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Cet ouvrage collectif dirigé par Colette Dubuisson et Daniel Daigle traite des difficultés des sourds en français écrit. On y fait état de certaines recherches et solutions proposées ailleurs dans le monde, on y fait le point sur la situation actuelle au Québec et on y présente de nouvelles perspectives.

Les auteurs posent rapidement, dans l'introduction, l'importance pour tout individu de disposer d'une langue première acquise spontanément dès le plus jeune âge pour avoir un développement harmonieux des fonctions cognitives et pour faire tout apprentissage. Ils affirment que les seules langues naturelles que des jeunes sourds peuvent acquérir spontanément sont les langues signées qui leur sont totalement accessibles par leur modalité visuogestuelle. On y rappelle également que les langues signées sont des langues à part entière qui s'acquièrent de façon spontanée en milieu naturel. On présente ensuite le contenu de chacune des quatre parties et de chacun des 14 chapitres.

La première partie comporte deux chapitres et est consacrée aux méthodes et aux approches d'enseignement. Dans le premier chapitre vient tout d'abord une explication claire et brève des grandes approches actuelles de l'enseignement de la langue majoritaire aux sourds, approches qui sont situées dans leur perspective historique. Après en avoir souligné le constat d'échec, on introduit l'approche bilingue qui est définie dans ses spécificités et dans ses différences avec les autres approches. Au deuxième chapitre, les auteurs présentent de façon plus détaillée l'approche bilingue/biculturelle: ils font état de l'histoire de l'éducation des sourds au Québec tant du point de vue de la langue que de l'intégration sociale, puis ils définissent le bilinguisme en général et le bilinguisme sourd en particulier; enfin, ils font part d'expériences de bilinguisme dans d'autres pays. Ce chapitre prend fin par l'énoncé de certaines conditions nécessaires à l'implantation d'un enseignement bilingue/biculturel et de principes qu'il faut alors prendre en considération.

La deuxième partie de l'ouvrage comporte deux chapitres traitant de la lecture. Les auteurs présentent (troisième chapitre) une analyse critique des recherches dans le domaine et remettent en question la notion de plafonnement des lecteurs sourds. Ils décrivent également les spécificités des sourds qui n'abordent pas la lecture comme les entendants. Ils présentent ensuite (quatrième chapitre) un outil informatisé facilitant l'observation directe du lecteur, ce qui permet de comprendre les comportements des lecteurs sourds, particulièrement en situation d'incompréhension.

La troisième partie comporte cinq chapitres sur l'écriture. On y fait d'abord état de recherches sur le développement de l'écriture chez les sourds et des facteurs qui peuvent influencer l'apprentissage de l'écrit. Au sixième chapitre, on décrit une démarche de recherche telle qu'elle est utilisée dans différentes études. Ensuite, au septième chapitre on rapporte une étude comparative des erreurs des sourds en français écrit par rapport à celles des entendants en français langue première et en français langue seconde; le tout est suivi (huitième chapitre) d'une autre étude sur l'influence du mode de communication oral, gestuel ou mixte sur la construction des phrases en français. Au dernier chapitre de cette partie, une recherche originale démontre que les apprenants sourds qui utilisent le français oral n'ont pas une meilleure production écrite que ceux qui ne l'utilisent pas, ce qui remet en question la nécessité de maîtriser l'oral pour l'apprentissage de l'écrit. On y montre également que certains contacts avec l'écrit qui ont lieu habituellement hors du contexte scolaire sont significativement liés à la performance à l'écrit.

La quatrième et dernière partie du volume touche l'intervention. Au dixième chapitre, on propose comme stratégie d'enseignement pour deux difficultés spécifiques du français écrit la comparaison du français avec la LSQ (langue des signes québécoise). Au onzième chapitre, la présentation d'une recherche exploratoire dans laquelle les sourds se sont exprimés sur leur apprentissage et sur la place du français écrit dans leur vie débouchent sur des suggestions pour l'enseignement de l'écriture aux sourds. Au douzième chapitre vient une description du Centre d'aide en français écrit mis sur pied pour des adultes sourds. Au treizième chapitre, les auteurs font part d'une recherche auprès de sujets adultes sourds, recherche dont la conclusion indique que les connaissances métalinguistiques sont fréquemment absentes ou faibles chez les apprenants sourds et que les intuitions grammaticales des sourds sur le français diffèrent de celles des locuteurs natifs entendants. Le dernier chapitre traite d'un processus cognitif, l'autoexplication, susceptible de favoriser l'intégration de nouvelles connaissances chez les apprenants sourds.

L'ensemble constitue, à n'en pas douter, un bon ouvrage de référence sur les différentes recherches menées par l'équipe Dubuisson. La première partie, qui est bien appuyée et bien présentée, aurait pu à elle seule faire l'objet d'un livre puisqu'elle est une défense du droit de l'enfant sourd à une langue première et à une éducation bilingue et biculturelle. C'est cette partie que toute personne intéressée par la surdité devrait lire. Les trois autres, qui ressemblent plus à un collectif de travaux rapportant des recherches qui n'ont pas toujours un lien évident avec l'orientation initiale de l'ouvrage. Pourquoi, en effet, après avoir démontré, recherches à l'appui, l'échec de l'oralisme et de la communication totale (chapitres 1 et 2), détailler différentes études sur les productions des oralistes et des enfants éduqués en communication totale (chapitres 7 et 8)? On peut également se questionner sur la pertinence du sixième chapitre dans lequel les auteurs décrivent une démarche de recherche telle qu'elle est utilisée dans différentes études. Ce chapitre semble quelque peu hors contexte par rapport à l'objet de l'ouvrage bien que tous les exemples soient tirés des recherches en écriture du Groupe de recherche sur la LSQ et le français sourd. On relève par ailleurs une importante faiblesse méthodologique au huitième chapitre où l'on fait la comparaison des productions selon les modes de communication. On peut s'interroger sur la validité des modalités du choix des sujets de l'étude puisque, au primaire, ce sont les enseignants qui ont indiqué si les élèves signaient ou non en LSQ alors que la plupart des enseignants ne maîtrisent pas eux-mêmes la LSQ; au secondaire, les élèves eux-mêmes ont indiqué leur langue de communication alors qu'on sait que la majorité des sourds ne connaissent pas la différence entre la LSQ, le pidgin et le français.

Malgré ses faiblesses, l'ouvrage a le mérite de s'insérer dans la réflexion collective qui entoure l'enseignement bilingue pour les enfants sourds et d'en expliquer et défendre le bien-fondé.