Abstracts
Résumé
Cet article examine, selon une approche empirique, le développement de la pensée critique dans le cadre d'un enseignement disciplinaire au collégial. La méthode utilisée est celle de l'étude de cas qui a permis, durant les quatre mois d'un trimestre, de recueillir une diversité de données sur un groupe classe en psychologie, à l'aide de l'observation participante, de l'entrevue et de l'analyse documentaire. Les résultats semblent établir qu'une stratégie d'enseignement axée sur le développement de quelques capacités de la pensée critique parvient à faire progresser de façon sensible les élèves sur ces capacités, notamment quant à l'évaluation de la crédibilité d'une source et quant au respect des étapes du processus de résolution d'un problème.
Abstract
This article examines, through an empirical approach, the development of critical thinking within the frame of teaching a discipline at college level. A case study, over a four-month trimester, provided a diversity of data with regards to a group of students in a psychology course. This included participant observation, interview, and analysis of documents. The results led the author to propose that a teaching strategy aimed at developing critical thinking abilities can lead to students' progress with respect to these abilities, specifically in evaluating the credibility of a source and in applying the process of problem resolution.
Resumen
Este artículo examina empíricamente el desarrollo del pensamiento crítico dentro del marco de la enseñanza de una disciplina curricular de nivel post-secundario. El estudio de caso ha sido utilizado para recoger diversos datos sobre un grupo-clase de psicología durante una sesión de estudios (cuatro meses) por medio de la observación participante, entrevistas y análisis de documentos. Los resultados del estudio tienden a establecer que una estrategia de enseñanza basada en el desarollo de algunas capacidades críticas puede hacer progresar sensiblemente a los alumnos sobre esas capacidades, principalmente en lo que hace a la evaluación de la credibilidad de las fuentes de información y el respeto de las etapas de la resolución de un problema.
Zusammenfassung
In diesem Artikel wird auf empirischer Basis die Entwicklung kritischen Denkens im Fachunterricht auf College-Niveau untersucht. Die verwendete Methode ist die Fallstudie. Über einen Trimesterzeitraum (vier Monate) wurde in einer Psychologieklasse mit Hilfe von Interviews, observierender Teilnahme sowie Dokumentenanalyse ein vielschichtiges Datenmaterial ermittelt. Die Ergebnisse scheinen zu bestätigen, dass eine Unterrichts-strategie, die auf die Entwicklung bestimmter kritischer Fähigkeiten setzt, zu einer merklichen Verbesserung dieser Fähigkeiten führt. Es wurden vor allem die Beurteilung der Glaubwürdigkeit einer Informationsquelle sowie das Festhalten an Teilergebnissen im Problemlösungsverfahren thematisiert.
Article body
Introduction
Selon le Conseil des collèges (1992) et le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science (1993), la pensée critique fait partie des capacités intellectuelles à développer dans la formation fondamentale au collégial. L'insertion dans des cours de la formation de la pensée critique vise à combler une lacune observée chez les élèves du collégial (Laliberté, 1992). La majorité des enseignants du collégial que Reid (1990) a interviewés considèrent que la plupart des élèves de première année au collège ont de la difficulté à raisonner avec clarté et à exprimer adéquatement leur raisonnement. Les enseignants interrogés souhaitent que la formation collégiale accorde la priorité à la capacité de raisonner et à la maîtrise de la langue; ils visent d'ailleurs, dans la réalité, à développer des habiletés intellectuelles comme l'analyse des problèmes, la synthèse et le jugement critique.
Problématique
Laliberté (1992) note que le fait de se préoccuper directement et explicitement de la pensée critique dans l'enseignement aiderait les élèves à progresser. Mais qu'en est-il de l'enseignement qui tend vers le développement intellectuel des élèves de collège? Selon Reid (1990), on contrôle davantage les connaissances acquises que le développement des habiletés de base; cet auteur rapporte le peu d'exercices visant expressément à développer la capacité de raisonnement de l'élève, son esprit de synthèse, son jugement critique ou sa curiosité sur le plan intellectuel.
Par ailleurs, Romano (1993) conclut «que l'enseignement dispensé au collège n'est pas vraiment de nature à favoriser le développement des habiletés de pensée chez les élèves» (p. 45). L'auteur mentionne que pour améliorer les pratiques pédagogiques, visant à développer les habiletés de pensée, il faut non seulement convaincre les enseignantes et les enseignants, mais aussi leur offrir une solide formation aux stratégies pédagogiques pertinentes. Romano (1993) suggère d'examiner l'apport de disciplines spécifiques au développement des habiletés de pensée, car de telles recherches apporteraient une compréhension plus nuancée des stratégies mises en oeuvre dans des disciplines particulières et favoriseraient une rétroaction plus spécifique aux enseignants de ces disciplines.
Nos questions de recherche s'inscrivent dans une démarche visant à mieux comprendre, par l'étude approfondie et contextualisée d'une situation d'enseignement, le développement de la pensée critique dans le cadre d'un enseignement disciplinaire. Sur un plan général, nous cherchons à savoir dans quelle mesure l'enseignement d'un cours disciplinaire ( Introduction à la psychologie ), dispensé pendant un trimestre selon une préoccupation de formation intellectuelle axée sur la pensée critique, développe la pensée critique des élèves de première année au collège. Afin de répondre à cette interrogation principale, il nous faudra préciser quelle conception de la pensée critique nous allons retenir, à quel modèle d'enseignement de la pensée critique nous pourrons nous référer et quelle sera la méthode la plus appropriée pour évaluer la pensée critique d'un groupe classe de collégial.
