de ces collèges se trouve en milieu rural (n = 57; 39 filles et 18 garçons) alors que les deux autres sont situés dans des régions urbaines (n = 91; 61 filles et 30 garçons). Ces élèves sont jugés à risque après l'analyse de leurs dossiers scolaires antérieurs et, plus spécifiquement, en fonction de la cote finale au secondaire[4]. Ils sont tous admis dans un programme régulier et ont accepté de participer à un programme de tutorat maître-élève offert dans leur institution. Cet échantillon est représentatif de l'ensemble des élèves qui bénéficient également d'un soutien en tutorat dans d'autres établissements du réseau collégial québécois (Soucy et al., 2000).

Les tuteurs – Un ensemble de 16 tuteurs (10 femmes et 6 hommes; âge moyen = 41,90; σ = 10,80) ont encadré chacun, environ neuf élèves qui ont participé au programme de tutorat. Ces tuteurs occupent un poste d'enseignant régulier dans leur collège. Dans ce contexte, ils agissent sur une base volontaire. Plusieurs ont reçu une formation de quatre heures portant sur le modèle d'optimisation du soutien social (Cutrona et Russell, 1990). Lors de cette formation, il a été question des types d'événements préoccupants vécus par les élèves à leur arrivée au collège, de même que des types de soutien à associer à ces événements.

Le programme de tutorat

Les élèves qui participent à cette étude ont tous bénéficié d'un programme de tutorat maître-élève offert par leur collège au cours de leur première session d'études. Les composantes des programmes sont essentiellement les mêmes d'un collège à l'autre. Globalement, ils comprennent environ dix heures d'encadrement individualisé avec une personne qualifiée et ont pour fonction première de répondre aux besoins spécifiques des nouveaux arrivants au collège. Les rencontres portent généralement sur des aspects scolaires (gestion du temps, méthodes d'études, choix de cours, etc.) et personnels (situations familiales, amoureuses, financières, etc.). Ces rencontres s'échelonnent sur l'ensemble de la session et ont habituellement lieu à deux semaines d'intervalle.

Les instruments

Mesure sociodémographique – Les élèves ont rempli un questionnaire englobant des informations générales relatives à l'âge, au sexe, au lieu de résidence, à la structure familiale et au programme scolaire dans lequel ils sont inscrits au collège.

Comportements centrés sur le climat relationnel – En s'inspirant du modèle de Wubbels et al. (1993), un questionnaire portant sur divers aspects des relations interpersonnelles entre le tuteur et les élèves, l'Échelle de comportements en tutorat (ECT), a été développé pour les besoins de cette étude. Deux sous-échelles de ce questionnaire, sensibilité et contrôle, ont été utilisées. La dimension sensibilité (3 items), qui porte principalement sur l'écoute active et la compréhension du tuteur face aux problèmes et aux inquiétudes de l'élève, répond au continuum coopération-opposition du modèle de Wubbels et al. (1993). La dimension contrôle (3 items), qui suggère des interventions proactives dans lesquelles le tuteur prend des décisions et dirige l'élève, correspond au continuum dominance-soumission (Wubbels et al., 1993). Ce questionnaire, auquel on répond sur une échelle en cinq points (1 = ne s'applique pas du tout à 5 = s'applique très bien), a été rempli à la fois par les tuteurs et les élèves immédiatement après les rencontres 2, 4 et 6 pour recueillir de l'information à différents moments de l'encadrement. Un score élevé pour la sensibilité indique que le tuteur instaure un climat relationnel chaleureux avec l'élève. Pour ce qui est du contrôle, un score élevé signifie que le tuteur exerce un contrôle auprès de l'élève en structurant et en dirigeant la relation. Les corrélations interrencontres sont relativement élevées tant chez les élèves (0,33 à 0,66; p < 0,01) que chez les tuteurs (0,49 à 0,52; p < 0,01). Ceci nous a incités à créer un score total par dimension (sensibilité et contrôle) et par répondant (élève ou tuteur). Pour l'ensemble des rencontres, les coefficients de consistance interne (alpha de Cronbach) rapportés pour les élèves sont respectivement de 0,84 pour la sensibilité et de 0,81 pour le contrôle. En ce qui concerne les tuteurs, les coefficients de consistance interne (alpha de Cronbach) sont de 0,85 pour la sensibilité et 0,88 pour le contrôle.