Contexte théorique
Choix d'une conception de la pensée critique
Selon Beyer (1988), l'expression «pensée critique» est l'une des plus trompeuses dans le lexique des habiletés de pensée. Guilbert (1990) indique que les définitions de la pensée critique sont très diverses, parfois contradictoires, et qu'un petit nombre seulement peuvent s'opérationnaliser. Lorsqu'il examine les modèles qui inspirent la pédagogie dans les écoles et les universités américaines, Walters (1994) dénonce une conception de la pensée critique le plus souvent limitée au raisonnement logique et à l'analyse d'arguments. Johnson (1992), quant à lui, met en relief cinq conceptions importantes de la pensée critique (celles de Ennis, Lipman, McPeck, Paul et Siegel [1] ) qu'il considère suffisamment élaborées et appuyées par des principes et des arguments.
Dans la présente étude, la conception de la pensée critique recherchée devait présenter une relative exhaustivité, adopter une perspective large et présenter des indicateurs afin de préciser et de reconnaître les dimensions. La conception de Ennis (1987) répond à ces trois critères, car elle comporte plusieurs opérations cognitives, inclut des attitudes propres à la pensée critique et comprend des indicateurs pour plusieurs des dimensions proposées. Par ailleurs, Siegel (1988) estime que le travail de Ennis sur la pensée critique est d'une importance cruciale; Guilbert (1990) considère que le modèle de Ennis représente une contribution importante dans la description de la pensée critique.
Ennis (1985) définit la pensée critique comme «une pensée raisonnable et réflexive orientée vers une décision quant à ce qu'il faut croire ou faire.»[2]. Selon Norris et Ennis (1989), «pensée réflexive» désigne la conscience manifeste dans la recherche et l'utilisation des raisons valables. «Pensée raisonnable» signifie une pensée qui se base sur des raisons acceptables pour arriver à des conclusions logiques dans les affirmations ou les actions. «Orientée» évoque l'idée d'une activité dirigée consciemment vers un but, c'est-à-dire qui ne survient pas par accident ou sans raison. «Vers une décision quant à ce qu'il faut croire ou faire» souligne que la pensée critique peut évaluer aussi bien des énoncés (ce que nous croyons) que des actions (ce que nous faisons).
D'après Ennis (1987), cette définition implique à la fois des capacités ( abilities[3] ) et des attitudes ( dispositions ). L'auteur présente douze capacités et il énonce quatorze attitudes (tableau 1). Cette liste détaillée de capacités et d'attitudes s'avère utile dans l'établissement d'objectifs relatifs au développement de la pensée critique des élèves; cela aide à spécifier les dimensions de la pensée critique que l'on désire privilégier pour un cours particulier abordant une matière spécifique.
À partir des critères de choix proposés par Beyer (1987), notamment l'application fréquente de la capacité dans la vie quotidienne et dans plusieurs domaines d'étude, la pertinence du domaine d'étude dans lequel elle sera enseignée et sa maîtrise probable par les élèves, nous avons retenu les quatre capacités suivantes, tirées de la liste de Ennis (1987), pour le cours d'introduction à la psychologie: l'évaluation de la crédibilité d'une source, l'analyse des arguments, la présentation d'une position à l'aide d'une argumentation orale ou écrite, le respect des étapes du processus de résolution d'un problème (remplace «le respect des étapes du processus de décision d'une action» de la liste de Ennis). Le choix de ces capacités se justifie de diverses façons. Par exemple, apprendre à résoudre des problèmes de façon systématique est utile en psychologie et dans plusieurs autres disciplines, ainsi que dans la vie personnelle. Ou, encore, être capable de juger de la crédibilité d'une source s'avère aussi important dans l'évaluation des auteurs d'un rapport scientifique que dans l'estimation de la crédibilité d'un politicien ou d'un vendeur. Nous avons aussi décrit de façon précise chacune de ces quatre capacités: définition générale de la capacité, ainsi qu'identification, définition et illustration des éléments ou des étapes composant chacune des capacités. Les modèles des quatre capacités furent enseignés, illustrés et exercés dans le cadre de divers thèmes abordés dans le cours de psychologie. Chercher à améliorer ces quatre capacités spécifiques correspond à une visée limitée mais suffisante dans le cadre d'un cours, étant donné que des auteurs comme Nickerson, Perkins et Smith (1985) recommandent d'avoir un petit nombre d'objectifs éducationnels dans l'enseignement de la pensée.
Un modèle approprié d'enseignement de la pensée critique
De manière à pouvoir répondre à notre question de recherche, nous devons non seulement recourir à une conception de la pensée critique valable, mais aussi nous référer à un modèle d'enseignement de la pensée critique approprié.
Plusieurs auteurs préconisent un modèle d'enseignement de la pensée critique qui tient compte de nombreuses dimensions. On propose l'approche multidimensionnelle (Selman, 1989, in Court, 1991) visant à identifier de façon exhaustive les capacités, les attitudes et les dispositions nécessaires à la pensée critique. On met aussi de l'avant l'approche holistique prônée par Sadler et Whimbey (1985), où l'enseignement de la pensée analytique est jumelé à celui de la communication. Tishman, Jay et Perkins (1993) mettent l'accent sur l'environnement éducationnel global et recommandent aux professeurs de créer une culture de la pensée dans leur classe: on doit alors considérer autant les interactions en classe que l'espace physique du local ou les attentes manifestées par les élèves.
L'approche d'infusion (dite d'imprégnation) apparaît, par ailleurs, tout indiquée pour un enseignement disciplinaire axé sur le développement de la pensée critique. Ennis (1989) présente l'approche d'infusion comme l'enseignement approfondi d'un sujet d'étude où l'on encourage les élèves à penser le sujet de façon critique, et dans lequel on explicite les principes généraux des attitudes et des capacités de la pensée critique. Cette explicitation des principes, notamment par l'identification et par la description des opérations impliquées dans la pensée critique, amène les élèves à prendre de la distance face au contexte disciplinaire dans lequel ils appliquent ces opérations: cette approche favorise le transfert des opérations.
Costa (1985) recommande, pour sa part, un programme en trois parties: enseigner à penser ( teaching FOR thinking ), enseigner ce qu'est la pensée ( teaching OF thinking ) et enseigner à réfléchir sur la pensée ( teaching ABOUT thinking ). Enseigner à penser implique que les administrateurs et les enseignants créent les conditions favorables aux réflexions des élèves. Par exemple, on peut soulever des problèmes que les élèves essaient de résoudre et y consacrer temps et ressources. Enseigner ce qu'est la pensée signifie enseigner directement aux élèves les processus de la pensée et intégrer cet enseignement au programme de cours habituel. Malgré la pertinence des deux premières parties, Costa (1985) les juge insuffisantes, car il importe aussi de se préoccuper du transfert de ces habiletés de pensée au-delà du contexte particulier d'enseignement, c'est-à-dire enseigner à réfléchir sur la pensée qui met l'accent sur la métacognition: les fonctions de planification de la tâche, d'observation durant son exécution, d'ajustement conscient et d'évaluation de l'ensemble relèvent de la métacognition. Être conscient de ses propres processus de pensée critique fournit la possibilité d'identifier ses déficiences cognitives, en vue de leur correction, accroît l'autonomie de la pensée et favorise le transfert de la pensée critique.
Bref, le modèle d'enseignement de la pensée critique que nous préconisons correspond à un modèle global d'enseignement, adopte une approche d'infusion pour favoriser le transfert, propose trois objectifs complémentaires d'enseignement de la pensée, et comprend des éléments visant à stimuler la métacognition chez les élèves. Nous décrivons en détail ailleurs (Boisvert, 1999 a ; 1999 b ) une méthode d'élaboration d'une stratégie d'enseignement axée sur le développement de la pensée critique.
L'évaluation de la pensée critique
Les instruments de mesure et de collecte d'informations sur la pensée critique varient sur un continuum quantitatif/qualitatif. Alors qu'un auteur comme Facione (1986) croit possible de tester les capacités de pensée critique chez de très grands groupes à l'aide d'instruments à correction automatisée, d'autres, comme Marzano et Costa (1988), estiment que ce n'est pas possible et préconisent l'usage de techniques d'évaluation qualitative. Ennis (1993) considère que les tests à choix multiples n'évaluent pas directement et efficacement plusieurs aspects importants de la pensée critique, telles l'ouverture d'esprit et la capacité de tirer avec prudence des conclusions fondées. L'auteur recommande l'usage de techniques qui donnent l'occasion aux individus de fournir des réponses élaborées et personnelles. Il est souvent nécessaire de construire soi-même de tels instruments.
Pour appréhender au mieux la pensée critique des élèves, nous adoptons une approche mixte, en utilisant des techniques d'évaluation quantitative et qualitative. Un test général à choix multiples fournira les données quantitatives, alors que l'observation participante des élèves, l'entrevue et une variété de textes écrits par les élèves sont les techniques d'évaluation qui serviront à recueillir des données qualitatives. Nous décrivons ces instruments dans la partie traitant de la méthodologie.
La figure 1 présente un schéma qui reprend les éléments essentiels que nous avons retenus pour un enseignement conçu en vue de favoriser le développement de quelques dimensions de la pensée critique dans le cours de psychologie. La présentation de ces éléments sous la forme de trois étapes a pour but de mettre en relief une séquence logique: le choix d'une conception de la pensée critique apparaît préalable à l'adoption et à la mise en oeuvre d'un modèle d'enseignement, et ce dernier requiert l'utilisation d'une approche d'évaluation appropriée. Soulignons cependant que, dans la réalité de la mise en oeuvre de la stratégie d'enseignement, les trois étapes sont en interrelation, ce qui est exprimé par les traits avec flèches aux deux extrémités qui relient les trois étapes entre elles: par exemple, l'enseignement d'une discipline particulière (étape 2), en raison des caractéristiques propres à celle-ci, peut orienter le choix d'une conception de la pensée critique ou de ses dimensions (étape 1); ou, encore, il est possible que l'évaluation des dimensions de la pensée critique (étape 3) en modifie les objectifs d'enseignement (étape 2) ou remette en cause le choix des dimensions de la pensée critique retenues pour le cours (étape 1).
Objectifs de l'étude
La recherche vise à explorer, à partir de l'étude d'un groupe classe, à quelles conditions et dans quelle mesure se développent les quatre capacités de la pensée critique retenues pour le cours. En voici les objectifs spécifiques:
Planifier et dispenser un cours de psychologie de 45 périodes en y appliquant une stratégie d'enseignement favorisant le développement des capacités de la pensée critique visées dans le cours (évaluation de la crédibilité d'une source, analyse des arguments, présentation d'une position à l'aide d'une argumentation orale ou écrite, respect des étapes du processus de résolution d'un problème).
Décrire le développement des capacités de la pensée critique de l'ensemble des élèves du groupe classe étudié.
Rapporter la perception des élèves par rapport au développement de leur pensée et quant à la stratégie d'enseignement.
Analyser et interpréter l'ensemble des données recueillies dans l'étude de cas.
Méthodologie
L'étude de cas
Puisqu'il s'agit d'étudier une situation complexe – l'influence d'un cours sur le développement de la pensée critique – dans son contexte global, la méthode retenue est celle de l'étude de cas. La méthode d'étude de cas se révèle en effet appropriée pour les descriptions détaillées sur un cas unique dans son contexte total, comme l'enseignement d'une discipline dans un groupe classe durant un trimestre (Borg, Gall et Gall, 1993; Saint-Pierre, 1993); cette méthode exige qu'on recueille, notamment par l'observation et l'entrevue, des données en provenance de plusieurs sources. Yin (1989) distingue l'étude de cas des autres stratégies de recherche, telles l'expérimentation et l'enquête, en la définissant comme l'exploration empirique d'un phénomène contemporain, en contexte naturel, à l'aide de moyens variés.
L'étude de cas qualitative, que Merriam (1988) définit comme «une description et une analyse globales et approfondies d'un phénomène circonscrit tels un programme, une institution, une personne, un processus ou une unité sociale»[5], s'applique adéquatement au contexte de l'éducation, car elle aborde les problèmes de la pratique selon une perspective globale. Selon Merriam, l'étude de cas est souvent la méthode la plus appropriée pour aborder les problèmes qu'on cherche à comprendre de manière à améliorer la pratique.