Comportements centrés sur la résolution de problèmes(Rapports d'intervention) – Afin de mesurer la présence et la récurrence des comportements centrés sur la résolution de problèmes, nous avons invité les tuteurs à compléter des rapports de leurs interventions en tutorat. Le contenu de ces rapports d'intervention portait sur le ou les thèmes discutés lors de l'entretien et sur les interventions proposées par le tuteur pour aider l'élève à combler ses besoins. L'avantage d'utiliser cette procédure tient au fait que le tuteur complète le rapport d'intervention suivant la rencontre avec l'élève. L'information est donc ponctuelle et détaillée. En respectant la conceptualisation de Cohen (1995), une analyse de chaque rapport d'intervention a d'abord permis de classer les comportements selon qu'ils appartiennent ou non à la recherche d'information, à la facilitation ou à la confrontation. Par la suite, une échelle en quatre points (1 = pas du tout présent à 4 = très présent) a permis d'estimer la fréquence de ces comportements recensés lors de trois entretiens (rencontres 2, 4 et 6). Cette évaluation a été réalisée à l'aide d'une grille d'analyse, par un juge qui ne connaissait pas les participants ni même l'objet de l'étude. Cette grille décrit les trois comportements centrés sur la résolution de problèmes et propose de multiples exemples concrets facilitant le codage des rapports d'intervention. Les cotes accordées, sur des fiches indépendantes, fournissent un portrait général des comportements préconisés par le tuteur lors des rencontres avec les élèves. Par la suite, un second juge a sélectionné au hasard vingt rapports d'intervention et a procédé de la même manière afin de valider cette analyse. Les corrélations de Pearson entre les évaluations des deux juges[5], pour chacun des comportements, sont les suivantes: recherche d'information (r = 0,92; p < 0,01); facilitation (r = 0,88; p < 0,01) et confrontation (r = 0,94; p < 0,01). De plus, les juges ont accordé une cote identique (1, 2, 3 ou 4) dans une proportion de 93% pour recherche d'information, 86% pour facilitation et 86% pour confrontation.

La perception générale de soutien – Les dispositions sociales des élèves avant l'engagement dans le programme de tutorat sont évaluées à l'aide du Network orientation scale , le NOS de Vaux, Burda et Stewart (1986). Ce questionnaire unidimensionnel de 20 items évalue la perception générale de l'élève face au soutien disponible dans son réseau social. Le questionnaire NOS suggère des réponses correspondant à une échelle de 1 à 4 (1 = entièrement en désaccord à 4 = entièrement d'accord). Dans cette étude, le NOS permet d'estimer que l'ajustement au tutorat ne soit expliqué par les prédispositions des élèves avant la relation. L'instrument présente de bons indices de fidélité alors que les coefficients de consistance interne (alpha de Cronbach) varient de 0,66 à 0,88 pour les cinq échantillons auxquels le questionnaire a été administré (Vaux et al., 1986). Il présente également une bonne stabilité temporelle avec des coefficients de corrélations test-retest de 0,87 après deux semaines et de 0,85 après trois semaines (Vaux et al., 1986). L'instrument a aussi fait l'objet d'une validation auprès d'une population francophone et montre des propriétés psychométriques comparables à la version originale (Larose, Bernier, Soucy et Duchesne, 1999). Dans la présente étude, les analyses indiquent un coefficient de consistance interne (alpha de Cronbach) de 0,84.

L'ajustement au tutorat – Afin de mesurer le niveau d'ajustement des élèves en tutorat, nous avons développé une mesure de 14 items centrée sur les perceptions de soutien, d'utilité et de bien-être en lien avec le tutorat. Cette mesure, qui s'inspire du modèle d'optimisation du soutien social (Cutrona et Russell, 1990) et de l'approche développementale en tutorat (Duchesne et Larose, 2000), utilise une échelle de type Likert en cinq points (1 = totalement en désaccord à 5 = totalement en accord); elle est remplie uniquement par les élèves. Les items permettent d'évaluer le sentiment de soutien développé dans le cadre du tutorat, la perception d'utilité des pratiques tutorales et le sentiment de bien-être associé au tutorat. Puisque les corrélations entre ces trois sous-échelles sont relativement élevées (0,34 à 0,63; p < 0,01), un score total les regroupant a été utilisé (ajustement au tutorat). Dans la présente étude, le coefficient de consistance interne (alpha de Cronbach) du score d'ajustement au tutorat est de 0,87. Par ailleurs, la validité de construit de la mesure d'ajustement au tutorat a été évaluée par l'examen du lien avec la sous-échelle Recours à l'aide du professeur du Test de réactions et d'adaptation au collégial (TRAC; Larose et Roy, 1991). La corrélation entre le score d'ajustement au tutorat et le recours à l'aide des professeurs est positive mais faible (r = 0,16; p < 0,05).

L'ajustement au collège – L'ajustement au collège est évalué à partir du Student adaptation to college questionnaire (SACQ) de Baker et Siryk (1989). Ce questionnaire de type autorévélé comporte 67 items (cotés sur une échelle en neuf points (1 = ne s'applique pas du tout à moi à 9 = s'applique tout à fait à moi) permettant d'évaluer l'ajustement de l'élève au collège au moyen de quatre sous-échelles: ajustement scolaire (α = 0,91); ajustement émotif (α = 0,85); ajustement social (α = 0,86); et attachement à l'institution (α = 0,85). L'ajustement scolaire renvoie à l'adaptation de l'élève aux différentes exigences imposées par le collège (travaux, examens, horaire, etc.). L'ajustement émotif met l'accent sur les états psychologiques (sentiment de détresse) et physiques (problèmes somatiques) de l'élève au moment de l'intégration scolaire. L'ajustement social se rapporte aux relations interpersonnelles et à tout ce qui concerne l'intégration sociale de l'élève tandis que l'attachement à l'institution est caractérisé par le sentiment d'appartenance qu'éprouve l'élève à l'égard du collège. Afin d'évaluer le degré d'ajustement initial des élèves à leur arrivée au collège, les participants sont invités à compléter une version abrégée du SACQ. Cette version permet de considérer les dispositions scolaires des élèves préalables à leur arrivée au collégial. Le questionnaire a été réduit à 27 items, car plusieurs des items présents dans la version originale ne s'appliquaient pas à la situation des élèves à leur arrivée au collège. Le coefficient de consistance interne (alpha de Cronbach) pour ce questionnaire montre un alpha de 0,86. Le SACQ a fait l'objet d'une validation transculturelle auprès de sujets francophones et montre de bonnes propriétés psychométriques (Larose, Soucy, Bernier et Roy, 1996).

La réussite scolaire – La cote finale au secondaire de même que la moyenne générale obtenue lors de la première session au collège ont été recueillies avec le consentement des élèves.

La procédure

Les mesures prises durant la première année d'études au collège sont réparties sur trois phases distinctes. En phase initiale de la collecte de données, qui a eu lieu lors de la première semaine de cours, les élèves ont rempli le questionnaire sociodémographique, la version réduite du SACQ (ajustement initial) et le NOS (la perception générale de soutien). À la deuxième phase, qui consiste au tutorat comme tel, les tuteurs et les élèves ont complété l'ECT. Également, les tuteurs ont rédigé trois rapports d'intervention portant sur leurs propres interventions. L'ECT et les rapports d'intervention ont été remplis après les rencontres deux, quatre et six, ce qui a permis de recueillir de l'information effective et récente sur les comportements du tuteur. La troisième phase de la collecte s'est déroulée à la fin de la session au moment même où le tutorat prenait fin. Les élèves ont rempli la mesure d'ajustement au tutorat et le SACQ. La moyenne générale a également été recueillie.

Résultats

Pour répondre aux deux objectifs de cette étude, les résultats sont présentés en quatre sections. Dans la première section, un examen des moyennes aux échelles de comportements et des corrélations entre ces échelles permet de décrire la nature, la fréquence et les liens entre les comportements centrés sur le climat relationnel et les comportements centrés sur la résolution de problèmes. Dans les autres sections, les relations prédictives entre les comportements des tuteurs et l'ajustement au tutorat, l'ajustement au collège et la réussite scolaire, sont examinées à partir d'équations de régression. Cet examen permet de tester les hypothèses de l'étude.

Statistiques descriptives concernant les comportements des tuteurs

Le tableau 1 présente les moyennes et écarts-types des échelles de comportements. Globalement, les résultats montrent que les tuteurs sont très sensibles et exercent un contrôle modéré dans leur relation avec les élèves. En outre, la recherche d'information et la facilitation sont les comportements de résolution de problèmes les plus fréquents chez les tuteurs alors que la confrontation est peu présente.

Tableau 1

Statistiques décrivant les comportements des tuteurs

Statistiques décrivant les comportements des tuteurs

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Une première analyse de variance multivariée est effectuée sur les quatre comportements centrés sur le climat relationnel. Cette analyse comprend deux facteurs intersujets (sexe de l'élève et sexe du tuteur) et un facteur intrasujet (point de vue de l'élève ou du tuteur). Les résultats indiquent un effet multivarié quant au point de vue [F(2,143) = 18,20; p < 0,001]. Les analyses univariées révèlent une différence de perception sur la variable sensibilité [F(1,143) = 30,13; p < 0,001]. Les élèves perçoivent davantage de sensibilité de la part des tuteurs (x̄ = 4,72) que les tuteurs eux-mêmes (x̄ = 4,35). Aucun effet sexe significatif n'est détecté, et ce, tant chez les élèves que chez les tuteurs.

Une deuxième analyse de variance multivariée a été menée sur les trois comportements de résolution de problèmes. Les résultats indiquent un effet multivarié (MANOVA) en ce qui a trait au sexe du tuteur [F(3,136) = 5,96; p < 0,001]. Les analyses univariées indiquent que les tuteurs de sexe féminin ont davantage recours à la facilitation (x̄ = 2,82) que les tuteurs de sexe masculin [x̄ = 2,41; F(1,138) = 7,41; p < 0,001], tandis que ces derniers utilisent plus fréquemment la confrontation (x̄ = 1,78) que les tuteurs féminins [x̄ = 1,44; F(1,138) = 8,39; p < 0,001].

Par ailleurs, le tableau 2 montre que les différents comportements des tuteurs sont peu reliés entre eux. En fait, seuls les comportements du climat relationnel perçus par le tuteur sont liés avec les comportements de résolution de problèmes. Ainsi, plus le tuteur se perçoit comme sensible, plus il recherche de l'information et confronte l'élève. De même, plus le tuteur perçoit qu'il exerce un contrôle, plus il utilise la facilitation et la confrontation lors des rencontres en tutorat.