Dans le but d'assurer la rigueur de la recherche qualitative, plusieurs moyens peuvent être mis en branle pour atteindre la crédibilité, la transférabilité, la fiabilité et la confirmation (Savoie-Zajc, 1989). Les moyens utilisés dans notre propre étude comprennent notamment la fréquentation prolongée du milieu, la collecte rigoureuse des données, la triangulation et la contextualisation des données. Par ailleurs, parmi les diverses façons d'envisager la validité externe (la transférabilité) en recherche qualitative, nous retenons surtout celle que Merriam propose, soit la «généralisation par le lecteur ou l'utilisateur» ( reader or user generalizability ) qu'elle juge particulièrement adaptée à l'étude de cas; ce type de généralisation consiste à laisser aux individus concernés par une situation la tâche d'évaluer dans quelle mesure les résultats de l'étude s'appliquent à leur propre situation.
Parmi les limites de l'étude de cas, Saint-Pierre (1993) rapporte les problèmes reliés à la généralisation des résultats et à l'objectivité de la démarche, la difficulté de réduire les données, et le manque de procédures standardisées; les moyens destinés à augmenter la rigueur de la recherche qualitative, mentionnés précédemment, contribuent à diminuer ces lacunes. Cette autrice relève, en contrepartie, plusieurs avantages de l'étude de cas: 1) tous les aspects d'une problématique sont examinés dans leur contexte réel; 2) les significations données aux événements par les sujets sont considérées; 3) les méthodes peuvent être adaptées au déroulement de l'étude; 4) des variables apparues au cours de l'étude peuvent être traitées dans la suite de la recherche. Saint-Pierre (1993) soutient que «l'étude de cas apparaît comme un moyen privilégié pour comprendre, informer et améliorer la pratique éducative, car elle peut fournir la description d'expériences conduites par des collègues, dans des conditions voisines des leurs, tel que le réclament les enseignants selon Desrosiers et Godbout (1992)» (p. 14).
Le groupe classe, qui représente le cas à étudier, était constitué d'élèves de première année du collège, inscrits dans le programme de sciences humaines au cours Introduction à la psychologie. Le groupe comprenait 34 élèves (21 filles, 13 garçons) sur la dernière liste à la fin du trimestre. Tous ces élèves, à l'exception de deux, étaient inscrits au programme de sciences humaines, sans mathématiques. Au début de la session, l'âge moyen était de 18 ans et 11 mois, et les âges s'échelonnaient de 17 à 24 ans inclusivement, les deux tiers (25 élèves sur 37) ayant moins de 19 ans. Le cours a été donné en prenant en compte les principaux éléments pédagogiques relatifs au modèle d'enseignement de la pensée critique préconisé.
Les techniques de collecte des données
Dans notre étude, les données à recueillir portent sur les manifestations de la pensée critique chez les élèves. Les techniques de collecte des données dans l'étude de cas sont: l'observation, l'entrevue et l'analyse documentaire (Merriam, 1988; Saint-Pierre, 1993). Ces trois techniques permettent la triangulation méthodologique des données, en confirmant les données obtenues d'une certaine façon avec celles obtenues de façon différente. Nous avons aussi tenu compte de la triangulation temporelle (collecte de données sur une période de quatre mois), la triangulation des niveaux d'analyse (en considérant le niveau individuel et le groupe classe), de même que la triangulation d'observateurs (deux autres personnes, extérieures à la recherche, ont codé une partie des données d'observation).
Nous avons utilisé des grilles d'observation, construites pour les besoins de notre étude, afin de colliger les données relatives à la pensée critique. Les observations étaient complétées par des notes de terrain, où l'on décrit objectivement ce qui se passe en classe, et un journal de bord tenu par l'enseignant dans lequel il inscrit ses réflexions personnelles sur les observations. Pour chacune des quatre capacités choisies pour le cours, une grille d'observation comprenait les éléments de la capacité et les critères de cotation. La cotation indique si un élément est absent ou, en cas de présence, s'il est adéquat ou à améliorer. On utilise le mot «absent» quand un comportement ou un élément de capacité n'est pas observé ou décelé chez les élèves. Quant au terme «présent», on l'emploie quand un comportement ou un élément de capacité est observé ou décelé chez la majorité des élèves; par ailleurs, un comportement ou un élément de capacité est qualifié de «peu présent» lorsque moins de la moitié des élèves le manifestent. L'expression «à améliorer» signifie que le comportement est jugé inadéquat, c'est-à-dire qu'il ne répond pas à ce qui est attendu d'un élément particulier d'une capacité donnée; par exemple, dans l'exercice de la capacité «analyse des arguments», la structure d'une argumentation n'est dégagée que partiellement ou le résumé de l'argumentation est incomplet. Le mot «adéquat» désigne le fait que le comportement ou l'élément d'une capacité est non seulement présent chez la majorité (plus de la moitié) des élèves mais qu'il répond aussi convenablement à ce qui est attendu d'un élément particulier d'une capacité donnée; par exemple, dans l'exercice de la capacité «évaluation de la crédibilité d'une source», plus de la moitié (en fait, les deux tiers) des élèves posent un jugement global clair et explicite sur la crédibilité de la source.