Tableau 2

Matrice de corrélations entre les variables prédictrices

Matrice de corrélations entre les variables prédictrices

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En somme, les statistiques descriptives suggèrent que les comportements des tuteurs sont relativement indépendants. De plus, les tuteurs apparaissent sensibles et modérément contrôlants avec les élèves. Les comportements de recherche d'information et de facilitation prévalent également dans leurs interventions tandis que la confrontation est peu utilisée. Cependant, les tuteurs féminins font davantage appel à la facilitation que les tuteurs masculins tandis que ceux-ci utilisent davantage la confrontation dans leurs interventions auprès des élèves.

Prédiction de l'ajustement et de la réussite scolaire

Le tableau 3 présente les corrélations entre les comportements du tuteur et les indices d'intégration de l'élève au collégial. La sensibilité du tuteur perçue par l'élève est reliée positivement à l'ajustement et à la réussite scolaires; le contrôle du tuteur perçu par l'élève est négativement associé à l'ajustement scolaire et à l'ajustement émotif alors que le contrôle du tuteur perçu par lui-même est lié négativement à l'ajustement scolaire et la réussite scolaire des élèves; finalement, la recherche d'information est associée positivement à l'ajustement au tutorat tandis que la confrontation est reliée négativement à l'ajustement scolaire et à la réussite scolaire. Ces résultats suggèrent donc que certains des comportements des tuteurs sont associés à la qualité de l'intégration de l'élève au collégial. Cependant, ces liens sont peut-être en partie expliqués par les dispositions scolaires et sociales de l'élève avant sa participation au tutorat.

Tableau 3

Matrice de corrélations entre les comportements des tuteurs et les indices d'intégration au collégial

Matrice de corrélations entre les comportements des tuteurs et les indices d'intégration au collégial

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Afin de corriger cette situation et de mieux répondre au deuxième objectif de cette étude, une série d'analyses de régression a été menée[6]. Pour chacune des variables d'intégration (ajustement au tutorat, ajustement au collège et réussite scolaire), les analyses ont été menées selon un ordre d'entrée des variables préétabli: à la première étape, nous avons entré le score initial (la perception générale de soutien dans le cas de l'ajustement au tutorat, l'ajustement initial dans le cas de l'ajustement au collège et la cote finale au secondaire dans le cas de la réussite scolaire) pour nous assurer que les relations ne soient expliquées par des dispositions déjà présentes avant le programme de tutorat. À la deuxième étape, la variable programmes a été introduite pour contrôler les variations dans les interventions d'un programme de tutorat à l'autre [7]. À la troisième étape, nous avons inséré les scores de l'ECT (sensibilité et contrôle selon le point de vue de l'élève et du tuteur) suivis, à la quatrième étape, des scores de comportements de résolution de problèmes (information, facilitation et confrontation). Ceci respecte l'argumentation exposée en introduction et permet de vérifier si les comportements de résolution de problèmes facilitent l'ajustement des élèves au-delà des comportements centrés sur le climat relationnel. Finalement, les interactions entre les deux familles de comportements ont été testés afin de vérifier si les comportements de résolution de problèmes contribuent de la même façon à la prédiction de l'ajustement selon le degré de sensibilité et de contrôle exprimés par le tuteur (cinquième étape). Cette procédure respecte celle proposée par Aiken et West (1991). Les résultats de ces analyses[8] sont présentés aux tableaux 4, 5 et 6.

L'ajustement au tutorat

Les comportements centrés sur le climat relationnel et les comportements axés sur la résolution de problèmes expliquent respectivement 23,3% et 10,2% de la variance du score d'ajustement de l'élève au tutorat, et ce, après avoir contrôlé la perception générale de soutien et le programme offert (tableau 4).

Tableau 4

Régressions étape par étape sur la variable d'ajustement au tutorat

Régressions étape par étape sur la variable d'ajustement au tutorat

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Parmi les comportements centrés sur le climat relationnel, seul le score sensibilité perçue par l'élève (β = 0,51; p < 0,001) apporte une contribution significative à la prédiction de l'ajustement. Ainsi, plus les élèves perçoivent leur tuteur comme sensible à leur besoin, meilleur est l'ajustement des élèves au tutorat.

La recherche d'information s'avère le seul comportement de résolution de problèmes présentant un apport significatif à la prédiction de l'ajustement (ß= 0,30; p < 0,001). Plus les tuteurs posent des questions et s'informent des difficultés éprouvées par les élèves, meilleur est l'ajustement des élèves à la relation.