Les données issues de l'entrevue sont complémentaires de l'observation: elles permettent de connaître la signification que les sujets eux-mêmes attribuent aux événements. Les entrevues portaient sur le développement des capacités de la pensée critique et sur la stratégie d'enseignement. Pour plus de fiabilité et d'exhaustivité, on a enregistré les entrevues sur magnétophone, puis on les a transcrites in extenso. Les entrevues individuelles ont eu lieu à deux reprises, au début et à la fin de la session, avec les mêmes élèves[6] ; ces entrevues semi-dirigées, dont le guide d'entrevue comprenait une douzaine de points pour orienter la démarche, duraient de 30 à 40 minutes chacune. L'entrevue de groupe s'est déroulée en classe, à la fin du cours; elle comportait une demi-douzaine de questions relatives à l'apprentissage des notions disciplinaires et à l'amélioration de la pensée critique. Notons, par exemple, la deuxième question, «Dans l'ensemble, croyez-vous avoir progressé sur le plan de la pensée? Précisez.», la troisième question «Trouvez-vous que c'est une bonne idée d'avoir abordé une partie du contenu du cours sous l'angle des quatre opérations de pensée critique présentées en classe? Commentez brièvement.», et la cinquième question, «Ce que je retiens de plus important dans le cours est... (chacun complète la phrase)».
Les documents sur la pensée critique comprenaient principalement divers écrits de tous les élèves, portant sur une ou l'autre des quatre capacités de pensée critique visées dans le cours, rédigés dans le cadre de leur évaluation: de courtes rédactions sur des thèmes spécifiques, des réponses d'examen, un texte d'analyse d'arguments, un essai critique. Les résultats au Cornell Critical Thinking Test (Ennis, Millman et Tomko, 1985) de niveau Z (pour les étudiants de collège, d'université et les autres adultes), qui sert à mesurer les capacités de la pensée critique telles qu'elles sont décrites par Ennis, ont fourni des données quantitatives sur la pensée critique des élèves; il s'agit d'un test à choix multiples qui comprend 52 éléments regroupés en sept sections et qui a été traduit et validé par l'équipe de recherche de Guilbert et Pelletier (1990) de l'Université Laval[7]. Un questionnaire d'une quarantaine de questions, dont une dizaine de questions ouvertes, fut distribué à la fin du cours pour recueillir des données sur la façon dont les élèves ont vécu l'ensemble du cours et sur leurs perceptions des changements dans leur pensée critique. Les réponses des élèves au questionnaire représentent leur point de vue subjectif, au même titre que l'entrevue, et complètent utilement les autres sources d'information.
Le tableau 2 reprend les trois techniques de collecte de données utilisées, en indiquant pour chacune les instruments auxquels on a eu recours.
Analyse et interprétation des données
Nous présentons d'abord les résultats au test de pensée critique, ensuite les données sur chacune des quatre capacités de pensée critique visées dans le cours et, enfin, les données portant sur la perception des élèves par rapport au développement de leur pensée. Par la suite, nous faisons ressortir les faits saillants de notre étude et nous indiquons les similitudes et les différences avec d'autres études.
Les résultats au test de pensée critique
Le test de pensée critique Cornell Critical Thinking Test, niveau Z, a été administré lors de la deuxième semaine de cours. Cette utilisation qui visait à fournir un diagnostic approximatif sur la pensée critique des élèves en début de session est suggérée par les auteurs du test (Ennis, Millman et Tomko, 1985). Le score total portant sur les 52 items du test est de 49,8% pour les filles et de 49,4% pour les garçons: le résultat global au test paraît quasi identique pour les deux sexes. Dans l'ensemble, les élèves, garçons et filles confondus, obtiennent un pourcentage de réussite de l'ordre de 49,6%; ce résultat est comparable au 49% obtenu par la population 1 de l'étude de Guilbert et Pelletier (1990) constituée de futurs enseignants du primaire (n=140), étudiants en deuxième année de baccalauréat. Il est à noter que ce test général à choix multiples sur la pensée critique n'a pas été réadministré à la fin de la session: compte tenu de la nature générale du test, et à cause du court délai de quatre mois entre le début et la fin de la session, nous avons estimé que ce test ne permettrait pas d'obtenir de changements significatifs dans la pensée critique des élèves. Les résultats du test représentent plutôt les données quantitatives qui se sont ajoutées aux données qualitatives, de manière à diversifier les sources de données dans l'examen de la pensée critique du groupe classe, tel que le requiert la méthode de l'étude de cas.
Données sur les quatre capacités de pensée critique
Les données sur les quatre capacités visées dans le cours sont issues des sources suivantes. Nous avons conservé parmi les données d'observation deux extraits vidéoscopiques qui portaient sur des ateliers réalisés en classe. Chacun des deux ateliers visait une capacité particulière de la pensée critique: l'un portait sur «la présentation d'une position à l'aide d'une argumentation orale et écrite», l'autre exercait la capacité du «respect des étapes du processus de résolution d'un problème». Nous avons surtout mis à profit l'ensemble des textes écrits par les élèves qui portaient sur une ou l'autre des quatre capacités, essentiellement les travaux (quatre rédactions sur des thèmes spécifiques, un texte d'analyse d'arguments et un essai) et les examens.
Le tableau 3 présente d'un point de vue chronologique, à partir de la cinquième semaine de cours jusqu'à la quinzième et dernière semaine, les moyens d'évaluation des élèves utilisés pour chaque capacité de la pensée critique visée dans le cours.
Pour chacune des quatre capacités, nous décrivons et analysons la performance de l'ensemble des élèves quant aux éléments de capacité. À l'aide des grilles d'observation et d'évaluation portant sur chacune des quatre capacités de la pensée critique, nous avons procédé à une analyse du contenu des documents écrits par les élèves et de leurs comportements lors des deux ateliers en classe (en différé, sur vidéos). La cotation de la performance des élèves sur chacun des éléments des quatre capacités est obtenue par le jugement du chercheur.
Lorsqu'on applique à une capacité les critères d'évaluation de la performance, cela aide à déterminer dans quelle mesure cette capacité est maîtrisée. Une capacité sera jugée mieux maîtrisée si ses éléments sont présents et s'ils sont appliqués adéquatement. Des éléments absents ou à améliorer indiquent, par ailleurs, les aspects d'une capacité dont on doit favoriser le développement. Cette cotation de la performance des élèves sur une tâche, au sujet d'une capacité spécifique, apporte des indices sur l'état actuel de cette capacité; lorsque plusieurs tâches mettant en action une même capacité sont réalisées à différents moments du cours, cela permet d'évaluer l'amélioration de cette capacité sur une période déterminée.