Les effets d'interaction, présentés au tableau 4, contribuent aussi de façon significative à l'explication du score d'ajustement de l'élève au tutorat (R2 = 11,1%; p < 0,01). Plus précisément, un effet s'avère significatif: 1- contrôle perçu par le tuteur X recherche d'information (β = -0,23, p < 0,01). Afin de saisir cet effet, des analyses de régression ont été menées en fonction du niveau de contrôle exercé par le tuteur: contrôle élevé, contrôle modéré et faible contrôle du tuteur (Aiken et West, 1991). Cette procédure permet de vérifier pour quels niveaux de contrôle exercé par le tuteur, la recherche d'information est associée à l'ajustement de l'élève à la relation de tutorat. La figure 1 montre que la recherche d'information prédit l'ajustement au tutorat lorsque les tuteurs perçoivent qu'ils exercent, auprès des élèves, un contrôle qui va de faible à modéré.

Figure 1

Interaction entre le contrôle du tuteur tel que perçu par le tuteur et la stratégie de Recherche d'information

Interaction entre le contrôle du tuteur tel que perçu par le tuteur et la stratégie de Recherche d'information

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Les analyses portant sur l'ajustement au tutorat confirment partiellement nos hypothèses initiales. Comme attendu, la présence de la sensibilité est liée positivement à l'ajustement des élèves à la relation. Parmi les comportements centrés sur la résolution de problèmes, seulement la recherche d'information contribue à la prédiction de l'ajustement au tutorat. Finalement, les effets d'interaction entre les deux familles de comportements montrent que la recherche d'information prédit l'ajustement au tutorat lorsque le tuteur exerce un faible contrôle ou un contrôle modéré, ce qui est contraire à la troisième hypothèse.

Tableau 5

Régressions étape par étape sur les variables d'ajustement au collège

Régressions étape par étape sur les variables d'ajustement au collège

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L'ajustement au collège

Les résultats de cette section figurent au tableau 5. Le modèle de régression prédisant l'ajustement scolaire indique que les comportements liés au climat de la relation expliquent 4,4% de la variance du score d'ajustement scolaire, au-delà du score d'ajustement initial et du programme de tutorat. Comme en témoigne la valeur des betas, cette contribution est uniquement attribuable à la sensibilité perçue par l'élève (β = 0,19; p < 0,01). Plus les collégiens perçoivent leur tuteur comme sensible, meilleur est leur ajustement scolaire. Par ailleurs, les effets liés aux comportements de résolution de problèmes et à l'interaction entre les deux familles de comportements n'apportent aucune contribution à l'explication du score d'ajustement scolaire. Aucune autre dimension de l'ajustement au collège n'est prédite par les comportements du tuteur. Les résultats, quant à la prédiction de l'ajustement au collégial, ne permettent pas de confirmer les hypothèses avancées, à l'exception de la sensibilité qui est associée à l'ajustement scolaire.

La réussite scolaire

Les résultats de cette quatrième section sont présentés au tableau 6. Le modèle de régression explique, au-delà de la cote finale au secondaire et du programme offert par le collège, 13,2% de la variance du score de réussite scolaire des élèves à leur première session au collège. Ainsi, 6,8% de la variance de la réussite scolaire est redevable aux comportements centrés sur le climat de la relation instauré par le tuteur. Comme l'indique la valeur des betas, le contrôle perçu par le tuteur (β = -0,22; p < 0,01) est la seule variable apportant une contribution significative à la prédiction de la réussite scolaire. Le contrôle perçu par le tuteur est lié négativement à la réussite scolaire de l'élève à sa première session au collège.

Tableau 6

Régressions étape par étape sur la variable réussite scolaire

Régressions étape par étape sur la variable réussite scolaire

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Outre les comportements liés au climat relationnel, les comportements centrés sur la résolution de problèmes sont aussi reliés à la réussite scolaire à la première session. De fait, ils expliquent 6,4% de la variance de la réussite scolaire. Ce résultat est attribuable à la contribution unique de la confrontation (β = -0,29; p < 0,001). La confrontation est reliée négativement à la réussite scolaire de l'élève à la première session. Finalement, les effets d'interaction n'apportent aucune contribution à l'explication du score de réussite scolaire.

Dans l'ensemble, nos hypothèses de départ ne sont pas confirmées par ces résultats. Le contrôle perçu par le tuteur et le recours à la confrontation prédisent négativement la réussite scolaire des élèves lors de la première session au collège. Le contrôle perçu par l'élève, la sensibilité perçue et par l'élève et par le tuteur, de même que la recherche d'information et la facilitation ne contribuent pas à l'explication de la réussite scolaire à la première session.

Discussion

L'objectif général de cette étude était d'examiner les liens entre les comportements d'encadrement des tuteurs et la qualité de l'intégration de leurs élèves aux études collégiales. En accord avec les perspectives théoriques de Wubbels et al. (1993) et de Cohen (1995), la proposition centrale de l'étude soutient que les comportements centrés sur le climat relationnel et les comportements centrés sur la résolution de problèmes sont associés à l'ajustement des élèves à risque au tutorat, au collège ainsi qu'à leur réussite scolaire. Les résultats ne viennent pas confirmer cette proposition sur l'ensemble des indices d'intégration de l'élève au collège. Nous en discutons en analysant d'abord la prédiction de l'ajustement et de la réussite scolaire et, par la suite, les liens entre les différents comportements en tutorat.

L'ajustement au tutorat

Les résultats les plus importants de cette étude portent sur la prédiction de l'ajustement de l'élève au tutorat. Les comportements centrés sur le climat relationnel et les comportements centrés sur la résolution de problèmes contribuent distinctement à la prédiction de l'ajustement de l'élève au tutorat, et ce, au-delà de ses perceptions générales de soutien avant l'engagement dans la relation et des particularités du programme de tutorat. Concernant les comportements centrés sur le climat relationnel, la sensibilité du tuteur perçue par l'élève est associée à l'ajustement au tutorat. Ce résultat converge avec ceux de Wubbels et al. (1997) qui indiquent que les comportements de type coopératif (chaleureux; amical; compréhensif) favorisent la présence d'attitudes positives chez les élèves. En outre, certaines études rapportent que la perception de soutien des élèves est associée au sentiment de compétence (Goodenow, 1992; Ryan et Grolnik, 1986), à la motivation intrinsèque (Wentzel, 1994; 1997), à l'engagement pour les études (Goodenow, 1993), et à l'estime de soi (Harter, 1989; Ryan, Stiller et Lynch, 1994). Il est logique de considérer que ce phénomène puisse également s'appliquer en tutorat maître-élève. En étant perçu comme disponible, compréhensif et soutenant, le tuteur peut favoriser une image positive de l'élève qui l'incite à s'investir dans la relation. C'est ce qui pourrait expliquer le lien de prédiction entre la sensibilité perçue par l'élève et l'ajustement au tutorat.

Parmi les comportements centrés sur la résolution de problèmes, la recherche d'information est liée à l'ajustement au tutorat. Différemment de ce que proposait la deuxième hypothèse, c'est le seul comportement de résolution de problèmes qui apporte une contribution significative. Les interactions entre les deux familles de comportements apportent des éléments explicatifs complémentaires. Comme l'indique le résultat de la figure 1, la recherche d'information prédit l'ajustement au tutorat lorsque les tuteurs perçoivent peu de contrôle ou un contrôle modéré, ce qui est contraire à la troisième hypothèse de cette étude. Il se peut que l'exercice d'un faible contrôle ou d'un contrôle modéré influence l'activité de recherche d'information pratiquée par le tuteur. Cet effet modérateur a peut-être comme conséquence de communiquer à l'élève un intérêt plus soutenu affectant ainsi la qualité de son ajustement au tutorat. Il se peut également que la recherche d'information par le tuteur soit perçue autrement par l'élève lorsque ce dernier est en présence d'un contrôle élevé. Sous l'exercice d'un tel contrôle, la recherche d'information peut lui sembler importune. Cette perception viendrait alors atténuer les effets possibles de la recherche d'information sur l'ajustement de l'élève au tutorat.

L'ajustement au collège

Pour ce qui est de l'ajustement au collège, les résultats ne permettent pas de confirmer les hypothèses avancées, à l'exception de la sensibilité qui est associée à l'ajustement scolaire. Ce résultat corrobore celui d'autres études qui indiquent que les comportements chaleureux et soutenants des enseignants en classe sont associés à l'ajustement scolaire des élèves (Birch et Ladd, 1996; Roeser et Eccles, 1998; Ryan et Grolnik, 1986; Wubbels et al., 1997). L'élève sent qu'il peut compter sur quelqu'un de disponible et qui saura l'aider en cas de besoin. Et comme l'objectif de la relation en tutorat est d'aider l'élève à risque à devenir plus compétent et plus responsable au regard des nombreux défis qu'impose la transition au collégial (Darling, Hamilton et Niego, 1994), la sensibilité des tuteurs paraît donc cruciale pour l'élève lorsqu'il est confronté aux exigences collégiales.

L'absence de prédiction relative à l'ajustement social, à l'ajustement émotif, et à l'attachement à l'institution surprend. Il était théoriquement plausible que les comportements des tuteurs, en plus d'influencer l'ajustement à la relation, puissent moduler les comportements des élèves en dehors du contexte d'encadrement et ainsi agir sur les ajustements social, émotif et institutionnel de l'élève. Certains facteurs peuvent peut-être expliquer ce peu de transfert entre l'ajustement à la relation et l'ajustement au collège. Premièrement, les comportements mesurés dans la relation ne sont peut-être pas ceux que nécessitent les ajustements social, émotif et institutionnel. Il se peut que les comportements des tuteurs mesurés dans cette étude agissent principalement sur des enjeux scolaires. Deuxièmement, ces types d'ajustement sont peut-être davantage assujettis aux caractéristiques personnelles des élèves. Certaines études rapportent que le développement psychosocial à l'adolescence (développer ses propres objectifs, établir des liens avec autrui, développer son autonomie, gérer ses émotions) (Palladino Schultheiss et Blustein, 1994) ainsi que la séparation psychologique à l'égard des parents (se soustraire de la dépendance parentale afin de devenir autonome et développer sa propre identité) (Hoffman, 1984; Hoffman et Weiss, 1987; Lapsley, Rice et Shadid, 1989; Rice, 1992; Teyber, 1983), sont reliés positivement à l'ajustement au collégial. Ainsi, il est raisonnable de penser que les interventions du tuteur n'affecteraient pas directement l'ajustement de l'élève au collège, mais plutôt certaines caractéristiques individuelles qui se transformeraient en comportements adaptatifs au milieu collégial. Dans ces circonstances, les comportements du tuteur agiraient comme médiateurs du lien entre les caractéristiques personnelles de l'élève et l'ajustement au collège. Troisièmement, les effets de ces comportements ne se mesurent peut-être qu'à long terme, ce qui serait logique si l'on considère qu'une période de temps est nécessaire afin que le tuteur parvienne à construire une relation de confiance avec l'élève (Houde, 1995). Puisque l'expérience en tutorat se déroule sur une seule session, il est possible qu'une fois le lien de confiance établi, il reste trop peu de temps pour que les comportements du tuteur puissent influencer les ajustements social, émotif et institutionnel de l'élève.