L'évaluation de la crédibilité d'une source
Les données concernant «l'évaluation de la crédibilité d'une source» viennent des documents rédigés en classe par les élèves à la cinquième semaine de cours (réponse à la question 5 du premier examen) et ceux remis à la sixième semaine (rédaction 1). La rédaction répond aux exigences suivantes: «À partir du résumé d'un rapport de recherche en psychologie ou d'un texte d'opinion portant sur un sujet relié à la psychologie, dont vous annexez une copie, jugez la crédibilité de la source selon les critères appropriés». Les élèves ont appris ces critères, au préalable, grâce à l'apprentissage d'un modèle relatif au jugement de la crédibilité d'une source illustré de plusieurs exemples tirés du domaine de la psychologie. Le tableau 4 résume l'analyse des données portant sur cette capacité.
L'expertise, l'absence ou la présence de conflits d'intérêts et l'usage ou non des procédures établies représentent les éléments de la capacité dont les élèves ont le plus tenu compte. L'accord ou le désaccord avec d'autres sources, la capacité ou non d'avancer des raisons et la synthèse des éléments évalués correspondent aux éléments le plus souvent absents. Seulement le tiers des élèves formulent une synthèse des éléments évalués, alors que les deux tiers formulent un jugement global sur la crédibilité de la source. Les élèves élaborent adéquatement l'élément «l'usage ou non des procédures établies» à propos duquel ils envisagent plusieurs aspects. Une partie des élèves comprennent moins bien les notions d'expertise et d'absence ou de présence de conflits d'intérêts. La mauvaise compréhension de ce type de conflits provient du fait que ces élèves considèrent le conflit d'intérêts sous l'angle interpersonnel (conflit entre deux ou plusieurs personnes) ou intergroupe (conflit entre deux ou plusieurs groupes) plutôt que sous l'angle intrapersonnel (conflit entre deux ou plusieurs rôles chez un même individu) ou intragroupe (conflit entre deux ou plusieurs rôles à l'intérieur d'un même groupe).
L'analyse des arguments
Le tableau 5 résume les données provenant de l'analyse d'un essai réalisée par les élèves. Les élèves appliquaient le plus souvent les éléments suivants: identifier les conclusions, identifier les raisons explicitées et résumer l'argumentation. Identifier les raisons non explicitées, identifier les éléments non pertinents et dégager la structure d'une argumentation se retrouvaient moins souvent dans leur analyse.
Les opérations intellectuelles des trois éléments les plus présents semblent plus faciles à réaliser que celles impliquées dans les trois éléments les moins présents, qui paraissent exiger davantage de jugement et de réflexion. Globalement, la maîtrise des élèves dans l'analyse des arguments d'un essai apparaît limitée et plusieurs points restent à améliorer. Il faut par ailleurs noter qu'analyser des arguments semble aux élèves une tâche plus complexe et plus ardue qu'évaluer la crédibilité d'une source.
La présentation d'une position à l'aide d'une argumentation orale ou écrite
Les données relatives à «la présentation d'une position à l'aide d'une argumentation orale ou écrite» proviennent d'un atelier en classe (argumentation orale et écrite) où les élèves avaient à justifier leur choix d'une théorie de la personnalité parmi les trois proposées (psychanalytique, béhavioriste, humaniste), des réponses à deux questions d'examen, d'une courte rédaction sur un thème spécifique et d'un essai critique. L'analyse des données (tableau 6) révèle une performance adéquate sur quatre des sept éléments de la capacité: tenir compte d'un auditoire particulier, énoncer le point principal, présenter les raisons et faire un résumé (du moins à l'écrit). Aucun élève ne clarifie le point principal. Le quart des élèves n'entrevoient pas d'autres possibilités à l'écrit et aucun n'aborde cet élément à l'oral.
Le respect des étapes du processus de résolution d'un problème
Le tableau 7 donne une description de la performance des élèves sur «le respect des étapes du processus de résolution d'un problème». Les données viennent de l'observation en classe d'un atelier portant sur les problèmes de stress à résoudre, des réponses à deux questions d'examen et d'une courte rédaction sur un thème. L'atelier en classe consiste en un exercice d'application de la capacité de résolution de problèmes dans la gestion du stress. Chaque équipe de quatre ou cinq élèves doit trouver deux problèmes importants de stress, fictifs et typiques, l'un touchant l'individu et l'autre la collectivité. Après avoir appliqué le processus en sept étapes à ces deux problèmes (le professeur s'assure que ces problèmes diffèrent d'une équipe à l'autre), deux élèves de l'équipe présentent à la classe tout le processus appliqué aux deux problèmes, permettant au groupe de vérifier la tentative de solution à une douzaine de problèmes. Ce modèle de résolution de problèmes en sept étapes (DeVito, 1993) renvoie à un processus qui se déroule de manière itérative plutôt que linéaire. Pour chaque étape, des commentaires sur la performance des élèves sont formulés.
Les données sur la perception des élèves envers le développement de leur pensée
Nous présentons maintenant les données sur le point de vue des élèves quant au développement de leur pensée. Cette section porte sur la perception des élèves; cet angle subjectif complète la perspective plus objective développée à partir des résultats du test de pensée critique et des données sur les capacités provenant de l'observation et des travaux des élèves.
Qu'en est-il de la façon dont les élèves entrevoient leur pensée à la fin du cours? Leur pensée s'est-elle développée? Si oui, de quelle façon? Quelles capacités de la pensée critique jugent-ils les plus importantes? Quelles attitudes particulières de la pensée croient-ils avoir le mieux développées? Les données sur lesquelles s'appuient les éléments de réponse proviennent des entrevues individuelles, de l'entrevue de groupe et du questionnaire individuel rempli par tous les élèves de la classe.