La réussite scolaire

Pour la réussite scolaire, les résultats indiquent qu'un contrôle actif des tuteurs, tel que perçu par eux-mêmes, prédit l'échec scolaire de l'élève à la première session (contraire à la première hypothèse). Ce résultat doit être interprété avec circonspection: il pourrait s'agir d'une adaptation du tuteur à l'attitude et aux comportements de l'élève. D'une part, il se peut que les tuteurs modulent leurs comportements en fonction des actions et décisions prises par l'élève, surtout lorsqu'elles s'éloignent des objectifs de départ ou qu'elles dénotent un manque d'implication dans la relation (Kremer-Hayon et Wubbels, 1992). Dans ce cas, le tuteur peut chercher à exercer un contrôle plus soutenu afin de réguler ces comportements non souhaitables.

D'autre part, il est plausible qu'en accentuant le contrôle, le tuteur réponde à un besoin élevé, chez les élèves à risque, d'être mieux organisés et structurés. En se comportant de façon plus autoritaire avec les élèves à risque, les tuteurs chercheraient à combler ce manque d'organisation et de structuration. Le recours au contrôle pour aider l'élève paraît légitime, si l'on considère que les indices de contrôle en gestion de classe (établir des structures; éviter les éléments perturbateurs), seraient associés positivement à la réussite des élèves (Brophy et Good, 1986). Toutefois, bien que le tuteur accentue le contrôle pour aider l'élève, on peut penser que l'échec de l'élève était inéluctable, ce qui expliquerait le lien négatif entre le contrôle du tuteur et la réussite scolaire de l'élève au collège.

Pour les comportements centrés sur la résolution de problèmes, la confrontation est associée négativement à la réussite scolaire à la première session (infirmation de la deuxième hypothèse). La confrontation vise à amener l'élève à rationnaliser et à justifier ses choix et ses actions (Cohen, 1995). Il se peut que le tuteur recoure à cette stratégie lorsqu'il s'aperçoit qu'un élève se dirige vers l'échec dans un ou plusieurs cours. Puisque le tuteur doit s'adapter aux comportements de l'élève, la confrontation peut devenir l'ultime recours visant à faire réagir l'élève pour éviter que celui-ci ne déroge de ses objectifs (Patterson, 1993).

Les comportements manifestés par le tuteur

Cette étude s'est également intéressée à l'examen des liens entre les différents comportements des tuteurs. Les résultats ont montré que la sensibilité du tuteur constitue le comportement le plus fréquent en tutorat. Cependant, la perception des élèves diffère de celle des tuteurs sur cet aspect. Les élèves perçoivent plus de sensibilité de la part de leur tuteur que les tuteurs eux-mêmes. Cette différence de point de vue pourrait être attribuable à une tendance, chez les tuteurs, à évaluer leurs propres comportements plus sévèrement que le font les élèves (Wubbels, Brekelmans et Hooymayers, 1993).

Par ailleurs, la recherche d'information et la facilitation constituent les comportements de résolution de problèmes les plus prédominants en tutorat alors que la confrontation est peu utilisée. Le recours à ces comportements diffère quelque peu selon que le tuteur est un homme ou une femme. Les femmes utilisent la facilitation plus souvent que les hommes tandis que ceux-ci confrontent plus fréquemment les élèves que leurs collègues féminins. Certaines études rapportent que les interventions des tuteurs diffèrent selon le sexe de l'aidé (Hartman et Brieger, 1992). Par exemple, les hommes auraient davantage que les femmes la possibilité de s'exprimer et de donner leur opinion (Granello, Beamish et Davis, 1997). De plus, il semble que les dyades avec un aidé de sexe masculin sont principalement centrées sur l'aspect hiérarchique et que les dyades avec un aidé de sexe féminin reposent davantage sur une relation égalitaire et réciproque (Heatherington et Allen, 1984). Ce patron relationnel s'applique peut-être également aux tuteurs. Les tuteurs masculins chercheraient à imposer leur autorité aux élèves en exprimant davantage de confrontation que ce que montrent les tuteurs féminins. De même, le tuteur féminin pourrait chercher à établir une relation davantage égalitaire, ce qui expliquerait qu'elle se distingue de son collègue masculin relativement à la facilitation.