Les réponses à l'entrevue de groupe et au questionnaire individuel indiquent que l'ensemble des élèves affirment avoir progressé de façon importante sur le plan de la pensée; ils attribuent ce progrès principalement au cours de psychologie axé sur le développement de la pensée critique. De façon générale, ce sont les attitudes de rigueur et de réflexion qui leur paraissent s'être le mieux développées telles que mieux réfléchir, moins juger les autres, être plus critique et plus objectif, chercher davantage à connaître la vérité. À la question concernant le niveau d'habileté qu'ils croient avoir atteint, pour chacune des quatre opérations de pensée critique décrites et exercées au cours de la session, la majorité des élèves affirment avoir atteint un niveau élevé pour «l'évaluation de la crédibilité d'une source» et «le respect des étapes du processus de résolution d'un problème»; à peine un dixième des élèves disent, par ailleurs, avoir préalablement ou concurremment appris ou exercé dans d'autres cours ces deux capacités de la pensée critique. À noter que ces deux mêmes capacités leur apparaissent aussi les plus utiles parmi les quatre opérations de pensée.
Les ressemblances suivantes ressortent des entrevues individuelles: les élèves interviewés disent avoir développé leur pensée par le cours de psychologie, surtout la capacité «évaluation de la crédibilité d'une source»; ils croient avoir développé des attitudes telles que penser de façon logique, faire preuve d'ouverture d'esprit et entretenir moins de préjugés. La capacité «respect des étapes du processus de résolution d'un problème» leur paraît la plus importante, particulièrement pour leur vie personnelle.
Le développement de la pensée critique
L'ensemble des données recueillies portent à croire que les élèves ont amélioré leur pensée critique au cours du trimestre dans le cadre du cours de psychologie. D'une part, nous avons pu relever les constantes suivantes. Les élèves ont appris un modèle propre à chacune des quatre capacités, qui sert de cadre de référence pour comprendre et suivre les étapes principales de chaque capacité. Les élèves se sont montrés capables, lors des ateliers en classe, des examens ou des travaux à réaliser à la maison, d'appliquer ces modèles à des contextes variés. Ce progrès constaté dans la pensée critique de l'ensemble des élèves concorde, d'autre part, avec leurs perceptions à propos du développement de leur pensée critique. La majorité des élèves disent avoir progressé de façon importante sur le plan de la pensée, notamment par rapport à deux des quatre capacités visées dans le cours. Certains élèves estiment avoir développé une ou plusieurs attitudes reliées à la pensée critique.
En résumé, les données de nature objective et subjective issues de notre étude de cas incitent à conclure que, dans le cours de psychologie axé sur la formation de la pensée critique, l'ensemble des élèves paraissent avoir développé des capacités et des attitudes reliées à la pensée critique. Cependant, la durée restreinte de l'étude, un trimestre de cours de quinze semaines, explique en partie l'amélioration somme toute limitée de la pensée critique chez les élèves.
Similitudes et différences avec d'autres études empiriques
Le développement de la pensée critique, tel qu'il ressort chez les élèves de notre étude au cours du trimestre, correspond au résultat d'autres recherches empiriques portant sur les élèves de collège, que ce soit l'effet de l'expérience globale de collège (McMillan, 1987), ou après un an de collège (Pascarella, 1989), ou bien l'influence d'un cours (Norris, Jackson et Poirot, 1992). Ces études diffèrent cependant de la nôtre sous les aspects suivants: l'expérience rapportée par McMillan (1987) porte sur l'ensemble des activités scolaires et parascolaires; Pascarella (1989) procède à une évaluation quantitative et sur une année entière; Norris, Jackson et Poirot (1992) n'évaluent pas un cours spécifiquement axé sur le développement de la pensée critique. L'originalité de notre étude réside dans l'approche qualitative d'un cours disciplinaire particulier, dispensé sur une période de quatre mois, et dont la stratégie d'enseignement est spécifiquement axée sur le développement de quelques dimensions de la pensée critique.
Par ailleurs, McMillan (1987) établit que les recherches sur l'amélioration de la pensée critique chez des élèves de collège, et qui ont rapporté des différences significatives, ont utilisé des instruments développés localement, comme ce fut le cas dans notre étude, plutôt qu'un test de mesure générale. Il est à noter aussi que nous avons tenu compte de deux recommandations formulées dans la conclusion de McMillan (1987), à savoir procéder à la triangulation des données en prenant plusieurs mesures de la pensée critique et faire coïncider étroitement le type de mesure de la pensée critique avec les changements visés par l'intervention.
Les réponses des élèves interrogés sur les occasions de développer la pensée critique dans le cours et sur leur perception du développement de leur pensée critique recoupent celles recueillies par Shepelak, Curry-Jackson et Moore (1992); une nette majorité d'élèves déclarent que le cours leur a offert nombre d'occasions de parfaire leur pensée critique et qu'elle est mieux développée à la fin du cours.
À la suite de son examen de vingt-sept études réalisées sur la pensée critique des élèves de collège, McMillan (1987) conclut qu'il y a peu d'études publiées quant à la manière de développer la pensée critique avec des méthodes et du matériel pédagogiques particuliers. Partageant cette opinion, nous croyons que notre étude vient combler partiellement cette lacune. La stratégie d'enseignement que nous avons conçue présente en effet une méthode propre dont les principes directeurs ont été identifiés, c'est-à-dire le choix d'une conception de la pensée critique et la spécification des dimensions retenues pour le cours, l'adoption d'un modèle global d'enseignement et d'une approche d'infusion pour favoriser le transfert, de même que la prise en compte de trois objectifs d'enseignement de la pensée critique. Qui plus est, la stratégie d'enseignement élaborée propose des moyens pédagogiques pour exercer et évaluer les capacités de la pensée critique que vise le cours.
Conclusion
Nous avons posé comme défi éducatif le développement de la pensée critique des élèves dans le cadre d'un enseignement disciplinaire spécifique. Comment doit-on enseigner pour relever ce défi? Quels résultats peut-on espérer atteindre? Notre étude de cas a apporté certains éléments de réponse à ces questions, en exposant les données pour mieux comprendre les effets d'une stratégie d'enseignement mise en oeuvre en psychologie, dans le but de développer des capacités liées à la pensée critique. Toutefois, la durée restreinte de l'étude, échelonnée sur quatre mois, ne suffit pas pour établir plusieurs changements significatifs de la pensée critique des élèves. L'observation participante, à titre de professeur du groupe classe examiné, et le fait que le codage d'une partie des données n'a pas été repris par d'autres personnes représentent, par ailleurs, des éléments qui ont pu limiter l'objectivité de l'étude. De plus, si l'on se référait à Yin (1989), la généralisation des résultats de notre étude ne serait pas automatique et nécessiterait leur reproductibilité dans un deuxième ou même dans un troisième cas.
Une critique positive du modèle d'enseignement employé mettrait notamment en relief la possibilité de celui-ci de recourir à une diversité de conceptions de la pensée critique, ainsi que sa flexibilité à s'ajuster à une pluralité de contenus d'enseignement et de pratiques pédagogiques, quel que soit l'ordre d'enseignement. Les limites de ce modèle d'enseignement, tel que nous l'avons utilisé, pourraient comprendre, entre autres, la fragmentation de la pensée critique en dimensions détachées à travers l'enseignement de capacités isolées. En effet, on peut se demander si l'apprentissage et l'exercice de quelques capacités liées à la pensée critique suffisent à développer globalement cette dernière, d'autant plus si les attitudes en lien avec la pensée critique ne sont pas directement prises en compte. Par ailleurs, comme ce modèle d'enseignement de la pensée critique se prête à un large éventail d'applications, son évaluation exige de cerner adéquatement ce qui, au-delà des particularités propres aux applications spécifiques, relève du modèle d'enseignement lui-même.
En bout de piste, nous croyons important d'intensifier la recherche portant sur l'apport respectif des disciplines au développement de la pensée critique. L'étude des barrières à la pensée critique représente un secteur de recherche à favoriser, notamment les sources de la résistance à s'engager dans un processus de pédagogie active. La réflexion doit se poursuivre sur la notion de pensée critique, en particulier sur une conception élargie et une perspective développementale de la pensée critique. Plusieurs questions relatives aux stratégies d'enseignement favorisant le transfert de la pensée critique paraissent pertinentes. On peut s'interroger aussi sur l'existence d'un portrait type du penseur critique et sur le rôle des variables socioculturelles.
Selon nous, la formation des élèves au collégial doit viser l'apprentissage de notions disciplinaires jugées essentielles par les professeurs, de même qu'elle doit chercher à développer la pensée critique des élèves. Une véritable formation intellectuelle représente, en effet, un des objectifs essentiels de formation au collégial, en particulier le développement de la pensée critique comme réponse aux exigences sociales et économiques et comme idéal éducatif. Il reste primordial de poursuivre la recherche sur les stratégies d'enseignement axées sur le développement de la pensée critique, afin d'éclairer les choix pédagogiques et éducatifs et dans le but de venir en aide à tous ceux et celles qui ont pour rôle de former les élèves à une plus grande rigueur intellectuelle.
Appendices
Notes
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[1]
Ennis, Lipman, McPeck, Paul et Siegel définissent chacun comme suit la pensée critique:
«Une pensée raisonnable et réflexive orientée vers une décision quant à ce qu'il faut croire ou faire» (Ennis, 1985).
«Une pensée qui facilite le jugement parce qu'elle s'appuie sur des critères, est autocorrective, et est perméable au contexte» (Lipman, 1991).
«L'habileté et la propension à s'engager dans une activité avec un scepticisme réflexif» (McPeck, 1981).
«Une pensée disciplinée qui se guide elle-même et qui représente la perfection de la pensée appropriée à un certain mode ou domaine de la pensée» (Paul, 1992).
«Le penseur critique est un individu qui pense et qui agit de manière appropriée en s'appuyant sur des raisons» (Siegel, 1988).
-
[2]
Traduction personnelle de Critical thinking is reflective and reasonable thinking that is focused on deciding what to believe or do (p. 45).
-
[3]
Compte tenu que dans le vocabulaire descriptif de la pensée il n'y a pas consensus sur les équivalences en français de termes anglais, lorsque nous empruntons à l'anglais, nous plaçons entre parenthèses les termes originaux.
-
[4]
La liste des capacités et des attitudes est une traduction personnelle.
-
[5]
Traduction personnelle de an intensive, holistic description and analysis of a bounded phenomenon such as a program, an institution, a person, a process, or a social unit (p. 16).
-
[6]
Vu qu'il s'agit de données complémentaires de celles recueillies par les autres techniques, nous avons établi qu'il suffisait de quatre élèves. Les critères de choix sont le sexe (deux garçons, deux filles) et les résultats au test de pensée critique Cornell critical thinking test, forme Z (résultat le plus élevé chez les garçons et les filles, résultat le moins élevé chez les garçons et les filles).
-
[7]
Le Cornell critical thinking test de niveau Z a été traduit par l'équipe de recherche de Guilbert et Pelletier (1990), de l'Université Laval, et révisé par une linguiste spécialisée en logique. Après avoir fait passer ce test à un groupe dont les caractéristiques étaient comparables à celles de la population ayant participé à l'étude, et en fonction des indices de difficulté, l'équipe de recherche a réévalué et modifié la traduction de certaines questions afin de respecter les subtilités de la version originale. Ennis, Millman et Tomko (1985) rapportent un coefficient de fidélité entre 0,50 et 0,77 pour le test. Ces auteurs abordent le sujet de la validité du test dans le manuel d'utilisation: la pertinence du contenu du test est discutée et la recherche empirique sur le test est rapportée. Norris (1986) émet des réserves sur certaines sections du test, trop courtes selon lui pour bien évaluer la capacité visée.
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