L'examen des relations entre les comportements des tuteurs indique que seul le point de vue du tuteur, quant aux comportements centrés sur le climat relationnel, est relié aux comportements de résolution de problèmes. Plus le tuteur se perçoit comme sensible, plus il recherche de l'information et confronte l'élève. Aussi, plus il perçoit exercer un contrôle, plus il utilise la facilitation et la confrontation. Ces corrélats laissent supposer que ces deux types de comportements sont liés dans la pratique des tuteurs. Par ailleurs, l'absence de lien entre le point de vue du tuteur et celui de l'élève suggère des perceptions diverses pour ces individus. Ces résultats sont toutefois comparables à ceux de Wubbels et al. (1993) quant à la perception des enseignants et des élèves eu égard aux comportements interpersonnels des enseignants. Il est plausible que l'absence de lien entre le point de vue des tuteurs et celui des élèves soit attribuable à des préconceptions qui persistent en tutorat (Wubbels, Brekelmans et al., 1993). Les représentations des comportements du tuteur avant la relation de tutorat ne seraient pas les mêmes pour l'élève et pour le tuteur. Ces représentations pourraient possiblement influencer la réalité telle qu'elle est perçue concrètement par les participants pendant la relation, ce qui expliquerait alors l'absence de lien quant au point de vue des participants.

Limites de l'étude et conclusion

Il importe de souligner ici certaines limites de la présente étude. Premièrement, la nature corrélationnelle de l'étude limite l'interprétation d'une causalité entre les comportements des tuteurs, l'ajustement des élèves et la réussite scolaire. Deuxièmement, bien que cette étude ait tenu compte des points de vue des élèves et des tuteurs, l'évaluation des comportements en tutorat a reposé exclusivement sur des perceptions. Il est donc plausible que l'évaluation des comportements observés par les participants soit teintée des représentations antérieures relatives au comportement enseignant en général (Wubbels et al., 1993). Cependant, la mixité des rapports d'intervention et du point de vue des participants permet de penser que l'information recueillie est représentative des comportements manifestés par les tuteurs. Troisièmement, bien que les instruments spécifiques au tutorat (ajustement au tutorat; ECT; rapports d'intervention) se soient bien comportés selon les données recueillies, il serait pertinent que ces instruments fassent l'objet d'une validation supplémentaire, particulièrement en ce qui a trait aux rapports d'intervention. Même si le tuteur retranscrit les informations postfacto, il se peut qu'il ait été guidé par certaines représentations pouvant modifier l'information telle qu'elle aurait dû figurer au rapport. Pour cette raison, il serait judicieux de procéder à des observations systématiques des conduites du tuteur en filmant le déroulement de certaines rencontres avec l'élève. Ceci pourrait compléter adéquatement l'information réunie à l'aide des rapports d'intervention. Quatrièmement, il serait approprié d'inclure un groupe contrôle dans le protocole expérimental d'une recherche ultérieure. Cela permettrait une comparaison des fluctuations des indices d'intégration au collégial entre les élèves ayant rencontré régulièrement un tuteur, à leur première session, et ceux n'en ayant pas rencontré. Un tel groupe pourrait être composé d'adolescents à risque sur le plan scolaire qui ont accepté de s'engager à rencontrer un tuteur, mais pour lesquels aucun tuteur n'aurait été disponible ou encore constitué d'élèves ayant refusé de s'engager dans un processus de tutorat, mais ouverts à remplir les questionnaires de l'étude.

En conclusion, cette étude a permis de mesurer l'existence de deux familles de comportements en tutorat maître-élève: les comportements centrés sur le climat relationnel et les comportements centrés sur la résolution de problèmes. Ces résultats éclairent le lien entre ces comportements et la qualité de l'ajustement de l'élève à la relation. Cependant, le lien entre les comportements du tuteur, l'ajustement au collège et la réussite scolaire est moins concluant. Ces résultats soulèvent néanmoins quelques aspects à considérer lors de la formation des tuteurs. D'abord, il apparaît essentiel de sensibiliser les tuteurs aux problèmes que les élèves à risque sont susceptibles de rencontrer à leur arrivée au collège. Par la suite, il serait pertinent que les formateurs insistent sur le bien-fondé d'établir un climat relationnel chaleureux et soutenant qui favorise la communication avec les élèves et qui les encourage à poursuivre le développement de leur autonomie. Finalement, il serait utile que les tuteurs connaissent les interventions plus spécifiques qui leur permettront d'aider l'élève à surmonter ses difficultés. Étant donné que le tutorat maître- élève implique un aspect bidirectionnel qui sous-tend une modulation continuelle entre les comportements du tuteur et ceux de l'élève, le tuteur pourrait utiliser les interventions qu'il juge les plus appropriées selon les besoins de l'élève et les situations qui se présentent en cours de route.